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27/09/2018 | FRANCE | N°15/04781

France | France, Cour d'appel de Rennes, 4ème chambre, 27 septembre 2018, 15/04781


4ème Chambre








ARRÊT N° 336





N° RG 15/04781














CM / FB














Copie exécutoire délivrée





le :





à :

















RÉPUBLIQUE FRANÇAISE


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE RENNES


ARRÊT DU 27 SEPTEMBRE 2018








COMPOSITION DE LA COUR LORS DES

DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :





Président : Monsieur Louis-Denis HUBERT, Président de chambre,


Assesseur : Madame Catherine MENARDAIS, Conseiller,


Assesseur : Madame Florence BOURDON, Conseiller,





GREFFIER :





Madame Françoise BERNARD, lors des débats et lors du prononcé





DÉBATS :





A l'audience publique du 08 Mars 2018





ARRÊT...

4ème Chambre

ARRÊT N° 336

N° RG 15/04781

CM / FB

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 27 SEPTEMBRE 2018

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Louis-Denis HUBERT, Président de chambre,

Assesseur : Madame Catherine MENARDAIS, Conseiller,

Assesseur : Madame Florence BOURDON, Conseiller,

GREFFIER :

Madame Françoise BERNARD, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 08 Mars 2018

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 27 Septembre 2018 par mise à disposition au greffe, date indiquée à l'issue des débats : 31 Mai 2018 prorogée au 05 Juillet 2018 puis au 27 Septembre 2018

****

APPELANTE :

SCOP Y...

[...]

Représentée par Me Valérie Z... de la SELARL ATHENA AVOCATS ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de QUIMPER

Représentée par Me Jean-David CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, Postulant, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉS :

Monsieur Christian G...

né le [...] à NEUILLY SUR SEINE (92200)

[...] 08

Représenté par Me Gérard BRIEC de la SELARL BRIEC GERARD, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de QUIMPER

Madame Laurence A... épouse G...

née le [...] à NEUILLY SUR SEINE (92200)

[...] 08

Représentée par Me Gérard BRIEC de la SELARL BRIEC GERARD, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de QUIMPER

Monsieur Gilles I...

[...]

Représenté par Me Isabelle BOUCHET-BOSSARD de la SELARL BELWEST, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de BREST

FAITS ET PROCEDURE

Suivant contrat en date du 6 juillet 2005, monsieur Christian G... et madame Laurence A... épouse G... ont confié à monsieur Gilles I... une mission de maîtrise d'oeuvre complète pour la construction d'une maison à usage de résidence secondaire située à [...] (29).

La lot 'gros-oeuvre' a été confié à la société Y... (société bâtiment de Cornouailles) suivant marché en date du 21 mars 2006.

Les travaux ont été réceptionnés en février 2008, à l'exception du lot 'gros-oeuvre' en raison des problèmes d'étanchéité constatés en sous-sol.

Les époux G... ont saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de QUIMPER, lequel a ordonné une expertise par décision en date du 2 septembre 2009.

L'expert a déposé son rapport le 13 décembre 2010.

Par ordonnance de référé en date du 15 juin 2011, confirmé par arrêt de la cour d'appel de Rennes rendu le 20 septembre 2012, la demande de provision formée par les époux G... a été rejetée et ils ont été condamnés à payer à la société Y... la somme de 22 849,44 euros ainsi que celle de 1000 euros.

Par acte d'huissier délivré le 23 juillet 2012, la société Y... a fait assigner les époux G... et monsieur I... devant le tribunal de grande instance de QUIMPER, aux fins de voir prononcer la réception judiciaire des travaux réalisés au profit des époux G...

Par Jugement en date du 26 mai 2015, le tribunal de grande instance de QUIMPER a:

-débouté la société Y... de sa demande de réception judiciaire ;

-condamné monsieur I... et la SCOP Y... in solidum à payer aux époux G... la somme de 108 419 euros augmentée de la TVA en vigueur au jour du jugement et indexée sur l'indice INSEE du coût de la construction depuis le jour de l'établissement du devis en cause (29 novembre 2010) ;

-condamné monsieur I... et la SCOP Y... in solidum à payer aux époux G... la somme de 3000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice de jouissance ;

-dit que dans leurs rapports entre eux monsieur I... et la SCOP Y... seront tenus pour moitié du montant des présentes condamnations à l'égard des époux G... ;

-condamné les époux G... à payer à la SCOP Y... la somme de 1 906,27 euros;

-débouté les parties de toutes autres demandes ;

-ordonné l'exécution provisoire ;

-condamné monsieur I... et la SCOP Y... in solidum à payer aux époux G... la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

-condamné monsieur I... et la SCOP Y... in solidum aux entiers dépens qui comprendront les dépens de l'instance de référé ainsi que le coût de l'expertise.

Par déclaration d'appel enregistrée le 18 juin 2015, la SCOP Y... a interjeté appel de ce jugement, en intimant monsieur et madame G..., monsieur Gilles I...

Par déclaration enregistrée le 1er juillet 2015, monsieur Gilles I... a interjeté appel de ce jugement en intimant les époux G... et la SCOP Y...

Ces deux procédures ont été jointes par ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 10 décembre 2015.

Les parties ont conclu.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 février 2018.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses conclusions signifiées le 05 février 2018, la société Y... demande à la cour de:

Vu Ies articles 1147, 1792 et suivants du Code civil

-Recevoir la société Y... en son appel

La déclarer bien fondée

-Confirmer la décision en ce qu'elle a condamné solidairement les époux G... au paiement de la somme de 1.906,27 €

-Réformer la décision dont appel pour le surplus et statuant à nouveau :

-Débouter les époux G... de toutes leurs demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de la société Y...

-Débouter Monsieur I... de toutes ses demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de Ia société Y...

-Prononcer la réception du lot gros-oeuvre réalisé par la société Y... à la date du 20 février 2008

A titre subsidiaire

-Condamner Monsieur I... à garantir la société Y... de toutes condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre en principal,dommages et intérêts et frais

-Condamner solidairement les intimés au paiement de la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile

-Condamner solidairement les intimés aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Elle fait essentiellement valoir que :

-la réception doit être prononcée à la date à laquelle l'ouvrage peut être reçu à savoir à la date où l'ouvrage est habitable ;

-en l'espèce, en l'absence de désordre affectant les travaux de gros-oeuvre et alors que la maison est habitable, la réception judiciaire peut être prononcée sans réserve ;

-il n'est pas démontré que les inondations dans le sous-sol ont pour origine une autre cause que celle d'un dysfonctionnement de la pompe de relevage mise en oeuvre ;

-l'expert n'a pas relevé de désordre intrinsèque à l'ouvrage réalisé par la société Y... mais a remis en cause la conception desdits travaux par le maitre d'oeuvre ;

-l'expert n'a pas constaté d'inondation du sous-sol ;

-l'expert n'a procédé à aucune investigation et n'a pas constaté les désordres ;

-l'expert n'ayant pas déterminé la cause de l'envahissement ponctuel du sous-sol par les eaux, il ne peut être prétendu que ce désordre serait substantiel et rendrait l'immeuble impropre à sa destination ;

-l'expert n'a pas déterminé la cause des arrivées d'eau, ni les travaux propres à y remédier, ni leur imputabilité technique ;

-les désordres relèvent de la conception de l'ouvrage et incombent au maitre d'oeuvre, lequel connaissait parfaitement bien les contraintes techniques du site de [...] ;

-si des travaux de cuvelage s'avéraient nécessaires, ils devraient être laissés à la charge des époux G..., une telle prestation n'étant pas prévue dans l'offre de la société Y... ;

-à défaut de réception de l'ouvrage, la responsabilité décennale des constructeurs ne peut être retenue ;

-la société Y... n'a pas eu connaissance de phénomènes d'inondations récurrents du sous-sol par un phénomène de remontées de la nappe phréatique ;

-l'inondation survenue en janvier 2008 a été causée par un mauvais positionnement de la pompe de relevage imputable au plombier ;

-il n'est pas démontré que les inondations survenues ont pour origine une cause étrangère à un dysfonctionnement de la pompe mise en oeuvre.

Aux termes de ses conclusions signifiées le 14 février 2018, monsieur G... et madame G... née A... demandent à la cour de :

Vu les dispositions des articles 1147 et suivants du code civil, et subsidiairement celles des articles 1792 et suivants,

-Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné Monsieur I... et la SCOP Y... in solidum ou l'un à défaut de l'autre à payer à M. et Mme G... la somme de 108 419,00 €, somme qui sera augmentée de la TVA en vigueur au jour du jugement et indexée sur l'indice INSEE du coût de la construction depuis le jour de l'établissement du devis.

-Condamner Monsieur I... et la SCOP Y... in solidum ou l'un à défaut de l'autre à payer à M. et Mme G... 10 000,00 € à titre de dommages et intérêts et 8 000,00 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

-Dire que la réception interviendra au jour de la réparation des désordres et subsidiairement dire qu'elle serait assortie d'une réserve concernant les arrivées d'eau dans le sous-sol.

-Les condamner sous la même solidarité au paiement des dépens qui comprendront ceux de l'instance en référé et des frais de l'expertise judiciaire.

Ils font essentiellement valoir que:

-le cuvelage qui figurait dans le projet initial de monsieur I..., n'apparaissait plus qu'en option dans son projet de novembre 2005 et avait disparu du marché de l'entreprise Y... ;

-leur seule exigence était d'obtenir un sous-sol sec en toutes circonstances mêmes exceptionnelles, et ce, sans être tributaire du fonctionnement d'une pompe ;

-l'étanchéité du sous-sol faisait partie de leurs exigences incontournables, et ce, aussi bien en condition courante qu'en intempérie exceptionnelle ;

-l'eau a envahi le sous-sol en janvier 2007 , en janvier 2008, en novembre 2010, en mai 2012, en janvier 2013, en novembre 2013 et en décembre 2013 ;

-les inondations rendent inutilisable le sous-sol ;

-l'ampleur et la répétition des inondations excluent qu'elles ont fait partie des prévisions contractuelles ;

-l'architecte a commis une faute au niveau de la conception de l'ouvrage

-l'architecte a failli à son devoir de conseil en n'expliquant pas aux maitres de l'ouvrage les inconvénients de l'absence de réalisation du cuvelage ;

-le maître d'oeuvre ne peut soutenir que les époux G... ont accepté des 'inondations ponctuelles' ;

-l'entreprise Y... a également manqué à son devoir de conseil et aurait du informer les époux G... des conséquences découlant de la non réalisation du cuvelage prescrit initialement ;

-la solution réparatoire conforme aux prévisions contractuelles est celle résultant du devis de l'entreprise SBTS ;

-la société Y... avait une parfaite connaissance de la situation ou à tout le moins aurait du avoir cette connaissance ;

-la clause de conciliation préalable à l'introduction de l'instance judiciaire doit être explicite quant au caractère préalable et obligatoire et elle doit impérativement mentionner ses modalités de mise en oeuvre pour en garantir l'effectivité et garantir la suspension des délais de prescription.

Aux termes de ses conclusions signifiées le 05 février 2018, monsieur Gilles I... demande à la cour de:

Vu les articles 1792 et suivants du code civil

Vu les articles 1134, 1147 et 1150 du code civil

Réformant la décision du TGI de QUIMPER du 26 mai 2015,

-prononcer la réception judiciaire du lot gros oeuvre réalisé par la société Y... à la date du 20 février 2008 ;

-constater l'irrecevabilité des demandes des époux DU B... à l'égard de monsieur I... ;

subsidiairement

-débouter monsieur et madame G... de toutes leurs demandes fins et conclusions;

encore plus subsidiairement

-dire et juger que le coût du cuvelage devra rester à la charge des époux G... ;

-condamner la société Y... à garantir monsieur I... de toute condamnation qui pourrait être prononcée contre lui ;

-condamner monsieur et madame G... à payer à monsieur I... la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

-débouter la société Y... de toutes ses demandes fins et conclusions dirigées à l'encontre de monsieur I... ;

-condamner monsieur et madame G... aux entiers dépens.

Il fait notamment valoir que :

-l'expertise judiciaire ne répond à aucun point de la mission ;

-l'expert n'a fait aucune investigation pour déterminer la cause des désordres, laquelle demeure inconnue ;

-l'expert n'a constaté aucun désordre ;

-les inondations sont ponctuelles et ne dépassent pas les prévisions contractuelles, de telle sorte qu'elles ne peuvent être qualifiées de désordres, alors qu'elles se produisent moins d'une fois par an dans un sous-sol semi-enterré qui n'est pas une pièce habitable ;

-l'expert aurait du procéder à des relevés piézométriques ce qu'il n'a pas cru bon de faire, se fiant à son intuition ;

-en l'absence de désordre, la réception judiciaire doit être prononcée, alors qu'en l'état aucun élément ne démontre que les inondations ne sont pas exceptionnelles et que la pompe de relevage n'est pas efficace ;

-seule la responsabilité contractuelle pour faute prouvée de monsieur I... peut-être mise en oeuvre ;

-toutes demandes à son encontre sont irrecevables à défaut pour les époux G... d'avoir saisi préalablement le conseil de l'ordre des architectes d'une demande d'avis ;

-il n'a commis aucune faute de conception puisqu'il avait prévu un dallage et un cuvelage ;

-le cuvelage était en option et le bureau d'études de Y... le BET STRUKTURES aurait du calculer les ouvrages de façon à ce qu'ils puissent recevoir le cuvelage ;

-les époux G... devront supporter le coût du cuvelage, lequel était prévu en option dès l'origine ;

-en tout état de cause, le contrat d'architecte prévoit une clause d'exclusion de solidarité (article 5 du CCP).

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé en application des dispositions des articles 455 et 954 du CPC à leurs dernières conclusions ci-dessus rappelées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il convient d'observer que le jugement déféré n'est pas discuté en sa disposition relative à la condamnation des époux G... au paiement du solde des travaux réalisés par la SCOP Y...

1) Sur la réception

Il résulte de l'article 1792-6 du code civil que ' la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserve. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l'amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement'.

La réception peut prendre diverses formes. Elle peut tout d'abord être expresse, judiciaire ou tacite. La réception expresse exige que la volonté du maître de l'ouvrage de recevoir l'ouvrage soit explicitement mentionnée dans un écrit et ce de façon contradictoire à l'égard des locateurs d'ouvrage.

La réception judiciaire peut intervenir en cas de refus, exprès mais abusif, du maître d'ouvrage d'une réception demandée par les constructeurs. La date de la réception judiciaire est fixée au moment où l'ouvrage était en état d'être reçu, à savoir la date à laquelle l'immeuble était effectivement habitable.

Il s'en déduit que l'existence de désordres ne fait pas obstacle au prononcé de la réception, quelle que soit sa forme ; que dans cette hypothèse, la réception est prononcée avec réserves, lesquelles peuvent donner lieu à réparation sur les fondements explicités ci-après.

En l'espèce, la SCOP Y... et monsieur I... sollicitent le prononcé de la réception judiciaire à la date du 20 février 2008 alors que les époux G... s'opposent à la réception.

Il est constant que les époux G... ont pris possession de leur immeuble le 20 février 2008, date à laquelle la réception de l'ouvrage a été prononcée contradictoirement à l'exception du lot gros-oeuvre. En effet, les époux G... ont refusé de recevoir ce lot au motif que le sous-sol de leur immeuble n'était pas étanche et subissait régulièrement des inondations.

Il ressort des constats d'huissier produits par les époux G... et de l'expertise judiciaire, sans entrer dans les détails qui seront exposés ci-après dans le cadre de l'appréciation de la demande indemnitaire des époux G... , que les désordres affectant le sous-sol ne rendent pas l'immeuble inhabitable et les époux G... ne soutiennent d'ailleurs pas qu'ils n'ont pu occuper leur résidence secondaire depuis février 2008. Il est même acquis au regard des pièces de la procédure qu'ils ont emménagé dans leur résidence secondaire.

En conséquence, le refus de réception du lot gros-oeuvre est manifestement abusif et il convient de faire droit à la demande des constructeurs en prononçant la réception judiciaire dudit lot confié à la SCOP Y..., et ce, à la date du 20 février 2008, réception assortie de la réserve suivante : ' absence d'étanchéité du sous-sol de la maison'.

2) Sur la demande indemnitaire des époux G...

-a- sur la fin de non recevoir tirée de l'irrecevabilité des demandes à l'encontre de monsieur I...

Une clause contractuelle prévoyant la saisine préalable du conseil de l'ordre des architectes, non assortie de conditions particulières de mise en oeuvre et par suite de sanction en cas d'inobservation, ne saurait être analysée en une procédure de conciliation obligatoire préalable à la saisine du juge dont le non respect caractérise une fin de non recevoir.

En l'espèce, le cahier des clauses générales du contrat d'architecte prévoit la clause suivante en son article 5-2 : 'en cas de litige portant sur l'exécution du présent contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le conseil régional de l'ordre des architectes dont relève l'architecte, avant toute procédure judiciaire, sauf conservatoire.'

Force est de constater que le libellé de cette clause ne fait pas de la saisine du conseil de l'ordre des architectes une condition préalable à l'introduction de la procédure judiciaire, et ce, à peine d'irrecevabilité .

En conséquence, nonobstant l'absence de saisine du conseil régional de l'ordre des architectes, l'action des époux G... à l'encontre de monsieur I... est recevable.

-b-sur le bien fondé de la demande

**sur les responsabilités encourues

Dans l'hypothèse d'une réception avec réserves, les désordres réservés à la réception peuvent être réparés sur le fondement de la garantie de parfait achèvement ou sur la responsabilité contractuelle de droit commun fondée sur l'article 1231-1 du code civil (article 1147 ancien du code civil). En revanche, la responsabilité de plein droit des constructeurs, posée par les articles 1792 et suivants du code civil n'est pas applicable aux désordres réservés.

.

En l'espèce, les époux G... fondent leur demande indemnitaire à titre principal sur l'article 1147 du code civil (1231-1 nouveau) et à titre subsidiaire sur les articles 1792 et suivants du même code. Cette demande a trait au désordre affectant l'étanchéité du sous-sol.

Au regard des développements précédents et de ce que la réception judiciaire est prononcée le 20 février 2008, avec une réserve relative à l'absence d'étanchéité du sous-sol de la maison, seule la responsabilité contractuelle de droit commun peut être utilement invoquée.

S'agissant de la responsabilité contractuelle des constructeurs, il convient de rappeler qu'il leur incombe de réaliser un ouvrage conforme à la commande et exempt de vice. Ils doivent notamment proposer et réaliser un ouvrage répondant aux attentes contractuellement fixées par les maitres d'ouvrage. Dans l'hypothèse d'un choix constructif de nature à influer sur le résultat attendu, ils sont soumis à une obligation d'information précise consistant à avertir les maîtres de l'ouvrage des risques éventuels d'un tel choix constructif.

Il appartient aux constructeurs (maitre d'oeuvre et entreprises concernées) d'apporter la preuve qu'ils ont satisfait à cette obligation.

S'agissant de désordres affectant le sous-sol de l'immeuble des époux G..., il est utile de poser qu'un sous-sol enterré ou semi-enterré doit être étanche à toute pénétration d'eau ou être muni d'un dispositif efficient permettant d'évacuer l'eau et d'en assurer un usage normal à savoir le stockage de matériaux ou machines domestiques. Cette exigence s'entend bien évidemment hors circonstances climatiques exceptionnelles, telles des pluies importantes entraînant des inondations généralisées dans une zone concernée.

En l'espèce, il est acquis que le risque d'infiltration dans le sous-sol était connu dès la conception et confirmé dès le terrassement par la présence d'eau dans le fond de fouilles (entre 30 et 40 cm). Toutes les parties à l'acte de construire, maitres d'ouvrage compris étaient conscients de cette donnée, la question de l'étanchéité du sous-sol ayant toujours été considérée comme l'un des soucis majeurs du chantier .

A ce titre, s'agissant des époux G..., la note établie par leurs soins en cours de chantier, intitulée 'maison à [...] - point d'avancement et questions' est explicite en ce qu'ils indiquent 'le pari essentiel de cette maison est que le sous-sol sera en permanence hors d'eau et donc peu humide.'

En l'espèce, les époux G... étaient manifestement informés du risque avéré d'inondation de leur sous-sol et avaient exprimé clairement leur exigence d'un dispositif efficient.

Or, il résulte des conclusions du rapport d'expertise de monsieur C... que :

-le sous-sol est affecté de phénomènes récurrents d'inondation ;

-ces inondations procédant de remontées de la nappe phréatique, résultent d'une inadaptation conceptuelle de l'ouvrage laquelle est imputable au maître d'oeuvre, inadaptation prolongée par une réalisation sans réserve, des travaux par l'entreprise Y....

Les opérations d'expertise et par suite les conclusions, sont critiquées par la SCOP Y... et monsieur I... essentiellement quant au constat des désordres et leur origine.

S'agissant du constat des désordres, à savoir les inondations subies par le sous-sol de l'immeuble des époux G..., s'il est acquis que l'expert judiciaire n'a pas constaté personnellement la présence d'eau dans le sous-sol, il a relevé expressément des 'traces sur les murs du sous-sol' ces traces témoignant d'une inondation atteignant au moins une trentaine de centimètres. Il s'est en outre, fait communiquer tous documents utiles.

Quant à la fréquence des inondations, les éléments produits par les époux G... et notamment les constats d'huissier et attestations de voisins, témoignent de ce qu'elles sont régulières et nullement exceptionnelles.

Ainsi, des inondations ont été relevées aux dates suivantes :

-décembre 2006

-janvier 2007

-février 2008

-novembre 2010 (40 cm d'eau sur tout le sous-sol constaté par maître MORVAN huissier de justice)

-mai 2012

-janvier 2013 (murs et piliers mouillés ; remontées d'eau visibles constatés par huissier de justice)

-novembre 2013

-décembre 2013 (attestations de tiers)

-décembre 2017

Il est acquis que cette énumération n'est pas exhaustive des épisodes d'inondation constatés mais suffit à démontrer le caractère récurrent de ceux-ci.

Les conclusions de l'expert ne sont pas utilement contestées sur ce point.

S'agissant de l'origine de ces infiltrations l'expert conclut ' au travers des éléments recueillis et non contestés par les parties, il est évident que nous sommes dans cette affaire face à une situation d'envahissement de l'eau du sous-sol consécutive à une remontée de nappe phréatique pendant des périodes de précipitations importantes'.

La SCOP Y... et monsieur I... ne contestent pas utilement cette conclusion, laquelle au demeurant est sans incidence sur la responsabilité encourue dans la mesure où le désordre est avéré et où la seule question utile a trait à la pertinence du choix constructif conçu par l'architecte et mis en oeuvre par l'entreprise chargée du gros-oeuvre.

Il n'en demeure pas moins établi que la présence et l'incidence de cette nappe phréatique étaient connues de tous (constructeurs et maîtres d'ouvrage).

Ainsi, les compte rendus de chantier y font référence, notamment celui du 18 juillet 2006 qui mentionne à l'attention de l'entreprise Y... 'réaliser le puits pour réguler la nappe phréatique'. Quant aux époux G..., ils écrivaient dans une note établie par leurs soins en cours de chantier : 'La nappe semble un peu en dessous dans son étiage maximal'.

Quant au mode constructif conçu, choisi et réalisé, il n'est pas discuté que le 'devis descriptif quantitatif' établi par monsieur I... en novembre 2005, prévoyait notamment une pompe de relèvement et en option la réalisation d'un cuvelage avec revêtement d'impérméabilisation .

Or, le marché de travaux signé avec la SCOP Y... en mars 2006 prévoit : des parois de voiles en béton banché, avec système de drainage et une pompe de rélèvement des eaux souterraines, outre un dallage hydrofugé surfacé non isolé sur terre plein.

Il est acquis que la SCOP Y... n'a pas envisagé et proposé l'option 'cuvelage ' telle que prévue par le maître d'oeuvre, celle-ci étant impossible à mettre en oeuvre avec un dallage de 12 cm d'épaisseur dit 'dallage piston'.

A ce titre, l'expert C... est formel en ce que la mise en oeuvre d'un cuvelage nécessitait un sol constitué d'un radier général liaisonné aux murs périphériques.

