Chambre del'Expropriation
ARRÊT N° 21
R.G : 11/02600
M. [E] [E]
C/
Société TERRITOIRES SA
Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 22 JUIN 2012
Arrêt prononcé le 22 Juin 2012 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
par Madame JEORGER-LE GAC, Président nommé pour trois ans par Ordonnance de Monsieur Le Premier Président
En présence de Madame FOUVILLE, faisant fonction de Greffier
La cause ayant été débattue à l'audience publique du 27 Avril 2012
En présence de :
- Monsieur le Commissaire du Gouvernement d' Ille et Vilaine
- Madame FOUVILLE, faisant fonction de Greffier
DEVANT :
- Madame JEORGER-LE GAC, Président
- Madame [Y], Juge de l'Expropriation du Département de Loire-Atlantique
- Madame [I], Juge de l'Expropriation du Département des Côtes d'Armor
ces deux derniers désignés conformément aux dispositions des articles R 13-1 et suivants du Code de l'Expropriation.
QUI EN ONT DÉLIBÉRÉ
****
LA COUR statuant dans la cause entre :
Monsieur [E] [E]
[Adresse 12]
[Localité 15]
Représenté par Madame [B] [B], sa concubine, suivant pouvoir en date du 27 Avril 2012
APPELANT d'un jugement rendu le 04 MARS 2011 par le Juge de l'Expropriation du Département d' Ille et Vilaine
ET :
Société TERRITOIRES SA
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 16]
Rep/assistant : Me Jean-Paul MARTIN (avocat au barreau de RENNES)
INTIMEE
*************************
Dans le cadre de l'aménagement de la ZAC dite '[Adresse 14]' sur la commune d'[Localité 15], la SA TERRITOIRES poursuit par voie d'expropriation l'acquisition de la parcelle ZI [Cadastre 5] d'une contenance de 58.260 mètres carrés.
Par jugement du 04 Mars 2011, le juge de l'expropriation d'Ille et Vilaine a fixé aux sommes suivantes les indemnités devant revenir à Monsieur [E]:
- indemnité principale: 239.617,60 euros,
- indemnité de remploi: 24.961,76 euros,
La société TERRITOIRES a été condamnée à payer à Monsieur [E] la somme de 1.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux dépens.
*********
Par déclaration postée par courrier recommandé le 14 Avril 2011 et reçue le 15 Avril 2011 au greffe de la Cour, Monsieur [E] a fait appel de ce jugement.
L'appelant a déposé son mémoire d'appel le 14 Juin 2011 et l'a complété par un mémoire du 10 Avril 2012.
Ceux-ci ont été notifiés par le greffe le 20 Juin 2011 pour le premier et le 12 Avril 2012 pour le second.
La société TERRITOIRES a déposé son mémoire en réponse, valant appel incident, le 08 Juillet 2001.
Le Commissaire du Gouvernement a adressé ses conclusions le 08 Juillet 2011.
Les parties ont été convoquées à l'audience de plaidoirie du 27 Avril 2012.
Les appels sont recevables et la procédure régulière.
POSITION DES PARTIES:
Monsieur [E], aux termes de ses mémoires, sollicite que la Cour:
- infirme le jugement déféré,
- déboute la société TERRITOIRES de ses prétentions,
- la condamne à lui payer:
- à titre d'indemnité principale, la somme de 1.573.020 euros,
- à titre d'indemnité de remploi la somme de 158.302 euros,
- à titre d'indemnité accessoire pour perte de valeur des arbres la somme de 159.000 euros,
- sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile la somme de 1.500 euros,
- condamne la société TERRITOIRES aux dépens.
La société TERRITOIRES, aux termes de son mémoire, demande que la Cour:
- déboute Monsieur [E] de ses demandes,
- fasse droit à son appel incident et infirme le jugement,
- fixe comme suit les indemnités dues à Monsieur [E]:
- indemnité principale: 202.406,40 euros,
- indemnité de remploi: 21.240,64 euros,
- indemnité pour perte d'arbres: 4.320 euros,
- condamne Monsieur [E] au paiement de la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- le condamne aux dépens d'appel.
Le Commissaire du Gouvernement a conclu à la confirmation du jugement déféré.
MOTIFS DE LA DECISION:
DESCRIPTION DU BIEN:
La parcelle ZI [Cadastre 5] a une surface de 58.260 m². Elle est située au Sud de la ZAC, bordée au Nord par le ruisseau de [Localité 11] et au Sud par la RD 39 conduisant de [Localité 9] à [Localité 8]; elle est en nature de terre agricole, comprend de nombreux arbres, dont certains de haute tige, ainsi qu'une source.
DATE DE REFERENCE ET QUALIFICATION DES PARCELLES:
Les parties ainsi que le Commissaire du Gouvernement s'accordent sur les dates de référence devant être retenues soit:
pour la partie de la parcelle (28.219 m²) incluse dans le périmètre d'exercice du droit de préemption urbain, la date du 11 Octobre 2009, soit celle où a été rendu opposable aux tiers la dernière modification du PLU d'[Localité 15],
pour la partie exclue de ce périmètre (30.041 m²), celle du 22 Juin 2008, soit une année avant le début de l'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique.
Il résulte de l'application de ces dates de références que le zonage de la parcelle se décompose alors comme suit:
zone 1AUDo: 28.219 m² et 18.295 m² soit un total de 46.514 m²; la zone 1AUDo est une zone ouverte à l'urbanisation sous réserve qu'elle s'effectue en une seule opération d'ensemble portant au minimum sur 90% de l'emprise de l'ensemble des secteurs; en l'attente, seuls sont admis les extensions et aménagements de construction existants
zone N: 11.746 m²; la zone N est une zone d'espace naturel au sein de laquelle ne sont autorisées que certaines constructions très strictement réglementées.
Monsieur [E], dans son mémoire, fait toutefois valoir que le PLU d'[Localité 15], modifié à de très nombreuses reprises ces dernières années (2003, 2004, 2005 et 2006) a étendu progressivement le zonage N pour y inclure une partie de plus en plus importante de la parcelle ZI [Cadastre 5], et estime que de ce fait, l'intention dolosive serait établie, cette extension ayant selon lui pour seul objet la fixation d'une indemnité moindre pour cette partie de parcelle.
Au regard des pièces numéro 33 et 34 versées aux débats par Monsieur [E], il apparaît toutefois que si lors du projet de 2006 (qui a été annulé), il était prévu la construction d'immeuble sur la partie de la parcelle située en zone N, tel n'est plus le cas pour le projet de 2009, soit celui pour lequel la présente procédure est initiée: la partie de la parcelle située en zone N restera non construite, et gardera sa vocation d'espace naturel et plus particulièrement de zone humide, en devenant un parc, qui sera inséré dans les parties urbanisées.
Il en résulte l'absence de fraude aux droits de Monsieur [E], l'usage allant être fait par l'exproprié de la partie de parcelle située en zone N étant conforme à son zonage.
D'autre part, Monsieur [E] revendique la qualification de terrain à bâtir pour l'ensemble de sa parcelle, au motif qu'elle est desservie par une voie d'accès (la RD 39) et que l'étude d'impact de la [Adresse 18], réalisée en Mars 2009 sur le fondement des dispositions de l'article R122-8 du Code de l'Environnement, ferait état de l'existence de réseaux suffisants pour la desservir, d'une proximité immédiate à la parcelle.
L'examen de l'étude d'impact démontre toutefois qu'un renforcement du réseau d'eau potable est à prévoir, tandis que les plans versés aux débats par la société TERRITOIRES établissent que la parcelle n'est pas desservie en électricité basse tension non plus que par l'assainissement collectif, les réseaux déjà existants étant certes peu éloignés mais pas immédiatement proches de la parcelle.
Dès lors, la parcelle ZI [Cadastre 5] ne peut recevoir la qualification de terrain à bâtir, les conditions cumulatives posées par les dispositions de l'article L13-15 II a) n'étant pas réunies.
Elle devra donc être évaluée selon son usage de terre agricole.
En revanche, la situation privilégiée de la parcelle ne fait l'objet d'aucune contestation par l'expropriant et le Commissaire du Gouvernement: bordée par une route menant au centre de la commune d'[Localité 15], elle est très proche du centre bourg.
EVALUATION DU BIEN:
Partie de parcelle situées en zone N:
L'appelant ne fournit aucune référence de comparaison pouvant être considérée comme pertinente: sur [Localité 15] toutes concernent des terrains qualifiés dans l'acte de vente de « terrains à bâtir », c'est à dire qu'ils étaient immédiatement constructibles à la date de la vente.
D'autre part, la commune de [Localité 13], quoique proche, constitue un marché immobilier différent de celui d'[Localité 15], notamment en ce qu'elle ne fait pas partie de la communauté de [Localité 16]-METROPOLE et qu'en conséquence, elle décide de sa politique d'urbanisation sur des critères différents de ceux d'[Localité 15], qui, elle, fait partie de cette communauté.
L'intimé fournit quatre références de terrains situés à [Localité 15] en zone N, à un prix allant de 0,23 à 0,42 euros le mètre carré.
Toutefois, ainsi que l'indique le Commissaire du Gouvernement, ces ventes concernent des parcelles éloignées du bourg et situées dans des secteurs strictement agricoles; leur prix ne reflète donc pas la situation très privilégiée de la parcelle ZI [Cadastre 5], pour laquelle au demeurant, aucun prix du marché ne peut être fixé en l'absence de terme de comparaison.
Dès lors, la décision du premier juge de fixer la valeur des parcelles à 0,60 euros du mètre carré est confirmée, en ce qu'elle prend en compte le prix de la terre agricole sur la Commune d'[Localité 15] (0,40 euros le m²), tout en lui affectant un coefficient multiplicateur pour tenir compte de sa situation privilégiée.
Partie de parcelle située à en zone 1AUDo:
De même que pour les parcelles situées en zone N, les éléments de référence fournis par l'appelant ne sont pas pertinents, puisque sont évoquées des ventes de terrains immédiatement constructibles ou situées sur une autre commune, ou même des ventes de terrains à bâtir viabilisés.
L'expropriant fait état de nombreuses références (parcelles ZA [Cadastre 1], [Cadastre 2], [Cadastre 3], [Cadastre 4]) qui ont pour défaut de concerner des emplacements moins privilégiés et d'une nature différente des parcelles expropriées: en effet, si la proximité d'une voie rapide constitue un élément déterminant de la valeur d'une zone à usage commercial et industriel, cette circonstance ne peut se comparer à la situation des parcelles litigieuses, contiguës de la partie déjà urbanisée d'une petite ville proche de [Localité 16].
Il fait aussi état d'un certain nombre de ventes réalisées en 2007 au profit du syndicat de communes [Localité 15]/[Localité 17], au prix de 4 euros le mètre carré, pour des terrains situés en zone 2AUI et 2AUD; ces références sont acceptables dans la mesure où elles sont intervenues dans le cadre d'une zone d'activité mixte habitat et commerces se situant en continuité de bourg; leur situation n'est toutefois pas aussi privilégiée que celle de Monsieur [E], à proximité immédiate du centre bourg;
Peut aussi être retenue une vente [U]/TERRITOIRES, en date d'Avril 2008, pour une parcelle de 8.930 m², classée en zone 2AUD2o pour 6m² pour une partie formant jardin et 4,20 m² pour le solde.
Madame le Commissaire du Gouvernement propose pour sa part une référence de 2004: Commune d'[Localité 15]/[Localité 6], au prix de 5,34 euros le mètre, en précisant que la desserte par les réseaux était plus complète que pour la parcelle ZI [Cadastre 5] et le zonage un peu moins restrictif: 1NA de l'ancien POS, soit une zone destinée à l'urbanisation pouvant s'effectuer par opérations successives; aucune critique rationnelle de cette vente n'est avancée par Monsieur [E].
