6ème Chambre B
ARRÊT No 494
R. G : 13/ 03351
Mme Nadège X...
C/
M. Jérôme Y...
Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Copie exécutoire délivrée le :
à :
REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE RENNES ARRÊT DU 02 SEPTEMBRE 2014
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Maurice LACHAL, Président, Monsieur Pierre FONTAINE, Conseiller, Mme Françoise ROQUES, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Huguette NEVEU, lors des débats et lors du prononcé,
DÉBATS :
En chambre du Conseil du 26 Mai 2014 devant Monsieur Pierre FONTAINE, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé hors la présence du public le 02 Septembre 2014 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats.
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APPELANTE :
Madame Nadège X... née le 01 Septembre 1972 à SAINT BRIEUC (22000) ...
Représentée par la SCP BREBION CHAUDET, avocats au barreau de RENNES
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle à 40 % numéro 13/ 5285 du 07/ 06/ 2013 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de RENNES)
INTIMÉ :
Monsieur Jérôme Y...né le 19 Janvier 1972 à VERSAILLES ...
Représenté par la SCP GAUVAIN-DEMIDOFF, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représenté par Me Michelle PIERRARD-SIMON, avocat au barreau de SAINT MALO
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EXPOSE DU LITIGE ET OBJET DU RECOURS
Monsieur Y...et Madame X...ont vécu ensemble pendant de nombreuses années, et ont souscrit le 19 mai 2006 une déclaration conjointe de pacte civil de solidarité.
De leurs relations sont nés Aurel, le ...et Côme le ....
Par acte notarié du 27 février 2004 ils ont acquis un terrain situé à Saint Samson Sur Rance (22100) destiné à la construction d'une maison d'habitation moyennant le prix de 22 995, 00 ¿, et, pour financer cette acquisition et les travaux d'édification de l'immeuble ont souscrit trois prêts, les 16 janvier 2004 et le 19 décembre 2007.
En outre, ils ont contracté en 2005 un prêt pour l'acquisition d'un véhicule automobile.
Le 8 juin 2009, Madame X...a rompu unilatéralement le pacte civil de solidarité.
Aucun accord n'a été trouvé quant à la sortie amiable de l'indivision.
Saisi aux fins d'ouverture des opérations de liquidation et partage de l'indivision et, par Madame X..., de demandes tendant à mettre à la charge de Monsieur Y...une indemnité d'occupation et des dommages-intérêts, le juge aux affaires familiales de Saint-Malo a, par décision du 22 mars 2013 :
- ordonné la liquidation de l'indivision existant entre Monsieur Y...et Madame X...,
- commis pour y procéder les notaires Maître Z...et Maître A...,
- condamné Madame X...aux entiers dépens et à une indemnité de 1 500, 00 ¿ par application de l'article 700 du Code de Procédure Civile (CPC),
- rejeté toutes les autres demandes.
Madame X...a relevé appel de ce jugement.
Par conclusions du 24 mars 2014, elle a demandé :
- d'infirmer en partie ladite décision et, en conséquence :
- de dire qu'il sera tenu compte dans les opérations de partage de l'indemnité
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d'occupation dont Monsieur Y...est redevable envers l'indivision du 1er juillet 2009 au 24 mai 2011 ainsi que des créances existant entre Monsieur Y...et elle,
- de dire que la SCP B...et Z..., notaire, aura pour mission d'estimer cette indemnité d'occupation,
- à défaut, de désigner un expert pour faire cette estimation,
- de condamner Monsieur Y...au paiement d'une somme de 5 000, 00 ¿ à titre de dommages-intérêts,
- de le condamner au paiement d'une somme de 2 000, 00 ¿ sur le fondement de l'article 37 de la loi sur l'aide juridique.
Par conclusions du 31 mars 2014, l'intimé a demandé de confirmer le jugement du 22 mars 2013 en toutes ses dispositions et de condamner Madame X...au paiement d'une indemnité de 2 000, 00 ¿ par application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions, il est référé aux dernières écritures des parties susvisées.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 20 mai 2014.
SUR CE,
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a ordonné l'ouverture des opérations de liquidation et partage de l'indivision existant entre Monsieur Y...et Madame X...et en ce qu'il a désigné les notaires Maître Z...et Maître A..., ces points n'étant pas contestés.
La liquidation ayant pour finalité de déterminer les éléments actifs et passifs de la masse à partager ainsi que les droits de chacun des copartageants, il sera ajouté que les opérations porteront notamment sur les créances dont chacune des parties se prévaudra.
La difficulté liquidative soumise en l'état à la juridiction est celle relative à l'indemnité d'occupation réclamée à Monsieur Y....
En vertu de l'article 815-9 alinéa 2 du Code Civil, l'indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d'une indemnité.
Il résulte de ces dispositions que la jouissance privative d'un lieu indivis se caractérise par l'impossibilité de droit ou de fait pour les coïndivisaires d'user
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de la chose.
En l'espèce, Madame X...soutient que le couple s'est séparé le 1er juillet 2009, qu'à compter de cette date et jusqu'à la vente de l'immeuble indivis le 24 mai 2011, Monsieur Y...a joui d'une manière exclusive du bien.
Elle a pris à bail un logement distinct selon un contrat du 1er juillet 2009.
Il est constant qu'après la rupture, son concubin a continué à vivre en semaine à Saint-Nazaire où est son lieu de travail, ne rentrant au domicile familial constitué par l'immeuble indivis qu'en fin de semaine, et où il a accueilli ses enfants pendant l'été 2009.
Cependant, l'occupation d'un lieu indivis justifie une indemnisation, même si elle n'a pas été effective et permanente.
Il est établi par une lettre du conseil de Madame X...en date du 16 juillet 2009 confortée par les attestations de Madame C...et de Madame D...que le 9 juillet 2009 Monsieur Y...a changé la serrure de la porte de la maison indivise ; celui-ci ne rapporte pas la preuve qu'il a remis un double des nouvelles clés à la coïndivisaire, avant le 13 octobre 2010, date d'un mandat de vente donné par elle à des notaires auxquels devaient s'adresser des agences immobilières pour chaque visite effectuée (cf un courrier électronique d'un conseiller en immobilier du 2 juillet 2012) sachant que ce mandat a été régularisé peu après par Monsieur Y....
Il n'est pas démontré que ce dernier a remis à son ex-concubine un jeu de clés dès le mois de septembre 2010.
Par suite, et même si Madame X...a été vue à plusieurs reprises dans la maison après le mois de septembre 2010, il doit être considéré que l'impossibilité pour la coïndivisaire d'user de la chose indivise a duré du 9 juillet 2009 au 13 octobre 2010.
Il est constant que l'immeuble indivis a été vendu le 24 mai 2011 au prix de 184 000, 00 ¿, sa valeur vénale ayant été estimée en 2010 entre 156 304, 00 ¿ et 221 705, 00 ¿ (cf l'avis motivé d'une agence immobilière).
Il ressort de l'ensemble des éléments versés aux débats que Monsieur Y...est redevable à l'égard de l'indivision d'une indemnité en contrepartie d'une occupation exclusive du bien indivis durant ladite période, dont le montant sera fixé sur les bases suivantes :
- valeur locative : 9 150, 00 ¿/ 12 = 765, 50 ¿ par mois moins un abattement de 20 % pour précarité de l'occupation.
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Le jugement déféré sera réformé en ce sens, sachant que la juridiction ne saurait déléguer aux notaires liquidateurs l'obligation qui est la sienne de statuer sur une telle difficulté liquidative, ainsi qu'il est soutenu à bon droit par l'intimé.
Sur le reste, il résulte de la combinaison des articles 515-7 alinéa 10 et 1382 du Code Civil que si la rupture d'un pacte civil de solidarité ne saurait en soi être fautive, les circonstances de celle-ci peuvent l'être, notamment lorsqu'elle a été abusive, brutale ou injurieuse.
En l'espèce, Madame X...fait valoir que son ex-partenaire est responsable de la rupture, qu'en effet il entretenait une liaison avec une autre femme depuis de nombreux mois, que bien que sa seconde grossesse en 2008 ait été difficile, il s'est montré très dur à son égard, puis violent envers elle, qu'enfin il l'a dissuadée d'exercer une activité rémunérée afin qu'elle se consacre exclusivement à sa famille, qu'elle n'a pu retrouver qu'avec difficulté un emploi après la séparation.
Il ressort des attestations crédibles et concordantes produites par elle, émanant de sa mère, de Madame E..., de Monsieur Emmanuel X..., de Madame D..., et d'une association spécialisée dans la problématique de la violence conjugale qu'elle a été victime de la part de son ex-partenaire d'humiliations et de maltraitance.
Abstraction faite de l'infidélité qui lui est imputée et qui n'est pas établie, ainsi que du grief d'ordre professionnel qui lui est fait relevant d'un choix du couple présumé commun, sans preuve contraire, il est démontré que par son attitude fautive, ne pouvant être excusée par une insatisfaction récurrente de sa compagne et ayant provoqué la rupture du pacte civil de solidarité, il a occasionné à celle-ci un préjudice certain, le fait qu'elle était alors sans emploi et bénéficiaire d'une modeste allocation de chômage (cf une attestation de paiement de Pôle Emploi) ayant accru son désarroi marqué par un traitement médicamenteux et psychologique, ainsi qu'il en est justifié.
Etant donné sa responsabilité, Monsieur Y...est malvenu à soutenir que son ex-compagne a pris l'initiative de la rupture, et, que celle-ci aurait été imprévisible et soudaine avec enlèvement par Madame X...de l'ensemble des biens indivis, ce qui, au demeurant n'est pas étayé objectivement.
Par ailleurs, il reproche en vain à son ex-concubine de s'être éloignée géographiquement, en rendant ainsi malaisées ses relations avec ses enfants, ce grief étant étranger aux causes de la rupture et rien ne démontrant que la mère ait, par le choix de sa nouvelle résidence, voulu nuire aux droits du père.
En conséquence, il convient, par voie d'infirmation, sur le rejet de la demande de réparation formée par Madame X..., de fixer à 1 500, 00 ¿ le montant du préjudice occasionné à celle-ci par la faute de Monsieur Y..., lequel sera condamné au paiement de cette somme à titre de dommages-intérêts.
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Etant donné le caractère familial de l'affaire et l'issue du litige chacune des parties supportera ses propres dépens de première instance, au lieu de ce qui a été décidé de ce chef, ainsi que ceux d'appel, sans application, en ce qui concerne les frais irrépétibles de l'article 700 du Code de Procédure Civile et de l'article 37 de la loi sur l'aide juridique, à quelque stade du procès que ce soit, sous réserve de cette aide au profit de Madame X....
PAR CES MOTIFS,
La Cour, après rapport à l'audience,
Infirme en partie le jugement du 22 mars 2013,
Statuant à nouveau,
Dit que Monsieur Y...est redevable envers l'indivision d'une indemnité d'occupation pour la période du 9 juillet 2009 au 13 octobre 2010 dont le montant sera calculé sur la base d'une valeur locative de 765, 50 ¿ par mois moins un abattement de 20 %,
Condamne Monsieur Y...à payer à Madame X...une somme de 1 500, 00 ¿ à titre de dommages-intérêts,
Dit que chacune des parties supportera ses propres dépens sans indemnité pour frais irrépétibles au profit de Monsieur Y...,
Confirme pour le surplus,
Y ajoutant,
Dit qu'il sera tenu compte dans les opérations de liquidation et partage des créances de toute nature dont chacune des parties se prévaudra, en sus de l'indemnité d'occupation due par Monsieur Y...,
Rejette le surplus des demandes y compris au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile et de l'article 37 de la loi sur l'aide juridique,
Dit que chacune des parties supportera ses propres dépens d'appel, sous réserve de l'aide juridictionnelle accordée à l'appelante.
Le Greffier, Le Président,