L'expert conclut que le dispositif, accepté en son principe par monsieur I..., est ' conforme au concept de ce dernier qui consistait à drainer la base de l'édifice et à rejeter par pompe de relevage les eaux de drainage au réseau, mais ne peut en aucun cas être utilisé comme dispositif de rabattage de la nappe phréatique.

Il ajoute qu'un dispositif de rabattage nécessite la création d'une 'véritable pièce technique et un couplage à un groupe électrogène pour pallier l'interruption du réseau public électrique... fréquentes lors des précipitations orageuses importantes'.

Il s'en déduit que le dispositif préconisé par l'architecte, autre que le cuvelage, n'était manifestement pas suffisant pour assurer le rabattage de la nappe phréatique et par suite éviter toute infiltration d'eau.

Quant au moyen tenant à une cause étrangère à savoir le dysfonctionnement de la pompe de relevage, il est inopérant. En effet, s'il n'est pas discuté qu'à deux reprises (janvier 2007 et janvier 2008) les infiltrations ont pu être provoquées par suite du dysfonctionnement de la pompe de relevage mise en place, les éléments versés aux débats quant aux autres épisodes d'inondation suffisent à démontrer que la pompe litigieuse était opérationnelle et par suite n'était pas à l'origine des désordres.

En conséquence, il est prouvé que les inondations répétées procèdent d'une inadaptation du dispositif aux contraintes des lieux, contraintes que les constructeurs connaissaient.

S'il est constant que les époux G... ont accepté le dispositif proposé et prévu au devis de mars 2006, ni monsieur I..., ni la SCOP Y... ne démontrent les avoir suffisamment informés des risques induits par ledit dispositif et de manière générale des avantages et risques des diverses solutions techniques envisageables.

Ils n'ont notamment pas pu appréhender les risques de l'abandon de la structure en coque 'le cuvelage'. Ils écrivaient ainsi le 15 avril 2007 à monsieur I...' l'abandon d'une structure en coque dont j'ai pris conscience il y a quelques jours, intrinsèquement plus étanche, nécessite une jointure efficace en totalité de la dalle avec les murs'.

Or, force est de rappeler qu'il incombe au professionnel tenu à une obligation de conseil à l'égard de son co-contractant, de démontrer qu'il a satisfait à cette obligation.

Il s'en déduit que monsieur I... a failli à son obligation première de concevoir et de veiller à la réalisation d'un ouvrage répondant aux attentes connues et légitimes des maitres d'ouvrage à savoir un sous-sol doté d'un dispositif efficace pour pallier les risques d'inondations dues à la montée de la nappe phréatique lors de fortes précipitations associées parfois aux grandes marées.

Quant à la SCOP Y..., en réalisant un ouvrage dont l'inadaptation ne pouvait lui échapper en raison de sa qualité de professionnelle avertie, elle a manqué à son obligation de réaliser un ouvrage exempt de vice et répondant aux demandes contractuelles des maitres d'ouvrage.

Ces deux constructeurs ont, en toute hypothèse, failli à leur obligation d'information en n'alertant pas les époux G... des risques majeurs présentés par le mode constructif choisi, lequel ne permet pas de satisfaire à leur souhait clairement exprimé de bénéficier d'un sous-sol pouvant être utilisé dans des conditions normales.

Le jugement dont appel est confirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité de monsieur I... et de la SCOP Y....

Il est également confirmé en ce que la responsabilité est retenue à hauteur de 50 % pour chacun d'eux.

**sur l'indemnisation des préjudices subis

-S'agissant des condamnations prononcées à l'encontre de monsieur I..., en application de l'article 5 du cahier des clauses particulières du contrat d'architecte du 26 juillet 2005, l'architecte 'n'assumera les responsabilités professionnelles définies par les lois et règlements en vigueur et particulièrement celles édictées par les articles 1792 et 2270 du code civil, que dans la mesure de ses fautes personnelles. Il ne pourra être tenu responsable ni solidairement, ni in solidum, des fautes commises par d'autres intervenants, à l'opération ci-dessus visée' .

Ces dispositions contractuelles sont bien évidemment opposables aux époux G... de telle sorte que les condamnations prononcées ci-après sont certes prononcées in solidum entre monsieur I... et la SCOP Y..., mais dans la limite de 50 % à l'encontre de monsieur I... .

-S'agissant des mesures réparatoires, l'expert C... préconise la réalisation d'un radier général solidarisé aux murs extérieurs et d'un cuvelage général jusqu'au niveau des allèges des soupiraux du sous-sol sur une hauteur d'environ 1,20m.

Il évalue ces travaux à la somme totale de 108 419 euros HT (travaux, frais de maitrise d'oeuvre et fourniture d'eau et d'électricité).

En l'état, alors qu'aucune autre solution réparatoire efficiente n'est proposée par l'expert, elle doit être retenue. La notion d'enrichissement sans cause ne trouve pas à s'appliquer, les époux G... ayant droit à l'indemnisation totale de leurs préjudices et en premier lieu à la remise en état de l'ouvrage afin qu'il soit exempt de vice et conforme aux dispositions contractuelles.

Le jugement dont appel est confirmé de ce chef.

-s'agissant du préjudice de jouissance , les époux G... sollicitent une somme de 10 000 euros.

En cause d'appel, les époux G... ne produisent par de pièce de nature à réviser le montant alloué par les premiers juges, sauf à tenir compte du temps écoulé et de la persistance des désordres depuis le jugement déféré.

Il convient par conséquent de fixer à 4 200 euros le montant de l'indemnisation allouée au titre de ce préjudice.

Monsieur I... et la SCOP Y... sont condamnés in solidum au paiement des sommes susvisées dans la limite de 50 % pour monsieur I...

3) Sur les demandes en garantie

La SCOP Y... et monsieur Gilles I... forment des demandes croisées en garantie des condamnations prononcées à leur encontre.

Au regard des développements précédents et du partage de responsabilité à hauteur de 50 % pour chacun des deux constructeurs, les demandes en garantie sont accueillies dans cette proportion.

4) Sur les demandes accessoires

Le jugement déféré est confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles;

S'agissant des dépens d'appel, ils seront supportés par la SCOP Y... qui succombe en l'essentiel de son appel.

Les mêmes motifs commandent de condamner la SCOP Y... à payer aux époux G... la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Toutes autres demandes sont rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement par arrêt contradictoire,

Infirme partiellement le jugement rendu le 26 mai 2015 par le tribunal de grande instance de QUIMPER ;

Reprenant l'entier dispositif pour une meilleure lisibilité,

Prononce la réception judiciaire des ouvrages réalisés par la SCOP Y... au profit de monsieur Christian G... et de madame Laurence A... épouse G... à la date du 20 février 2008, réception assortie de la réserve suivante : ' absence d'étanchéité du sous-sol de la maison' ;

Juge recevable l'action des époux G... à l'encontre de monsieur Gilles I... ;

Condamne monsieur I... et la SCOP Y... in solidum à payer aux époux G... la somme de 108 419 euros augmentée de la TVA en vigueur au jour du présent arrêt, outre indexation sur l'indice INSEE du coût de la construction depuis le jour de l'établissement du devis en cause (29 novembre 2010), et ce, dans la limite de 50 % à l'encontre de monsieur I... ;

Condamne monsieur I... et la SCOP Y... in solidum à payer aux époux G... la somme de 4 200 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice de jouissance, dans la limite de 50 % pour monsieur I... ;

Dit que dans leurs rapports entre eux monsieur I... et la SCOP Y... seront tenus pour moitié du montant des présentes condamnations à l'égard des époux G... ;

Condamne les époux G... à payer à la SCOP Y... la somme de 1 906,27 euros;

Condamne monsieur I... et la SCOP Y... in solidum à payer aux époux G... la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles de première instance ;

Condamne la SCOP Y... à payer aux époux G... la somme de 3000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;

Condamne monsieur I... et la SCOP Y... in solidum aux entiers dépens de première instance qui comprendront les dépens de l'instance de référé ainsi que le coût de l'expertise ;

Condamne la SCOP Y... aux entiers dépens d'appel ;

Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires.

Le Greffier, P/ Le Président régulièrement empêché,

C. MENARDAIS


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 15/04781
Date de la décision : 27/09/2018

Références :

Cour d'appel de Rennes 04, arrêt n°15/04781 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-09-27;15.04781 ?
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