Peut aussi être retenue une vente [W]/[N] de 2007, située dans le même secteur, en zone 2AUD d'une surface de 9.560 m² pour un prix de 4,50 euros le mètre carré.
D'autres références n'apparaissent pas pertinentes, notamment car le prix envisagé par le Commissaire du Gouvernement ne prend pas en considération les dations de parcelles qui augmentent le prix réel au mètre carré payé par le vendeur, et que sont ignorées les circonstances spécifiques des ventes: terrain à bâtir pour l'un des actes, urgence pour l'autre, mentionnée à l'acte « afin d'éviter une procédure d'expropriation » et justifiant l'octroi ponctuel d'un prix plus élevé.
Il doit enfin être tenu compte de la date à laquelle la Cour se place pour fixer les évaluations, soit celle du jugement de première instance, donc à environ 5 années des ventes reconnues comme formant des références pertinentes, dans un contexte de hausse de prix.
Compte tenu de ces différents motifs, l'évaluation du premier juge, soit 5 euros le mètre carré, est confirmée.
Sur la demande d'indemnité complémentaire pour perte d'arbre et de source:
Cette demande est accessoire à la demande visant à la fixation de l'indemnité principale d'expropriation et est donc recevable devant la Cour.
Monsieur [E] exerce la profession d'agriculteur, et justifie par un constat d'huissier du 06 Juin 2011 que la parcelle ZI [Cadastre 5] possédait une source formant une mare dont il pouvait se servir pour ses bêtes. Il verse aux débats deux factures de forage et de création d'un puits, datées de Juin 2010, pour un montant total de 4.947,04 euros, qu'il a dû exposer afin de bénéficier d'un nouveau point d'eau. Ce préjudice étant directement lié à l'expropriation de la parcelle ZI [Cadastre 5], cette somme lui est allouée.
Le même constat d'huissier fait état de la présence de 57 chênes de haute futaie, de deux frênes, de 33 aulnes, de 75 saules, 6 peupliers, 1 noyer et 3 pommiers, pour lesquels Monsieur [E] demande une indemnité de 159.000 euros tandis que l'expropriant offre 4.320 euros.
La valeur d'arbres de haute futaie pouvant différer notablement d'un arbre à l'autre, y compris lorsqu'ils apparaissent semblables par leur espèce et leur taille, il appartenait à Monsieur [E] de fournir à la Cour toute pièce utile permettant de justifier arbre par arbre de la valeur très élevée de l'indemnité qu'il demande (2.000 euros par chêne), la production d'un seul acte de vente fixant une telle valeur pour 12 chênes étant à cet égard insuffisante.
Pour ce motif, l'offre de la société TERRITOIRE sera jugée satisfactoire.
Compte tenu de ce qui précède, les indemnités revenant à Monsieur [E] sont les suivantes:
indemnité principale:
46.514 m² x 5 euros = 232.570 euros
11.746 m² x 0,60 euros = 7.047,60 euros
sous total: 239.617,60 euros
indemnité de remploi:
20% sur 5.000 euros: 1.000 euros
15% sur 10.000 euros: 1.500 euros
10% sur 224.617,60 euros: 22.461,76 euros
sous-total: 24.961,76 euros
indemnités complémentaires:
perte de source: 4.947,06 euros
perte d'arbres: 4.320 euros,
sous-total: 9.267,06 euros.
Le total de l'indemnité devant revenir à Monsieur [E] s'élève par conséquent à la somme de 273.846,42 euros.
Sur les frais irrépétibles et les dépens:
Chaque partie succombant partiellement, elles garderont chacune à leur charge leurs propres frais irrépétibles et dépens d'appel.
DECISION:
PAR CES MOTIFS,
La Cour, après rapport à l'audience:
Confirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions.
Y ajoutant:
Condamne la société TERRITOIRES à payer à Monsieur [E] une indemnité complémentaire de 9.267,06 euros au titre de la perte de sa source et de ses arbres.
Dit que chacune des parties gardera à sa charge ses propres dépens et frais irrépétibles d'appel.
LE GREFFIER,LE PRESIDENT,