6ème Chambre B
ARRÊT No 542
R.G : 11/01746
Mme Claudia X... épouse Y...
C/
M. Jean-Jacques Y...
Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 06 MARS 2012
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Daniel LE BRAZ, Président,
Monsieur Pierre FONTAINE, Conseiller,
Mme Christine LEMAIRE, Conseiller,
GREFFIER :
Patricia IBARA, lors des débats, et Huguette NEVEU, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l'audience publique du 11 Janvier 2012
devant Monsieur Pierre FONTAINE, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 06 Mars 2012 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
Madame Claudia X... épouse Y...
...
35235 THORIGNE-FOUILLARD
ayant pour avocats postulants la SCP GAUVAIN -DEMIDOFF
et pour avocat plaidant Me Corinne DEMIDOFF,
INTIMÉ :
Monsieur Jean-Jacques Y...
...
35235 THORIGNE-FOUILLARD
Ayant pour avocat postulant Me Régine de MONCUIT-SAINT HILAIRE, Avocat associé de la SELARL AB LITIS- de MONCUIT -SAINT-HILAIRE- PÉLOIS-VICQUELIN-
et pour avocat plaidant Me ALEXANDRE, avocat
EXPOSE DU LITIGE ET OBJET DU RECOURS.
Monsieur Y... et Madame X... se sont mariés le 6 mai 1988 sans contrat préalable ;
De leur union sont nés Maureen le 15 octobre 1988, Brendan le 10 décembre 1990 et Tristan le 27 octobre 1993 ;
Sur l'assignation délivrée le 16 février 2006 par le mari, leur divorce a été prononcé par un jugement du 6 décembre 2007 lequel a, entre autres mesures accessoires ordonné la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des époux ;
Par arrêt du 24 mars 2009, la Cour d'Appel de Rennes a confirmé ce jugement sauf en ce qui concerne la désignation des notaires liquidateurs et le droit d'usage et d'habitation qu'elle a accordé à l'épouse sur la maison dépendant de l'indivision post-communautaire jusqu'au 27 octobre 2011 ;
Saisi par un procès-verbal de difficultés du 19 octobre 2009, le juge-commissaire a, après une vaine tentative de conciliation, renvoyé les parties devant le Tribunal de Grande Instance de Rennes, lequel a, par décision du 11 janvier 2011 :
- fixé la date de jouissance divise au 2 octobre 2009,
- dit que le droit d'usage et d'habitation sur l'immeuble de communauté accordé à Mme X... par l'arrêt du 24 mars 2009 est fixé à la somme de 28450 € et s'exécutera, sauf meilleur accord des parties, selon les prescriptions légales ;
- fixé la valeur de l'immeuble dépendant de la communauté et de l'indivision post-communautaire grevé du droit d'usage et d'habitation à la somme de 221550 € ;
- que cet immeuble est attribué préférentiellement à M. Y... qui n'en aura la jouissance qu'à compter du 28 octobre 2011,
- dit que la valeur du véhicule automobile de marque Citroën Xsara Picasso attribué à M. Y... est de 2000 € et celle du mobilier commun conservé en excédent par Mme X... est de 10000 €,
- dit que le compte détenu par Mme X... auprès de la banque suisse Urner Kantonal Bank est un bien propre dont celle-ci peut exercer la reprise en nature,
- dit que la communauté doit récompense à Mme X... de la somme de 5808,30 € au titre de l'encaissement de deniers propres provenant d'une donation consentie par ses parents au mois de Septembre 1992,
- dit que M. Y... doit rembourser à son ex-épouse la moitié des échéances afférentes aux emprunts immobiliers dont celle-ci s'est acquittée intégralement depuis le 3 février 2005 et dont le montant sera déterminé au vu des justificatifs produits par elle,
- dit que Mme X... doit rembourser à son ex-mari les sommes que celui-ci a versées au titre des taxes d'habitation y compris de 2005 au prorata de l'occupation privative de Mme X... soit 11 mois 1/2,
- renvoie les parties devant les notaires désignés pour que soit établi un nouvel état liquidatif intégrant les dispositions du jugement ainsi rendu et reprenant pour le surplus les dispositions non discutées figurant dans le projet de partage de Maître Z...,
- rejeté toutes les autres demandes notamment celles formées pour procédure abusive et frais irrépétibles,
- dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de partage et pourront, le cas échéant, être recouvrés conformément à l'article 699 du Code de Procédure Civile,
Mme X... a interjeté appel de ce jugement ;
Par conclusions du 9 septembre 2011, elle a demandé :
- d'infirmer ladite décision en ce qu'elle a attribué préférentiellement l'immeuble à M. Y...,
- de dire qu'elle se verra attribuer l'immeuble situé ... à Thorigné-Fouillard à charge pour elle de régler une soulte à son ex-mari,
- de dire que le montant dont elle serait redevable au titre du partage des biens meubles ne saurait excéder la somme de 1000 €,
- de débouter son ex-mari de toutes ses demandes,
- de le condamner au paiement d'une indemnité de 3000 € par application de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
Par conclusions du 20 décembre 2011, M. Y... a demandé :
- d'infirmer le jugement déféré sur la récompense de la communauté à l'égard de l'épouse à hauteur de 5808,30 €,
- d'enjoindre à Mme X... de justifier du remboursement effectif des prêts immobiliers afférents à l'immeuble commun,
- de dire que le droit d'usage et d'habitation accordé à l'épouse sera calculé jusqu'à la liquidation effective du régime matrimonial sur la base d'une somme mensuelle de 1000 €,
- de confirmer sur l'attribution préférentielle de l'immeuble commun et de liquider le régime matrimonial en fonction des éléments qui seront tranchés par la juridiction d'appel ;
- de dire que la liquidation du régime matrimonial sera exécutoire dès le prononcé de l'arrêt,
- subsidiairement : de renvoyer les parties devant les notaires désignés pour que soit établi un nouvel état liquidatif intégrant les dispositions de l'arrêt à intervenir et reprenant pour le surplus les dispositions non discutées figurant dans le projet de partage de Maître Z...,
- de condamner Mme X... à lui payer une somme de 5000 € de dommages et intérêts pour procédure abusive et une indemnité de 3000 € par application de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions, il est référé aux dernières écritures des parties susvisées ;
La clôture de l'instruction a été prononcée le 3 janvier 2012 ;
SUR CE,
I - Sur le mobilier commun.
Si la maison comporte six pièces et était entièrement meublée, l'inventaire fait de manière unilatérale par le mari n'est pas opposable à l'épouse et mentionne des éléments d'ameublement et d'équipement de valeur faible ou nulle notamment en raison de l'ancienneté de leur acquisition, à défaut d'une particulière qualité ;
Par suite, il convient, en infirmant le jugement de fixer à 1000 € la valeur du mobilier commun conservé par Mme X... conformément à celle visée dans le projet d'état liquidatif de Maître A... et non pas à 10000 € comme il a été retenu par l'autre notaire désigné, Maître Z..., dans son projet, sans plus de critères objectifs ;
II - Sur la récompense de 5808,30 € due par la communauté à l'épouse.
Il est constant que selon un ordre de virement du 10 septembre 1992 émanant de la mère de Mme X... une somme de 38100 F soit 5808,30 € a été portée au crédit du compte joint de M. et Mme Y... détenu au Crédit Agricole de Thorigné ;
Les premiers juges ont estimé que la preuve du don manuel fait à l'épouse par ses parents était rapportée de même que celle de l'encaissement par la communauté de la somme correspondante de sorte que les conditions de la récompense étaient réunies au sens de l'article 1433 du Code Civil ;
Mais dès lors que Mme X... n'établit pas qu'au moment où le virement à eu lieu ses parents ont entendu la gratifier seule et non pas aussi son mari, ce que le transfert par la donatrice des fonds au compte joint des époux fait présumer, elle est mal fondée à invoquer l'encaissement de fonds propres à elle par la communauté et par suite un droit à récompense ;
En conséquence, le jugement sera infirmé ou ce qu'il a décidé le contraire ;
III - Sur le droit d'usage et d'habitation.
