1ère Chambre
ARRÊT N°201
R.G : 13/00309
M. [B] [O]
C/
Mme [D] [O] épouse [M]
M. [R] [O]
Mme [P] [O] épouse [U]
Mme [V] [O] épouse [S]
M. [X] [O]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 22 AVRIL 2014
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Xavier BEUZIT, Président,
Monsieur Marc JANIN, Conseiller, entendu en son rapport
Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Claudine PERRIER, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 11 Mars 2014
ARRÊT :
Réputé contradictoire, prononcé par Monsieur Xavier BEUZIT, Président, à l'audience publique du 22 Avril 2014, date indiquée à l'issue des débats.
****
APPELANT :
Monsieur [B] [O]
né le [Date naissance 6] 1955 à [Localité 8] ([Localité 8])
Lieudit '[Localité 5]'
[Localité 6]
Représenté par Me Daniel PRIGENT, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC
INTIMÉS :
Madame [D] [O] épouse [M]
née le [Date naissance 1] 1940 à [Localité 6] (22)
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Aurélie GRENARD de la SCP LOZAC'MEUR/GARNIER/BOIS/DOHOLLOU/SOUET/ARION/ARDIS SON/GRENARD, avocat au barreau de RENNES
Monsieur [R] [O]
né le [Date naissance 2] 1947 à [Localité 6] (22)
[Localité 5]
[Localité 6]
Représenté par Me Aurélie GRENARD de la SCP LOZAC'MEUR/GARNIER/BOIS/DOHOLLOU/SOUET/ARION/ARDIS SON/GRENARD, avocat au barreau de RENNES
Madame [P] [O] épouse [U]
née le [Date naissance 4] 1942 à [Localité 6] (22)
[Localité 7]
[Localité 3]
Représentée par Me Aurélie GRENARD de la SCP LOZAC'MEUR/GARNIER/BOIS/DOHOLLOU/SOUET/ARION/ARDIS SON/GRENARD, avocat au barreau de RENNES
Madame [V] [O] épouse [S]
née le [Date naissance 3] 1939 à [Localité 6] (22)
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représentée par Me Aurélie GRENARD de la SCP LOZAC'MEUR/GARNIER/BOIS/DOHOLLOU/SOUET/ARION/ARDIS SON/GRENARD, avocat au barreau de RENNES
Monsieur [X] [O]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Assigné à personne par acte d'huissier en date du 06/05/2013.
FAITS ET PROCÉDURE:
Monsieur [L] [O], né le [Date naissance 7] 1911, et Madame [V] [Y], née le [Date naissance 5] 1918, ont eu de leur mariage six enfants, [V], [D], [P], [R], [B] et [X].
Monsieur [L] [O] est décédé le [Date décès 2] 1996.
Il avait, le 28 juillet 1986, consenti à son fils [B] une donation, par préciput et hors part, d'un bien immobilier situé à [Localité 6] (Côtes-d'Armor), lieudit '[Localité 5]' comprenant un ensemble de bâtiments et terres, avec réserve d'usufruit pour lui-même et son épouse, Madame [V] [Y].
Le régime matrimonial des époux et la succession de Monsieur [L] [O] n'ont pas été liquidés et Madame [V] [Y] est restée en possession de l'intégralité des biens de la succession.
Elle a légué par testament à son fils [B] seul tous les meubles meublant et objets mobiliers garnissant la maison de [Localité 6] et ses dépendances.
Elle est décédée le [Date décès 1] 2006.
Faute de pouvoir parvenir au partage amiable des successions de leurs parents, Madame [V] [O] épouse [S], Madame [D] [O] épouse [M], Madame [P] [O] épouse [U] et Monsieur [R] [O] ont saisi le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc d'une demande en partage judiciaire.
Monsieur [J] a été désigné par le juge de la mise en état comme expert afin d'évaluer les biens dépendant des successions et les fermages des terres indivises exploitées par Monsieur [B] [O].
Par jugement du 1er octobre 2012, le tribunal a:
- ordonné l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la communauté ayant existé entre Monsieur [L] [O] et Madame [V] [Y],
- ordonné l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage des successions de Monsieur [L] [O] et Madame [V] [Y],
- désigné le président de la chambre des notaires des Côtes-d'Armor, avec faculté de délégation, sauf à Maître [I], notaire, pour y procéder et un juge pour les surveiller,
- dit que pour les opérations de comptes, liquidation et partage, il ya lieu de retenir pour les biens indivis situés à [Localité 6] les valeurs suivantes:
- partie indivise de la maison située au nord de la parcelle YC n° [Cadastre 2]: 17 500 €,
- petite maison située au sud de la parcelle YC n° [Cadastre 2]: 25 000 €,
- parcelles cadastrées ZV n° [Cadastre 3] et ZV n° [Cadastre 5]: 33 200 €,
- parcelle cadastrée ZY n° [Cadastre 1]: 240 €,
- parcelles cadastrées YC n° [Cadastre 2] et YC n° [Cadastre 4]: 7 500 €,
- rejeté les moyens d'irrecevabilité des autres demandes formées contre lui soulevés par Monsieur [B] [O],
- fixé à 85 000 € la valeur du bien immobilier reçu en donation par Monsieur [B] [O] à réintégrer à la masse successorale pour le calcul de la quotité disponible et la fixation, le cas échéant, d'une indemnité de réduction pour excès,
- dit que Monsieur [B] [O] doit rapporter:
- à la succession de Madame [V] [Y], la somme de 9 070 € au titre des dons reçus des mains de celle-ci entre 1996 et 2006, outre les intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,
- aux successions conjointes de Monsieur [L] [O] et Madame [V] [Y], la somme de 20 860 € au titre de la valeur du cheptel reçu de ses parents exploitants agricoles lors de la reprise de l'exploitation, outre les intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,
- aux successions conjointes de Monsieur [L] [O] et Madame [V] [Y], la somme de 34 636,88 €, outre les intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,
- à la succession de Madame [V] [Y], la somme de 450,16 € au titre de sommes qu'il a reçues de la société Smatis,
- débouté les consorts [O] de leur demande tendant à priver Monsieur [B] [O] de tous droits sur les sommes ainsi rapportées à l'actif successoral sur le fondement de l'article 778 du Code civil,
- débouté Madame [P] [U] et Monsieur [R] [O] de leurs demandes respectives de salaires différés,
- débouté plus généralement les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- dit qu'il sera fait masse dépens, en ce compris les frais d'expertise, et que chacun des co-héritiers partie à la procédure supportera 1/6ème de leur coût.
Monsieur [B] [O] a interjeté appel de ce jugement le 15 janvier 2013.
Par dernières conclusions du 12 avril 2013 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, il demande à la cour:
- de confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné l'ouverture des opérations de compte liquidation partage de la communauté et des successions de Monsieur [L] [O] et Madame [V] [Y], et rejeté la demande de rapport à succession de la somme de 4.039,90 €, la demande formée sur le fondement de l'article 778 du Code civil et les demandes de salaires différés,
- de le réformer pour le surplus,
- de dire que la valeur de l'immeuble qu'il a reçu en donation ne saurait excéder la somme de 65 000 €,
- de dire n'y avoir lieu à rapport de la somme de 9 070 €,
- de dire n'y avoir lieu à paiement de fermages,
- de dire en tout état de cause que le montant des fermages dont il devrait, le cas échéant, rapport est de 9 545,15 € pour la période 1979-1992 et de 17 108,25 € pour la période 1993-2007,
- de dire le surplus des demandes mal fondé et les rejeter,
- de condamner les consorts [O] à lui payer une indemnité de 3 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- de les condamner aux entiers dépens.
Par dernières conclusions du 15 octobre 2013 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, Madame [V] [S], Madame [D] [M], Madame [P] [U] et Monsieur [R] [O] demandent à la cour:
- de réformer partiellement le jugement,
- à titre principal, de dire que Monsieur [B] [O] devra rapporter à la succession de ses parents les retraits qu'il a effectués sur le compte de ceux-ci et qui lui ont profité à hauteur d'une somme de 4 039,90 €, avec intérêts au taux légal à compter de la décision,
- de dire que Monsieur [B] [O] devra être privé de tout droit sur ces nouveaux éléments d'actif successoral,
- de dire que Madame [P] [U] est bien fondée à faire valoir une créance de salaire différé à hauteur de 19 311 €,
- de dire que Monsieur [R] [O] est bien fondé également à faire valoir une créance de salaire différé à hauteur de 14 034,00 €,
- de dire que ces deux sommes seront inscrites au passif de la succession pour moitié de chacun de leurs parents,
- à titre subsidiaire, d'ordonner un complément d'expertise confié à Monsieur [J] relatif à la valorisation de l'avantage indirect reçu au titre du fermage non payé,
- à titre plus subsidiaire, de dire en toute hypothèse que pour la période de 1979 à 1992, il devrait être considéré le cas échéant que Monsieur [B] [O] a reçu un avantage complémentaire en se voyant consentir un bail pour 40 quintaux là où selon l'expert il aurait dû l'être pour 50 quintaux, qu'il devra rapporter et qui devra être quantifié par le notaire désigné,
- de dire que pour chacun de ces avantages, il devra être fait application des règles de recel et que Monsieur [B] [O] devra être privé de tout droit sur les sommes à rapporter,
- de confirmer le jugement en ses autres dispositions,
- de condamner Monsieur [B] [O] à leur payer une somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- de le condamner aux entiers dépens, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.
Monsieur [X] [O], auquel la déclaration d'appel et l'assignation à comparaître devant la cour ont été régulièrement signifiées le 6 mai 2013, n'a pas constitué avocat.
La clôture de l'instruction de l'affaire a été prononcée le 4 février 2014.
Par conclusions de procédure du 7 février 2014, les consorts [O] demandent à la cour de constater le caractère tardif de la communication par Monsieur [B] [O] de ses pièces 39 à 49 et en conséquence de rejeter celles-ci des débats.
MOTIFS DE LA DÉCISION DE LA COUR:
1/: Sur la procédure:
L'article 15 du Code de procédure civile oblige les parties à se faire connaître mutuellement en temps utile les éléments de preuve qu'elles produisent.
La communication par Monsieur [B] [O] de onze pièces nouvelles, numérotées 39 à 49 et comprenant notamment des documents comptables, vingt et un échéanciers EDF, neuf factures EDF et des attestations, expédiées le jeudi 30 janvier 2014 par voie postale aux intimés qui indiquent les avoir reçues le lundi 3 février 2014, alors que la clôture était prévue pour le mardi 4 février 2014 ainsi que les parties en avaient été avisées le 15 octobre 2013, n'a pas été faite en temps utile pour permettre à ceux-ci de discuter lesdites pièces.
Ces pièces seront écartées des débats.
2/: Au fond:
L'appel étant général, ne sont cependant discutées devant la cour que les dispositions du jugement relatives:
- à la donation hors part successorale,
- au rapport des avantages indirects et dons manuels,
- au point de départ des intérêts des sommes rapportables,
- au recel successoral,
- aux créances de salaires différés.
Les autres dispositions du jugement, non critiquées, seront confirmées.
A/: Sur la donation hors part successorale et avec dispense de rapport:
Ainsi que l'a dit le tribunal, les biens donnés le 28 juillet 1986 à Monsieur [B] [O] par son père, Monsieur [L] [O], hors part successorale et avec dispense de rapport à la succession, à savoir un ensemble de bâtiments avec parcelle de terre attenante à Plémy, lieudit '[Localité 5]', doivent, en vertu des articles 843, 844, 919, 919-2, 920 et 922 du Code civil, être fictivement réunis à la masse des biens existant au décès du donateur afin de déterminer la quotité disponible à laquelle elle sera, le cas échéant, réduite.
Selon l'article 922, ces biens doivent être évalués, d'après l'état qui était le leur au jour de la donation, au jour du décès du donateur, soit le [Date décès 2] 1996.
L'expert commis a, dans son rapport du 14 juin 2010, décrit les biens objets de la donation comme étant une maison d'habitation, en état d'habitabilité sommaire en 1986, avec appentis, soues à porcs, étable, hangar et parcelle en nature de terre sous pâture, le tout pour 96 a 21 ca; l'expert propose une estimation de l'ensemble à 85 000 €.
Monsieur [B] [O], qui prétend celle-ci excessive compte tenu de la localisation des biens à proximité d'une voie routière particulièrement fréquentée et bruyante, ce que l'expert avait pris en considération, ne propose aucun autre élément d'évaluation.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu la valeur suggérée par l'expert.
B/: Sur le rapport des avantages et donations:
a): Sur le rapport:
Comme rappelé précédemment, tout héritier doit, en application de l'article 843 du Code civil, rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement.
Monsieur [B] [O] soutient de manière préalable et générale que s'il a pu bénéficier de quelques avantages que ce soit, ceux-ci trouvaient en toute hypothèse leur cause dans la contrepartie de l'assistance qu'il a apportée à sa mère, Madame [V] [Y], postérieurement au décès de son père en juillet 1996, de sorte qu'ils étaient dépourvus de l'intention libérale caractérisant les donations sujettes au rapport.
Le tribunal a à juste titre tiré des pièces produites - témoignages qui, même non conformes aux prescriptions de l'article 202 du Code de procédure civile, ne sont pas dépourvus de pertinence, et certificats médicaux -, que Madame [V] [Y] a subi, à compter de juillet 1998 alors qu'elle était âgée de près de quatre vingts ans, plusieurs accidents vasculaires cérébraux invalidants et que depuis, son fils [B] et sa belle-fille ont assuré auprès d'elle une présence effective et permanente qui a manifestement permis en particulier son maintien à domicile jusqu'au mois de mai 2006.
Mais il a, également à juste titre, considéré qu'en toute hypothèse, aucune forme de rétribution d'une quelconque assistance antérieurement à juillet 1998 n'apparaissant avoir été convenue entre la mère et le fils, les sommes et prestations en nature dont le rapport est demandé ne sauraient trouver leur cause dans cette assistance avant cette date.
S'agissant de la période ayant couru depuis ce moment jusqu'au décès de Madame [V] [Y], il y aura lieu d'apprécier s'il y a eu de la part de celle-ci rétribution effective pour une assistance ayant excédé ce qu'exigeait la piété filiale, étant observé de ce point de vue que Monsieur [B] [O] résidait alors, avec sa famille, dans le bien dont il était nu-propriétaire, avec sa mère qui en avait conservé l'usufruit.
Avantages indirects:
- Le cheptel vif et mort:
Il est établi par attestations que lorsque Monsieur [L] [O] a cessé son activité d'exploitant agricole en 1979, il possédait des engins agricoles et un troupeau d'une douzaine de vaches.
L'expert a quant à lui conclu des pièces qui lui avaient été soumises, et en particulier du dossier de l'exploitant - résultats de l'exercice 1978, qu'au moment de l'installation de Monsieur [B] [O], son père disposait d'au moins quinze vaches de race normande et d'une quarantaine de porcs, rien n'indiquant alors la vente ou le transfert de ces bêtes, ainsi que d'un tracteur Avto, de deux remorques, et de matériels divers, qu'il a estimés pour le tout, eu égard au prix du marché, à 17 860 € pour le cheptel vif et 3 000 € pour le cheptel mort, soit un total de 20 860 €.
Ces observations n'excluent nullement que Monsieur [B] [O] ait pu par la suite acheter lui-même animaux et matériels ainsi qu'il en justifie.
Et celui-ci n'établit pas de modifications de la consistance de ces biens professionnels entre l'exercice 1998 et le moment où, en 1999, il a repris l'exploitation, le seul fait que ses parents aient pu par la suite s'offrir des loisirs ne démontrant pas les ventes d'animaux qu'il allègue dès lors que ces loisirs n'étaient pas incompatibles avec leurs capacités financières.
Il est ainsi acquis que Monsieur [B] [O] a alors bénéficié de biens dépendant de la succession de ses parents, bénéfice qui ne pouvait à ce moment trouver sa cause dans l'assistance à sa mère dont il a été fait état précédemment.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a dit que Monsieur [B] [O] doit rapporter aux successions de ses parents la somme de 20 860 €.
- Le non paiement de fermages:
Il est constant que Monsieur [B] [O] n'a jamais payé en espèces, comme le prévoient les dispositions de l'article L. 411-12 du Code rural et de la pêche maritime, les fermages dus au titre de l'exploitation de diverses parcelles de terres en vertu de baux que lui avaient consentis ses parents le 23 mars 1979 et le 30 juin 1992.
C'est par un courrier, en date du 16 octobre 2006, du notaire consulté par Monsieur [B] [O] en vue du règlement de la succession de Madame [V] [Y], que les frères et soeurs de celui-ci ont appris qu'il ne réglait pas, selon lui avec l'accord de leur mère, les fermages en contrepartie de l'assistance qu'il lui apportait.
Dès lors, la demande de paiement des fermages, de 1979 à 2007, formée par les consorts [O] dans l'assignation par laquelle ils ont saisi le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc, remise au greffe le 8 octobre 2008, n'était atteinte d'aucune prescription et le jugement sera confirmé en ce qu'il a écarté l'exception d'irrecevabilité soulevée par Monsieur [B] [O].
S'agissant du bien fondé de la demande, les considérations qui précèdent conduisent à écarter sans autre discussion toute notion de dispense de rapport au titre de l'assistance apportée à Madame [V] [Y] pour les fermages antérieurs à juillet 1998.
Monsieur [B] [O] fait d'autre part valoir que les dispositions légales précitées prévoyant le paiement en espèces ne sont pas d'ordre public et qu'il était précisément stipulé au bail rural du 30 juin 1992 que le paiement du fermage se ferait par tout moyen à la convenance du bailleur, ce qu'il aurait fait par le règlement de factures EDF et de taxes foncières.
Mais encore faudrait-il d'une part que Monsieur [O] justifie de ce que ses parents, puis sa mère à la suite du décès de son père, avaient souhaité que le paiement prenne une autre forme qu'en espèces, et d'autre part que ce paiement a eu lieu.
Or rien n'établit que les bailleurs ont voulu ni même accepté le règlement en nature, le seul fait qu'ils n'aient pas agi en paiement forcé contre leur fils ne suffisant pas à le démontrer.
Et alors que Monsieur [B] [O] soutient avoir, à ce titre, réglé des factures d'électricité et des taxes foncières entre 2006 et 2012, soit postérieurement au décès de ses parents, étant rappelé néanmoins que la donation du 28 juillet 1986 mettait à sa charge les impôts assis sur le bien donné, il s'avère que les règlements à EDF dont il fait état étaient prélevés sur le compte dont était titulaire son père.
Monsieur [B] [O] ne démontre ainsi pas avoir payé de quelconque façon les fermages qu'il devait.
L'expert a, conformément à la mission qu'il avait reçue, évalué ceux-ci à une somme de 22 412,56 € pour la période du 1er juillet 1992 au 30 décembre 2007, au regard des dispositions du bail rural du 30 juin 1992; ce montant résultant de l'expertise judiciaire sera retenu plutôt que celui de 17 108,25 € avancé par Monsieur [B] [O] suivant un avis rendu à sa demande, en dehors de tout débat contradictoire, par un agent de la chambre d'agriculture des Côtes-d'Armor.
Pour la période du 1er janvier 1979 au 30 juin 1992, l'expert, auquel Monsieur [B] [O] n'avait pas cru devoir soumettre le bail en date du 23 mars 1979, a proposé une valeur de 12 224,32 € sur la base d'une production de cinquante quintaux de blé, alors qu'il ressort du bail que la valeur locative retenue était de quarante quintaux.
Le montant des fermages dus après redressement de la valeur locative est de 9 779,46 €, somme proche de l'évaluation à 9 545,15 € suggérée par la chambre d'agriculture.
Le montant de l'avantage dont a ainsi bénéficié Monsieur [B] [O] sera fixé, sans qu'il soit besoin de compléter la mesure d'expertise, à:
22 412,56 € + 9 779,46 € = 32 192,02 €.
La cour ne considère pas qu'un tel avantage, représentant une moyenne annuelle de plus de 4 000 € entre juillet 1998 et septembre 2006, puisse s'analyser en la juste contrepartie de l'assistance apportée par Monsieur [B] [O] à sa mère.
Cet avantage indirect est en conséquence rapportable, pour ce montant, aux successions et le jugement sera infirmé en ce sens.
Dons manuels:
Il est constant que Monsieur [B] [O] s'est vu remettre, en tous cas entre février 1997 et décembre 2000, des chèques tirés sur les comptes de ses parents ou de sa mère, pour un montant total de 9 070 €.
Il explique lui-même que ces remises d'argent constituaient pour certaines des libéralités consenties en sa faveur ou celle de ses enfants; il ne justifie pas de cette dernière assertion alors au contraire qu'il est établi que Madame [V] [Y] a établi des chèques au nom de ses petits-enfants.
Il n'établit pas non plus, la note qu'il a lui-même rédigée à l'intention de son avocat n'étant pas probante de ce point de vue, qu'elles correspondaient, pour d'autres, à des remboursements de dépenses faites par lui pour le compte de sa mère comme il le prétend.
Il sera donc considéré qu'il s'agit bien de libéralités rapportables pour la totalité du montant de 9 070 €; pas davantage, il n'y a lieu de considérer que cette somme, en moyenne près de 200 € par mois sur la période, trouve sa cause dans une aide apportée au delà de ce que pouvait représenter une légitime assistance à sa mère dans le cadre d'une cohabitation avec cette dernière.
S'agissant d'une somme de 4 039,90 € correspondant à des retraits opérés sur le compte dont Madame [V] [Y] était titulaire à La Poste, le jugement sera également confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de rapport au juste motif qu'il n'était pas démontré que lesdits retraits ont été effectués par Monsieur [B] [O], alors que Madame [V] [Y] n'était ni matériellement ni juridiquement dans l'incapacité d'y procéder elle-même.
b): Sur le point de départ des intérêts des sommes rapportées:
Il doit être fixé, conformément aux dispositions de l'article 856 alinéa 2 du Code civil, au jour où le montant du rapport est déterminé, soit en l'espèce au jour de l'arrêt.
C/: Sur le recel successoral:
Les peines du recel successoral ne peuvent être prononcées qu'autant que sont caractérisés d'une part des faits positifs imputables à l'héritier et l'intention frauduleuse de celui-ci de soustraire des biens successoraux au partage.
Tel n'est pas le cas de Monsieur [B] [O] qui a spontanément indiqué au notaire le fait qu'il n'avait pas réglé les fermages en espèces, ce qui a précisément permis à ses copartageants d'en réclamer le rapport, et dont rien ne permet de considérer qu'il a reçu de l'argent autrement qu'au moyen de chèques.
D/: Sur les créances de salaires différés:
Madame [P] [U] et Monsieur [R] [O] invoquent des créances à ce titre, sur le fondement des dispositions de l'article L. 321-13 du Code rural et de la pêche maritime, pour avoir travaillé au delà de leurs dix huit ans, la première du 25 novembre 1960 au 1er septembre 1962, le second du 11 décembre 1965 au 30 avril 1967, sur l'exploitation de leurs parents sans avoir reçu de salaires en argent.
Ils en rapportent la preuve, non par la déclaration faite par eux à la Mutualité sociale agricole, qui ne saurait suffire, mais par les attestations de plusieurs voisins, corroborées par celles de leurs propres soeurs, Madame [V] [S] et Madame [D] [M] qui, comme ils le font observer, n'ont pas d'intérêt personnel à soutenir leur demande puisque l'accueil de celle-ci tend nécessairement à diminuer la masse partageable entre eux, et dont il ressort que Madame [P] [U] a continué de travailler à la ferme jusqu'à son mariage, et Monsieur [R] [O] jusqu'à son départ au service militaire, le 1er mai 1967, et ce sans être rémunérés.
Il appartiendra au notaire commis pour procéder aux opérations de comptes, liquidation et partage de déterminer le montant des créances ainsi détenues sur les successions par Madame [P] [U] et Monsieur [R] [O], selon les critères d'âge et de rémunération fixés par les dispositions légales susvisées, et d'inscrire ces créances pour moitié au passif de la succession de chacun de leurs parents.
3/: Sur les frais et dépens:
Il n'y a pas lieu à condamnation à indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Monsieur [B] [O] sera condamné aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.
PAR CES MOTIFS:
La cour,
Après rapport fait à l'audience;
Ecarte des débats les pièces communiquées par Monsieur [B] [O] le 30 janvier 2014 sous les numéros 39 à 49;
Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a:
- fixé à la somme de 34 636,88 € le montant de la somme que Monsieur [B] [O] doit rapporter aux successions conjointes de Monsieur [L] [O] et Madame [V] [Y] au titre des fermages,
- débouté Madame [P] [U] et Monsieur [R] [O] de leurs demandes respectives de salaires différés,
dispositions qui sont infirmées;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés:
Dit que Monsieur [B] [O] doit rapporter aux successions conjointes de Monsieur [L] [O] et Madame [V] [Y], au titre de l'avantage indirect représenté par des fermages non payés, la somme de 32 192,02 €, outre les intérêts au taux légal à compter du présent arrêt;
Dit que Madame [P] [U] et Monsieur [R] [O] ont une créance de salaires différés sur les successions conjointes de Monsieur [L] [O] et Madame [V] [Y];
Dit qu'il appartiendra au notaire commis pour procéder aux opérations de comptes, liquidation et partage, de déterminer le montant de ces créances selon les critères fixés par l'article L. 321-13 du Code rural et de la pêche maritime, et de les inscrire pour moitié au passif de la succession de chacun des parents des créanciers;
Rejette toute autre demande;
Condamne Monsieur [B] [O] aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT