6ème Chambre B
ARRÊT No1044
R. G : 11/ 00637
Mme Mercédès Pauline X...
C/
M. Bernard Joseph Y...
Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 05 JUIN 2012
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Daniel LE BRAZ, Président,
Monsieur Pierre FONTAINE, Conseiller,
Mme Christine LEMAIRE, Conseiller,
GREFFIER :
Mme Catherine DEAN, lors des débats, et Me Huguette NEVEU, lors du prononcé,
DÉBATS :
En chambre du Conseil du 06 Avril 2012
devant Monsieur Daniel LE BRAZ, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé hors la présence du public le 05 Juin 2012 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats après prolongations du délibéré,
****
APPELANTE :
Madame Mercédès Pauline X...
née le 31 Août 1972 à VIC FEZENSAC (32190)
...
22100 DINAN
ayant pour avocats postulants la SCP BOURGES,
et pour avocat plaidant, Me Patrice CONTANT
INTIMÉ :
Monsieur Bernard Joseph Y...
...
...
65320 BORDERES SUR L'ECHEZ
ayant pour avocats postulants la SCP BREBION CHAUDET,
et pour avocats plaidant, Me Béatrice HUBERT, avocat
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2011/ 2176 du 29/ 03/ 2011 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de RENNES)
FAITS ET PROCÉDURE :
De l'union de M. Y... et de Mme X... est issu Tiago Y..., né le 22 juin 2003 à Tarbes. M. Y... et Mme X... se sont séparés à la fin de l'année 2006.
Le 29 mai 2007, Mme X... a assigné M. Y... devant le juge aux affaires familiales de Tarbes ; par jugement en date du 10 juillet 2007, ce juge aux affaires familiales a décidé que :
- l'autorité parentale s'exercerait conjointement par les deux parents ;
- la résidence habituelle de Tiago serait fixée chez la mère ;
- M. Y... exercerait son droit de visite et d'hébergement les ler, 3ème et 5ème dimanches de chaque mois ;
- M. Y... contribuerait à l'entretien et l'éducation de Tiago à hauteur de 110 € par mois ;
Le 3 septembre 2007, Mme X... assignait à nouveau M. Y.... Elle sollicitait du juge aux affaires familiales de Dinan l'exercice exclusif de l'autorité parentale sur Tiago en raison du harcèlement subi par elle-même de la part de M. Y.... Elle sollicitait en outre la suspension du droit de visite accordé à M. Y....
Par jugement en date du 15 novembre 2007, le juge aux affaires familiales de Dinan a sursis à statuer sur ces demandes et ordonné une enquête sociale. Dans l'attente du rapport ordonné, le juge aux affaires familiales a fixé la résidence de Tiago au domicile de la mère et dit que le droit de visite et d'hébergement de M. Y... s'exercerait une fois par mois au sein de la structure l'ARPE.
Le rapport d'enquête sociale a été déposé le 25 mars 2008.
Entre-temps et par un jugement en date du 20 février 2008, le juge des enfants de Saint-Brieuc procédait au placement de Tiago au service d'aide et d'action sociale à l'enfance et à la famille des Côtes d'Armor. Un droit de visite avait été accordé à M. Y.... Il s'exerçait de la manière suivante :
- une fois par mois au sein de la structure l'ARPE ainsi que six à sept jours à son domicile pour les vacances scolaires de printemps.
Le placement de Tiago a été renouvelé jusqu'au 23 octobre 2010, date à laquelle il est retourné vivre chez Mme X..., parallèlement à la mise en place d'une mesure d'assistance éducative jusqu'au 30 octobre 2011.
À compter du 24 septembre 2008, suite à la condamnation de M. Y... pour des faits d'agressions sexuelles sur mineur, le juge des enfants de RENNES a institué une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert à l'égard de Tiago.
Par ordonnance d'action éducative du 13 mars 2009, compte tenu des révélations de Tiago et d'un changement brutal de son attitude à la suite des vacances de février 2009, le droit de visite et d'hébergement de M. Y... a été suspendu. Mme X... a alors déposé plainte à l'encontre de M. Y... pour des faits d'agressions sexuelles sur la personne de Tiago.
Le 23 novembre 2009, le procureur de la République de Tarbes a classé l'affaire sans suite considérant que l'infraction n'était pas caractérisée.
Par jugement du 9 décembre 2010, le juge aux affaires familiales de Dinan a fixé les droits des parties relatifs à Tiago de la manière suivante :
- Exercice conjoint de l'autorité parentale ;
- Un droit de visite et d'hébergement accordé à M. Y... à raison de deux demi-journées par mois au sein de la structure l'ARPE ;
- Un droit d'hébergement de Tiago au profit de M. Y... pour une durée d'une semaine pendant les vacances d'été 2011 ;
- Une contribution à l'entretien et à l'éducation de Tiago de 90 € par mois à la charge de M. Y... ;
- Un droit de communication téléphonique de M. Y... avec son fils tous les mercredis entre 18 et 19 heures.
C'est le jugement dont Mme X... a interjeté appel. Elle demande à la Cour de :
- Réserver l'exercice exclusif de l'autorité parentale sur Tiago ;
- Supprimer tout droit de visite et d'hébergement de M. Y... à l'égard de Tiago ;
- Voir condamner M. Y... au paiement de la somme de 200 € par mois au titre de la pension alimentaire.
En ce qui le concerne M. Y... sollicite de la Cour :
- Débouter Mme X... de l'intégralité de ses demandes et voir confirmer l'exercice en commun de l'autorité parentale ;
- D'être reçu en son appel incident et en conséquence :
À titre principal :
Fixer la résidence principale de l'enfant mineur au domicile du père moyennant un droit de visite et d'hébergement au profit de la mère ;
Dispenser Mme X... de contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant en raison de son impécuniosité,
À titre subsidiaire :
Dire et juger que le père exercera un droit de visite et d'hébergement durant les vacances scolaires : la totalité des vacances de la Toussaint, février et Pâques outre la moitié des vacances scolaires de Noël et d'été, première moitié les années paires et seconde moitié les années impaires et un samedi par mois durant les périodes scolaires en fonction des facultés financières du père et moyennant un délai de prévenance d'une semaine,
Dire et juger que ce droit s'exercera la première année pour la totalité des vacances de Noël ;
Ordonner le partage des frais de trajets nécessaires à l'exercice de ses droits par le père ;
Confirmer le droit de communication téléphonique du père le mercredi entre 18 heures et 19 heures ;
Condamner Mme X... aux entiers dépens de première instance et d'appel.
SUR CE, LA COUR :
Avant d'examiner les demandes des parties, il convient de rapporter le contenu de la dernière ordonnance du juge des enfants de Saint-Brieuc qui a abouti à réserver les droits de visite du père, ce, jusqu'au 31 octobre 2012.
Une note d'incident a d'abord été rédigée par l'ASE (Direction de la solidarité et de la famille) des Côtes d'Armor, ce, en date du 30 mai 2011. Cette note relate le suivi des rencontres entre Tiago et son père, visites qui se sont déroulées en lieu neutre depuis le mois de février 2011.
" Ces visites ont lieu à l'Association de Rencontres Parents-Enfants (A. R. P. E.) deux après-midi par mois (NB : ce point rencontre a été fermé depuis le début de l'année 2012 en droite ligne de la suppression du TGI de Dinan).
Depuis la reprise de ces visites, les observations réalisées dans les différents lieux de vie de l'enfant (maison, école...), ainsi que les échanges que nous avons avec Tiago seul, montrent l'apparition de symptômes ou comportements nouveaux mais inquiétants les deux ou trois jours précédant ou suivant directement les jours de rencontres entre Tiago et M. Y... : Une bouteille d'huile renversée volontairement dans réfrigérateur la veille d'une visite ; des papiers brûlés dans un coin du salon le temps que sa mère se prépare pour l'emmener à l'A. R. P. E. ; la veille d'une autre visite, Tiago s'est sauvé du jardin et s'est caché dans la cité pour que sa mère ne le trouve pas, il y a des comportements agressifs, insultes envers sa mère et sa s œ ur, " gros mots " à connotation sexuelle ; agitation à l'école, cris et énervement dans les couloirs et la cour de récréation ; langage grossier ; deux jours avant la dernière visite (12 mai 2011), Tiago s'est automutilé dans la cour de l'école : il a arraché peau et chair avec ses ongles sous forme de deux traînées de cinq ou six centimètres de chaque côté de son front (voir copie du carnet de santé) ; le matin de la visite (14 mai), il avait très mal au ventre et le soir même, une forte diarrhée.
Le lendemain, très agité, il a été envoyé par sa mère se calmer dans sa chambre. Il s'est alors à nouveau arraché la peau de la joue.
À chaque visite. M. Y... apporte des vêtements neufs à Tiago : tee-shirts, vestes, pantalons, chaussures. Les étiquettes des prix sont laissées volontairement dessus.
S'y ajoutent des jouets et des gros paquets de bonbons ou gâteaux (par cinq) ainsi que de l'argent, que M. Y... demande à Tiago de cacher de peur que sa mère ne le lui prenne. Systématiquement, M. Y... insiste pour que Tiago essaie ces vêtements, en particulier les pantalons. Il a fallu que Mme X... insiste plusieurs fois auprès des médiateurs de l'A. R. P. E. pour que ceux-ci finissent par accepter d'être présents dans la pièce lors de l'essayage. Mais celui-ci poursuit malgré tout. Le père a expliqué aux médiateurs qu'il faisait cela pour vérifier que Tiago n'avait pas reçu de coups, ajoutant qu'il se méfiait de ce que pouvait faire Mme X....
Lors de la dernière visite (14 mai), lorsque M. Y... a vu les mutilations de Tiago, il est aussitôt entré dans une violente colère. Au lieu de parler avec son fils et de chercher à savoir ce qu'il s'était passé, il a de suite accusé Mme X.... Une médiatrice est aussitôt intervenue pour rassurer Tiago qui était effrayé et sidéré. Elle a dû l'isoler de son père le temps que celui-ci se calme. Tiago dit avoir eu " très, très peur ".
Après les visites, Tiago refuse de mettre les vêtements apportés par son père (" ils sont trop grands " dit-il) et détruit systématiquement tous les jouets.
(...) Nous pensons, pour avoir nous-mêmes eu à faire avec les spectaculaires colères, menaces et insultes grossières de la part de M. Y..., qu'il est impossible pour un enfant de huit ans confronté à ce père qui lui fait peur, d'exprimer par la parole ses inquiétudes ou ses refus. Non entendu par les adultes, la seule manière qu'il reste à Tiago pour attirer leur attention sur son mal-être reste son comportement, ses actes.
D'ordinaire calme, détendu et plein d'humour, Tiago alerte par des positionnements
inhabituels, qu'il dit ne pas maîtriser ni savoir expliquer. Ces problèmes comportementaux sont allés crescendo jusqu'à l'automutilation. Jusqu'où laissera-t-on cet enfant se débattre et se détruire ? Qui prend en compte les paroles qu'il a eu le courage de prononcer lorsqu'il était sûr d'être protégé de M. Y..., les explosions spectaculaires à l'évocation de son père, l'accalmie qui s'en est suivie lors des suspensions de visites et maintenant la réactivation des symptômes au moment des visites ? (...)
Si " l'affaire " des révélations de Tiago a été classée sans suite faute d'éléments suffisants, il est impossible de ne pas faire le lien avec les faits commis par M. Y... sur Audrey, s œ ur de Tiago. (Pour ces faits qualifiés d'agression sexuelle sur mineure de quinze ans par personne ayant autorité, M. Y... a été condamné à la peine de deux années d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve pendant deux ans, ce, le 9 septembre 2008, la jeune fille recevant la somme de 6 000 € à titre de dommages et intérêts). (...) Au regard des faits passés, mais aussi des observations inquiétantes notées dans nos derniers rapports (dont cette note), nous pensons qu'il n'est pas possible, dans l'intérêt de Tiago, de mettre en place un hébergement chez M. Y....
Nous sollicitons donc la suspension des droits d'hébergement en urgence, la dernière ordonnance faisant état d'une semaine à envisager pendant les vacances d'été. Si les visites médiatisées devaient se poursuivre, nous demandons à ce qu'elles soient entièrement médiatisées avec la présence d'un tiers en permanence et interdiction de sorties. "
C'est en raison de la rédaction de cette note d'incident que le juge des enfants de Saint-Brieuc a réservé les droits de visite du père, la situation devant être revue avant le 31 octobre 2012. Le juge des enfants a particulièrement insisté dans sa motivation pour affirmer " qu'il était de l'intérêt de Tiago de suspendre tout droit de visite paternel. D'une part, l'enfant a besoin d'être rassuré ; d'autre part, il importe de connaître les raisons de son mal-être avant de remettre en place un droit de visite, de manière à s'entourer des précautions nécessaires. Il convient, par conséquent, d'ordonner, par ordonnance séparée, l'expertise psychologique de Tiago. (Cette expertise n'a pas été communiquée à la Cour).