Dans son arrêt du 24 mars 2009 devenu irrévocable la Cour a accordé à Mme X... le droit d'usage et d'habitation de la maison dépendant de l'indivision post-communautaire et ce, jusqu'au 27 octobre 2011 (date de la majorité du dernier enfant) ;
Pour fixer à 28450 € la valorisation de ce droit le Tribunal a retenu une période de 28 mois (28 juin 2009, date d'expiration du délai de pourvoi en cassation au 27 octobre 2011) et a retenu une moyenne entre la valeur non contestée de l'usufruit viager fiscal -34500 €- et la valeur locative actuelle justifiée par des estimations récentes dont celle d'un agent immobilier (cabinet Blot) du mois d'octobre 2010, à hauteur de 800 € par mois soit 800 € X 28 = 22400 €
M. Y... soutient que la valeur locative est non pas de 800 € comme indiqué dans un des projets d'état liquidatif mais de 1000 € comme indiqué dans un autre (Maître Z...) ;
Il affirme sans preuve qu'il verse un loyer de 890 € pour un logement de 120 m2 situé dans le même secteur que la maison occupée par son ex-épouse, d'une plus grande superficie;
Il argue vainement de complaisance l'avis de valeur fourni par l'agent immobilier Blot fondé sur les caractéristiques du bien et sur des comparaisons avec des locations d'immeubles similaires dans le même périmètre ;
Cet avis est conforté par celui d'un autre agent immobilier en date du 8 octobre 2010 tenant compte de la superficie habitable de la maison (163 m2) édifié sur un terrain clos et arboré de 450 m2, comportant des pièces de beau volume et des matériaux de qualité mais manquant de finitions, ce qui est un obstacle à la location ;
Le Tribunal ayant fait une appréciation correcte de la valeur du droit d'usage et d'habitation, le jugement sera confirmé sur ce point ;
Il est constant que Mme X... se maintient dans les lieux depuis le 27 octobre 2011, son droit d'usage et d'habitation se poursuivant au delà de cette date, ce que son ex-mari admet sans équivoque, il sera valorisé selon la méthode de calcul confirmée jusqu'à la liquidation partage effective du régime matrimonial, ou, le cas échéant, à la restitution des clefs intervenue auparavant ;
IV - Sur l'attribution préférentielle.
Selon l'article 1476 du Code Civil, l'attribution préférentielle en matière de communauté est soumise à toutes les règles établies pour les partages entre cohéritiers, sauf qu'elle n'est jamais de droit pour les communautés dissoutes par divorce ;
Il résulte des articles 831-2 et 832-3 du Code Civil relatives aux successions que l'attribution préférentielle d'un immeuble à usage d'habitation peut être sollicitée sans formes particulières, tant que le partage n'a pas été ordonné à condition que le postulant réside dans l'immeuble à la date de la dissolution de la communauté et au jour où le juge statue, qu'en cas de demandes concurrentes, il est tenu compte de l'aptitude de leurs auteurs à gérer leurs biens et à s'y maintenir ;
En l'espèce, l'ex-épouse habite encore dans l'immeuble commun ayant servi de domicile conjugal où elle réside depuis l'ordonnance de non-conciliation du 3 février 2005 lui en ayant accordé la jouissance à charge pour elle de régler les emprunts immobiliers (soit 910,74 € jusqu'au mois de mars 2005, puis 787,44 € ultérieurement) ;
Les trois enfants du couple continuent à y résider avec elle, de manière intermittente pour Maureen étudiante à Aix en Provence mais souffrant d'une sclérose en plaques nécessitant des temps de repos au domicile familial, sachant cependant que les membres de la fratrie sont majeurs et que leur état de dépendance matérielle n'a pas vocation à être pérenne ;
Mme X... n'a aucun revenu personnel, elle entreprend depuis 2004 (cf un dossier universitaire) des études supérieures de langues étrangères "management et marketing international" qui doivent s'achever selon elle à la fin de 2011 ;
Elle espère obtenir un emploi grâce à son diplôme, son âge (49 ans) et son manque d'expérience professionnelle étant cependant de nature à relativiser grandement ses chances à cet égard ;
Elle indique qu'à défaut elle pourra exercer le métier d'assistante maternelle et, une fois ses enfants partis, laisser une chambre de la maison familiale à un étudiant, ses projets n'étant, pour l'heure qu'hypothétiques ;
L'ex-épouse qui a perçu un capital de 60000 € à titre de prestation compensatoire et une somme de 28000 € de sa mère justifie de placements financiers à hauteur de 94000 € au 24 mai 2011 ainsi que l'accord de principe d'une banque sur un prêt immobilier de 124000 € mais d'après un document non contractuel datant de 2009 et mentionnant comme seul emprunteur M. Jean-Jacques Y... ;
Dans le projet d'état liquidatif le plus favorable à Mme X... la soulte figure pour 94393 € compte tenu notamment d'une récompense de 5808,30 € qui doit être écartée ainsi qu'il a été dit plus haut ;
Son montant apparaissant nettement supérieur pour avoisiner en réalité 97000 € l'appelante ne démontre pas qu'elle aura les moyens de la régler pas plus du reste qu'elle pourra assumer les charges de l'habitation et les travaux de finition y afférents alors que la valeur de l'immeuble non discutée est de 250000 € ;
A supposer même qu'elle ait assuré l'entretien courant du bien pendant sa jouissance et qu'elle souhaite le garder pour garantir son avenir, son ex-mari qui dispose d'un revenu confortable avéré est plus apte à gérer l'immeuble et à s'y maintenir dans l'intérêt de la famille;
Par suite le jugement sera confirmé en ce qui concerne l'attribution préférentielle à M. Y... ;
V - Sur la liquidation effective du régime matrimonial.
Eu égard à la complexité des opérations il convient de renvoyer les parties devant les notaires désignés pour que soit établi un acte définitif de liquidation et partage ;
Le jugement sera confirmé de ce chef et sur la justification auprès des notaires du remboursement effectif par Mme X... des prêts afférents à l'immeuble commun (dépenses de 24758,68 € incluses dans son compte d'administration d'après le projet de Maître A...) ;
VI - Sur les dommages-intérêts.
Mme X... n'a pas outrepassé son droit d'ester en justice en saisissant le tribunal des difficultés telles qu'elles ont été réglées en première instance ;
Pour être mal fondé en majeure partie son appel n'en revêt pas pour autant un caractère abusif ;
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts formée à son encontre ;
Celle formée devant la Cour sera aussi écartée ;
Etant donné la nature de l'affaire et ses circonstances familiales, les dépens de première instance garderont le sort qui en a été décidé tandis qu'en appel chacune des parties supportera ceux qu'elle a exposés, sans application de l'article 700 du Code de Procédure Civile au profit de l'une d'elles, à quelque stade du procès que ce soit ;
PAR CES MOTIFS,
La COUR, après rapport à l'audience ;
CONFIRME le jugement du 11 janvier 2011, sauf en ce qui concerne la valeur du mobilier commun conservé en excédent par Mme X... et la récompense due à celle-ci par la communauté à hauteur de 5808,30 € ;
INFIRME de ces chefs ;
STATUANT à nouveau ;
FIXE à 1000 € la valeur dudit mobilier ;
DIT qu'il n'y a pas lieu à récompense par la communauté envers Mme X... à hauteur de 5808,30 € ;
Y ajoutant,
DIT qu'entre le 27 octobre 2011 et la liquidation partage effective du régime matrimonial sauf le cas échéant, restitution des clés auparavant, la valeur du droit d'usage et d'habitation de Mme X... sur l'immeuble dépendant de la communauté restera fixée selon la méthode de calcul appliquée par le jugement du 11 janvier 2011 (moyenne entre l'usufruit viager de 34500 € et la valeur locative de 800 € par mois) ;
REJETTE la demande de dommages et intérêts pour appel abusif ;
DIT que chacune des parties supportera ses propres dépens d'appel sans application de l'article 700 du Code de Procédure Civile au profit de l'une d'elles, à quelque stade du procès que ce soit.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,