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12/06/2018 | FRANCE | N°16/07963

France | France, Cour d'appel de Rennes, 1ère chambre, 12 juin 2018, 16/07963


1ère Chambre





ARRÊT N°259/2018



R.G : N° RG 16/07963













Association COMITÉ ECONOMIQUE ET RÉGIONAL FRUITS ET LÉGUMES DE BRETAGNE (CERAFEL)



C/



E... D...

X...



















Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée













Copie exécutoire délivrée



le :



à :







RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 12 JUIN 2018





COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ:



Président : Madame Françoise COCCHIELLO, Présidente de Chambre,

Assesseur : Monsieur Marc JANIN, Conseiller,

Assesseur : Madame Christine GROS, Conseil...

1ère Chambre

ARRÊT N°259/2018

R.G : N° RG 16/07963

Association COMITÉ ECONOMIQUE ET RÉGIONAL FRUITS ET LÉGUMES DE BRETAGNE (CERAFEL)

C/

E... D...

X...

Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 12 JUIN 2018

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ:

Président : Madame Françoise COCCHIELLO, Présidente de Chambre,

Assesseur : Monsieur Marc JANIN, Conseiller,

Assesseur : Madame Christine GROS, Conseiller,

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 16 Avril 2018 devant Monsieur Marc JANIN, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Réputé contradictoire, prononcé publiquement le 12 Juin 2018 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTE :

L'Association d'Organisations de Producteurs, Comité Economique Régional Fruits et Légumes de Bretagne (CERAFEL), prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés [...]

[...]

Représentée par Me Philippe Y... de la Z..., avocat au barreau de BREST

INTIMÉES :

La Société Civile d'Exploitation agricole A... D..., agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié [...]

Représentée par Me Hélène B... de la C... AVOCAT, avocat au barreau de RENNES

X..., prise en la personne de son représentant légal domicilié [...]

Régulièrement assignée en la personne de son gérant, habilité à recevoir l'acte

FAITS ET PROCÉDURE:

Le Comité économique régional fruits et légumes de Bretagne (Cerafel) est une association entre producteurs du secteur des fruits et légumes relevant des articles L. 551-1 et suivants du Code rural et de la pêche maritime et reconnue par un arrêté ministériel du 4 décembre 2008 comme une organisation de producteurs édictant des règles destinées à adapter la production à la demande des marchés, en quantité et en qualité, instaurer une transparence des transactions et régulariser les cours, mettre en oeuvre la traçabilité et promouvoir des méthodes de production respectueuses de l'environnement.

Il peut ainsi, en application de l'article L. 551-7 dans sa rédaction applicable à la cause, être autorisé, dans les conditions prévues par l'article 125 deciès du règlement (CE) n° 1234 / 2007 du Conseil portant organisation commune des marchés des produits agricoles, modifié par le règlement (CE) n° 361-2008 du 14 avril 2008, à percevoir des contributions financières de producteurs non membres, assises soit sur la valeur des produits, soit sur les superficies, soit sur ces deux éléments combinés, qui sont rendues obligatoires par arrêté du ministre chargé de l'agriculture pour une durée qui ne peut excéder une campagne de commercialisation.

C'est ainsi qu'un arrêté signé conjointement du ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire et du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en date du 28 septembre 2011 a étendu à l'ensemble des producteurs de Bretagne, notamment pour les producteurs d'échalotes jusqu'au 30 juin 2013, des règles édictées par le Cerafel, et autorisé celui-ci, dans le cadre de cette extension, à prélever auprès des producteurs non membres des cotisations destinées à son fonds de gestion administrative et au fonds de recherche, d'étude de marché et de promotion qu'il a mis en place et bénéficiant à l'ensemble des producteurs de la circonscription, cotisations dont le montant est fixé chaque année par arrêté du ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire.

Et par un arrêté du 28 novembre 2012, ce ministre a, dans le cadre de l'arrêté d'extension du 28 septembre 2011, autorisé le Cerafel à prélever auprès des producteurs d'échalotes une cotisation fixée à 120 € / ha pour participation aux frais administratifs, et une cotisation fixée à 240 € / ha pour participation au fonds de recherche, d'étude de marché et de promotion, pour la campagne de commercialisation d'échalotes prenant fin en 2012.