Afin de poursuivre le travail éducatif mis en oeuvre, et en raison de la fragilité de la situation, la mesure d'aide éducative en milieu ouvert est renouvelée pour une durée d'une année. "
Sur l'autorité parentale relative à Tiago :
Vu l'article 373-2-1 du code civil ; les juges du fond doivent caractériser en quoi l'intérêt de l'enfant commande que l'exercice de l'autorité parentale soit confié à la seule Mme X... et donc caractériser l'existence de motifs graves, tirés de l'intérêt de l'enfant, justifiant un exercice unilatéral de cette autorité parentale. Or, force est de constater que M. Y... s'est toujours intéressé à son fils ; que si sans doute les rencontres entre père et fils doivent momentanément être suspendues, en revanche les conditions énoncées par l'article précité ne sont en rien réunies.
L'autorité parentale relative à Tiago continuera donc d'être exercée conjointement par ses deux parents.
Sur la résidence habituelle de Tiago et le droit de visite et d'hébergement du père :
Au regard de tout ce qui précède, la résidence habituelle de Tiago ne peut qu'être auprès de sa mère, tandis qu'adhérant à la solution de l'ordonnance du juge des enfants en date du 24 novembre 2011, les droits de visite (et d'hébergement) du père doivent être suspendus jusqu'au 31 octobre 2012. La demande du père de voir la résidence de Tiago fixée auprès de lui, dans le contexte actuel, ne peut que surprendre et doit, en tout état de cause, être rejetée.
Si la mère est en accord avec la demande du père pour qu'il s'entretienne avec son fils par téléphone une fois par semaine, cet accord est suffisant. Il n'appartient en effet pas à la Cour de procéder à des constatations non assorties d'effet juridique.
Sur la contribution à l'entretien et l'éducation de Tiago :
Le père était chauffeur livreur, mais a perdu son emploi en raison du trop grand nombre d'accidents de la route dans lesquels il a été impliqué, son comportement fautif ayant été reconnu en ces occasions. Il fait une proposition à hauteur de 80 € par mois qui doit être retenue. Les conditions de l'indexation de cette contribution demeurent inchangées, le mois de référence étant en l'espèce celui de Mai 2012, la première actualisation devant intervenir au mois de janvier 2013.
Tiago est trop jeune pour être entendu par un magistrat de la Cour. Par ailleurs, de nombreux documents de type expertises figurent au dossier qui renseignent parfaitement la Cour sur la personnalité de l'enfant. Enfin, cette demande n'était pas présentée dans les conditions de forme exigées par la loi. Elle sera rejetée.
Sur les autres demandes :
Enfin, au regard du caractère familial du présent litige, il n'y a pas lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la Cour laissant à chaque partie la charge de ses propres dépens.
DECISION :
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant après rapport fait à l'audience ;
- Rejette la demande d'audition de Tiago formée par la mère de l'enfant ;
- Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions se rapportant à l'autorité parentale qui continuera de s'exercer conjointement par les deux parents ;
- Fixe la résidence de Tiago au domicile de sa mère, Mme X... ;
- Infirme le jugement déféré en ce qui concerne les droits de visite et d'hébergement du père ;
- Dit que le droit de visite et d'hébergement de M. Y... est supprimé en sa totalité jusqu'au 31 octobre 2012 ;
- Constate en ce qui concerne les autorisations pour M. Y... de communiquer avec son fils par téléphone, qu'il n'appartient pas à la Cour de procéder à des constatations non assorties d'effet juridique ;
- Emende le jugement déféré en ce qui concerne la contribution de M. Y... à l'entretien et l'éducation de son fils ;
- Fixe cette contribution à la somme de 80 € mensuellement ;
- Confirme toutes les modalités du paiement de cette contribution, en ce compris l'indexation ;
- Dit que la première revalorisation interviendra le 1er janvier 2013 ;
- Déboute les parties de toute autre demande ;
- Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ce, au regard du caractère familial de ce contentieux ;
- Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,