COUR D'APPEL DE RENNES ARRÊT DU 29 OCTOBRE 2013
6ème Chambre B
ARRÊT No 751 R. G : 13/ 00748
M. Patrick X...
C/
Mme Valentine Y... veuve X... M. Thierry X...
Copie exécutoire délivrée le : à :
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ : Monsieur Maurice LACHAL, Président, Monsieur Pierre FONTAINE, Conseiller, Mme Françoise ROQUES, Conseiller, magistrats délégués à la protection des majeurs,
GREFFIER : Madame Catherine DEAN, lors des débats, et Madame Huguette NEVEU, lors du prononcé,
MINISTERE PUBLIC : Monsieur Olivier BONHOMME, Substitut Général, lequel a pris des réquisitions
DÉBATS : En chambre du Conseil du 17 Septembre 2013 devant Mme Françoise ROQUES, magistrat délégué à la protection des majeurs, tenant seul l'audience, sans opposition des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT : Contradictoire, prononcé hors la présence du public le 29 Octobre 2013 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats.
ENTRE
APPELANT :
Monsieur Patrick X...... 29340 RIEC SUR BELON comparant assisté de M. Jean-Philippe LARMIER, avocat,
ET :
Monsieur Thierry X...... 29910 TREGUNC non comparant représenté par Me Anne GUILLERME, avocat
Majeure protégée : Madame Valentine Y... veuve X...... 29910 TREGUNC
Selon décision en date du 22 novembre 2012, le juge des tutelles du tribunal d'instance de Quimper a dit n'y avoir lieu à mesure de protection à l'égard de Mme Valentine Y... veuve X... née en 1941.
Selon déclaration au greffe en date du 13 décembre 2012, M. Patrick X..., requérant à la mise en place d'une mesure de tutelle en faveur de sa mère, a relevé appel de ladite décision qui lui a été notifiée le 29 novembre 2012.
A l'audience du 17 septembre 2013, M. Patrick X..., comparant en personne, a sollicité la révocation du mandat de protection future actuellement en ¿ uvre.
Il a fait valoir que le mandat avait été signé par sa mère dans des conditions suspectes. Il a exprimé de la méfiance vis-à-vis de son frère cadet Thierry désigné mandataire au motif que ce dernier entretenait au fil du temps une relation exclusive avec leur mère en faisant en sorte de l'éloigner de lui.
Il a dénoncé une confusion entre les comptes de sa mère et de son frère au regard des relevés bancaires auxquels il avait eu accès pour une période limitée de janvier à octobre 2011 (retraits d'espèces, achats de carburant alors que Mme X... ne dispose d'aucun véhicule automobile et ne peut pas se déplacer) et en raison de l'attitude de son frère vis-à-vis de ses propres filles nées d'un premier mariage (utilisation à son profit de l'épargne des jeunes majeures).
Il a conclu que l'institution du mandat de protection future avait été dévoyée dans des conditions imposant désormais l'ouverture d'une mesure de tutelle confiée à un tiers professionnel.
M. Thierry X... ne s'est pas présenté et a produit un certificat médical contre-indiquant pour lui un long déplacement en voiture. Son avocat a soutenu qu'en acceptant le mandat mis en oeuvre régulièrement le 16 mai 2012, il respectait la volonté claire de leur mère de voir écarter Patrick de la gestion de ses affaires et de sa personne en cas d'incapacité.
Il a exposé que le notaire de famille de ses parents s'était déplacé à domicile sur demande de leur mère qui craignait l'agressivité de son fils aîné Patrick.
Il a contesté les détournements d'argent reprochés, faisant observer que les retraits d'espèces avaient été effectués pour le seul usage de leur mère qui ne pouvait plus se déplacer et que les acquisitions de carburant étaient justifiées au regard des nombreux trajets aller et retour de son domicile à celui de leur mère.
Il a conclu à la confirmation du jugement entrepris en raison de la subsidiarité de la mesure de tutelle par rapport à une mesure de protection conventionnelle et a sollicité la condamnation de l'appelant à lui verser la somme de 1500 ¿ sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le ministère public a été avisé de l'audience.
M. Thierry X... a adressé en cours de délibéré et à la demande de la cour, des pièces comptables sur sa gestion. L'appelant a dénoncé des mouvements sur des comptes épargne en particulier un rachat de 50 000 ¿ sur le compte épargne CMB Prévi retraite au cours de l'exercice 2012.
MOTIFS DE LA DECISION
L'appel de M. Patrick X... interjeté dans les formes et délai de la loi est recevable.
Sur le non lieu à tutelle :
En l'espèce le requérant a produit un certificat médical d'un médecin inscrit en date du 28 juin 2012 mentionnant que Mme Y... veuve X... présentait une maladie de Parkinson dans la dernière phase évolutive de la maladie pour laquelle le traitement n'était plus efficace, et aux gros problèmes moteurs s'ajoutaient des troubles cognitifs.
A l'occasion de l'instruction de la demande de tutelle, il a appris que son frère avait mis en oeuvre le mandat de protection que lui avait consenti leur mère et dont il en ignorait l'existence, après production d'un certificat médical en date du 2 mai 2012 d'un autre médecin inscrit décrivant une maladie de Parkinson évoluant depuis 12 ans marquée par des hallucinations, une composante dépressive et caractérisée par une atteinte importante des fonctions exécutives et de l'attention.
Le premier juge a conclu que le champ d'application du mandat tel que rédigé permettait de protéger suffisamment les intérêts personnels et patrimoniaux de Mme Y... veuve X... et qu'il n'était pas démontré l'existence de détournements de la part de M. Thierry X..., les comptes devant par ailleurs être vérifiés par le notaire dans le cadre du mandat de protection future.
Il résulte des articles 425 et 428 du Code civil qu'une mesure de protection juridique ne peut être décidée à l'égard d'une personne majeure qu'en cas de nécessité (lorsque celle-ci est dans l'impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d'une altération médicalement constatée) et lorsqu'il ne peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par l'application des règles de droit commun de la représentation ou par le mandat de protection future conclu par l'intéressée.
La mesure doit être proportionnée et individualisée en fonction du degré d'altération des facultés personnelles de l'intéressée.
Le juge des tutelles peut mettre fin au mandat en le révoquant et ce dans le cadre de diverses hypothèses. Ainsi l'article 483, 4o du code civil prévoit que le mandat mis à exécution prend fin par sa révocation prononcée par le juge des tutelles " à la demande de tout intéressé, lorsque l'exécution du mandat est de nature à porter atteinte aux intérêts du mandant ".
Le juge peut aussi compléter ou substituer une mesure de protection judiciaire en application de l'article 485 du Code civil : " lorsque la mise en ¿ uvre du mandat ne permet pas, en raison de son champ d'application, de protéger suffisamment les intérêts personnels ou patrimoniaux de la personne, le juge peut ouvrir une mesure de protection juridique complémentaire confiée, le cas échéant, au mandataire de protection future.
Il peut aussi autoriser ce dernier ou un mandataire ad hoc à accomplir un ou plusieurs actes déterminés non couverts par le mandat ".
La cour relève que l'établissement et la mise en ¿ uvre du mandat notarié consenti par Mme Y... veuve X... à son fils cadet ne sont pas sérieusement contestées par le requérant qui se contente de déplorer les circonstances dans lesquelles l'acte a été passé par le notaire de famille le 24 décembre 2010, sans qu'il en ait été avisé (à domicile et le jour du décès de l'époux de la contractante).
En revanche les conditions et les modalités d'exécution du mandat notarié mettent en évidence que ce dispositif, comparable à la tutelle en tant que mandat de représentation (art 477 du code civil) ne protègent pas suffisamment les intérêts patrimoniaux de Mme Y... veuve X....
En effet, ce mandat notarié donne pouvoir au mandataire en vertu de l'article 490 du code civil d'accomplir seul tous les actes patrimoniaux (à l'exclusion de l'acte de disposition à titre gratuit ou ceux visés par les articles 426 et 427 du code civil) que le tuteur a le pouvoir d'accomplir seul ou avec une autorisation du juge.
Or il est constant que le budget de Mme Y... veuve X... est largement déficitaire. M. Patrick X... a soutenu que le maintien de leur mère à son domicile avait un coût exorbitant et que son budget était déficitaire de l'ordre de 3 000 ¿/ mois.
Même si M. Thierry X... justifie avoir fait procéder à l'inventaire des biens de leur mère et avoir acquitté des frais d'aides à domicile pour un montant de 31 162 ¿ en 2012, il apporte peu d'explication sur le budget et le financement du déficit alors qu'il existe au minimum une méfiance au sein de la fratrie.
En considération de ces éléments et au regard du contexte familial, la mesure de mandat de protection future s'avère insuffisante pour assurer la protection de la personne à protéger.
Il convient donc de mettre fin au mandat de protection future qui a pris effet le 16 mai 2012 et de prononcer en faveur de Mme Y... veuve X... une mesure de tutelle avec maintien du droit de vote.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur le choix du tuteur :
Il y a de rappeler qu'aux termes des dispositions de l'article 449 du Code civil, et à défaut de désignation faite en application de l'article 448 du Code civil, le juge nomme comme tuteur un parent, un allié ou une personne résidant avec le majeur protégé ou entretenant avec lui des liens étroits et stables. Le juge prend en considération les sentiments exprimés par celui-ci, ses relations habituelles, l'intérêt porté à son égard et les recommandations éventuelles de ses parents, ainsi que de son entourage.
Ce n'est que lorsqu'aucun membre de la famille ou aucun proche ne peut assumer la tutelle que le juge, selon les dispositions de l'article 450 du Code civil désigne un mandataire judiciaire à la protection des majeurs.
En l'espèce, en l'absence de vacance familiale et au regard de la seule candidature de M. Thierry X..., dont il n'est pas établi qu'il a failli à sa mission de mandataire, il y a lieu de désigner ce dernier en qualité de tuteur.
Le jugement sera complété de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour, après rapport fait à l'audience,
Infirme le jugement rendu le 22 novembre 2012 par le juge des tutelles du tribunal d'instance de Quimper ;
Statuant à nouveau :
Révoque le mandat de protection future consenti le 24 décembre 2010 et qui a pris effet le 16 mai 2012 ;
Place Mme Valentine Y... veuve X... née le 8 novembre 1941 sous tutelle et fixe la durée de la mesure à 60 mois ;
Maintient son droit de vote ;
Désigne M. Thierry X..., son fils, demeurant... 29910 Tregunc, en qualité de tuteur ;
Rappelle que le tuteur devra dans les trois mois de la présente décision faire procéder à un inventaire des biens de la personne protégée, en assurer l'actualisation en cours de mesure, conformément aux dispositions des articles 503 du code civil et 1253 du code de procédure civile ;
Ordonne que les comptes prévus par l'article 510 du Code civil devront être arrêtés le 31 décembre de chaque année et adressés au plus tard le 31 mars de l'année suivante au greffier en chef du tribunal d'instance, conformément aux dispositions de l'article 511 du Code civil ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT.