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06/07/2018 | FRANCE | N°16/03187

France | France, Cour d'appel de Rennes, 8ème ch prud'homale, 06 juillet 2018, 16/03187


8ème Ch Prud'homale








ARRÊT N°310


H. R./Ph. R.





R.G : N° RG 16/03187




















SAS EXPANDIUM





C/





M. Bernard X...


























Infirmation























Copie exécutoire délivrée


le :





à :








REPUBLIQUE FRANCAISE


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE RENNES


ARRÊT DU 6 JUILLET 2018








COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ:





-Madame Hélène RAULINE, Président de chambre,


-Madame Marie-Hélène DELTORT, Conseiller,


-Madame Liliane LE MERLUS, Conseiller, déléguée par ordonnance de M. le Premier Président en date du 29 mars 2018





GREFFIER :





Monsieu...

8ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°310

H. R./Ph. R.

R.G : N° RG 16/03187

SAS EXPANDIUM

C/

M. Bernard X...

Infirmation

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 6 JUILLET 2018

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ:

-Madame Hélène RAULINE, Président de chambre,

-Madame Marie-Hélène DELTORT, Conseiller,

-Madame Liliane LE MERLUS, Conseiller, déléguée par ordonnance de M. le Premier Président en date du 29 mars 2018

GREFFIER :

Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 31 Mai 2018

devant Mesdames Hélène RAULINE et Marie-Hélène DELTORT, magistrats tenant l'audience en la formation rapporteur, sans opposition des représentants des parties, et qui ont rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 6 Juillet 2018 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTE et intimée à titre incident :

La SAS EXPANDIUM prise en la personne de son représentant légal ayant son siège social :

[...]

comparante en la personne de son Président, M. Didier Y..., assisté de Me Florence LUCCHI substituant à l'audience Me Gilles OBADIA, Avocats au Barreau de PARIS

INTIME et appelant à titre incident :

Monsieur Bernard X... né le [...]

[...]

comparant en personne, assisté de Me Grégory NAUD, Avocat au Barreau de NANTES

EXPOSE DU LITIGE

Par une lettre d'engagement du 14 septembre 2009, la société Expandium, qui développe des solutions pour tester et optimiser les réseaux de télécommunication mobile, a proposé d'embaucher M. Bernard X... en qualité de directeur général, statut cadre suivant la convention collective Syntec. M. X... a pris ses fonctions le 11 janvier 2010. Le contrat de travail a été signé en janvier 2014, antidaté au 26 novembre 2009.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 6 juin 2014, M. X... a été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement qui s'est tenu le 23 juin. Il a été licencié pour faute grave le 4 juillet, pour faiblesse de ses propositions concernant la politique générale de l'entreprise voire absence totale d'orientation, manque de loyauté envers le président, insubordination et harcèlement moral à l'encontre de collaborateurs.

Le même jour, M. X... a saisi le conseil de prud'hommes de Nantes d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Par un jugement en date du 22 mars 2016, le conseil de prud'hommes a :

- prononcé la résiliation du contrat de travail aux torts de la société Expandium,

- condamné la société Expandium à payer à M. X... les sommes suivantes :

-27 000 € bruts au titre de la prime de résultat pour l'année 2011 outre 2 700 € bruts au titre des congés-payés y afférents,

-10 389,56 € bruts au titre des jours de mise à pied et 1 038,95 € bruts au titre des congés-payés y afférents,

-35 786,28 € bruts au titre de l'indemnité de préavis et 3 578,62 € bruts au titre des congés-payés y afférents,

-18 887,20 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

-71 572,56 € pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-143 145,19 € au titre de l'indemnité contractuelle de rupture,

- dit que les condamnations sont assorties des intérêts au taux légal à compter du 4 juillet 2014 pour les sommes à caractère salarial et de la notification du jugement pour celles à caractère indemnitaire,

- condamné la société Expandium à verser à M. X... la somme de 1 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- limité l'exécution provisoire à l'exécution provisoire de droit et fixe le salaire brut mensuel à 11 978,76 €,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- condamné la société Expandium aux dépens et à rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées à M. X... dans la limite de trois mois.

Le conseil a rejeté les demandes de M. X... au titre des heures supplémentaires, du repos compensateur, du travail dissimulé et de l'exécution déloyale du contrat de travail.

La société Expandium a régulièrement interjeté appel de cette décision. M. X... a relevé appel incident.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par conclusions communiquées, déposées et soutenues oralement à l'audience, la société Expandium demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. X... ses demandes relatives aux heures supplémentaires, à l'indemnité compensatrice de contrepartie obligatoire en repos, au travail dissimulé et à l'exécution déloyale du contrat de travail, l'infirmer pour le surplus,

- dire que le licenciement est fondé sur une faute grave, débouter M. X... de toutes ses demandes, le condamner à lui rembourser la somme de 80 232,75 € bruts perçue en exécution du jugement avec les intérêts au taux légal,

- dire que le salaire annuel brut de M. X... était de 106 953 €, que le montant de la clause pénale est manifestement excessif et le réduire,

- fixer à 8 912,75 € brut la moyenne des salaires de M. X...,

- condamner M. X... aux dépens.

Par conclusions communiquées, déposées et soutenues oralement à l'audience, M. X... demande à la cour de fixer son salaire moyen à 11 978,76 € et de condamner la société Expandium à lui payer les sommes suivantes, avec les intérêts au taux légal et la capitalisation des intérêts :

-113 250,05 € bruts au titre du rappel d'heures supplémentaires et 11 325 € au titre des congés-payés y afférents ,

-46 175,37 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de contrepartie obligatoire en repos et 4 617,53 € bruts au titre des congés-payés y afférents,

-71 572,56 € au titre de l'indemnité pour travail dissimulé,

-27 000 € bruts au titre du rappel de rémunération variable outre 2 700 € bruts au titre des congés-payés y afférents,

-143 145,19 € au titre de l'indemnité contractuelle de rupture,

10 389,56 € bruts au titre des jours de mise à pied et 1 038,95 € bruts au titre des congés-payés y afférents,

-35 786,28 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 3 578,62 € bruts au titre des congés-payés y afférents,

-18 887,20 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

-71 572,56 € pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-50 000 € pour exécution déloyale du contrat de travail,

-5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur les demandes au titre de l'exécution du contrat de travail

Sur les demandes au titre des heures supplémentaires

M. X... réclame le paiement de ses heures supplémentaires, soit la somme de 113 250 € bruts. Selon lui, il y a lieu de distinguer trois périodes dans l'exécution de son contrat : avant le 1er janvier 2014 où, en l'absence de contrat écrit, aucune convention de forfait ne pouvait lui être appliqué, celle du 1er janvier au 1er avril 2014 qui était régie par les dispositions légales et l'accord de branche du 22 juin 1999 dont la Cour de cassation a jugé le 24 avril 2013 qu'elles n'étaient pas de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés, et la période postérieure avec la signature d'un accord d'entreprise relatif à la durée du travail et à l'aménagement du temps de travail, la convention de forfait étant alors frappée d'inopposabilité en l'absence de suivi effectif de son temps de travail et de sa charge de travail.

L'appelante sollicite la confirmation du jugement qui l'a débouté de cette prétention en raison de son statut de cadre dirigeant compte tenu de ses fonctions et de ses responsabilités et du montant de sa rémunération.

Aux termes de l'article L. 3111-2 alinéa un du code du travail, les cadres dirigeants ne sont pas soumis à la réglementation de la durée du travail, l'alinéa deux définissant ces derniers comme des salariés ayant des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de manière largement autonome et qui perçoivent une rémunération parmi les plus élevées au sein de l'entreprise, ces trois conditions étant cumulatives et le salarié devant participer à la direction de celle-ci.

Il ressort du dossier que M. X... a été engagé en qualité de directeur général de la société Expandium et qu'il était placé sous l'autorité d'un président non exécutif, M. Y..., qui occupait d'autres fonctions salariées en région parisienne. Il résulte de son contrat de travail qu'il était autonome dans la gestion de son emploi du temps et de son organisation.

