1ère Chambre
ARRÊT N°206
R.G : 11/03062
Société [D] BUREAUTIQUE -TBI- SARL
M. [O] [D]
C/
MONSIEUR L'AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR DIRECTION DES AFFAIRES JURIDIQUES
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 29 MAI 2012
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Xavier BEUZIT, Président, entendu en son rapport
Madame Anne TEZE, Conseiller,
Madame Catherine DENOUAL, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Claudine PERRIER, lors des débats et lors du prononcé
MINISTERE PUBLIC :
Monsieur QUINIO, lequel a pris des réquisitions.
DÉBATS :
A l'audience publique du 27 Mars 2012
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé par Monsieur Xavier BEUZIT, Président, à l'audience publique du 29 Mai 2012, après prolongation de la date indiquée à l'issue des débats.
****
APPELANTS :
Société [D] BUREAUTIQUE -TBI- SARL
[Adresse 2]
[Localité 9]
Rep/assistant : SCP CASTRES COLLEU PEROT LE COULS BOUVET, avocat postulant
Rep/assistant : CABINET ACTB, avocat plaidant
Monsieur [O] [D]
né le [Date naissance 1] 1958 à [Localité 7] (ALGERIE)
[Adresse 2]
[Localité 9]
Rep/assistant : SCP CASTRES COLLEU PEROT LE COULS BOUVET, avocat postulant
Rep/assistant : CABINET ACTB, avocat plaidant
INTIMÉE :
MONSIEUR L' AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR
DIRECTION DES AFFAIRES JURIDIQUES
Ministère de l'Economie des Finances et de l'Industrie
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Rep/assistant :SCP BREBION CHAUDET, avocat postulant
Rep/assistant : Me Philippe BILLAUD, avocat plaidant
EXPOSE DU LITIGE.
Par acte d'huissier du 23 mars 2009, la SARL [D] BUREAUTIQUE INFORMATIQUE, ci-après TBI et M. [O] [D] agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de gérant ont fait assigner l'agent judiciaire du Trésor sur le fondement de l'article L.141-1 du Code de l'organisation judiciaire en réparation du dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice, en exposant qu'à l'occasion d'une enquête préliminaire diligentée à la suite de la plainte d'un ancien salarié pour harcèlement moral et malversations, les services de gendarmerie avaient porté atteinte à la présomption d'innocence leur bénéficiant à laquelle il n'avait pas été mis fin en dépit des démarches faites auprès des autorités de poursuite.
Par jugement rendu le 28 mars 2011, le Tribunal de Grande Instance de Rennes a :
- débouté la SARL TBI et M. [D] de toutes leurs demandes,
- débouté l'agent judiciaire du Trésor de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- condamné la SARL [D] BUREAUTIQUE INFORMATIQUE aux dépens.
Par déclaration du 3 mai 2011, la SARL [D] et M. [O] [D] ont interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de conclusions récapitulatives déposées le 16 décembre 2011 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, les appelants demandent à la Cour de :
- vu l'article 6 § 2 de la Convention Européenne des droits de l'Homme, l'article préliminaire du Code de procédure pénale, l'article L.141-1 du Code de l'organisation judiciaire,
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a reconnu l'atteinte à la présomption d'innocence de la Société TBI et de son gérant, M. [D], par les lettres-plaintes adressées par la brigade de gendarmerie de [Localité 9] aux clients de la Société dans les termes suivants : 'Dans le cadre de l'enquête portant sur la Société TBI de [Localité 9] et au vu des éléments que vous nous avez transmis, nous sommes en mesure de vous informer que vous avez été victime...',
- réformer le jugement, dont appel en ce qu'il a considéré l'atteinte comme non publique,
- dire et juger que les clients de la Société TBI ne sont pas unis par une communauté d'intérêts,
- en conséquence, dire et juger que cette atteinte à la présomption d'innocence de la Société TBI et de M. [D] en personne et en qualité de gérant, est constitutive d'une faute lourde au regard des circonstances de l'espèce et plus précisément au regard de la lettre d'avertissement du conseil des concluants en date du 1er octobre 2008,
- condamner l'agent judiciaire du Trésor à adresser aux clients de la Société TBI un communiqué reconnaissant que celle-ci et M. [D] ont été victimes d'une atteinte à leur présomption d'innocence qui devra reproduire le dispositif de l'arrêt à intervenir et ce, sous astreinte de 1000 € par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt,
- condamner l'agent judiciaire du Trésor à verser à la Société TBI et à M. [D] la somme de 30000 € chacun en réparation de leur préjudice moral,
- condamner l'agent judiciaire du Trésor à verser à la Société TBI la somme de 48786€ en réparation de son préjudice économique au titre de la marge non réalisée suite aux agissements de la Brigade de gendarmerie de [Localité 9],
- condamner l'agent judiciaire du Trésor aux dépens ainsi qu'à payer à la Société TBI et M. [D] la somme de 6000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Aux termes de conclusions récapitulatives déposées le 25 janvier 2012 auxquelles il est pareillement renvoyé pour l'exposé des moyens, l'agent judiciaire du Trésor demande au contraire de :
- vu l'article L.141-1 du Code de l'organisation judiciaire,
- confirmer le jugement,
- débouter la Société TBI et M. [D] de l'ensemble de leurs demandes en l'absence de violation du principe de la présomption d'innocence, de préjudices démontrés et de relation causale établie,
- condamner les mêmes aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 2500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Le dossier a été communiqué au Ministère Public qui y a apposé son visa.
DISCUSSION.
Sur la responsabilité du service public de la justice.
Considérant qu'il résulte des productions qu'en charge d'une enquête préliminaire diligentée sur une plainte de M. [C] ancien salarié de la SARL TBI ayant pour objet le commerce en gros de matériel informatique, les services de gendarmerie de la Brigade de [Localité 9] ont adressé en septembre 2007 une lettre circulaire aux clients de l'entreprise leur demandant de fournir des renseignements pour vérifier si des infractions auraient été commises et s'ils avaient été ou non victimes de malversations ; que par lettre du 1er octobre 2008 soulignant les répercussions néfastes de ce procédé sur la situation économique et financière de l'entreprise, la SARL TBI a sollicité de M. le Procureur de la République du Tribunal de Grande Instance de Rennes et par l'intermédiaire de son conseil, d'être entendue au plus vite par les enquêteurs; qu'au mois de janvier 2009 et sans qu'il soit procédé à l'audition préalable de M. [D] gérant de la SARL TBI, ces derniers ont adressé aux clients une lettre plainte débutant par '...dans le cadre de l'enquête portant sur la Société TBI de [Localité 9] et au vu des éléments que vous nous avez transmis, nous sommes en mesure de vous informer que vous avez été victime...' ; que suivaient pour chaque destinataire la qualification pénale et les faits commis par la Société TBI à son encontre ainsi que le montant du préjudice subi ; qu'enfin ces écrits se terminaient par un formulaire aux termes duquel la personne lésée informée de son droit à indemnisation devait indiquer si elle déposait plainte ou si elle ne déposait pas plainte dans l'immédiat mais se réservait le droit de le faire ultérieurement ou encore si elle ne déposait pas plainte contre la Société TBI ;
Considérant que par courrier du 20 janvier 2009 adressé au Procureur de la République, la SARL TBI a, par l'intermédiaire de son conseil, dénoncé une atteinte manifeste à la présomption d'innocence et au devoir d'impartialité des enquêteurs préjudiciable à la Société et demandé à ce que l'enquête et notamment l'audition de son gérant soit confiée à un autre service ; que par réponse du 17 février faisant suite à un entretien, le vice-procureur en charge de l'affaire a indiqué qu'il ne lui apparaissait pas nécessaire de procéder à l'ouverture d'une information judiciaire à ce stade de l'enquête menée en cosaisine avec la section de recherches de Rennes à laquelle il était prévu de confier l'audition de M. [D] ; que le 24 février 2009, le Conseil de la Société saisissait le Procureur Général d'une demande tendant à l'ouverture d'une information comme étant seule en l'état à garantir les droits fondamentaux des personnes mises en cause ainsi qu' à la saisine de la Chambre de l'Instruction en application des articles 224 et suivants du Code de Procédure Civile, pour procéder à une enquête concernant les officiers et agents de police judiciaire en charge du dossier ; que le 3 mars 2009, M. [D] a été placé en garde à vue et entendu par la section de recherches de Rennes et qu'il n'est pas justifié de l'issue de sa dernière requête ;
Considérant, sur le respect de la présomption d'innocence, que la Société TBI ainsi que M. [D] soutiennent eux-mêmes que seules les lettres plaintes de janvier 2009 portent atteinte à ce principe ;
Considérant, à cet égard, que le premier juge a justement estimé que le contenu de ces lettres adressées à la clientèle manifestait de la part des officiers de police judiciaire en charge de l'enquête un préjugé tenant pour acquise la culpabilité de la Société TBI et implicitement celle de son gérant et ce en l'absence de toute déclaration irrévocable de culpabilité prononcée par un tribunal ;
Mais considérant que c'est tout aussi pertinemment que le premier juge a relevé que ces lettres étaient individualisées en fonction du client destinataire auquel étaient révélées les seules infractions dont il était présenté comme la victime afin qu'il puisse décider de porter plainte et de se constituer partie civile pour obtenir réparation de son préjudice en toute connaissance de cause ; qu'en outre les écrits incriminés étaient destinés après avoir été renseignés à être retournés aux enquêteurs ;
Considérant que les lettres plaintes ne présentent pas le caractère de publicité constitutif de l'atteinte à la présomption d'innocence tant au sens de l'article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'homme que des dispositions de l'article 9-1 du Code Civil et de l'article préliminaire du code de procédure pénale de droit interne, c'est à juste titre que le tribunal a estimé que la violation du principe invoqué n'était pas démontrée ;
Considérant que la responsabilité de l'Etat pour faute lourde n'étant pas autrement recherchée, le jugement déboutant la Société TBI et M. [D] de leur action en réparation sera confirmé ;
Sur les dépens et article 700 du Code de Procédure Civile.
Considérant qu'échouant pour l'essentiel, la Société TBI ainsi que M. [D] agissant tant en qualité de gérant qu'en son nom propre supporteront les dépens de première instance et d'appel ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
DECISION.
LA COUR,
CONFIRME le jugement,
Y ajoutant,
CONDAMNE la SARL TBI ainsi que M. [D] agissant tant en qualité de gérant qu'en son nom propre aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile ;
DEBOUTE les parties de leur demande fondée sur l'article 700 du même code.
LE GREFFIER.-.LE PRESIDENT.-.