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20/09/2018 | FRANCE | N°16/00947

France | France, Cour d'appel de Rennes, 4ème chambre, 20 septembre 2018, 16/00947


4ème Chambre








ARRÊT N°320





N° RG 16/00947














C M/ F D





















































Copie exécutoire délivrée





le :





à :

















RÉPUBLIQUE FRANÇAISE


AU NOM DU PEUPLE FRANÇ

AIS





COUR D'APPEL DE RENNES


ARRÊT DU 20 SEPTEMBRE 2018








COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ:





Président : Monsieur Louis-Denis HUBERT, Président de chambre,


Assesseur : Madame Andrée GEORGEAULT, Conseiller,


Assesseur : Madame Catherine MENARDAIS, Conseiller,





GREFFIER :





Mme Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé





DÉBATS :





A l'audienc...

4ème Chambre

ARRÊT N°320

N° RG 16/00947

C M/ F D

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 20 SEPTEMBRE 2018

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ:

Président : Monsieur Louis-Denis HUBERT, Président de chambre,

Assesseur : Madame Andrée GEORGEAULT, Conseiller,

Assesseur : Madame Catherine MENARDAIS, Conseiller,

GREFFIER :

Mme Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 24 Mai 2018

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 20 Septembre 2018 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTE :

SCI PHILEOCLE prise en la personne de son représentant légal domiciliéaudit siège [...]

Représentée par Me MORER Georges, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

Représentée par Me Bertrand GAUVAIN de la SCP GAUVAIN-DEMIDOFF, Postulant, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉES :

SAS SOCIÉTÉ JANNEAU MENUISERIES immatriculée au RCS de NANTES sous le n°326 519 717, prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège [...]

Représentée par Me Jérôme WIEHN de la SELARL C.V.S., Plaidant, avocat au barreau de NANTES

Représentée par Me Benoît BOMMELAER,Postulant, avocat au barreau de RENNES

SARL MECO

[...]

[...]

Représentée par Me Jean-michel X... de la SELARL JEAN MICHEL X... AVOCAT, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de LORIENT

FAITS ET PROCEDURE

La SCI PHILEOCLE a fait procéder à la construction de 6 maisons d'habitation à [...] . Dans le cadre de cette opération, selon bon de commande en date du 21 mai 2007, elle a commandé à la SARL MECO diverses menuiseries moyennant le prix de 41.712,80€. La facture finale en date du 3 juillet 2007 s'est élevée à la somme de 29.752,89 euros. Cette commande comportait notamment douze «portes serrures ¿ vitrées» et une porte serrure pleine, toutes les menuiseries commandées (87) ont été fabriquées par la SAS JANNEAU.

Par courrier en date du 02 avril 2009, la SCI PHILEOCLE a informé la SARL MECO qu'elle avait constaté, après installation, une mauvaise disposition des poignées de portes, lesquelles touchant presque le chambranle présentaient des risques de blessure contre la maçonnerie, ainsi qu'une oxydation des ferrures constatée par procès-verbal d'huissier en date du 29 mars 2011.

Par acte d'huissier en date du 12 janvier 2012, la SCI PHILEOCLE a saisi le juge des référés du Tribunal de Grande Instance de Lorient, afin de voir ordonner une expertise judiciaire au contradictoire des sociétés SARL MECO et SAS JANNEAU.

Par ordonnance en date 27 mars 2012, le juge des référés a fait droit à la demande, désignant M. Z... pour procéder à l'expertise.

Le rapport d'expertise a été déposé le 28 novembre 2012.

Par acte en date des 07 et 08 novembre 2013, la SCI PHILEOCLE a fait assigner la SAS JANNEAU MENUISERIES, et la SARL MECO devant le Tribunal de Grande Instance de LORIENT afin de les voir condamner à réparer le préjudice qu'elle a subi.

Par jugement en date du 16 décembre 2015, le Tribunal de grande instance de LORIENT a :

- Condamné la SARL MECO à régler à la SCI PHILEOCLE:

- 9 717,84 euros, outre intérêts au taux légal à compter du présent jugement au titre des travaux de reprise,

- 1 500,00€ en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

- Débouté la SCI PHILEOCLE du surplus de ses demandes,

- Débouté la SARL MECO de sa demande en garantie à l'encontre de la société JANNEAU MENUISERIES;

- Débouté la société JANNEAU MENUISERIES de sa demande au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile;

- Ordonné l'exécution provisoire du jugement;

- Condamné la SARL MECO aux dépens qui comprendront ceux de l'instance en référé avec distraction au profit des avocats de la cause;

Par déclaration enregistrée au greffe le 02 février 2016, la SCI PHILEOCLE a interjeté appel de ce jugement, intimant la SARL MECO et la SAS JANNEAU MENUISERIES.

Les parties ont conclu.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 03 avril 2018.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les conclusions signifiées le 1er août 2016, pour la SCI PHILEOCLE, qui demande à la Cour de :

Vu les dispositions de l'article 1147 du Code Civil,

- Dire et juger recevable et bien fondée la SCI PHILEOCLE en son appel et en toutes ses demandes, fins et conclusions en tant que dirigées contre les Sociétés MECO et JANNEAU;

Réformant le jugement rendu par le TGI de Lorient le 16 décembre 2015,

- Dire et juger la Société MECO responsable sur le fondement de ses obligations contractuelles;

- Dire et juger que la SCI PHILEOCLE peut exercer à l'encontre de la société JANNEAU l'action du sous-acquéreur contre le fabricant, au visa de l'article 1147 du Code civil;

- Dire et juger responsable in solidum les Sociétés JANNEAU et MECO, pour la fabrication et la fourniture d'ouvrages inadaptés et dépourvus de qualités loyales et marchandes, et pour avoir en outre manqué à leur devoir de conseil;

- En conséquence, les condamner in solidum à payer à la SCI PHILEOCLE la somme de 109.292,89 € à titre de réparation du préjudice matériel, outre actualisation depuis la date d'établissement du devis de la Société SAMZUN;

- A défaut, ordonner que les Sociétés JANNEAU et MECO supporteront in solidum la totalité des frais de dépose, de remplacement et de repose des portes et menuiseries litigieuses dans le cadre d'une exécution en nature de leur condamnation à réparation;

- Débouter les Sociétés MECO et JANNEAU de leurs appels incident respectifs;

- Condamner les Sociétés MECO et JANNEAU in solidum au paiement d'une indemnité de 80.000 € en réparation des dommages immatériels subis par la SCI PHILEOCLE;

- Condamner les Sociétés MECO et JANNEAU in solidum à payer à la SCI PHILEOCLE la somme de 6.000 € sur le fondement de l'article 700 du CPC;

- Condamner les Sociétés MECO et JANNEAU in solidum aux dépens, en ce compris les honoraires et frais d'expertise, dont distraction pour les dépens d'appel au profit de la SCP GAUVAIN & DEMIDOFF, Avocat, par application des dispositions de l'article 699 du CPC.

Elle fait essentiellement valoir que :

Sur la recevabilité et le bien fondé du recours de la société PHILEOCLE contre la société JANNEAU,

- le sous acquéreur jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur, et la société PHILEOCLE dispose à ce titre d'une action contractuelle directe contre le fabricant des portes litigieuses, en l'espèce la société JANNEAU,

Sur le remplacement des portes,

-les portes ne sont pas adaptées puisqu'il s'agit de portes de service alors qu'il fallait des portes d'entrée,

-ce manquement au devoir de conseil imputable à la société MECO doit conduire au remplacement pur et simple des portes ;

Sur le phénomène d'oxydation des ferrures,

-l'expert a émis la simple hypothèse, non confirmée, que l'oxydation trouverait son origine dans le stockage des portes ;

-cette hypothèse est démentie par les éléments suivants : apparition de ce phénomène chez un voisin, pour qui la question du stockage ne se posait pas ;il est singulier d'affirmer que le stockage des portes à l'intérieur d'une maison engendrerait plus de risques d'oxydation qu'une fois posée au contact de l'extérieur,

-en tout état de cause, si comme l'expert l'indique, il faut appliquer une couche de graisse sur les ferrures avant l'emballage des portes, cette application incombe au fabricant, ou à la société MECO lorsqu'il est procédé à l'emballage des portes;

Sur les réparations,

- les portes ne pouvant être réparées sur place, elles doivent être déposées, transportées en usine, puis ramenées et remontées, en occultant les entrées en attendant;

-les entreprises JANNEAU et MECO refusant d'agir en ce sens, la société PHILEOCLE a du faire appel à un concurrent, et dans cette hypothèse il faut alors remplacer l'ensemble des dormants pour qu'ils soient compatibles avec les nouveaux ouvrants, ce qui explique l'écart de prix, important mais nécessaire;

Sur les appels incidents,

- l'intimé ne conteste pas le problème de positionnement des serrures, et le fait que la SCI PHILEOCLE ait fait son choix sur catalogue n'exonère pas la société MECO de son devoir de conseil;

- s'agissant de l'oxydation, la garantie commerciale de la société MECO n'étant pas exclusive des garanties légale de l'action en responsabilité contractuelle, cette action n'est pas prescrite au regard des articles 2224 et 2239 du Code civil;

- si la société MECO admet la nécessité de remplacement des ouvrants, elle ne propose pas une réelle réparation en nature, mais un équivalent en nature arbitraire et dérisoire;

- la société JANNEAU ne peut dire que la demande de réparation en nature est nouvelle en cause d'appel, alors qu'elle l'a proposée elle même en cours d'expertise ;

-la société JANNEAU confond pose et montage avec seulement une mise à disposition d'éléments de ferrure à monter soi-même ;

-la société JANNEAU ne peut valablement soutenir qu'ell ignorait l'existence de la SCI PHILEOCLE puisque tous les documents qu'elle a établi mentionnent le client et la destination.

Vu les conclusions notifiées par RPVA le 23 juin 2016, pour la société JANNEAU, qui demande à la Cour de :

Vu l'article 564 du cpc,

Vu les articles 1147 et 1150 du code civil

- Déclarer irrecevable comme nouvelle en appel la demande de réparation en nature formée par la SCI PHILEOCLE ;

A titre principal,

- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement du TGI de LORIENT en date du 16 décembre 2015, et en conséquence :

* Débouter la SCI PHILEOCLE et la société MECO de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions à l'encontre de JANNEAU MENUISERIES ;

A titre subsidiaire,

Si par impossible la Cour retenait la responsabilité de JANNEAU MENUISERIES :

- Homologuer le rapport d'expertise et en conséquence :

* Décerner acte à la société JANNEAU MENUISERIES de ce qu'elle offre de fournir gracieusement :

- 13 ouvrants de portes avec déplacement de l'axe des fouillots

- 55 quincailleries pour les châssis 2 vantaux

- 5 quincailleries pour les châssis 1 vantail

*à charge pour MECO de livrer ces fournitures à sa cliente, la SCI PHILEOCLE, sur le chantier de Belle Ile en Mer, la pose restant à la charge de la SCI PHILEOCLE ;

En tout état de cause,

- Condamner la SCI PHILEOCLE à verser à JANNEAU MENUISERIES la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en première instance et en appel;

La condamner aux dépens.

Elle soutient principalement que :

- la demande de réparation en nature n'a pas été soumise aux premiers juges de telle sorte qu'elle est irrecevable comme nouvelle en cause d'appel,

Sur le mal fondé de la demande de la SCI PHILEOCLE

- la SCI PHILEOCLE ne saurait invoquer le droit commun des contrats pour obtenir ce qui lui a été justement refusé sur le fondement du droit spécial de la vente;

- à défaut de lien contractuel direct entre le sous acquéreur et le fabricant, le premier n'a pas qualité pour rechercher la responsabilité contractuelle du second;

- la seule action transmise par le vendeur au sous acquéreur est celle attachée à la chose, c'est à dire l'action en garantie des vices cachés, laquelle a été écartée par le tribunal car prescrite ;

- le rapport d'expertise n'établit pas que les sociétés MECO et JANNEAU ont eu connaissance de l'intention de la SCI PHILEOCLE de laisser ces menuiseries stockées pendant près de 2 ans, alors qu'il n'est pas usuel que des matériaux livrés sur un chantier soient mis en oeuvre 2 ans après;

- la SCI PHILEOCLE, qui a fait assurer la pose et stocké pendant une longue période les portes est à l'origine des désordres;

- le devis initial précisait bien la commande de «portes serrures», et non de portes d'entrée, et il est manifeste que les portes ont été détournées de leur destination;

-elle n'a pas failli à son obligation de conseil puisqu'en tant que fabricant, elle n'était pas tenue contractuellement envers la société PHILEOCLE, elle n'a fait que livrer les produits commandés à son client, la SARL MECO;

- le préjudice immatériel allégué doit également être rejeté, n'étant appuyé par aucune pièce et donc totalement injustifié;

Sur la demande de garantie de la société MECO,

- la SARL MECO ne saurait solliciter la garantie de la société JANNEAU, n'ayant jamais eu le moindre contact avec la société PHILEOCLE, ni même connaissance de ses exigences;

- la société JANNEAU a exécuté la seule obligation à laquelle elle s'était engagée, à savoir livrer à son client, la société MECO, le produit qu'elle avait demandé;

Sur l'homologation du rapport,

- la proposition commerciale qui a été faite par la société JANNEAU l'a été sans aucune reconnaissance de responsabilité;

- en cas de condamnation, l'indemnisation devra être limitée à l'homologation du rapport d'expertise, établie par l'expert retenant sa proposition commerciale;

Vu les conclusions notifiées le 15 septembre 2016, pour la société MECO, qui demande à la Cour de :

- Réformer le Jugement dont appel;

- Mettre hors de cause la Société MECO sans peine ni dépens;

- Subsidiairement, homologuer le rapport de l'expert Z...;

- Condamner la Société JANNEAU à garantir la Société MECO de toute condamnation susceptible d'être prononcée contre elle;

- Débouter l'appelante de toutes demandes plus amples ou contraires ;

- La condamner à verser à la Société MECO une indemnité de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile

- La condamner aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile

Elle développe l'argumentation suivante :

Sur le prétendu manquement au devoir de conseil,

-les portes choisies par la société PHILEOCLE sont des menuiseries extérieures, en conformité aux plans fournis par le maître d'ouvrage ;

-les portes, d'un coût inférieur sont néanmoins conformes à un usage de porte d'entrée et ne présentent pas en elles-mêmes aucun vice ;

-elles ont été choisies en raison de leur prix plus faible ;

- la société PHILEOCLE a choisi les portes en connaissance de cause, et la société MECO lui a livré les portes qu'elle avait commandées ;

Sur le positionnement des poignées et serrures;

- le défaut constaté par l'expert est difficilement contestable, mais il ne rend pas l'ouvrant impropre à sa destination, de telle sorte que le changement des ouvrants est justifié mais pas celui des bâtis ;

- le défaut relève de la conception de la porte, et donc de la responsabilité du fabricant;

- ce positionnement des poignées et serrures n'est pas fonction de la qualification de porte «serrures» ou porte «d'entrée», les deux modèles devant permettre un usage en toute sécurité, de telle sorte qu'il s'agit là d'un unique défaut de conception;

Sur l'oxydation,

- la garantie des quincailleries visées était stipulées pour 2 ans, et a expiré bien avant la saisine du juge, mais en référé;

- l'expert n'a pas confirmé la cause de l'oxydation, même s'il indique qu'elle relèverait d'une mauvaise utilisation par la société PHILEOCLE, qui les a stockées dans l'humidité pendant 2 ans;

-en tout état de cause, elle n'a pas failli à son devoir de conseil ;

Sur les demandes de la société PHILEOCLE,

-s'agissant des dommages matériels, la solution réparatoire ne pourra excéder le remplacement proposé par la société JANNEAU, et aux seuls frais de cette dernière puisqu'elle est à l'origine de défaut de conception

- l'oxydation des quincailleries étant hors garantie et imputable à la société PHILEOCLE, n'appelle aucune indemnisation;

- le préjudice immatériel allégué n'est absolument pas justifié;

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé, en application des articles, 455 et 954 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions ci-dessus rappelées.

MOTIFS DE LA DECISION

Il y a lieu au préalable de poser que la cour n'a pas à statuer sur les deux points suivants :

-un rapport d'expertise est un moyen de preuve au soutien des prétentions des parties, et n'est pas un titre susceptible d'exécution, de telle sorte qu'il ne saurait être homologué

-les décisions de donner acte sont dépourvues de caractère juridictionnel et insusceptibles de pourvoi en cassation puisque le donné acte qui ne formule qu'une constatation n'est pas susceptible de conférer un droit à la partie qui l'a demandé et obtenu.

Il est acquis et non discuté que la SCI PHILEOCLE a acheté les menuiseries litigieuses et en assuré la pose ; qu'aucun contrat de louage d'ouvrage n'a été conclu entre la SCI PHILEOCLE et la SARL MECO ; qu'il existe un simple contrat de vente ; qu'enfin les menuiseries ont été mises en oeuvre deux ans après leur acquisition.

Par ailleurs, la SARL MECO s'est approvisionnée auprès de la SAS JEANNEAU et aucun contrat n'a été conclu entre la SAS JANNEAU et la SCI PHILEOCLE.

1) Sur les demandes indemnitaires de la SCI PHILEOCLE

-a- Sur les responsabilités encourues

Il résulte de l'article 1231-1 du code civil (article 1147 ancien du code civil) que ' le débiteur est condamné s'il y a lieu au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation , soit à raison du retard dans l'exécution s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure'.

S'agissant d'un contrat de vente, il résulte de l'article 1603 du code civil que le vendeur 'a deux obligations principales, celle de délivrer et celle de garantir la chose qu'il vend'.

En application des articles 1604 à 1624 du Code civil, le vendeur est tenu de délivrer la chose objet du contrat présentant les qualités et caractéristiques permettant à l'acquéreur d'en user conformément à sa destination contractuelle. L'acquéreur d'une chose neuve est en droit d'exiger du vendeur la délivrance de cette chose exempte de tout défaut ou vice y compris esthétique.

Par ailleurs, il pèse sur le fabricant d'un produit et sur le revendeur spécialisé dudit produit une obligation d'information (obligation de moyen) et de renseignement. Ils doivent notamment fournir tous les renseignements indispensables à la mise en oeuvre du produit et si nécessaire , aux conditions de stockage lorsqu'elles sont importantes pour la bonne tenue du produit. Ils sont par ailleurs tenus de s'informer des besoins de l'acheteur afin de vérifier l'adéquation du matériel proposé à l'utilisation qui en est projetée.

Il incombe au fabricant et au vendeur professionnel de démontrer qu'il a satisfait à cette obligation.

En toute hypothèse, le vendeur est tenu à l'obligation première de livrer un bien exempt de vice et conforme à sa destination.

En l'espèce, il est acquis qu'en cause d'appel, la SCI PHILEOCLE fonde ses demandes sur la responsabilité contractuelle de l'article 1147 ancien du code civil (aujourd'hui 1231-1 du même code) en sa qualité :

-d'acquéreur contre la SARL MECO

-de sous-acquéreur contre la SAS JANNEAU

Elle ne maintient pas ses demandes tendant à la mise en 'uvre de la garantie des constructeurs de l'article 1792 du code civil ou de la garantie des vices cachés de l'article 1641 du même code.

A ce titre, il convient de rappeler que ce fondement contractuel peut être utilement invoqué à l'encontre de la SARL MECO et de la SAS JANNEAU, puisque le sous-acquéreur d'un bien bénéficie d'une action contractuelle directe à l'encontre du fabricant, une telle action constituant un accessoire de la chose vendue.

S'agissant des obligations contractuelles qui pèsent sur les sociétés MECO et JANNEAU, elles sont définies au regard des obligations découlant d'un contrat de vente .

Il résulte du rapport d'expertise que les menuiseries litigieuses présentent les 2 désordres suivants :

-positionnement des serrures des portes d'entrée, très proche du dormant et donc du tableau de la maçonnerie ;

-début d'oxydation des ferrures ;

S'agissant de l'origine des désordres, l'expert conclut à un problème de conception pour le positionnement de la serrure soulignant que la SAS JEANNEAU a changé ce positionnement sur les menuiseries qu'elle livre désormais.

Quant à l'oxydation des ferrures, l'expert n'apporte pas une explication certaine, indiquant 'il semble que le stockage des menuiseries pendant quasiment 2 ans dans un plastique dans lequel il y a forcément de l'humidité a surement une incidence sur l'oxydation des ferrures' .

Il ajoute toutefois que 'si les sachants que sont MECO et JEANNEAU MENUISERIES avaient signalé à l'acheteur qu'il fallait pour un stockage assez long enlever les housses plastiques et les ferrures, ceci aurait été fait'

Il ressort du bon de commande établi par la SARL MECO le 21 mai 2007 et de la facture du 3 juillet 2007, que la SCI PHILEOCLE a acheté diverses menuiseries dont 12 portes serrure ¿ vitrée et 1 porte serrure pleine. Ces portes ont été fabriquées par la SAS JEANNEAU.

Il convient avant tout d'observer que le débat afférent à l'adéquation des portes vendues à l'usage auquel elles étaient destinées (portes d'entrée) est inopérant pour apprécier les responsabilités encourues.

En effet, les désordres qui affectent les portes litigieuses consistent d'une part en un mauvais positionnement des serrures et poignées et d'autre part en une oxydation des ferrures des diverses menuiseries extérieures.

Ces deux points sont sans lien avec l'affectation des portes achetées, en portes d'entrée alors qu'elles seraient vendues par le fabricant en 'portes de service'. De surcroît, force est de constater que l'expert ne s'est pas interrogé sur cette question et que les pièces produites ne permettent pas d'affirmer que les portes posées pouvaient être utilisées comme portes d'entrée.

Les portes sont manifestement affectées d'un défaut de conception et plus précisément d'un mauvais positionnement de la partie serrure-poignée. Quel que soit l'affectation de la porte serrure, il est à minima attendu que la serrure puisse être actionnée normalement, ce qui n'est manifestement pas le cas en l'espèce.

Le constat d'huissier établi le 29 mars 2011 est très explicite en ce que la partie serrure-poignée est posée à moins de 1 cm du mur. L'huissier constate après essai, qu'il est difficile de tourner la clé sans se blesser.

Il s'en déduit que les sociétés MECA et JANNEAU ont failli à leur obligation de délivrer à la SCI PHILEOCLE une chose conforme aux promesses contractuelles à savoir la fourniture de portes serrure pouvant être utilisées normalement. Les portes livrées ne sont manifestement pas conformes à la destination et à l'usage normal auxquels elles étaient destinées.

Leur responsabilité contractuelle est par conséquent engagée de ce chef de désordre.

S'agissant de l'oxydation des ferrures, elle n'échappe pas aux règles de la responsabilité de droit commun, nonobstant l'octroi d'une garantie contractuelle de 2 ans accordée par le fabricant.

Or l'huissier de justice a constaté le 29 mars 2011 que toutes les crémones des fenêtres sont rouillées ou présentent des traces de grains blancs sur toute la hauteur de la fenêtre.

L'expert n'est certes pas formel quant à l'origine de cette oxydation, mais quelle que soit l'hypothèse retenue, elle est de nature à engager la responsabilité contractuelle des sociétés MECA et JANNEAU.

Dans l'hypothèse où cette oxydation découle des conditions de stockage des portes, il n'est ni soutenu, ni à fortiori démontré par la SARL MECO ou la SAS JEANNEAU qu'elles ont satisfait à leur obligation de renseignement et d'information, tel que visé ci-avant. Il s'ensuit qu'elles ont, dans cette hypothèse, engagée leur responsabilité contractuelle.

Dans l'hypothèse où cette oxydation procède d'une cause intrinsèque aux ferrures litigieuses, elles ne sont manifestement pas conformes à la destination et à l'usage normal qui en étaient attendus par la SCI PHILEOCLE. Pour mémoire, ces menuiseries extérieures ont été posées sur [...] et par suite exposées aux embruns et à l'air marin.

En conséquence, quelle que soit l'hypothèse retenue, elle engage la responsabilité contractuelle des sociétés MECA et JANNEAU.

-b- sur l'indemnisation

** sur le préjudice matériel afférent aux travaux réparatoires

L'expert préconise de changer les ouvrants des portes existantes, ainsi que les ferrures, en considérant que les frais de pose devraient être assumés par la SCI PHILEOCLE.

Il est acquis que les ouvrants des portes et les ferrures de toutes les menuiseries (portes et fenêtres) doivent être changées.

La pose doit bien évidemment être comprise dans les travaux réparatoires à la charge des sociétés MECO et JEANNEAU. S'il est constant que la SCI PHILEOCLE a assumé la charge de la pose initiale, la nécessité de remplacer les menuiseries et d'exposer de nouveaux frais au titre de la pose découle des fautes commises par les deux sociétés susvisées.

En revanche, les devis de l'entreprise SAMZUN ne sauraient être retenus en ce qu'ils comportent le changement complet des menuiseries extérieures (dormants, ouvrants et ferrures).

Au regard des pièces produites, les travaux réparatoires se décomposent ainsi:

-le remplacement des ouvrants des 13 portes serrure existantes avec déplacement de l'axe des fouillots avec cette précision que les modifications ne peuvent être faites sur site et que les portes doivent être traitées sur le site de production de la société JANNEAU : soit un coût de 11 887,20 euros HT valeur septembre 2012

-le remplacement des ferrures de toutes les menuiseries : 2 880 euros HT (valeur septembre 2012) au titre de la fourniture ; 9 570 euros HT (valeur janvier 2008) au titre des frais de main d'oeuvre qui à défaut de tout autre élément sont évalués sur la base du devis initial établi par la SARL MECO le 21 janvier 2008.

En conséquence, les travaux réparatoires s'élèvent à la somme de 24 337,20 euros HT, outre TVA en vigueur au jour du présent arrêt.

**sur le préjudice immatériel

La SCI PHILEOCLE sollicite une somme de 80 000 euros.

Les premiers juges ont à bon droit rejeté la demande de ce chef au motif essentiellement que le préjudice économique n'était pas démontré, à défaut de production d'une quelconque pièce justificative.

Nonobstant cette motivation, en cause d'appel, la SCI PHILEOCLE ne verse aucune pièce et de surcroît n'explicite nullement le préjudice allégué.

Par des motifs propres et adoptés, la cour confirme le jugement dont appel.

Toutes autres demandes relatives à l'indemnisation de la SCI PHILEOCLE sont sans objet (notamment la réparation en nature).

Sur le recours en garantie de la SARL MECO à l'encontre de la SAS JANNEAU

Au regard des développements précédents, afférents à la demande principale de la SCI PHILEOCLE, il est constant que les désordres affectant les menuiseries litigieuses sont entièrement imputables à la SAS JANNEAU. Il est par conséquent justifié de faire droit à la demande de la SARL MECO en condamnant la SAS JANNEAU à la garantir de toutes condamnations prononcées à son encontre par le présent arrêt.

Sur les demandes accessoires

La SCI PHILEOCLE triomphant en l'essentiel de son appel, les intimées la SAS JANNEAU et la SARL MECO sont condamnées in solidum aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris le coût de la procédure de référé et de l'expertise.

Les mêmes motifs commandent d'allouer à la SCI PHILEOCLE la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner in solidum la SAS JANNEAU et la SARL MECO au paiement de cette somme.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement par arrêt contradictoire,

Infirme partiellement le jugement rendu le 16 décembre 2015 par le tribunal de grande instance de LORIENT ;

Reprenant l'entier dispositif pour une meilleure lisibilité :

Condamne in solidum la SARL MECO et la SAS JANNEAU à payer à la SCI PHILEOCLE la somme de 4 337,20 euros, HT, outre TVA au taux applicable au jour du présent arrêt, ladite somme étant indexée sur l'indice BT01 en vigueur en janvier 2008 pour la somme 9 570 euros et en vigueur en septembre 2012 pour le surplus ;

Déboute la SCI PHILEOCLE du surplus de ses demandes indemnitaires ;

Condamne la SAS JANNEAU à garantir la SARL MECO de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre par le présent arrêt ;

Condamne in solidum la SAS JANNEAU et la SARL MECO à payer à la SCI PHILEOCLE la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

Condamne in solidum la SAS JANNEAU et la SARL MECO aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris le coût de la procédure de référé et de l'expertise judiciaire , outre distraction au profit des avocats de la cause qui en ont présenté la demande ;

Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires.

Le Greffier Le Conseiller

Pour le Président empêché


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 16/00947
Date de la décision : 20/09/2018

Références :

Cour d'appel de Rennes 04, arrêt n°16/00947 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-09-20;16.00947 ?
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