Par un nouvel arrêté du 20 décembre 2013, signés du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt ainsi que du ministre de l'économie et des finances, les règles de production et de commercialisation édictées par le Cerafel ont été étendues à l'ensemble des producteurs de Bretagne, notamment pour les producteurs d'échalotes du 1er juillet au 31 décembre 2013.

Le Cerafel a, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 5 septembre 2013 visant les arrêtés des 28 septembre 2011 et 28 novembre 2012, mis en demeure l'Earl A... Olivier, producteur d'échalotes, [...] - Saint-Paul-de-Léon (Finistère), de payer le solde de cotisations dues selon lui au titre de l'année 2011 et/ou de la campagne 2011-2012, soit une somme de 10 800 €, avant le 28 septembre 2013.

La X..., dont le siège est [...], a, le 7 novembre 2013, fait assigner le Cerafel devant le tribunal de grande instance de Brest pour voir condamner celui-ci à lui rembourser des cotisations qu'elle a versées entre 2001 et 2011, pour un montant de 78980€.

Le 13 décembre 2013, le Cerafel a, à l'inverse, fait assigner devant le même tribunal l'Earl A... aux fins de condamnation à paiement de la somme de 10 800 € au titre des cotisations pour l'année 2011 et la campagne 2011/2012.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 18 avril 2014 visant l'arrêté du 28 septembre 2011 et un arrêté du 27 décembre 2013 fixant les conditions de perception des cotisations, le Cerafel a mis en demeure l'Earl A... Olivier de payer le solde de cotisations dues selon lui au titre de l'année 2012 et/ou de la campagne 2012-2013, soit une somme de 10 800 €, avant le 9 mai 2014.

L'Earl A... Olivier a, le 30 juin 2014, pris la forme d'une Scea et la dénomination de A... D..., le siège de l'entreprise demeurant [...].

La E... D... est intervenue volontairement à l'instance introduite par la X..., par son assignation du 7 novembre 2013, en faisant valoir qu'elle venait aux droits de l'Earl A....

Et, le 30 décembre 2014, le Cerafel a fait assigner la E... D... pour obtenir le paiement de la somme de 10 800 € au titre des cotisations pour l'année 2012 et la campagne 2012/2013.

Par jugement du 21 septembre 2016, le tribunal a:

prononcé la jonction des instances ouvertes par les deux assignations,

déclaré recevable l'intervention volontaire de la E... D... venant aux droits de l'Earl A...,

déclaré irrecevable la X... en son action,

déclaré irrecevable la demande de nullité de l'assignation délivrée le 7 novembre 2013 au Cerafel,

dit que l'article 13 V de la loi 2014-1170 du 13 octobre 2014 ayant modifié l'article L 551-7 du Code rural porte atteinte aux dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et doit par conséquent être écarté dans le présent litige,

débouté le Cerafel de ses demandes en paiement de cotisations pour les échalotes au titre de l'année 2011 de la campagne 2011/2012, de l'année 2012 et de la campagne 2012/2013 compte tenu des annulations prononcées par le Conseil d'Etat des arrêtés du 28 septembre 2011 et 28 novembre 2012 du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt fixant leur montant,

déclaré irrecevable la demande en remboursement des cotisations versées par l'Earl A..., aux droits de laquelle se présente la E... D..., au Cerafel au titre des campagnes 2001/2002, 2002/2003, 2003/2004, 2004/2005, 2005/2006, 2006/2007, au regard du délai de prescription,

déclaré recevable la demande en remboursement des cotisations versées par l'Earl A..., aux droits de laquelle se présente la E... D..., au Cerafel au titre des campagnes 2007/2008, 2008/2009, 2009/2010 et 2010/2011,

débouté les parties de toutes leurs autres demandes,

condamné le Cerafel aux dépens.

Le Cerafel a interjeté appel de ce jugement le 19 mai 2016 et a intimé la E... D... ainsi que la X....

Par conclusions du 14 mars 2018, auxquelles il sera renvoyé pour l'exposé des moyens et arguments, le Cerafel demande à la cour:

de réformer partiellement le jugement déféré,

de dire irrecevables les demandes en remboursement des cotisations versées par l'Earl A... aux droits de laquelle se présente la E... D..., de 2001 à 2011,

de débouter la E... D... de son appel incident et plus généralement de l'ensemble de ses demandes,

subsidiairement, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande en remboursement des dites cotisations de 2001 à 2007, et débouté la E... D... pour le surplus, concernant les cotisations de 2007 à 2011,

de condamner la E... D..., venant aux droits de l'Earl A..., à lui régler:

au titre de la campagne 2011 et 2011/2012: 10 800 € avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 13 décembre 2013,

au titre de la campagne 2012 et 2012/2013: 10 800 € avec intérêts au taux légal

à compter de l'assignation du 30 décembre 2014,

en tout état de cause, de condamner la E... D... et la X... à lui verser la somme de 2 500 € par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

de les condamner in solidum aux entiers dépens d'instance et d'appel qui seront recouvrés par son avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Par conclusions du 20 février 2017, auxquelles il sera renvoyé pour l'exposé des moyens et arguments, la E... D... demande à la cour:

de déclarer le Cerafel mal fondé en son appel,

de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté le Cerafel de l'ensemble de ses demandes,

de faire droit à son appel incident,

réformant le jugement, de condamner le Cerafel à lui restituer la somme de 78 980 €, outre les intérêts au taux légal à compter de l'assignation valant mise en demeure, avec capitalisation par année entière,

de condamner le Cerafel à lui payer une somme de 15 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

de le condamner aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.

La X..., à laquelle la déclaration d'appel et l'assignation ont été signifiées, n'a pas constitué avocat.

La clôture de l'instruction de l'affaire a été prononcée le 20 mars 2018.

MOTIFS DE LA DÉCISION DE LA COUR:

Les dispositions du jugement déféré qui concernent l'irrecevabilité de l'action de la X..., la recevabilité de l'intervention de la E... D..., et l'irrecevabilité de la demande de nullité de l'assignation délivrée le 7 novembre 2013 au Cerafel, non contestées, seront confirmées.

Sont en débat devant la cour:

la demande du Cerafel, sur son appel principal, aux fins de condamnation de la E... D... au paiement de soldes de cotisations pour l'année 2011, la campagne 2011/2012, l'année 2012 et la campagne2012/2013,

la demande de la E... D..., sur son appel incident, aux fins de condamnation du Cerafel à lui restituer les cotisations prélevées par celui-ci avant 2010,

la charge des dépens d'instance et des frais non compris en ceux-ci.

1/: - Sur l'appel principal:

A/: - Sur la légalité des cotisations appelées:

Les lettres de mise en demeure de payer le solde de cotisations dues adressées par le Cerafel le 5 septembre 2013 et le 18 avril 2014 à l'Earl A... Olivier, devenue le 30 juin 2014 la E... D..., visaient toutes deux l'arrêté ministériel du 28 septembre 2011 portant extension des règles et des arrêtés fixant les conditions de perception des cotisations, en date du 28 novembre 2012 pour la première période recherchée, et du 27 décembre 2013 pour la seconde.

L'arrêté du 28 novembre 2012 fixant les conditions de perception des cotisations au bénéfice du Cerafel du fait de l'extension des règles notamment pour les échalotes, a été annulé par une décision du Conseil d'Etat en date du 18 décembre 2014.

Le Conseil d'Etat a en effet considéré que l'article 3 de l'arrêté du 28 septembre 2011 autorisant le prélèvement par le Cerafel auprès de producteurs non membres, était illégal pour avoir été pris par une autorité incompétente, le ministre chargé de l'agriculture ne tirant d'aucune disposition légale ou réglementaire la compétence pour déterminer conjointement avec le ministre chargé de l'économie, l'association d'organisation de producteurs habilitée à prélever les cotisations non plus qu'en arrêter le montant, et qu'il résultait de cette illégalité que les arrêtés pris sur son fondement le 28 novembre 2012 avaient eux-mêmes été pris par une autorité incompétente.

C'est en conséquence à juste titre que le tribunal a considéré que la E... D... pouvait se prévaloir, même si les arrêtés pris sur le fondement de l'article 3 de l'arrêté du 28 septembre 2011 n'avaient pas tous été soumis à la censure du Conseil d'Etat, de la privation de fondement légal de l'obligation au paiement des cotisations réclamées aux producteurs non adhérents du Cerafel.

C'est d'ailleurs précisément pourquoi, par l'article 13, V de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014, le législateur avait validé 'sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, les cotisations mises en recouvrement auprès des producteurs non membres par les associations d'organisations de producteurs reconnues dans le secteur des fruits et légumes au titre d'une campagne antérieure à 2014, en tant qu'elles seraient contestées par un moyen tiré de ce que l'autorité ayant pris les arrêtés rendant obligatoires ces cotisations n'était pas compétente pour habiliter ces associations à les prélever ou pour en arrêter le montant'.

Mais il résulte de l'interprétation par la Cour européenne des droits de l'homme de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (la Convention), que 'si le législateur peut adopter, en matière civile, des dispositions rétroactives, le principe de prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales s'opposent, sauf pour d'impérieux motifs d'intérêt général, à l'ingérence du pouvoir législatif dans l'administration de la justice afin d'influer sur le déroulement des procès en cours'.

En conséquence, dès lors que la loi nouvelle influe sur la solution de litiges en cours, son application est subordonnée à l'existence d'impérieux motifs d'intérêt général.

En l'occurrence, le litige était noué antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 13 octobre 2014, par les assignations délivrées les 7 novembre 2013 et 13 décembre 2013, et n'avait donné lieu à aucune décision passée en force de chose jugée.

Par ailleurs, il est certain que la loi de validation influe sur la procédure en cours puisque, dans les motifs de son arrêt du 18 décembre 2014, le Conseil d'Etat a relevé que l'article 3 de l'arrêté du 28 septembre 2011, sur le fondement duquel ont été pris les arrêtés des 28 novembre 2012 et 27 décembre 2013 fixant les conditions de perception des cotisations en cause, était illégal pour avoir été pris par une autorité incompétente.

Néanmoins, c'est pour d'impérieux motifs d'intérêt général que le législateur a validé les cotisations rendues obligatoires par ces arrêtés.

Celles-ci ont en effet notamment pour objet de permettre, conformément au règlement (CE) n° 1234/2007, le financement d'actions de recherche, d'étude des marchés et de promotion des ventes des fruits et légumes produits par la filière agricole, ainsi que des frais administratifs de l'organisation de producteurs.

Or, les recherches et études en vue d'améliorer la qualité des produits et la connaissance de la demande sont d'intérêt général.

En outre, la promotion collective des produits sur les marchés intérieurs et extérieurs est destinée à satisfaire, au-delà des seuls intérêts particuliers ou même catégoriels des professionnels de la filière, des objectifs participant à l'intérêt général et s'attachant à garantir l'existence d'un secteur agricole organisé et économiquement performant, contribuant au développement des entreprises de la filière.

À cet égard, le Cerafel expose avoir concrètement mis en place, dans le cadre de la gestion qualitative de l'offre, des cahiers des charges visant à conduire une politique environnementale et de qualité des produits commune à l'ensemble des producteurs, coordonné les actions de recherches et d'expérimentation réalisées par des stations expérimentales, développé la marque de commercialisation des produits de la filière 'Prince de Bretagne' bénéficiant à l'ensemble des producteurs légumiers de la région.

L'activité du Cerafel ne se limite donc pas à satisfaire des intérêts particuliers ou catégoriels, mais concourt à la mise en oeuvre de la politique agricole nationale et de la politique agricole commune.

