1ère Chambre
ARRÊT N°496/2017
R.G : 16/06137
M. [E] [E]
Mme [L] [O] épouse [E]
C/
M. [C] [J]
Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 12 DÉCEMBRE 2017
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre,
Assesseur :Monsieur Marc JANIN, Conseiller,
Assesseur : Madame Christine GROS, Conseiller, entendue en son rapport
GREFFIER :
Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 24 Octobre 2017
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 12 Décembre 2017 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTS :
Monsieur [E] [E]
né le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par Me Cyrille MONCOQ de la SELARL ALPHA LEGIS, avocat au barreau de [Localité 2]
Madame [L] [O] épouse [E]
née le [Date naissance 2] 1947 à [Localité 3]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Cyrille MONCOQ de la SELARL ALPHA LEGIS, avocat au barreau de [Localité 2]
INTIMÉ :
Monsieur [C] [J]
né le [Date naissance 3] 1950 à [Localité 4]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représenté par Me Caroline RIEFFEL de la SCP BG ASSOCIÉS, avocat au barreau de RENNES
Monsieur et Madame [E] sont propriétaires d'un local commercial sis
[Adresse 3], à [Localité 2], dans lequel est exploité un fonds de commerce de débit de boisson, sous l'enseigne « LE GALION ''.
Le bail commercial a été renouvelé à compter du 16 juin 1996 pour une durée de 9 ans.
Le 9 mai 2005, Monsieur [B], gérant de la SARL LE GALION, a sollicité le renouvellement de son bail commercial.
Le 14 novembre 2005, Maître [J], conseil de Monsieur et Madame [E] , a fait part au preneur que ses bailleurs étaient d'accord sur le principe du renouvellement, sous réserve du montant du loyer qu'ils entendaient augmenter pour le voir fixer à la somme de 1 200 € par mois.
Après que le locataire ait refusé cette augmentation, le mémoire initial préalable à la saisine du Juge des loyers commerciaux n'a pas été déposé.
Par acte du 10 juin 2013, Monsieur et Madame [E] ont fait assigner Maître [J] devant le Tribunal de Grande Instance de [Localité 2], aux fins de voir reconnaître sa responsabilité et obtenir le paiement des sommes de 69 326,24 € au titre de leur préjudice économique et 10 000 € au titre de leur préjudice moral .
Par jugement du 6 juin 2016, le tribunal a:
-dit que Me [J] a commis une faute engageant sa responsabilité civile professionnelle;
-débouté Monsieur et Madame [E] de leur demande au titre du préjudice économique ;
-condamné Maître [J] à payer à Monsieur et Madame [E] la somme de 5 000 euros en réparation de leur préjudice moral ;
-condamné Maître [J] à payer à Monsieur et Madame [E] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SELARL ALPHA LEGIS, représentée par Maître MONCOQ, Avocat à [Localité 2], conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Monsieur et Madame [E] ont interjeté appel de ce jugement par déclaration du 2 août 2016.
Par conclusions du 29 septembre 2017, auxquelles il est fait référence pour l'exposé des moyens et arguments, Monsieur et Madame [E] demandent à la cour de:
-confirmer le jugement prononcé par le Tribunal de Grande Instance de SAINT- MALO le 6 juin 2016 en ce qu'il a dit que Maître [J] a commis une faute engageant sa responsabilité civile professionnelle et condamné Maître [J] à leur payer les sommes de 5.000 € en réparation de leur préjudice moral, 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers dépens;
-réformer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Monsieur et Madame [E] au titre du préjudice économique.
-condamner Maître [J] à payer à Monsieur et Madame [E] la somme de 69.326,24 € à titre de dommages et intérêts en réparation de ce préjudice économique.
-condamner Maître [J] à payer à Monsieur et Madame [E] la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, pour leurs frais irrépétibles en cause d'appel.
-condamner Maître [J] à payer à Monsieur et Madame [E] la somme de 957 € au titre des honoraires de consultation de Madame [C].
-condamner Maître [J] aux entiers dépens d'instance et d'appel dont distraction au profit de la SELARL ALPHA LEGIS, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
Par conclusions du 29 septembre 2017, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens et arguments, Me [J] demande à la cour de:
-réformer le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de [Localité 2] le 06 juin 2016, en ce qu'il a déclaré Maître [C] [J] responsable des préjudices allégués par Monsieur et Madame [E] ;
-dire que Monsieur et Madame [E] ne rapportent la preuve d'aucune faute effectivement commise par Maître [J] et ne justifient d'aucun préjudice en lien avec la ou les fautes alléguées, y compris sur le terrain de la perte de chance ;
-débouter par conséquent Monsieur et Madame [E] de toutes leurs demandes, fins et conclusions à l'encontre de Maître [J] ;
-condamner Monsieur et Madame [E] à payer à Maître [J] une somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
-condamner Monsieur et Madame [E] aux entiers dépens, de première instance et d'appel, dont distraction au profit de la SCP BG ASSOCIES.
L'ordonnance de clôture était rendue le 3 octobre 2017.
MOTIFS DE LA DECISION:
Sur la responsabilité de Me [J]:
Il résulte des dispositions de l'article L145-34 du code de commerce que la règle du plafonnement du loyer peut être écartée en cas de modification notable des éléments mentionnés aux1° à 4° de l'article L145-33 du même code ou s'il est fait exception aux règles de plafonnement par suite d'une clause du contrat relative à la durée du bail.
