Chambre des Baux Ruraux
ARRÊT N° 46
R.G : 14/00662
M. [U] [V]
Mme [K] [Y] épouse [V]
C/
Société [F] SCEA
M. [Q] [F]
Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 04 JUIN 2015
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Maurice LACHAL, Président,
Madame Marie-Françoise D'ARDAILHON MIRAMON, Conseiller,
Madame Aline DELIERE, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Françoise FOUVILLE, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 02 Avril 2015
devant Monsieur Maurice LACHAL, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 04 Juin 2015 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTS :
Monsieur [U] [V]
né le [Date naissance 2] 1964 à [Localité 2]
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représenté par Me Charles BRIAND, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES
Madame [K] [Y] épouse [V]
née le [Date naissance 1] 1963 à [Localité 2]
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représentée par Me Charles BRIAND, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES
INTIMÉS :
Société [F] SCEA
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représentée par Me Cyril DUBREIL, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES
Monsieur [Q] [F]
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représentée par Me Cyril DUBREIL, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES
**********************
Faits et procédure :
Le 14 septembre 2010, la SCEA [F] et M. [Q] [F] ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Nantes aux fins de voir convoquer devant ce tribunal M. [U] [V] et Mme [K] [Y] épouse [V] pour voir constater l'existence d'un bail rural à leur profit sur la parcelle située commune de [Localité 1] (Loire-Atlantique) cadastrée YT nº[Cadastre 1]9 pour une surface de 5 ha 5 a.
Par jugement mixte en date du 15 septembre 2011, dont la notification a été signée par M. [U] [V] et Mme [K] [Y] épouse [V] le 20 septembre 2011, le tribunal paritaire des baux ruraux de Nantes a constaté l'existence d'un bail liant les parties, la SCEA [F] et M. [Q] [F], d'une part, et M. [U] [V], d'autre part, à effet du 1er novembre 1995 et a ordonné une mesure d'expertise afin notamment de décrire la parcelle cadastrée YT [Cadastre 1] appartenant à M. et Mme [U] [V] prise à bail, de donner tous éléments quant aux prestations fournies par les preneurs en contrepartie de la jouissance de cette parcelle et de faire si besoin le compte entre les parties.
Par acte d'huissier de justice en date du 26 avril 2012, Mme [K] [Y] épouse [V] et M. [U] [V] ont fait délivrer un congé pour reprise.
Le 5 juillet 2012, M. [Q] [F] et la SCEA [F] ont saisi le tribunal paritaire pour contester le congé qui leur a été délivré.
Le 19 juillet 2012, M. [Z] [O], expert judiciaire, a déposé son rapport.
Par jugement en date du 18 novembre 2013, le tribunal paritaire des baux ruraux de Nantes a :
prononcé la jonction des procédures ;
dit que l'expertise réalisée par M. [O] était régulière ;
fixé le prix du fermage à hauteur de 98 € /ha à compter du 1er novembre 2011 outre les charges prévues par l'article L.415 ' 3 du code rural et de la pêche maritime ;
condamné M. [U] [V] et Mme [K] [Y] épouse [V] à payer à M. [Q] [F] et la SCEA [F] la somme de 5284,82 € au titre des prestations fournies;
déclaré non valide le congé pour reprise délivré le 26 avril 2015 ;
débouté M. [U] [V] et Mme [K] [Y] épouse [V] de l'ensemble de leurs demandes
condamné M. [U] [V] et Mme [K] [Y] épouse [V] à payer à la SCEA [F] et à M. [Q] [F] la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
ordonné l'exécution provisoire de la décision ;
Moyens et prétentions des parties :
M. [U] [V] et Mme [K] [Y] épouse [V] ont fait appel de la décision et demandent à la cour, au principal suite à la révélation d'un fait nouveau, de constater l'absence de tous droits locatifs par suite de la résiliation du bail en raison de la mise à disposition irrégulière. Ils font valoir qu'ils connaissent depuis les conclusions de leurs adversaires du 24 mars 2015 la date précise de la mise à disposition à la SCEA [F], à savoir le 1er avril 1999. Ils en déduisent qu'en vertu de la loi applicable à l'époque, le bail dont M. [Q] [F] s'est prévalu depuis le 1er novembre 1995 s'est trouvé automatiquement résilié par suite de la mise à disposition irrégulière, de manière instantanée et irréversible, insusceptible de régularisation. Ils considèrent que le jugement du 15 septembre 2011 avait été obtenu par fraude et n'était pas passé en force de chose jugée puisqu'il n'avait pas mis fin à l'instance. Ils en déduisent que M. [Q] [F] est aujourd'hui occupant sans droit ni titre et que l'occupation par fraude depuis seize ans doit conduire à la condamnation de ce dernier à payer une somme de 15'000 € en réparation des préjudices.
Subsidiairement, M. [U] [V] et Mme [K] [Y] épouse [V] demandent à la cour de leur décerner acte de l'acceptation du prix du fermage, de dire que la SCEA [F] ne peut invoquer de droits locatifs et en conséquence doit être exclue de la procédure, de rejeter l'expertise de M. [O] à tort validée par le tribunal et en conséquence de condamner M. [Q] [F] au paiement de la somme de 2566,27 € au titre du compte de fermages du 1er novembre 2009 au 31 octobre 2013 et de l'indemnité d'occupation du 1er novembre 2013 au 31 octobre 2014, outre la somme de 310,65 € au titre de la part d'impôts et taxes 2005 à 2014. Ils sollicitent en outre d'infirmer le jugement du 18 novembre 2013 en ce qu'il a déclaré non valide le congé pour reprise délivré le 28 avril 2012, d'ordonner la libération par M. [Q] [F] de la partie de la parcelle YT [Cadastre 1] exploitée par lui et de le condamner à leur payer la somme de 5000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils exposent qu'ils ont eu pour seul interlocuteur M. [Q] [F] et n'ont jamais contracté ou eu un quelconque lien de droit avec la SCEA [F]. Ils considèrent que cette société n'a pas été régulièrement maintenue à la cause par le tribunal. Ils signalent qu'ils n'ont jamais été informés de la mise à disposition en violation de l'article L. 411 - 37 du code rural et de la pêche maritime, l'artifice employé en la mentionnant dans la lettre de saisine du tribunal ne pouvant lui conférer le moindre droit. Ils prétendent que leurs adversaires procèdent à une lecture erronée de l'article 544 du code de procédure civile qui ne fait pas obligation mais donne une simple faculté de faire un appel immédiat d'un jugement mixte. Ils prétendent que l'expert judiciaire a dépassé sa mission et que le tribunal a statué ultra petita en incluant dans la mission d'expertise l'évaluation des prestations du preneur depuis l'origine de l'exploitation et l'établissement des comptes. Ils considèrent que les seuls exercices à prendre en compte sont ceux de 2009-2010, 2010-2011,2011-2012 et 2012-2013. Enfin, ils soutiennent que le congé pour reprise du 26 avril 2012 est valide, Mme [K] [Y] épouse [V] n'étant justiciables que de la simple déclaration d'exploiter et non de l'obtention d'une autorisation d'exploiter, cette dernière remplissant les conditions de fond au regard des dispositions des articles L. 411-58 et L. 411-59 du code rural et de la pêche maritime.
En réponse, M. [Q] [F] et la SCEA [F] demande à la Cour de confirmer le jugement déféré et de condamner les époux [V] à leur payer la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils rappellent que dans le cadre d'une décision judiciaire ayant autorité de la chose jugée, le bail a été reconnu comme étant consenti à la SCEA [F] et à M. [Q] [F]. Ils ajoutent que la mise à disposition irrégulière antérieure à la loi du 9 juillet 1999 n'entraîne pas la résiliation une fois le bail renouvelé sous l'empire du nouveau dispositif légal. Ils considèrent aussi que la demande de résiliation constitue une demande nouvelle en cause d'appel. Ils précisent que l'expert judiciaire a rempli la mission qui lui a été confiée. Ils mentionnent que Mme [K] [Y] épouse [V] ne justifiait pas au 31 octobre 2013, date pour laquelle le congé était donné, ni de l'expérience professionnelle ni de la possession d'un diplôme prévues par les textes en vigueur. Ils ajoutent que l'appelante est soumise à autorisation d'exploiter malgré ses affirmations contraires.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément aux articles 946, 455 et 749 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience.
Sur quoi, la cour
1. En vertu de l'article 544 du code de procédure civile, le chef définitif d'un jugement mixte, pour partie avant-dire droit, passe en force de chose jugée si un appel n'a pas été exercé dans le délai imparti à compter de la signification ou de la notification de ce jugement aux parties.
En l'espèce, le jugement mixte en date du 15 septembre 2011 a constaté l'existence d'un bail liant les parties à compter du 1er novembre 1995 en précisant que les preneurs étaient M. [Q] [F] et la SCEA [F] et ordonné une expertise tendant notamment à décrire la parcelle prise à bail et à fixer le montant du loyer. Ce jugement mixte a été notifié à M. [U] [V] et à Mme [K] [Y] épouse [V] comme cela résulte des avis de réception signés le 20 septembre 2011. M. [U] [V] et Mme [K] [Y] épouse [V] n'ont pas fait appel de cette décision statuant sur l'existence du bail. Au surplus, ils ont participé aux opérations d'expertise, cette expertise étant pour partie la conséquence du chef du dispositif du jugement tranchant le principe de l'existence du bail. Dès lors, les appelants ne sont plus recevables à remettre en cause le jugement devenu définitif en ce qu'il a consacré l'existence d'un bail à compter du 1er novembre 1995 ayant pour preneurs M. [Q] [F] et la SCEA [F], la date de la mise à disposition du bail à cette dernière n'ayant aucune incidence, la SCEA [F] étant cotitulaire du bail aux termes du dispositif définitif du jugement du 15 septembre 2011. Par ailleurs, les appelants ne peuvent prétendre avoir appris dans des conclusions du 24 mars 2015 la date exacte de la mise à disposition le 1er avril 1999, cette date étant écrite en toutes lettres dans le rapport d'expertise judiciaire (page six) déposé le 19 juillet 2012.
2. Il ressort des débats que de 1995 à 2009, la contrepartie financière de la mise à disposition à M. [Q] [F] et à la SCEA [F] d'une partie de la parcelle YT [Cadastre 1] était constituée par l'entretien par ces derniers des parcelles YT [Cadastre 1] et [Cadastre 1] et par la fourniture de bottes de foin et de paille au profit de M. [U] [V] et de Mme [K] [Y] épouse [V]. À compter de 2009, M. [Q] [F] et la SCEA [F] n'ont plus entretenu les haies ni supprimer les refus dans les pâtures, ni fourni de bottes de foin et de paille, ni versé un quelconque loyer. Dans ce contexte, les intimés ont saisi le tribunal paritaire pour obtenir la reconnaissance de l'existence d'un bail rural et la fixation du prix du bail à compter de 2009. Le jugement avant dire droit du tribunal paritaire n'a pas limité la mission donnée à l'expert, ni invité celui-ci à établir un pré-rapport et il ne peut en être fait grief à ce dernier. Il n'est pas contesté par les parties que celles-ci étaient d'accord pour fixer à 98 € l'hectare le montant du fermage en numéraire. Par ailleurs, les prestations faites antérieurement à 2009 par les intimés n'étant que la contrepartie financière de la libre disposition de la parcelle en cause, il ne peut être alloué à M. [Q] [F] et à la SCEA [F] une somme d'argent à ce titre. Dès lors, l'expert judiciaire a justement chiffré à 486,83 € le prix du fermage pour 2009 2010, à 501,04 € le prix du fermage pour la période 2010-2011. Faisant application de l'indice, les appelants ont justement chiffré les fermages pour les périodes postérieures y compris pour l'exercice 2013-2014, soit un total de 2566,27 €, montant qui n'est pas contesté par les intimés y compris subsidiairement. De même, les appelants justifient par les avis d'imposition correspondant et un décompte non contesté par les intimés que ces derniers doivent rembourser au titre des impôts et taxes la somme de 310,65 €. En conséquence, M. [Q] [F] et la SCEA [F] seront condamnés à payer à M. [U] [V] et Mme [K] [Y] épouse [V] la somme de 2876,92 € au titre des fermages échus pour la période 2009- 2014. Le jugement déféré sera réformé en ce sens sur le compte entre les parties.
3. M. [U] [V] et Mme [K] [Y] épouse [V] maintiennent que le congé donné le 26 avril 2012 pour reprise par cette dernière est valide.
En vertu du dernier alinéa de l'article L.411 ' 59 du code rural et de la pêche maritime, le bénéficiaire de la reprise doit justifier par tous moyens qu'il répond aux conditions de capacité ou d'expérience professionnelle ou qu'il a bénéficié d'une autorisation d'exploiter en application de ces dispositions. Aux termes de l'article R.. 331 ' 1 du même code, satisfait aux conditions de capacité ou d'expérience professionnelle le candidat qui justifie, à la date de l'opération, soit de la possession d'un diplôme ou certificat d'un niveau reconnu équivalent au brevet d'études professionnelles agricoles ou au brevet professionnel agricole, soit de cinq ans minimum d'expérience professionnelle acquise sur une surface au moins égale à la moitié de l'unité de référence en qualité d'exploitant, d'aide familial, d'associé d'exploitation, de salarié agricole ou de collaborateur d'exploitation.
Même si Mme [K] [Y] épouse [V] a une connaissance et une pratique ancienne et sérieuse du cheval et de l'élevage équin, il n'en demeure pas moins qu'elle ne justifie aucunement d'un diplôme visé ci-dessus, d'une expérience professionnelle acquise pendant cinq ans au moins selon les termes susvisés ou d'une autorisation d'exploiter. Des inscriptions à divers organismes administratifs ou des attestations de cavaliers d'entraînement ayant eu recours à ses services pour des remplacements dans leurs élevages ne constituent aucunement l'expérience professionnelle requise. Dans ces conditions, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a jugé non valide le congé pour reprise donné.
Les parties perdant respectivement sur quelques-unes de leurs demandes devant la cour, il y a lieu de laisser les dépens d'appel et autres frais à la charge de celles qui les ont exposés.
Par ces motifs
La cour, statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement déféré sauf sur le compte entre les parties et la condamnation de M. [U] [V] et Mme [K] [Y] épouse [V] à payer à M. [Q] [F] et la SCEA [F] une somme de 5284,82€ au titre des prestations fournies ;
Statuant à nouveau sur ce point,
Condamne M. [Q] [F] et la SCEA [F] à payer à M. [U] [V] et Mme [K] [Y] épouse [V] la somme de 2876,92 € au titre des fermages et taxes échus de 2009 à 2014 ;
Laisse les dépens d'appel et autres frais à la charge des parties qui les ont supportés.
LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT,