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20/10/2015 | FRANCE | N°14/04242

France | France, Cour d'appel de Rennes, 1ère chambre, 20 octobre 2015, 14/04242


1ère Chambre





ARRÊT N° 363/2015



R.G : 14/04242













Me [K] [A]



C/



M. [W] [I]

Mme [X] [D] épouse [I]

Me [A]

SCP HYEST ET ASSOCIES

SCI MELUSINE

SASU MOULIN DE NEMOURS

SAS UNIPERSONNELLE AXIANE MENEURIE venant aux droits du GROUPE [Q]

















Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours















Copie exécutoire délivrée

le :



à :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 20 OCTOBRE 2015





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Monsieur Xavier BEUZIT, Président,

Monsieur M...

1ère Chambre

ARRÊT N° 363/2015

R.G : 14/04242

Me [K] [A]

C/

M. [W] [I]

Mme [X] [D] épouse [I]

Me [A]

SCP HYEST ET ASSOCIES

SCI MELUSINE

SASU MOULIN DE NEMOURS

SAS UNIPERSONNELLE AXIANE MENEURIE venant aux droits du GROUPE [Q]

Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 20 OCTOBRE 2015

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Xavier BEUZIT, Président,

Monsieur Marc JANIN, Conseiller,

Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseiller, entendue en son rapport

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 01 Septembre 2015

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 20 Octobre 2015 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANT :

Maître [K] [A]

mandataire judiciaire, pris en son nom personnel

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Rosine D'ABOVILLE de la SELARL CABINET GOURVES, D'ABOVILLE ET ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représenté par Me Jean-Pierre FABRE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉS :

Monsieur [W] [I]

né le [Date naissance 1] 1937 à [Localité 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me Maurice MASSART,, avocat au barreau de RENNES

Madame [X] [D] épouse [I]

née le [Date naissance 2] 1942 à [Localité 2]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Maurice MASSART, avocat au barreau de RENNES

SCP HYEST ET ASSOCIES, prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Représentée par Me François-xavier MICHEL de la SELARL C.V.S., postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Benjamin DUFFOUR, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

SCI MELUSINE, prise en la personne de son gérant Monsieur [Z] [Q] domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 6]

[Adresse 6]

Représentée par Me Vincent BERTHAULT, Postulant, avocat au barreau de RENNES, et Maître BANCELIN, avocat au barreau de PARIS, plaidant

SASU MOULIN DE NEMOURS, prise en la personne de ses représentants légaux, lomiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 5]

[Adresse 5]

Représentée par Me Vincent BERTHAULT, Postulant, avocat au barreau de RENNES, et Maître BANCELIN, avocat au barreau de PARIS, plaidant

SAS UNIPERSONNELLE AXIANE MENEURIE venant aux droits du GROUPE [Q], prise en la personne de son Président Monsieur [T] [U] domicilié de droit en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Vincent BERTHAULT, Postulant, avocat au barreau de RENNES, et Maître BANCELIN, avocat au barreau de PARIS, plaidant

Maître [A] Mandataire judiciaire, es-qualité de liquidateur judiciaire de la SA [E] FINANCE et Monsieur [C] [E]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Par acte sous seing privé du 30 juin 1999, Monsieur [C] [E] a reconnu devoir à Monsieur et Madame [W] [I] la somme de 2.270.000 francs (346.059,27 euros ) à titre de prêt pour son usage personnel portant intérêts au taux de 8% l'an.

Par acte sous seing privé du 09 mars 2000, Monsieur [C] [E] a reconnu devoir aux époux [I] la somme de 6.100.000 francs (929.939,00 euros) prêtée pour son usage personnel au taux de 8,5%.

Par acte du 29 novembre 2000, Monsieur [C] [E] a cédé à la SCI Mélusine au prix de 3.762.000 francs (573.513,20 €) les 99 parts qu'il détenait dans la SCI des Grands Moulins de la Ville; dans le même acte, Madame [N] [E] a cédé la part unique qu'elle détenait au profit de Monsieur [Q], moyennant un prix de 38.000 francs (5.793,06 €).

Le même jour, selon ordres de mouvement :

- la SA [E] Finances, représentée par son président Monsieur [C] [E], a cédé à la société Groupe [Q] 2.412 actions de 800 francs détenues dans la SA Moulins de Nemours-Bourassin,

- Monsieur [C] [E] a cédé à la société Groupe [Q] 10.088 actions de 800 francs de la SA Moulins de Nemours-Bourassin.

Par ordonnance du 27 février 2001, le juge des référés du tribunal de grande instance de Fontainebleau a condamné Monsieur [C] [E] à payer aux époux [I] la somme de 2.176.377,78 francs (331.786,65 €) au titre de la reconnaissance de dette du 30 juin 1999.

Par jugement du 24 juillet 2002, le tribunal de commerce de Bobigny a étendu à Monsieur [E] la liquidation judiciaire de la SARL A La Tradition Marcadet prononcée le 21 janvier précédent, Maître [K] [A] étant désigné liquidateur.

Le 03 septembre 2002, Monsieur et Madame [I] ont procédé à une déclaration de créance à hauteur de 1.446.671,64 €.

Des actions pauliennes ont été intentées par certains créanciers de Monsieur [C] [E] afin de se voir déclarer inopposables les cessions de titres survenues le 29 novembre 2000.

Par jugement du 20 avril 2005, le tribunal de grande instance de Fontainebleau a notamment:

- déclaré inopposables les dites cessions aux époux [G],

- débouté Maître [A] ès-qualités de liquidateur de sa demande visant à ce que les cessions soient déclarées inopposables aux créanciers qu'il représentait.

Par arrêt du 27 octobre 2006, la Cour d'Appel de Paris a notamment:

- dit recevable et fondée la demande de Maître [A] ès-qualités mais au titre des seuls époux [I] et à concurrence du montant de la condamnation prononcée contre lui le 27 février 2001,

- dit les cessions litigieuses inopposables aux époux [G] et à Maître [A] ès-qualités mais au profit des époux [I] et relativement à leur créance seulement,

- autorisé les époux [G] et Maître [A] à faire éventuellement saisir dans la limite de leurs créances les titres cédés, sauf aux cessionnaires (Groupe [Q] et SCI Melusine) à désintéresser les créanciers poursuivants.

Le pourvoi formé par les époux [I] contre cet arrêt a été rejeté.

Par ordonnance du 09 juin 2008, le juge commissaire à la liquidation judiciaire de Monsieur [C] [E] et de la société [E] Finances a autorisé Maître [A] ès-qualités à transiger sur l'arrêt du 27 octobre 2006, la société Groupe [Q], la SCI Mélusine et la SAS Moulin de Nemours lui versant la somme de 350.000 euros dans le bénéfice et les droits de la production effectuée par les époux [W] [I] entre ses mains; l'appel puis le pourvoi formé par les époux [W] [I] contre cette ordonnance ont été rejetés.

Par arrêt du 17 octobre 2008, la Cour d'Appel de Paris a déclaré irrecevable la tierce opposition formée par les époux [W] [I] contre son arrêt du 27 octobre 2006.

Par acte du 02 novembre 2005, les époux [W] [I] avaient fait assigner devant le tribunal de grande instance de Rennes la SA Groupe [Q], la SCI Melusine la SASU moulin de Nemours ainsi que Maître [A] ès-qualités de liquidateur de Monsieur [E] et de la SA [E] Finances afin d'exercer une action paulienne à l'encontre des actes passés le 29 novembre 2000.

Par jugement du 1er Décembre 2009, le tribunal de grande instance de Rennes avait ordonné un sursis à statuer en l'attente des procédures initiées en région parisienne.

Par acte du 31 Mai 2010, les époux [W] [I] ont assigné devant le tribunal de grande instance de Rennes Maître [A] es-nom et la SCP d'avocats Hyest et Associés, avocats à Paris.

Les deux procédures ont été jointes.

Les époux [W] [I] continuent de poursuivre l'inopposabilité des cessions intervenues le 29 novembre 2000, arguant de la connaissance qu'avaient les cessionnaires de leur caractère frauduleux, et recherchent la responsabilité de Maître [A] ès-nom et de la société d'avocats Hyest et associés pour collusion avec Monsieur [C] [E] afin de faire échapper son patrimoine à ses créanciers.

Par jugement du 14 avril 2014, le tribunal de grande instance de Rennes a:

- déclaré irrecevables l'action paulienne et la demande de dommages et intérêts dirigées par Monsieur et Madame [W] [I] contre les sociétés Axiane Meunerie, Mélusine et Moulin de Nemours,

- déclaré irrecevable la demande de dommages et intérêts formée contre la SCP Hyest et associés,

- déclaré recevable la demande de dommages et intérêts formée par les époux [W] [I] contre Maître [A] ès-nom et condamné celui-ci à leur payer la somme de 219.334,33 € à titre de dommages et intérêts outre 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les autres parties de leurs demandes formées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Maître [A] ès-nom aux dépens de première instance avec droit de recouvrement pour ceux dont il a été fait l'avance,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Maître [A] ès-nom a fait appel de ce jugement selon une déclaration du 21 mai 2014 puis une déclaration du 23 mai 2014.

Par ordonnance du 16 mars 2015 confirmée par la Cour statuant sur déféré, les sociétés Hyest et Associés et les sociétés Axiane Meunerie, Melusine et Moulins de Nemours ont été déboutées d'un incident visant à voir déclarer irrecevable l'appel incident formé par les époux [I].

Par conclusions du 22 juillet 2015, Maître [A] ès-nom a sollicité que la Cour:

- infirme le jugement déféré dans ses dispositions lui faisant grief,

- dise les époux [W] [I] irrecevables dans leurs prétentions faute d'intérêt à agir,

- subsidiairement, les déboute de leurs demandes,

- déboute la SCP Hyest et associés, la SAS Moulins de Nemours, la SCI Melusine et la SAS Axiane Meunerie de tous leurs moyens dirigés contre son appel

- condamne toute partie succombante aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement pour ceux dont il a été fait l'avance,

- condamne toute partie succombante à lui payer la somme de 6.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions du 18 février 2015, Monsieur et Madame [I] ont demandé que la Cour:

- déclare recevable leur appel incident,

- déboute Maître [A] de son appel principal,

- confirme le jugement déféré en ce qu'il a consacré la responsabilité personnelle de Maître [A],

- l'infirme pour le surplus,

- déclare recevable leur action paulienne contre les cessions intervenues le 29 novembre 2000,

- ordonne à leur égard la révocation de ces actes en fonction de leur intérêt légitime à concurrence de la somme de 1.106.060 euros outre intérêts conventionnels conformes aux stipulations des reconnaissance de dette,

- ordonne le retour dans le patrimoine de la SA [E] Finances et de Monsieur [E] des titres cédés,

- condamne la SASU Axiane Meunerie, la SCI Melusine et l a SASU Moulin de Nemours à leur payer tout dommages et intérêts complémentaires si l'inopposabilité des actes était insuffisante à dédommager les époux [I],

- dise que la SCP Hyest et Associés a commis une faute en acceptant d'être à la fois le conseil de Monsieur [E] et celui de Maître [A] ès-qualités et que Maître [A] ès-qualités a commis une faute en choisissant cet avocat,

- dise que Maître [A] a commis une faute en procédant pas à la vérification du passif de Monsieur [E], ainsi qu'en ne communiquant pas aux juridictions la totalité des pièces justificatives annexées à la déclaration de créance et en affirmant qu'il était en train de procéder à la vérification des créances,

- dise que Maître [A], en dissimulant à la Cour d'Appel de Paris l'existence de la procédure à laquelle il était partie ès-qualité devant le tribunal de grande instance de Rennes pour une action paulienne a commis une faute,

- dise que Maître [A] a commis une faute en ne prenant aucune mesure pour rechercher qui était à l'origine des conventions de cessions de titres frauduleuses,

- condamne en conséquence in solidum la SCP Hyest et associés, Maître [A] ès-nom, et les sociétés Mélusine, Axiane Meunerie et Moulins de Nemours à leur payer la somme de 2.500.000 euros de dommages et intérêt outre 15.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamne aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement pour ceux dont il a été fait l'avance.

Par conclusions du 17 octobre 2014, la SCP Hyest et associés a sollicité que la Cour:

- constate que Maître [A] ès-nom n'a formé aucune demande à son encontre et dise en conséquence irrecevable l'appel incident formé par les époux [I],

- subsidiairement, confirme le jugement entreprise en ce qu'il a jugé que les époux [I] n'ont pas qualité pour agir contre elle,

- subsidiairement, dise qu'elle n'a commis aucune faute et que les époux [I] ne démontre pas l'existence d'un préjudice qui lui soit imputable,

- constate qu'une condamnation solidaire n'a pas lieu d'être, les époux [I] ayant caractérisé les différents griefs formés contre chacun,

- déboute en conséquence les époux [W] [I] de leurs demande et les condamne à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions du 08 janvier 2015, les sociétés Axiane Meunerie, Mélusine et Moulins de Nemours ont demandé que la Cour:

- déclare irrecevable l'appel incident formé contre elles,

- subsidiairement, confirme le jugement déféré dans ses dispositions qui les intéressent,

- condamne Maître [A] à leur payer la somme de 6.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamne aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement pour ceux dont il a été fait l'avance.

Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, la Cour renvoie aux conclusions susvisées.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur les fautes reprochées à Maitre [A] par les époux [I] :

La recevabilité de l'action des époux [I] :

Les fautes reprochées dans le cadre de la conduite par Maître [A] de l'action paulienne contre les cessions de titre intervenues le 29 novembre 2000 :

L'action paulienne est une action personnelle du créancier qui peut être exercée concurremment par le représentant de ceux-ci en cas de procédure collective.

Cette faculté explique les dispositions de l'arrêt du 27 octobre 2006 de la Cour d'Appel de Paris selon lesquelles les cessions litigieuses ont été dites inopposables à Maître [A] ès-qualités mais seulement « relativement à la créance des époux [I] et au profit de ces derniers seulement ».

Le préjudice résultant d'une faute éventuellement commise dans la poursuite de cette action par Maître [A] est donc un préjudice personnel aux époux [I] et la fin de non-recevoir tirée de leur défaut de qualité pour agir n'est pas fondée.

Les autres fautes reprochées à Maître [A] :

Les époux [W] [I] reprochent à Maître [A] d'avoir choisi comme conseil la SCP HYEST et associés qui était antérieurement le conseil de Monsieur [E] à titre personnel ; toutefois la SCP HYEST et Associés n'est pas intervenue dans les procédures relatives à l'action paulienne et il en résulte que le préjudice éventuel résultant de la faute invoquée ne pourrait être qu'un préjudice collectif à l'ensemble des créanciers.

Les époux [W] [I] ne peuvent donc agir individuellement sur un tel fondement et les prétentions émises à ce titre sont irrecevables.

Le caractère hypothétique du préjudice :

Maître [A] oppose que les opérations de liquidation n'étant pas clôturées, les époux [W] [I] ne pourraient se prévaloir d'aucun préjudice certain si une faute de sa part devait être constatée et que par conséquent leurs prétentions seraient irrecevables.

Toutefois, une telle difficulté est sans conséquence sur la recevabilité de l'action et il appartiendra à la Cour, pour le cas où une faute serait constatée, de s'interroger sur les moyens de déterminer le préjudice en étant résulté d'une manière compatible avec la procédure collective en cours.

Sur les fautes commises par Maître [A] dans la poursuite de l'action paulienne :

Les époux [W] [I] reprochent à Maître [A] de ne pas avoir activement recherché quels professionnels du conseil avaient apporté leur concours aux cessions de titres litigieuses, dont l'arrêt du 27 octobre 2006 a abondamment constaté le caractère frauduleux ; outre qu'une telle recherche n'entre pas dans la mission du liquidateur, les conséquences qui auraient pu être tirées sont purement hypothétiques et ne permettent en aucun cas d'apprécier dans quelle mesure la responsabilité civile ou pénale desdits conseils, pour autant qu'elles aient existé, aurait pu être recherchée.

Ils lui reprochent ensuite de s'être montré déloyal en n'avertissant pas le tribunal de grande instance de Fontainebleau et la Cour d'appel de Paris du fait qu'eux-mêmes avaient introduit une action paulienne relative aux mêmes cessions de titres devant le tribunal de grande instance de Rennes. Ce reproche est infondé : leur action ayant été introduite postérieurement à celle introduite devant le tribunal de grande instance de Fontainebleau par les époux [G], il leur appartenait, par application des dispositions de l'article 100 du code de procédure civile, de demander au tribunal de grande instance de Rennes de se dessaisir au profit du tribunal de grande instance de Fontainebleau.

Les époux [W] [I] reprochent ensuite à Maître [A] d'être responsable de l'échec partiel de la procédure d'action paulienne les concernant, le premier juge puis la cour d'appel ayant rejeté une partie de sa demande au motif qu'il n'avait pas procédé à la vérification des créances.

Les époux [W] [I] détenaient deux reconnaissances de dette contre Monsieur [C] [E]. L'une d'entre elle avait servi de fondement à une condamnation prononcée par le juge des référés, la seconde, la plus importante ayant été simplement déclarée entre les mains du liquidateur ; compte tenu des conséquences juridiques de la vérification d'une créance et de son admission au passif (ou de sa non admission et des procédures alors applicables), il ne peut être fait reproche aux époux [W] [I] de ne pas avoir recherché un titre devant la juridiction civile, les dispositions relatives aux procédures collectives ayant justement pour objet d'éviter aux créanciers, autant que faire se peut, de multiplier les procédures devant différentes juridictions.

L'examen du jugement rendu le 20 avril 2005 par le tribunal de grande instance de Fontainebleau puis de l'arrêt rendu le 27 octobre 2006 par la Cour d'appel de Paris démontre que ces deux juridictions ont considéré comme certaine la créance ayant fait l'objet d'une condamnation par le juge des référés ; pour la seconde, le premier juge a dit que Maître [A] en se bornant à produire des « listes de travail » ou encore des états de créance non vérifiées versait aux débats des pièces inopérantes à établir le caractère certain des créances qu'il allèguait, et ce, bien qu'un délai de trois années se soit écoulé entre l'ouverture de la procédure collective et le jugement du tribunal ; devant la Cour d'appel de Paris, Maître [A] s'est de nouveau présenté sans avoir procédé à la vérification des créances, alors même que celles-ci ne dépassaient pas le nombre de vingt, et a été débouté de sa demande relativement à la reconnaissance de dette du 9 mars 2000 pour le même motif que devant le premier juge, à savoir l'absence de vérification de la créance.

La vérification des créances incombe au liquidateur et aucun motif sérieux permettant d'expliquer le retard pris à cet égard par Maître [A] n'a été avancé ; en outre les motifs du jugement du 20 avril 2005 auraient dû le conduire à remédier à sa carence antérieure avant de se présenter devant la Cour.

Cette faute est donc directement à l'origine du fait que l'action paulienne de Maître [A] ès-qualité n'ait été admise qu'à concurrence de la condamnation prononcée par le juge des référés et qu'ait été rejetée la demande émise à concurrence de la reconnaissance de dette du 09 mars 2000.

En effet, il doit être relevé que celle-ci était rédigée sur le même modèle que celle ayant été considérée comme incontestable par le juge des référés et que celles rédigées au bénéfice des époux [G], que la Cour d'appel de Paris a considéré comme certaines dans la même décision ; enfin, en 2014, la créance a été vérifiée sans que soit mentionnée la moindre contestation.

La faute commise par Maître [A] a donc causé un préjudice certain aux époux [W] [I], constitué de la perte de chance de n'avoir pu bénéficier, à leur seul profit, de l'action paulienne pour cette créance, sachant que suite à l'arrêt de la Cour, les sociétés Groupe [Q], Sci Melunise et Moulins de Nemours ont désintéressé les créanciers pour lesquels l'action paulienne avait été déclarée recevable et bien fondée.

En l'absence de toute pièce pouvant conduire à considérer que la reconnaissance de dette du 09 mars 2000 aurait pu être contestée, la perte de chance retenue par le premier juge apparaît très insuffisante et doit être évaluée à 90% de la créance soit à ( 1.446.671,64 ' 350.000) x 90% = 987.004,48 euros.

S'il est exact que la procédure collective n'est pas clôturée et que pour le moment ce préjudice n'est pas certain dans son quantum, le principe de préjudice est tout de même incontestable, d'une part en raison des procédures anormalement nombreuses ayant dû être introduites par les époux [I] pour faire valoir leurs droits, d'autre part en raison du retard pris dans le remboursement des fonds.

En effet, s'agissant de condamnations prononcées « à leur seul profit », il n'était pas besoin d'attendre la clôture des opérations de liquidation pour leur reverser les fonds destinés à les désintéresser, ceux-ci ne pouvant revenir à aucun autre créancier.

Ce raisonnement conduit la Cour à rouvrir les débats et à inviter les parties à conclure sur l'opportunité d'un sursis à statuer sur la détermination du préjudice définitif, avec versement d'une provision à valoir sur celui-ci en l'attente de la clôture des opérations de liquidation.

Sur les reproches formés contre la SCP HYEST et Associés :

Ainsi qu'il a été dit plus haut, la SCP HYEST et Associés n'est pas intervenue dans les procédures relatives à l'action paulienne.

Dès lors, s'il est effectivement regrettable qu'elle ait accepté d'être le conseil de Maître [A] ès-qualité de liquidateur de Monsieur [C] [E] après avoir été le conseil de ce dernier, au surplus après avoir plaidé en son nom contre les époux [W] [I] qu'aucune procédure collective ne pouvait lui être appliquée, les époux [W] [I] ne peuvent se prévaloir d'aucune conséquence personnelle de ce manquement déontologique et le jugement est confirmé en ce qu'il a déclaré leurs demandes irrecevables.

Sur les demandes formées contre les sociétés Groupe [Q], Melusine et Moulins de Nemours :

Ces demandes se heurtent à l'autorité de la chose jugée compte tenu des dispositions combinées de l'arrêt du 27 octobre 2006 de la Cour d'appel de Paris, de la transaction du 05 mai 2008 et de l'arrêt de la Cour de Cassation du 02 mars 2010 et la Cour ne peut que reprendre à son compte l'analyse pertinente du premier juge pour déclarer irrecevables les prétentions des époux [I].

Sur les dépens et les frais irrépétibles:

Il n'est pas inéquitable que la SCP Hyest et Associés et les sociétés Axiane Meunerie, Mélusine et Moulin de Nemours gardent à leur charge leurs propres frais irrépétibles et leurs demandes émises à ce titre sont rejetées.

Il est sursis à statuer sur les dépens et sur le solde des demandes pour frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS:

La Cour,

Infirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné Maître [A] à titre personnel à payer à Monsieur et Madame [W] [I] la somme de 219.334,33 euros à titre de dommages et intérêts.

Dit que Maître [A] à titre personnel a commis une faute ayant conduit les époux [W] [I] à perdre la chance de n'avoir pu bénéficier, à leur seul profit, de l'action paulienne relative aux cessions du 29 novembre 2000 pour leur créance résultant de la reconnaissance de dette du 09 mars.

Fixe cette perte de chance à 90% du montant de la créance.

Dit en conséquence que le préjudice provisoire des époux [W] [I], résultant de la faute commise par Maître [A] à titre personnel est de 987.004,48 euros, en l'attente des éventuelles distributions de dividendes de la procédure collective.

Rouvre les débats et invite les parties à conclure sur l'opportunité d'un sursis à statuer sur la détermination du préjudice définitif des époux [I] jusqu'à la clôture de la liquidation judiciaire de Monsieur [C] [E], ainsi que sur celle de la condamnation de Maître [A] en son nom personnel à verser aux époux [W] [I] une provision à valoir sur l'indemnisation de leur préjudice définitif.

Déboute les sociétés Hyest et Associés, Axiane Meunerie, Mélusine et Moulins de Nemours de leurs prétentions sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Réserve les dépens et les autres demandes de frais irrépétibles.

Renvoie l'affaire à la conférence de mise en état du 17 novembre 2015 afin que soit fixé un calendrier de procédure par le conseiller de la mise en état.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 14/04242
Date de la décision : 20/10/2015

Références :

Cour d'appel de Rennes 1A, arrêt n°14/04242 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-10-20;14.04242 ?
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