Ses fonctions et ses responsabilités sont définies à l'article 5 de son contrat complété par deux annexes. Il y est indiqué pour l'essentiel qu'il participe à l'élaboration de la politique générale et la met en oeuvre, qu'il planifie, supervise, dirige et contrôle toutes les opérations de ses équipes et qu'il est responsable financièrement de la société et du développement des actions existantes et à mettre en place, son indépendance financière étant illimitée en ce qui concerne les affaires validées dans le budget et limitées à 10 000 € pour les autres. D'après les nombreux échanges qui figurent dans le dossier, il était l'unique interlocuteur de M. Y.... Le 13 septembre 2012, M. Y... et M. X... ont co-signé un courriel adressé à l'ensemble des personnels pour les rassurer sur la situation de l'entreprise au regard d'un contexte économique difficile pour le secteur.

La rémunération de M. X... était composée d'un fixe (90 000 € par an puis 102 000 € à compter de janvier 2012) auquel s'ajoutait une part variable de 80 000 € calculée au prorata de l'atteinte des objectifs. Il est constant que c'était la rémunération la plus élevée au sein de l'entreprise.

Il suit de là que non seulement M. X... participait à la direction de l'entreprise mais qu'il en était le seul cadre dirigeant.

L'intimé conteste l'application de ce statut en excipant de son licenciement mais l'autonomie et l'indépendance financière dont bénéficie un cadre dirigeant ne font pas obstacle à une telle mesure en cas de manquement à ses obligations contractuelles.

Il invoque également le principe de faveur au motif que les parties étaient convenues de lui appliquer un forfait en jours dès son embauche, cet accord devant primer sur les dispositions légales. Toutefois, il ne peut invoquer l'article 3 de son contrat de travail qui instaure un forfait annuel de 218 jours tout en soulevant sa nullité, le principe de faveur découlant en réalité de l'annulation de la convention qui entraîne l'application du droit commun. Par ailleurs, aucun avenant n'a été régularisé postérieurement à la signature de l'accord du 10 avril 2014.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté M. X... de ses demandes au titre du rappel d'heures supplémentaires, du repos compensateur et du travail dissimulé.

Sur le rappel de prime de résultat pour 2011

L'intimé expose que sa rémunération variable s'élevait à 80 000 € si les objectifs étaient atteints, ce qui a été le cas en 2011, qu'il lui a été versé 53 000 €, qu'il réclame le solde qui lui est dû en application de l'avenant n°1 à son contrat de travail. Il répond qu'il n'a jamais accepté la réduction unilatérale imposée par l'employeur et n'a jamais renoncé à percevoir cette somme.

L'appelante sollicite l'infirmation du jugement en rétorquant que les parties étaient convenues d'arrêter le montant de la prime à 53 000 € et d'en différer le règlement pour qu'il ne vienne pas majorer les revenus 2012 de M. X... compte tenu de sa procédure de divorce en cours, que ce dernier avait obtenu en contrepartie l'augmentation de sa rémunération à hauteur de 1 000 € par mois ainsi qu'un véhicule de fonction, qu'il n'avait remis en cause cet accord qu'après avoir été convoqué à l'entretien préalable.

Il est de principe que la rémunération ne peut être modifiée sans l'accord du salarié.

Il ressort du dossier que, le 12 février 2013, Bernard X... a envoyé à Didier Y... un courriel rédigé ainsi : 'Nous avions abordé lors d'un de nos rendez-vous récents les commissions non payées au titre des résultats 2011 (53 KF) dont les paiements avaient été différés à ma demande. Tu devais me proposer un échéancier de paiement, je pense que tu as dû oublier, donc je me permets de te le rappeler'. M. Y... lui proposait le lendemain un échéancier que M. X... acceptait.

C'est le salarié qui mentionne le montant de la prime, non l'employeur. Il résulte de cet échange clair et dépourvu d'ambiguïté que les parties étaient convenues du paiement de la somme de 53 000 €, seules les dates de règlement restant à définir. Cela est confirmé par un autre mail de M. X... du 9 juin 2013 où, évoquant la part variable de sa rémunération, il commentait ainsi les 53 KF 'rediscuté à l'époque alors que les objectifs avaient été atteints'.

Il ne peut sérieusement soutenir que le lien de subordination l'empêchait de contester frontalement une décision unilatérale de l'employeur alors que la proposition de contrat de travail qu'il envoyait le 6 juin suivant prévoyait une indemnité de rupture égale à deux ans de salaire et qu'il écrivait dans un autre courriel du 28 juin, en réponse à une contre-proposition de l'employeur: 'je ne signerai pas ces propositions'.

L'augmentation de sa rémunération de 12 000 € par an et la mise à disposition d'un véhicule de fonction dans l'avenant n° 2 daté du 26 janvier 2012 confirment la thèse de l'intimée d'une contrepartie financière.

Il sera donc fait droit à l'appel sur ce point, l'intimé étant débouté de sa demande à ce titre et le jugement infirmé.

Sur l'indemnité contractuelle de rupture

L'article 14 du contrat de travail énonce : 'En cas de rupture du présent contrat à l'initiative de l'employeur ou encore de rupture conventionnelle, M. X... percevra, en sus de l'indemnité de rupture prévue par la convention collective applicable et des éléments de son solde de tout compte (salaire, avantages en nature, remboursement de frais, congés-payés, préavis etc...), une indemnité de rupture d'un montant net égal au total des salaires bruts (fixes, variables et accessoires) qu'il aura perçu au cours des 12 derniers mois précédents cette rupture'.

A l'appui de sa demande d'infirmation du jugement, l'appelante fait valoir en premier lieu que la somme de 143 145,19 € qu'elle a été condamnée à payer à l'intimé a été calculée sur la base d'une rémunération mensuelle brute incluant ses demandes au titre des heures supplémentaires et que ce dernier peut réclamer tout au plus 106 953 €. En second lieu, elle soutient que cette indemnité, que l'intéressé qualifiait de parachute, était due en sus de l'indemnité conventionnelle de licenciement. Or, la perte du droit au bénéfice de celle-ci dans le cas d'un licenciement pour faute grave entraîne de facto celle de l'indemnité de rupture conventionnelle. A titre subsidiaire, elle en sollicite la réduction par application de l'article 1152 du code civil.

Les termes de l'article 14 vont dans le sens de la thèse soutenue par l'appelante puisqu'il est précisé 'en sus de l'indemnité de rupture prévue par la convention collective applicable', ce qui signifie que l'indemnité de rupture n'est due que si l'indemnité conventionnelle de licenciement est versée. Ce n'est donc que dans l'hypothèse où la demande de l'appelante tendant à voir reconnaître l'existence d'une faute grave serait rejetée qu'il sera statué sur son montant.

Sur la rupture du contrat de travail

La société Expandium a notifié la lettre de licenciement le 4 juillet 2014. Le même jour, M. X... a déposé sa requête au conseil des prud'hommes. Il estime que l'horodatage de celle-ci à 9 heures 45 doit primer sur le cachet de la poste et que, dès lors, sa demande de résiliation judiciaire doit être examinée avant le bien fondé du licenciement.

La date du licenciement est celle à laquelle l'employeur notifie sa décision au salarié alors que l'action en résiliation judiciaire laisse subsister le contrat de travail pendant toute l'instance.

Le contrat de travail de M. X... ayant été rompu le 4 juillet 2014, la demande de résiliation judiciaire est devenue sans objet. Le jugement qui a prononcé la résiliation du contrat de travail est infirmé.

Sur le bien fondé du licenciement

La société Expandium reproche à M. X... quatre séries de griefs qu'il conteste. Il convient de les examiner successivement pour déterminer s'ils sont établis et, dans l'affirmative, s'ils constituaient une faute grave.

Préalablement, il y a lieu d'examiner si les griefs invoqués par M. X... à l'appui de sa demande de résiliation sont fondés et de nature à avoir une influence dans l'appréciation du bien fondé du licenciement.

Sur les griefs de M. X... à l'encontre de l'employeur

M. X... prétend que la société Expandium l'a licencié pour nommer à sa place M. C..., consultant initialement chargé d'une prestation de service mais qui n'a eu de cesse de s'arroger peu à peu ses responsabilités, situation à l'origine d'un profond malaise dont il avait fait part au président en janvier 2014 et que ce dernier cherchait à le déstabiliser et à le décrédibiliser auprès de ses collaborateurs.

Il ressort du dossier que le 17 janvier 2014, M. X... a interrogé M. Y... sur les propos que lui avaient tenus M. C..., à savoir que ce dernier souhaitait rejoindre Expandium en tant que directeur général en lui laissant la partie commerciale.

Cette pièce fait uniquement état des déclarations de M. C.... Le président avait certes écrit le 9 janvier précédent aux salariés actionnaires que cette personne envisageait de rejoindre la société mais dans le cadre d'un projet d'actionnariat qui constituait une simple éventualité en précisant qu'il n'était pas à l'ordre du jour.

La cour relève qu'à deux reprises, les 16 octobre 2013 et 22 avril 2014, M. X... a indiqué à M. Y... qu'il voulait quitter l'entreprise en invoquant des motifs différents n'ayant rien à voir avec ce consultant et que le 3 mai, il écrivait qu'il était prêt à continuer à travailler avec Expandium d'une autre manière. La société objecte justement qu'il lui suffisait de donner suite au courriel du 19 octobre 2013 pour se séparer de M. X..., sans signer un contrat lui accordant une indemnité de rupture.

M. X... ne démontre pas davantage que le président aurait essayé de le déstabiliser et de le mettre à l'écart. Aucun élément extérieur ne vient corroborer cette allégation, son courriel du 6 juin 2014 ne pouvant tenir lieu de preuve en vertu du principe selon lequel nul ne peut se constituer de preuve à soi-même.

Il suit de là que les griefs allégués ne sont pas établis.

Sur les griefs de l'employeur à l'encontre de M. X...

Il convient de rappeler que la faute grave qui peut seule justifier la mise à pied conservatoire est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. La charge de la preuve en incombe à l'employeur.

- Sur la défaillance dans l'élaboration de la politique générale de l'entreprise

Aux termes de la lettre de licenciement, il est d'abord reproché à M. X... de ne pas avoir proposé de plan de redressement lorsqu'il est apparu une perte de 950 000 € en juin 2013, obligeant la société à lui adjoindre un consultant externe affecté à une autre mission, d'avoir démontré à nouveau son absence de maîtrise des principes de gestion d'une entreprise en établissant, après relances, en vue de l'AGE du 15 avril 2014, un prévisionnel faisant apparaître un résultat positif de 153 199 € alors qu'il existait une perte de 30 000 € et d'avoir manqué du même manque de vision et d'anticipation pour le prévisionnel 2015/2017 qualifié 'd'édifiant'. L'employeur ajoute que ses erreurs et incohérences lors de la présentation des chiffres à l'AGE a entraîné un manque de confiance des associés et que ses manques se sont traduits par une stagnation des résultats pendant cette période.

Les pièces versées aux débats ont trait à la préparation du budget prévisionnel et confirment que le président avait relancé plusieurs fois le directeur général. Elles n'établissent ni les erreurs mentionnées dans la lettre de licenciement, ni les incohérences lors de la présentation à l'AGE, ni la méfiance des actionnaires. L'appelante ne démontre pas non plus le lien de causalité entre sa gestion et la baisse du chiffre d'affaires et elle ne produit que des situations comptables provisoires à l'exception de l'année 2013.

Le grief n'est pas établi.

- Sur l'absence de loyauté

L'employeur reproche ensuite à M. X... d'avoir tenté de racheter la société avec une partie des salariés et des associés alors que le président était en train de négocier avec un repreneur, d'avoir dénigré de manière répétée l'action de la présidence, agissements ayant fini par créer de la défiance des collaborateurs et nui à la cohésion de l'entreprise.

La société verse aux débats deux attestations de salariés actionnaires, celles de M. D... et de M. E... :

- dans la première, M. D..., directeur technique, déclare avoir fait part à M. Y... le 30 mai 2014 d'une 'information dérangeante dans l'équipe des actionnaires salariés', à savoir que Bernard X... l'avait rencontré le 8 avril précédent pour lui proposer de participer au rachat de l'entreprise avec ses collègues mais sans le président, en contractant des emprunts bancaires, qu'au cours de cet entretien, il avait exposé ses divergences de vues avec Didier Y... et dénigré ce dernier à plusieurs reprises, qu'il avait compris qu'il voulait prendre le pouvoir ; il ajoute qu'étant présent dans l'entreprise depuis l'origine et étant fier du travail accompli et le président étant en négociation avec les autrichiens, il avait été troublé par cette attitude, que celle-ci avait créé de la discorde et de la division au sein de l'équipe des salariés actionnaires et des doutes sur l'entente président / directeur général ;

- dans la seconde, M. E..., chef de projet, indique avoir porté à la connaissance des membres de l'AGE le 15 avril 2014 que M. X... avait présenté lors d'une réunion un projet de rachat de l'entreprise par lui-même et les autres salariés actionnaires sans le président et les actionnaires non salariés.

M. X... réplique qu'il en avait parlé à M. Y... mais les termes du courriel de ce dernier du 9 janvier 2014 qu'il invoque à cet effet sont très vagues et imprécis, l'appelante indiquant que le président faisait allusion au projet de vente externe et il ne résulte pas de l'ordre du jour que son projet de rachat interne devait être examiné par l'AGE.

Le manquement est établi.

- Sur l'insubordination

En premier lieu, il est reproché à M. X... d'avoir signé le 10 avril 2014 un accord d'entreprise sur la réduction du temps de travail ayant pour effet d'augmenter la masse salariale de 5 % sans avoir obtenu préalablement l'accord du président. L'intimée précise que si cet accord était impératif, la date de signature pouvait être reportée pour tenir compte des mauvais résultats de l'entreprise à cette période.

M. X... justifie par ses pièces 17 et 27 que M. Y... était au courant de la préparation d'un accord d'entreprise qui devait être finalisé pour la fin du mois de mars mais ne démontre pas lui avoir envoyé le projet de texte après avoir eu la validation de l'avocat, comme il s'y était engagé dans son courriel du 13 mars 2014. Cependant, ce manquement ne caractérise pas une insubordination.

En second lieu, il est reproché à M. X... d'être intervenu auprès de la Banque de France en 2013, intevention ayant conduit à la dégradation de la cotation de la société, ce qui a obligé le président à intervenir auprès d'elle en 2014 pour obtenir une révision.

Elle verse aux débats les courriers de la Banque de France du 10 mai 2012 et du 22 août 2013 notifiant à la société une cotation de G3+++ puis de G4+, soit une dégradation de la cote de crédit d'excellente à assez forte, et le courrier du 27 mai 2014 la remontant à G3+, c'est à dire très forte.

M. X... répond que les relations ave la Banque de France faisaient partie de ses attributions et que la cotation est la conséquence d'une analyse objective de la situation financière de l'entreprise.

Les courriers, qui sont des courriers-types, ne font état d'aucun contact avec le président ou le directeur général.

Le manquement n'est pas établi.

- Sur le harcèlement moral

Il est, enfin, reproché à M. X... d'avoir écarté Michel F... des projets sur lesquels il travaillait sans avertir le président et de l'avoir mis à l'écart, ce qui a provoqué un arrêt de travail de huit mois pour dépression. L'employeur ajoute qu'il a ensuite interrogé certains collaborateurs, que mme G... a émis un témoignage concordant et que le départ de mme H... était suspect.

La société produit l'attestation de M. F... et un courrier de mme G... du 28 mai 2014 confirmé ultérieurement dans une attestation.

M. F... déclare qu'il a été engagé en juin 2011, qu'il a négocié le contrat Synérail jusqu'en janvier 2013, qu'un nouveau chef de projet a été nommé sans qu'aucune explication ne lui soit donnée, qu'il a été écarté progressivement de ce projet, qu'aucune mission ne lui était plus confiée, ni aucun objectif fixé, qu'il n'était pas invité aux réunions du comité de direction, qu'il en avait conçu un sentiment d'inutilité destructeur.

Mme G..., ingénieure, écrit qu'elle a démissionné parce qu'elle avait cru que les reproches incessants de Bernard X... à son égard étaient justifiés, que ceux-ci s'exprimaient par des critiques sur la qualité de son travail, des soupirs, des haussements d'épaules, par le fait de ne lui répondre qu'après plusieurs relances, de lui raconter qu'il avait fait pleurer certaines anciennes collaboratrices, de la critiquer devant les clients. Elle précise qu'elle n'avait aucune conscience qu'il s'agissait d'un harcèlement moral, que, pour elle, il représentait l'autorité, M. Y... ne venant que deux fois par an dans l'entreprise, qu'elle était devenue 'parano' en croyant que tout le monde était contre elle. Elle ajoute qu'étant déléguée du personnel, M. X... ne pouvait pas la licencier, qu'il avait décidé de la faire partir en exerçant une pression quotidienne à son encontre.

M. X... conteste ces faits. Il rétorque que les échanges avec mme G... étaient courtois et normaux, que sa démission était dénuée d'équivoque et qu'il avait accédé à sa demande d'être dispensée de préavis. Quant à M. F..., il indique que c'est M. Y... qui avait accédé à la demande du client de changement du chef de projet, qu'il l'avait associé à d'autres projets, que la cause de son arrêt maladie était le refus d'accepter ses demandes pour le rachat d'un logiciel. Il produit l'attestation d'un ancien collaborateur qui dresse un portrait élogieux de lui comme dirigeant.

Les déclarations de mme G... ne sont corroborées par aucun élément extérieur. Dans son compte-rendu d'évaluation du 13 juin 2012, elle indiquait que l'entretien avait duré plusieurs heures, que la discussion avait permis de mettre à jour des incompréhensions et des ambiguïtés et de faire le nécessaire pour y remédier. Ce fait non étayé ne sera pas retenu.

S'agissant de M. F..., il a été placé en arrêt de travail fin novembre 2013 tandis que le contrat rachetant son logiciel été signé le 6 janvier 2014 et il résulte d'un courriel du 6 juin 2013 qu'il se plaignait de ne pas être dans le processus décisionnaire pour le projet QUG, ce à quoi M. X... répondait : 'rien ne t'interdit de produire des présentations, d'être moteur sur des offres de service, de demander qui contacter et de les appeler avec le contrôle du commercial client'. Cette réponse tend à confirmer les allégations de M. F... et ce alors que M. Y... avait demandé en octobre 2012 qu'une nouvelle mission lui soit confiée. Ces éléments sont néanmoins insuffisants pour caractériser un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-2 du code du travail.

Le grief n'est pas établi.

Le projet de rachat interne à l'insu du président alors qu'il était en train de négocier la vente avec un repreneur externe est un manquement grave à l'obligation de loyauté d'un directeur général qui a eu des conséquences sur le fonctionnement social. Ce fait justifiait la rupture immédiate du contrat de travail.

Il n'y a pas lieu de statuer sur le montant de l'indemnité de rupture prévue à l'article 14 du contrat de travail.

M. X... sera débouté de toutes ses demandes et condamné aux dépens de première instance et d'appel, le jugement étant infirmé en toutes ses dispositions.

Le présent arrêt constitue le titre exécutoire qui permettra à l'appelante d'obtenir le remboursement des sommes payées en vertu de l'exécution provisoire de droit.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement, contradictoirement :

INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

DIT que M. X... avait le statut de cadre dirigeant et qu'il avait donné son accord à la réduction de sa prime de résultat au titre de l'année 2011,

DIT que son licenciement est fondé sur une cause grave,

DEBOUTE M. X... de toutes ses demandes,

CONDAMNE M. X... aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER, LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 8ème ch prud'homale
Numéro d'arrêt : 16/03187
Date de la décision : 06/07/2018

Références :

Cour d'appel de Rennes 08, arrêt n°16/03187 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-07-06;16.03187 ?
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