1ère Chambre
ARRÊT N°109/2017
R.G : 15/05866
M. [J] [L]
C/
SCP [G] [Z] [C] [W] [V]
SELARL [X] ET ASSOCIES
Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 28 FÉVRIER 2017
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : M. Xavier BEUZIT, Président,
Assesseur :M. Marc JANIN, Conseiller,
Assesseur : M. Bruno CREPIN, Conseiller
GREFFIER :
Mme Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 17 Janvier 2017 tenue en double rapporteur avec l'accord des parties, par M. Xavier BEUZIT, Président et M. Marc JANIN, Conseiller entendu en son rapport
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 28 Février 2017 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANT :
M. [J] [L]
né le [Date naissance 1] 1932 à [Localité 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par Me Carine CHATELLIER, avocate au barreau de RENNES
INTIMÉES :
SCP [G], [Z], [C], [W] [V] (notaires) prise en la personne de leurs représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Amélie AMOYEL-VICQUELIN de la SELARL AB LITIS-SOCIETE D'AVOCATS, Postulant, avocate au barreau de RENNES
Représentée par Me Thierry CABOT, Plaidant, avocat au barreau de RENNES
SELARL [X] ET ASSOCIES prise en la personne de Me [E] [X], Notaire, domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentée par Me Vincent BERTHAULT, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Elise HERON, Plaidant, avocate au barreau du MANS
FAITS ET PROCÉDURE:
M. [J] [L] et Mme [Z] [M], époux séparés de biens, ont, selon un acte reçu le 11 juin 2007 par Me [O] [Z], notaire à [Localité 2], avec la participation de Me [E] [X], notaire à [Localité 3], assistant les acquéreurs, acquis indivisément entre eux pour moitié chacun, une maison d'habitation avec jardin et piscine située à [Adresse 4], au prix de 1 650 000 €, payé comptant selon l'acte.
Mme [M] avait, suivant un acte reçu le 3 mai précédent par Me [X], vendu au prix de 3 050 000 € une propriété, le château [Établissement 1] à [Localité 4], qui lui appartenait à titre personnel pour l'avoir acquise seule le 31 janvier 1997, moyennant le prix de 320 143 €.
Considérant que l'acquisition de la maison d'[Localité 5] avait été faite au moyen de fonds provenant de la vente du château [Établissement 1], l'administration fiscale en a déduit l'existence d'une donation indirecte consentie à M. [L] par son épouse, et a notifié en conséquence à celui-ci, le 25 mars 2008, une proposition de rectification pour un montant de 88 096 € en droits de mutation à titre gratuit et intérêts de retard.
Les recours gracieux et contentieux formés par M. [L] contre la mise en recouvrement de l'impôt ont été rejetés, de même que la contestation qu'il a formée devant le tribunal de grande instance du Mans, lequel l'en a débouté par un jugement du 19 mars 2013, qui sera confirmé par un arrêt de la cour d'appel d'Angers en date du 20 septembre 2016.
M. [L] a fait assigner la Selarl [X] et Associés et la Scp [E]-[G]-[Z]-[C]-[W], notaires, devant le tribunal de grande instance de Nantes aux fins de condamnation à l'indemniser des préjudices qu'il prétend avoir subis par leurs manquements à leur devoir de conseil.
Par jugement du 21 mai 2015, le tribunal a:
rejeté les demandes de M. [L],
condamné celui-ci aux dépens, avec faculté de recouvrement direct comme prévu par l'article 699 du Code de procédure civile,
condamné M. [L], au titre de l'article 700 du même code, à payer à Me [X] et la Selarl [X] et Associés une somme de 2 000 €, et à la Scp [E]-[G]-[Z]-[C]-[W] une somme de 2 000 €.
M. [L] a interjeté appel de ce jugement le 21 juillet 2015.
Par conclusions du 31 août 2016, auxquelles il sera renvoyé pour l'exposé des moyens et arguments, M. [L] demande à la cour:
d'infirmer le jugement déféré,
de dire que la Selarl [X] et Associés et la Scp [E]-[G]-[Z]-[C]-[W] ont engagé leur responsabilité à son préjudice,
de les condamner in solidum, à lui payer les sommes de:
88 056 € correspondant au montant réclamé par l'administration fiscale,
50 491,50 € correspondant aux honoraires d'avocats et frais d'huissiers supportés dans le cadre de la procédure initiée par l'administration fiscale,
20 000 € en réparation du préjudice moral subi,
outre intérêts au taux légal,
de débouter la Selarl [X] et Associés et la Scp [E]-[G]-[Z]-[C]-[W] de toutes leurs demandes,
de les condamner à lui payer la somme de 15 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
de les condamner aux entiers dépens, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.
Par conclusions du 2 septembre 2016, auxquelles il sera renvoyé pour l'exposé des moyens et arguments, la Scp [G]-[Z]-[C]-[W]-[V], venant aux droits de la Scp [E]-[G]-[Z]-[C]-[W], demande à la cour:
de confirmer le jugement déféré,
de débouter M. [L] de toutes les demandes qu'il a formées contre elle,
de le condamner à lui payer la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
de le condamner aux entiers dépens, avec faculté de recouvrement direct comme prévu par l'article 699 du même code.
Par conclusions du 25 octobre 2016, auxquelles il sera renvoyé pour l'exposé des moyens et arguments, la Selarl [X] et Associés demande à la cour:
de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [L] de toutes les demandes qu'il a formées contre elle,
subsidiairement, de réduire substantiellement ces demandes,
de le condamner à lui payer la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
de le condamner aux dépens de première instance et d'appel, avec faculté de recouvrement direct comme prévu par l'article 699 du même code.
La clôture de l'instruction de l'affaire a été prononcée le 6 décembre 2016.
MOTIFS DE LA DÉCISION DE LA COUR:
Un notaire est tenu d'assurer l'utilité et l'efficacité de l'acte qu'il est chargé de dresser, et d'éclairer les parties sur la portée de cet acte de sorte que celui-ci réponde aux finalités révélées par elles.
Il doit donc élaborer un acte réalisant le but poursuivi par les parties, après les avoir informées notamment de ses incidences fiscales, ainsi que des risques encourus à ce titre, et il lui appartient de démontrer qu'il a rempli cette obligation.
Mais, il ne peut être tenu de réparer le préjudice causé par un manquement à celle-ci, sur le fondement des dispositions de l'article 1382 (ancien) du Code civil, que s'il est établi que, mieux informées, les parties n'auraient certainement pas ou vraisemblablement pas conclu l'acte.
L'acquisition par les époux [L]-[M] de la maison située à [Localité 5] a été effectuée de la manière suivante.
Les termes, prix et conditions de la vente ont été négociés par une agence immobilière de [Localité 1], ainsi que les parties l'ont déclaré à l'acte authentique du 11 juin 2007, moyennant une rémunération de 40 000 €.
Puis, un acte sous seing privé rédigé par Me [Z], suivant des indications données par Me [X] par télécopie du 27 avril 2007, selon lesquelles les époux [L]-[M] étaient acquéreurs à concurrence de la moitié indivise chacun, a été signé par ces derniers le 4 mai 2007.
C'est dans cette même proportion que l'acte authentique du 11 juin 2007 a constaté que M. [L] et Mme [M] faisaient l'acquisition de la propriété indivise du bien.
Il est constant que ces acquisitions au prix total de 1 650 000 €, payé comptant, ont été faites au moyen des fonds provenant de la vente de la propriété de Mme [M] le 3 mai précédent pour le prix de 3 050 000 €, ce que Me [X] n'ignorait pas et ce dont Me [Z] pouvait s'enquérir.
Contrairement à ce que soutient Me [X], il est ainsi certain, dans ces conditions, que l'octroi par Mme [M] à son conjoint de la propriété de la moitié indivise du bien d'[Localité 5], telle qu'elle résulte des deux actes successifs des 4 mai et 11 juin 2007, pouvait correspondre à une donation indirecte, soumise au régime fiscal propre à ce type de mutation.
Pour s'en défendre, M. [L] soutient que, à l'inverse de ce qu'expriment ces actes, dûment signés cependant des deux époux, l'intention de Mme [M] comme la sienne était en réalité que celle-ci fasse seule l'acquisition du bien d'[Localité 5], ce qu'il lui revient de démontrer.
Or, une telle preuve n'est pas rapportée; bien au contraire, M. [L] soutenait devant le tribunal de grande instance du Mans comme devant la cour d'appel d'Angers, dans le cadre de l'instance conduite contre l'administration fiscale, que s'il avait été institué acquéreur pour moitié indivise de la maison d'[Localité 5], c'est à titre de remboursement par son épouse des sommes qu'il avait lui-même payées pour l'acquisition du château [Établissement 1] par elle à titre personnel, ou pour les travaux réalisés sur ce bien, ou encore à titre de donation rémunératoire en contrepartie des services qu'il avait rendus à Mme [M] dans l'exploitation du château.
M. [L] est mal venu de soutenir dans la présente instance (dernières conclusions p.13) que cette argumentation, qui avait pour seul but de tenter d'échapper à la qualification de l'opération en donation indirecte, était en réalité dénuée de tout fondement; il écrit dans les mêmes conclusions (p.19) le contraire, en indiquant que le château [Établissement 1] avait été restauré avec ses propres ressources.
Il ne démontre ainsi pas que son intention n'était pas celle que les actes des 4 mai et 11 juin 2007 ont exprimée.
Il ne démontre pas davantage que celle de son épouse, qui n'est pas plus en la présente cause pour s'en expliquer qu'elle ne l'était devant les juridictions du Mans et d'Angers, n'était pas non plus de n'acquérir, quant à elle, que la moitié indivise du bien.
Il faudrait donc, à défaut, que M. [L] établisse la réalité de ses allégations relatives à la cause de cette acquisition telle qu'elle a été faite, s'agissant des créances invoquées contre Mme [M] pour le financement du château [Établissement 1] ou au titre de toutes autres prestations.
Mais, saisie de ces mêmes moyens et arguments, la cour d'appel d'Angers a néanmoins retenu l'intention libérale de Mme [M] au profit de son époux dans son arrêt du 20 septembre 2016, en qualifiant l'acte de donation indirecte.
La cour a en effet, pour confirmer par cette décision qui a autorité de chose jugée à l'égard de M. [L], le jugement qui avait débouté celui-ci de ses demandes en décharge de l'imposition réclamée, retenu qu'il ne contestait pas que les fonds ayant permis de régler le prix de l'immeuble d'[Localité 5] provenaient de la vente du château [Établissement 1].
Elle a relevé que lorsque Mme [M] avait acheté ce bien, celle-ci disposait, en fonds propres et par l'emprunt, des fonds nécessaires pour cette acquisition de sorte que rien ne confortait la thèse soutenue par M. [L] selon laquelle il détenait contre son épouse une créance au titre du financement du dit bien qui pouvait causer l'opération du 11 juin 2007.
Elle a encore observé que M. [L] ne justifiait pas le caractère prétendument rémunératoire de la donation qu'il invoquait également en alléguant qu'il avait effectué diverses prestations au profit de son épouse dans le cadre de l'exploitation du château [Établissement 1], dont il ne rapportait aucunement la preuve.
Elle concluait en considérant que l'absence de toute contrepartie au transfert de fonds, la durée des liens unissant les époux [L]-[M], mariés depuis plus de quarante ans, l'absence de toute référence dans l'acte à une obligation de remboursement, l'absence de production de tout document permettant à Mme [M] d'agir en restitution des fonds, conduisaient à retenir l'existence d'une intention libérale de l'épouse, qui fondait l'application par l'administration fiscale des droits de mutation à titre gratuit sur la somme de 825 000 €, représentant la moitié de la valeur d'acquisition de la maison d'[Localité 5].
M. [L] ne peut donc utilement contester la qualification ainsi donnée de l'acte fait par son épouse autrement que dans le cadre d'un pourvoi qu'il ne dit pas avoir interjeté.
Il lui revient dès lors de démontrer que celle-ci, comme lui-même, aurait vu leur intention conditionnée par la faute des notaires, et que, mieux éclairés sur les conséquences fiscales de l'acte, ils auraient certainement ou vraisemblablement décidé d'acquérir dans d'autres conditions.
Mais ainsi qu'il a été dit, Mme [M] n'est pas présente dans l'instance pour le dire elle-même en ce qui la concerne.
D'autre part, force est de constater que M. [L] se trouve quant à lui propriétaire pour moitié indivise d'un bien d'une valeur de 1 650 000 €, pour la seule contrepartie d'une imposition de 88 096 €.
S'il est vrai que l'adoption par les époux d'un régime de communauté universelle, postérieurement à cette acquisition, a fait entrer ce bien dans leur patrimoine commun, il a été cependant stipulé entre eux que c'est seulement dans le cas de dissolution de la communauté par le décès de l'un d'eux que les biens composant celle-ci appartiendraient pour la pleine propriété au survivant, et ce qu'il existe ou non des enfants du mariage, excluant par là une telle propriété en cas de dissolution de la communauté pour toute autre cause.
Les autres hypothèses envisageables auraient été que M. [L] ne puisse s'assurer d'aucun droit de propriété définitif sur le bien, ou qu'il procède à un emprunt, qu'il eût du alors rembourser, pour financer sa part d'acquisition, ce dont l'opération retenue l'a dispensé.
Ainsi, tout montre que les actes reçus par les notaires correspondaient à la volonté des époux et M. [L] ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, de ce que, informés des incidences fiscales de ceux-ci, son épouse et lui-même auraient certainement renoncé à acquérir selon ces conditions, constitutives d'une donation indirecte, ni même qu'il a perdu quant à lui une chance raisonnable de renoncer à une telle acquisition et d'échapper ainsi aux conséquence fiscales légales de cette donation.
Et si M. [L] a entrepris diverses procédures, engagé les dépenses correspondantes et subi du fait de cette situation contentieuse un préjudice moral, ceci résulte exclusivement de ses choix personnels et n'engage pas la responsabilité des notaires.
Dès lors, il convient de confirmer en toutes ses dispositions, y compris sur les frais et dépens de première instance, le jugement déféré qui a rejeté les demandes de M. [L].
Ce dernier sera condamné aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, ainsi en outre qu'à payer à chacun des notaires une somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du même code.
PAR CES MOTIFS:
La cour,
Après rapport fait à l'audience;
Confirme le jugement déféré;
Y ajoutant, condamne M. [J] [L] à payer à la Scp [G]-[Z]-[C]-[W]-[V] et à la Selarl [X] et Associés, chacune, une somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;
Rejette toutes autres demandes;
Condamne M. [J] [L] aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT