3ème Chambre Commerciale
ARRÊT N° 335
N° RG 18/01424
Société DOCKS DE L'OISE SA
C/
SAS BOIS & MATERIAUX
Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Me X...
Me B...
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 18 SEPTEMBRE 2018
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ:
Président : M. Pierre CALLOCH, Président,
Assesseur : Mme Brigitte ANDRE, Conseiller,
Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseiller, rapporteur
GREFFIER :
Madame Isabelle GESLIN OMNES, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 12 Juin 2018
ARRÊT :
contradictoire, prononcé publiquement le 18 Septembre 2018 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
DOCKS DE L'OISE SA, immatriculée au RCS de Compiègne sous le n°552002 917, prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés [...]
Représentée par Me Yvonnick X... substituant Me Christophe A... de la SCP X.../A..., postulant, avocats au barreau de RENNES
Représentée par Me Dominique ROUSSEL, plaidant, avocat au barreau de REIMS
INTIMÉE :
SAS BOIS & MATERIAUX, inscrite au RCS de Rennes sous le n° 410 173 298, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés [...]
Représentée par Me Anne BOIVIN-GOSSELIN, postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Y... Z... substituant Me Pascale DEMOLY, plaidant, avocats au barreau de PARIS
La SA DOCKS DE L'OISE exerce sous l'enseigne POINT P une activité de négoce de matériau de constructions, directement concurrente de la SA BOIS ET MATERIAUX qui exerce sous l'enseigne RESEAU PRO.
Se plaignant que cinq de ses cadres exerçant des fonctions de chef d'agence, d'agent technicommercial, de directeur d'un ensemble d'agences, ou de chef de dépôt aient été débauchés par la société BOIS ET MATERIAU en violation des clauses de non concurrence insérées à leur contrat de travail, la société DOCKS DE L'OISE a requis et obtenu le 21 juillet 2017 du Président du tribunal de grande instance de Rennes cinq ordonnances sur requête lui permettant de diligenter des mesures de constat au sein d'établissements de la société BOIS ET MATERIAUX.
Après que les mesures aient été exécutées, la SAS BOIS et MATERIAUX a assigné la société DOCKS DE L'OISE en rétractation des ordonnances.
Par ordonnance avant dire droit du 21 décembre 2017, le juge des référés du tribunal de grande instance de Rennes a rouvert les débats et invité les parties à conclure sur la compétence matérielle exclusive étant celle du tribunal de commerce pour ordonner les mesures d'instruction sollicitées et sur les conséquences de droit, si elle était prononcée, de l'incompétence corrélative du président du tribunal de grande instance.
Par ordonnance du 22 février 2018, le juge des référés du tribunal de grande instance de Rennes a :
- rétracté dans toutes leurs dispositions les cinq ordonnances sur requête n°2017-347, 348, 349, 350 et 351 en date du 25 juillet 2017 à raison du défaut de compétence matérielle de leur auteur,
- constaté en conséquence la nullité des mesures d'instructions diligentées sur leur fondement,
- ordonné sous astreinte à la SA DOCKS DE L'OISE de restituer les documents saisis à la société BOIS ET MATERIAUX,
- condamné la société DOCKS DE L'OISE aux dépens,
- dit que chaque partie gardera ses frais irrépétibles,
- rejeté toute demande contraire.
Autorisée à cette fin par une ordonnance du 1er mars 2018, la société DOCKS DE L'OISE, après avoir formé une déclaration d'appel, a fait délivrer le 12 mars 2018 une assignation à jour fixe à la société BOIS et MATERIAUX afin que la Cour:
- infirme l'ordonnance déférée,
- dise que le président du tribunal de grande instance de Rennes était compétent pour rendre les ordonnances sur requête litigieuses,
- dise que le juge des référés ne pouvait d'office soulever l'incompétence du juge rédacteur des requêtes,
- dise n'y avoir lieu à prononcer la rétractation des ordonnances et subséquemment la nullité des mesures d'instructions diligentées sur leur fondement,
- constate que les conditions de l'article 145 du code de procédure civile étaient remplies le jour de la présentation des requêtes et dise n'y avoir lieu à rétracter les ordonnances, les mesures sollicitées étant précises, évitant toute recherche d'ordre général, et étant proportionnées au but recherché,
- déboute la société BOIS et MATERIAUX de toutes ses prétentions et la condamne sous astreinte à lui restituer les éléments saisis,
- la condamne à lui payer la somme de 10.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamne aux dépens.
Par conclusions du 11 avril 2018, la société BOIS ET MATERIAUX a demandé que la Cour:
- confirme l'ordonnance déférée,
subsidiairement,
- dise que la société DOCKS DE L'OISE ne justifie pas d'un motif légitime à demander des mesures d'instruction,
- dise que les mesures d'instruction ne sont pas proportionnées aux droits et intérêts des parties,
- prononce la rétractation totale des ordonnances avec toutes conséquences de droit sur les mesures d'instruction effectuées sur leur fondement,
- ordonne que lui soient restituées sous astreinte les pièces saisies,
- subsidiairement ordonne leur séquestre jusqu'à ce qu'il soit statué sur leur sort,
- condamne la société DOCKS DE L'OISE au paiement de la somme de 8.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamne aux dépens de première instance et d'appel;
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, la Cour renvoie aux conclusions susvisées.
MOTIFS DE LA DECISION
En vertu des dispositions de l'article 92 du code de procédure civile, l'incompétence peut être prononcée d'office en cas de violation d'une règle de compétence d'attribution lorsque cette règle est d'ordre public ou lorsque le défendeur ne comparaît pas et elle ne peut l'être que dans ce cas.
En l'espèce le défendeur à l'instance était présent et les dispositions de l'article L721-3 du code de commerce, qui attribuent au tribunal de commerce les contestations relatives aux engagements entre commerçants ne sont pas d'ordre public, comme en témoigne son dernier alinéa, qui permet aux parties d'y déroger si elles le souhaitent.
Il en résulte que le premier juge n'avait pas le pouvoir de soulever d'office l'incompétence du président du tribunal de grande instance au bénéfice de celui du tribunal de commerce puis de la prononcer et d'ordonner subséquemment la nullité des mesures d'instruction.
Son ordonnance doit donc être infirmée.
Ensuite, la société BOIS et MATERIAUX, qui avait assigné la société DOCKS de L'OISE en rétractation des ordonnances sur requête sans soulever in limine litis l'incompétence matérielle du magistrat les ayant rendues ne peut plus soulever cette incompétence devant la Cour.
S'agissant de leur bien fondé, les dispositions de l'article 145 du code de procédure civile prévoient que s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
La société BOIS et MATERIAUX conclut qu'il n'existerait aucun motif légitime à la requête, la société DOCKS de l'OISE, forte de douze mille salariés, ne pouvant sérieusement prétendre que l'embauche de cinq d'entre eux constituerait un débauchage massif conduisant à une désorganisation de ses services.
Les sociétés BOIS et MATERIAUX et DOCKS DE L'OISE exercent toutes deux dans le secteur extrêmement concurrentiel de la vente de matériaux de construction à des particuliers et professionnels et sont constitués d'une multitude d'établissements implantés sur tout le territoire national. En raison du coût de transport des matériaux, leurs clientèles sont régionalement captives et dès lors, les éventuelles distorsions de concurrence peuvent s'apprécier tout autant au sein de chaque établissement que sur un plan national.
En l'espèce, il est relevé que les cinq salariés litigieux, qui exerçaient des fonctions de dirigeants d'établissement et avaient donc une connaissance précise des conditions commerciales offertes à chaque client ont été réembauchés dans des fonctions similaires dans des établissements situés dans des secteurs géographiques soit proches de leurs anciens lieux de travail soit identiques. Trois d'entre eux l'ont été malgré la présence d'une clause de non concurrence activée tandis que les deux autres avaient invoqué à l'appui de leur démission des motifs qui se sont avérés fallacieux, à seule fin d'éviter qu'elle ne soit maintenue.
Ces circonstances constituent un motif légitime suffisant au sens des dispositions susvisées.
S'agissant de la nécessité d'une mesure non contradictoire, celle-ci était rappelée dans les requêtes et les ordonnances: éviter toutes destructions de preuve et ménager un effet de surprise dans un souci d'efficacité, les opérations devant se dérouler en même temps dans différents lieux.
S'agissant du caractère proportionné des mesures sollicitées dans les ordonnances, il doit être relevé que pour chaque ordonnance la recherche est précisément circonscrite aux données faisant apparaître des mots clefs reliant directement une donnée du litige avec l'activité la société requérante :
données en relation avec les 5 salariés litigieux: conditions d'embauche, contrat de travail, note de frais, chaque donnée devant comporter le nom de l'un des cinq salariés '
données de prix ou de conditions commerciales comportant le terme «Point P» ou «Docks de l'Oise» c'est-à-dire spécifiquement reliées à la société requérante,
données liées à un nombre très limité de clients (une dizaine).
Dès lors, le grief tenant au caractère trop général et disproportionné des mesures sollicitées n'est pas fondé.
Il en résulte qu'il n'y a pas lieu de rétracter les cinq ordonnances.
Ensuite, au regard de la précision des mots clefs, qui interdisaient que puissent être saisies des données sans rapport avec les cinq salariés et/ou l'activité de la société DOCKS DE L'OISE, et de la présence d'experts informatiques aux côtés des huissiers, il n'est pas nécessaire d'ordonner le séquestre des données saisies et leur vérification préalablement à leur remise à la société DOCKS DE L'OISE.
La société BOIS ET MATERIAUX est par conséquent condamnée à restituer les données à la société DOCKS DE LOISE dans des conditions qui seront précisées au dispositif de l'arrêt.
A cette étape de la procédure, chaque partie gardera à sa charge ses propres frais irrépétibles tandis que les dépens seront laissés provisoirement à la charge de la société DOCKS DE L'OISE.
PAR CES MOTIFS:
La Cour,
Infirme l'ordonnance déférée.
Statuant à nouveau:
Dit que l'exception d'incompétence du président du tribunal de grande instance ne pouvait être soulevée d'office par le juge des référés statuant sur la demande en rétractation.
Dit n'y avoir lieu à rétracter les ordonnances sur requête n°2017-347, 348, 349, 350 et 351 rendues le 25 juillet 2017 par le Président du tribunal de grande instance de Rennes.
Ordonne à la société BOIS ET MATERIAU, dans un délai de quarante-huit heures suivant la signification du présent arrêt, et sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard ensuite durant trente jours, de restituer à la société DOCKS DE L'OISE les données saisies en exécution des cinq ordonnances susvisées.
Déboute les parties du solde de leurs demandes.
Dit que chaque partie gardera à sa charge ses frais irrépétibles.
Laisse les dépens de première instance et d'appel à la charge de la société DOCKS de L'OISE.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,