Il apparaît que l'intervention du législateur était destinée à prévenir à la fois des risques considérables pour l'équilibre financier des associations d'organisation de producteurs de nature à compromettre des actions indispensables à la pérennité de l'organisation des activités de productions agricoles, et une différence de traitement injustifiée constitutive de distorsion de concurrence entre les producteurs qui ont réglé les cotisations qui leur étaient réclamées et ceux qui les ont contestées avant l'entrée en vigueur de la loi.

Au regard de ces impérieux motifs d'intérêt général, il sera observé que l'irrégularité des arrêtés validée par la loi du 13 octobre 2014 était de pure forme, et que d'ailleurs, la E... D... ne prétend pas que la désignation de celui-ci était discutable et qu'une autre organisation de producteur aurait dû être habilitée à percevoir les cotisations, ni même ne conteste les modalités de fixation du montant de ces cotisations telles qu'elles avaient été arrêtées par le ministre de l'agriculture.

Ne sont donc pas contraires à la Convention les dispositions de la loi du 13 octobre 2014 validant rétroactivement les cotisations mises en recouvrement par les organisations de producteurs reconnues dans le secteur des fruits et légumes au titre de campagnes antérieures à 2014, en tant qu'elles seraient contestées par un moyen tiré de ce que l'autorité ayant pris les arrêtés rendant obligatoires ces cotisations n'était pas compétente pour habiliter ces associations à les prélever ou pour en arrêter le montant.

Dès lors, la E... D... n'est pas fondée à soulever l'exception d'illégalité, pour incompétence de l'autorité les ayant pris, des arrêtés ministériels en vertu desquels le Cerafel lui réclame le paiement des cotisations pour l'année 2011, la campagne 2011/2012, l'année 2012 et la campagne 2012/2013.

B/: - Sur la proportionnalité des cotisations appelées:

La E... D... soutient que le Cerafel ne justifie pas des éléments de nature à établir que les cotisations prélevées à son encontre ménagent un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde de ses droits fondamentaux quant au respect de ses biens protégés par l'article 1 du Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.

Toutefois, la E... D... ne produit aucune pièce relative à sa situation économique et susceptible de rapporter la preuve, qui lui incombe en l'espèce, que le paiement des cotisations réclamées, assises sur la production et la commercialisation des échalotes au cours des campagnes concernées, a eu pour effet de porter atteinte au respect de ses biens ou encore de la priver de sa propriété.

Et s'agissant de l'intérêt général, qui a été examiné précédemment au regard de la légalité des cotisations, il n'est nullement besoin de connaître dans le détail les dépenses profitant aux seuls adhérents, les frais relatifs aux actions de recherche, d'études de marché et de promotion des ventes sur lesquels l'Etat exerce son contrôle chaque année pour fixer le taux des cotisations des non-adhérents et il apparaît que les éléments comptables, dont le Cerafel a communiqué aux débats des extraits afférents à ses actions de recherche et développement, de promotion et de fonctionnement, sont contrôlés par le commissaire aux comptes qui a vérifié par sondage les éléments justifiant les montants et les informations figurant dans les comptes annuels, pour les campagnes concernées, et n'a constaté aucune incohérence.

Il en résulte que n'est pas démontré par la E... D... un déséquilibre entre la sauvegarde du droit au respect de ses biens et les exigences de l'intérêt général et que n'existe pas rapport raisonnable de proportionnalité entre le but visé et les moyens utilisés, en l'espèce les cotisations prélevées ou appelées.

Il sera observé au surplus que s'il est vrai que les producteurs non adhérents ne peuvent bénéficier de tous les avantages que les adhérents tirent de l'action du Cerafel, les cotisations demandées aux non adhérents sont moindres que celles qui sont demandées aux adhérents.

***

Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu'il a dit que l'article 13 V de la loi 2014-1170 du 13 octobre 2014 ayant modifié l'article L 551-7 du Code rural porte atteinte aux dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et doit être écarté dans le présent litige, et débouté le Cerafel de ses demandes en paiement de cotisations pour les échalotes au titre de l'année 2011 de la campagne 2011/2012, de l'année 2012 et de la campagne 2012/2013.

Il convient de condamner la E... D... à payer au Cerafel:

au titre de la campagne 2011 et 2011/2012, la somme de 10 800 € avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 13 décembre 2013,

au titre de la campagne 2012 et 2012/2013, la somme de 10 800 € avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 30 décembre 2014,

sommes dont le quantum n'est pas discuté.

2/: - Sur l'appel incident:

Il est constant que la E... D..., qui vient aux droits de l'Earl A..., est intervenue volontairement à l'instance engagée par la X... contre le Cerafel aux fins de remboursement de la somme de 78 980 € versée au titre des cotisations pour les campagnes 2001 à 2011, et que la disposition du jugement déféré par laquelle a été prononcée l'irrecevabilité des demandes de la X... pour défaut d'intérêt à agir dès lors que les cotisations litigieuses n'avaient pas été versées par celle-ci, mais par l'Earl A..., n'est pas remise en cause en appel.

Il résulte de ce qui précède que la E... D... a, devant la cour, intérêt à agir en restitution de ces cotisations.

Et dès lors que c'est à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer une action personnelle ou mobilière, que court le délai de prescription quinquennale prévu par l'article 2224 du Code civil, et que ce n'est qu'au vu de la décision du Conseil d'Etat relevant l'illégalité de l'article 3 de l'arrêté du 28 septembre 2011 que la E... D... a pu envisager l'illégalité des cotisations prélevées par le Cerafel antérieurement, sa demande n'est pas prescrite.

L'exception d'irrecevabilité de l'action en restitution soulevée par le Cerafel doit être rejetée.

Mais, au fond, dans la mesure où la loi du 13 octobre 2014 a, par une disposition non contraire à la Convention, validé rétroactivement les cotisations mises en recouvrement au titre d'une campagne antérieure à 2014, en tant qu'elles seraient contestées par un moyen tiré de ce que l'autorité ayant pris les arrêtés rendant obligatoires ces cotisations n'était pas compétente pour habiliter ces associations à les prélever ou pour en arrêter le montant, la demande formée par la E... D..., sur son appel incident, en condamnation du Cerafel à lui restituer la somme de 78 980 € à titre de remboursement des cotisations versées à celui-ci pour les campagnes 2001 à 2011, fondée sur l'illégalité des cotisations prélevées en vertu d'arrêtés ministériels pris par des autorités incompétentes, ne peut qu'être rejetée.

3/: - Sur les frais et dépens:

Le jugement sera infirmé en ses dispositions sur les frais et dépens;

Il n'y a pas lieu à indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La E... D... et la X... seront condamnées, in solidum, aux dépens de première instance et d'appel, avec faculté de recouvrement direct comme prévu à l'article 699 du même code.

PAR CES MOTIFS:

La cour,

Après rapport fait à l'audience;

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a:

prononcé la jonction des instances,

déclaré recevable l'intervention volontaire de la E... D... venant aux droits de l'Earl A...,

déclaré irrecevable la X... en son action,

déclaré irrecevable la demande de nullité de l'assignation délivrée le 7 novembre 2013 au Cerafel;

L'infirme pour le surplus, et statuant à nouveau:

Condamne la E... D... à payer au Comité économique régional fruits et légumes de Bretagne:

au titre de la campagne 2011 et 2011/2012 pour les échalotes, la somme de 10 800 € avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 13 décembre 2013,

au titre de la campagne 2012 et 2012/2013 pour les échalotes, la somme de 10 800 € avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 30 décembre 2014;

Déclare recevable mais non fondée la demande de la E... D... en remboursement par le Comité économique régional fruits et légumes de Bretagne de la somme de 78 980 € représentant le montant des cotisations versées au titre des campagnes 2001 à 2011, et l'en déboute;

Dit n'y avoir lieu à indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

Condamne in solidum la E... D... et la X... aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 16/07963
Date de la décision : 12/06/2018

Références :

Cour d'appel de Rennes 1A, arrêt n°16/07963 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-06-12;16.07963 ?
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