En cas de déplafonnement d'un loyer commercial, les articles R145-25 à R145-26 de ce code imposent aux parties la notification préalable d'un mémoire avant toute saisine du président du tribunal de grande instance et réglementent le contenu de ce mémoire, le juge ne pouvant être saisi avant l'expiration d'un délai d'un mois suivant la réception par son destinataire du premier mémoire établi.
La notification de ce mémoire, qui doit être faite par lettre recommandée avec avis de réception, interrompt le délai biennal de prescription prévu à l'article L145-60 du code de commerce.
En l'espèce, le bail commercial ayant été renouvelé à compter du 16 juin 2005, à défaut de mémoire initial notifié préalablement à la saisine du juge des loyers commerciaux, la prescription s'est trouvée acquise le 16 juin 2007.
Il ressort des pièces produites aux débats que les faits se sont déroulés dans l'ordre chronologique suivant:
-Au mois d'août 2005, Monsieur et Madame [E] ont consulté Me [J] au sujet d'une intervention sur un bail commercial.
-Le 14 novembre 2005, Me [J] a écrit à Monsieur [B], bar LE GALION, pour lui faire part de l'intention du bailleur de fixer le loyer mensuel à la somme de 1 200 €. Il a terminé sa lettre par ces mots «A défaut, je saisirai le tribunal compétent. Je note ce dossier à quinzaine ».
-le 16 novembre 2005, Monsieur [B] a répondu à Me [J] qu'il refusait le montant du nouveau loyer.
-le 8 mars 2006, après un nouvel entretien avec Monsieur [E] au sujet de ses baux commerciaux, Me [J] lui a envoyé la synthèse de ses conseils. Concernant le bar LE GALION, il a avisé le bailleur du caractère hasardeux de l'augmentation demandée au regard des critères légaux pour justifier un déplafonnement, et sa lettre se termine ainsi : « Avant d'envisager une action judiciaire de fixation du loyer, action qui doit être formée dans les deux ans du renouvellement du bail, il semblerait judicieux d'essayer de fixer amiablement le montant du loyer, et donc de faire, par lettre recommandée avec accusé de réception, une nouvelle proposition de loyer à Monsieur [T] [B] avec une augmentation moindre.
Afin de consolider votre position par rapport à votre locataire, nous vous conseillons également de prendre connaissance des prix pratiqués dans le voisinage et de faire état des modifications économiques de la ville de SAINT MALO, voire de faire établir par expertise la valeur locative de vos locaux.
Nous nous tenons à votre entière disposition pour toute suite éventuelle à donner à ces affaires.
Vous en souhaitant bonne réception ('). »
Monsieur et Madame [E] ne justifient pas d'avoir donné une suite à cette lettre avant l'expiration du délai de prescription.
Il ressort de ces éléments que, plus d'une année avant l'acquisition de la prescription, Me [J] a placé ses clients en mesure d'anticiper le temps qu'il leur restait pour agir en justice, les a avisés que cette action lui paraissait hasardeuse à défaut d'éléments complémentaires de nature à justifier l'augmentation envisagée, et leur a conseillé les démarches à accomplir pour maximiser leurs chances d'obtenir satisfaction. La formule «A défaut, je saisirai le tribunal compétent. Je note ce dossier à quinzaine », employée pour tenter d'obtenir gain de cause au nom de ses clients dans une première lettre adressée en 2005 au locataire, n'est pas à elle seule suffisante pour rapporter la preuve d'un mandat des époux [E] pour poursuivre la procédure en l'état. Cette preuve n'est pas davantage rapportée par les pièces relatives aux diligences que Me [J] a effectué pour le compte des époux [E] dans d'autres affaires qui, au demeurant, n'ont jamais été celles d'une assistance ou d'une représentation devant une juridiction.
Ainsi, en l'absence de suite donnée par les époux [E] à la lettre du 8 mars 2006, avant l'acquisition de la prescription de l'action, Me [J] n'a reçu aucun mandat de leur part pour notifier le mémoire prévu aux articles articles R145-25 à R145-26 préalablement à la saisine du juge des loyers commerciaux.
Dès lors, le jugement entrepris doit être infirmé en ce qu'il a retenu que Me [J] avait commis une faute engageant sa responsabilité. Par suite, Monsieur et Madame [E] ne peuvent qu'être déboutés de toutes leurs demandes.
Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile:
Il apparaît équitable de condamner Monsieur et Madame [E] à payer à Me [J] la somme de 3 000 € au titre de ses frais irrépétibles de première instance et en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS:
La cour,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions;
Statuant à nouveau:
Dit que Me [C] [J] n'a pas commis de faute engageant sa responsabilité civile professionnelle;
Déboute Monsieur [E] [E] et Madame [L] [O] épouse [E] de l'intégralité de leurs demandes;
Y ajoutant:
Condamne Monsieur [E] [E] et Madame [L] [O] épouse [E] à payer à Me [C] [J] une somme de 3 000 € au titre de ses frais irrépétibles de première instance et en cause d'appel;
Condamne Monsieur [E] [E] et Madame [L] [O] épouse [E] aux dépens de première instance et d'appel avec application de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT