Huitième Chambre Prud'Hom
ARRÊT No316
R.G : 06/06885
POURVOI No47/2008 du 22/07/2008 Réf W0843498
S.A. THAERON FILS
C/
M. Gwénaël X...
Confirmation partielle
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 22 MAI 2008
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Madame Monique BOIVIN, Président,
Madame Marie-Hélène L'HÉNORET, Conseiller,
Monsieur François PATTE, Conseiller,
GREFFIER :
Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 03 Avril 2008
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé par l'un des magistrats ayant participé au délibéré, à l'audience publique du 22 Mai 2008, date indiquée à l'issue des débats
****
APPELANTE et intimée à titre incident :
La S.A. Etablissements THAERON FILS prise en la personne de ses représentants légaux
Lieu dit L'Ille - B.P. 26
29340 RIEC SUR BELON
représentée par Me Gérard CHEVALLIER, Avocat au Barreau de BREST
INTIME et appelant à titre incident :
Monsieur Gwénaël X...
...
29340 RIEC SUR BELON
représenté par Me Nathalie OF-SAVARY substituant à l'audience Me Christian Z..., Avocats au Barreau de QUIMPER
Statuant sur l'appel régulièrement interjeté par la société Etablissements THAERON FILS d'un jugement rendu le 27 juillet 2006 par le tribunal d'instance de QUIMPER.
FAITS ET PROCEDURE :
Monsieur Gwénaël X... a été engagé le 17 décembre 1993 par la société THAERON FILS en qualité d'ouvrier ostréicole dans le cadre d'un contrat saisonnier qui s'est poursuivi en contrat à durée indéterminée.
Il a été affilié au régime des marins-pêcheurs à compter du 1er mai 1996.
En arrêt de travail à partir du mois d'avril 2000 il a été déclaré inapte à la navigation par la commission médicale régionale d'aptitude physique à la navigation de la circonscription de Bretagne le 13 novembre 2001 avec préconisation d'un reclassement dans un emploi n'exposant pas aux intempéries ou travaux en milieu humide ni aux travaux de force.
Estimant que son employeur devait procéder à son reclassement ou à son licenciement et à défaut continuer à lui verser son salaire Monsieur X... a saisi l'administrateur des Affaires Maritimes qui a dressé le 5 avril 2002 un procès-verbal de non conciliation valant permis de citer.
C'est dans ces conditions que Monsieur X... a fait citer le 7 juin 2002 la société THAERON devant le tribunal d'instance de QUIMPER pour voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail et obtenir un rappel de salaire, une indemnité de congés payés, ses indemnités de rupture et des dommages-intérêts.
La société THAERON qui a notifié à Monsieur X... le 27 juin 2002 son licenciement pour faute grave pour absence injustifiée depuis plus d'un mois a soulevé l'incompétence du tribunal d'instance au profit du conseil de prud'hommes de QUIMPER au motif que le salarié était un ouvrier ostréicole et travaillait à terre.
Par jugement en date du 13 mars 2003 le tribunal d'instance de QUIMPER, statuant en matière prud'homale maritime s'est déclaré compétent.
La société THAERON a formé un contredit qui a été rejeté par la présente Cour par un arrêt en date du 28 décembre 2003 contre lequel la société THAERON a formé un pourvoi en cassation lequel a été également rejeté par arrêt de la Cour de Cassation en date du 3 novembre 2005.
A la suite de cette décision Monsieur X... a réitéré ses demandes initiales.
Par jugement en date du 27 juillet 2006 le tribunal d'instance de QUIMPER :
- a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur.
- a dit n'y avoir lieu à examiner la procédure de licenciement mise en oeuvre par la société THAERON.
- a alloué à Monsieur X... un rappel de salaire, ses indemnités de rupture et des dommages-intérêts à hauteur de 17 940 €.
- l'a débouté de ses autres réclamations.
La société THAERON FILS a interjeté appel de ce jugement.
Monsieur X... a formé appel incident.
OBJET DES APPELS ET MOYENS DES PARTIES :
La société THAERON FILS conclut à l'infirmation de la décision déférée, au rejet de l'intégralité des prétentions du salarié et sollicite une indemnité de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Elle fait valoir :
- que les dispositions des articles L 122.32.1 et suivants n'étaient pas applicables en l'espèce dans la mesure où l'inaptitude à la navigation prononcée par le médecin des gens de mer le 13 novembre 2001 résultait d'une rechute de l'accident du travail dont le salarié avait été victime le 17 novembre 1987 chez un précédent employeur.
- que par voie de conséquence aucune disposition ne lui imposait de prendre une quelconque mesure à l'égard de Monsieur X... à compter du 13 novembre 2001.
- que le contrat de travail de ce dernier est resté suspendu jusqu'au 15 mai 2002 puisqu'il a continué à faire l'objet d'arrêts de travail jusqu'à cette date.
- qu'à l'issue de l'arrêt de travail elle devait effectivement procéder au reclassement de Monsieur X... à terre mais ne pouvait entreprendre une telle rec herche qu'après la visite médicale de reprise auprès du médecin du service de santé du travail en agriculture laquelle ne pouvait être programmée tant que le médecin traitant du salarié prolongeait les arrêts maladie.
- qu'à partir de la fin du mois d'avril 2002 Monsieur X... a cessé d'adresser des certificats médicaux et ne s'est plus présenté à l'entreprise malgré plusieurs mises en demeure.
- qu'aucun manquement justifiant la résiliation du contrat de travail à ses torts ne peut lui être reproché et que l'absence injustifiée du salarié était constitutive d'une faute grave ce qui rendait le licenciement parfaitement fondé.
Monsieur X... conclut pour l'essentiel à la confirmation du jugement mais à titre incident demande à la Cour de retenir l'application des dispositions des article L122.32.1 et suivant du code du travail et de condamner la société THAERON à lui verser en sus des sommes qui lui ont été allouées par le conseil de prud'hommes :
- 10 465 € à titre de rappel de salaire pour la période du 13 novembre 2001 au 13 juin 2002, sauf à parfaire jusqu'à la date de la rupture du contrat.
- un rappel de cotisations de retraite à destination des caisses concernées pour la période du 20 novembre 2001 au 28 juin 2002.
- 1794 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés pour l'année consécutive à l'arrêt de travail du 14 avril 2000.
- 3 000 € en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Il soutient :
- qu'il existe un lien de causalité entre la rechute de l'accident du travail et ses conditions de travail puisqu'il avait été blessé par un serpent à la main droite à l'origine et que ses fonctions d'ouvrier ostréicole le conduisaient à mettre régulièrement sa main droite dans l'eau froide et que dès lors les dispositions des articles L122.32.1 et suivant du code civil sont applicables.
- subsidiairement que les dispositions de l'article L122.24.4 du code du travail ont vocation à s'appliquer.
- que l'employeur après l'avis d'inaptitude devait soit le reclasser sur un poste à terre soit le licencier en cas d'impossibilité de reclassement, peu importe la prolongation des arrêts de travail.
- que la société THAERON avait parfaitement connaissance de sa situation médicale dès la mi-novembre 2001.
- que les carences et l'inertie de cette dernière ajoutées au fait qu'elle s'est totalement abstenue de reprendre le paiement des salaires justifie la résiliation du contrat de travail à ses torts.
- que le licenciement prononcé ultérieurement est inopérant et en toute hypothèse dépourvu de cause réelle et sérieuse.
- qu'il a droit à un rappel de salaire jusqu'à la date de la rupture de son contrat, à une indemnité de préavis, à une indemnité spéciale de licenciement en vertu de l'article L122.32.6 du code du travail ainsi qu'à des dommages-intérêts qui ne peuvent être inférieurs à 12 mois de salaire.
- qu'il peut également prétendre à une indemnité compensatrice de congés payés pour une période de référence d'un an.
Pour un plus ample exposé des moyens des parties la Cour se réfère expressément aux conclusions déposées et développées oralement à l'audience.
DISCUSSION :
Considérant qu'il est constant :
- que les rapports entre les parties étaient soumis au code du travail maritime ;
- que Monsieur X... a été déclaré inapte à la navigation le 13 novembre 2001 à la suite d'une rechute d'un accident du travail survenu en 1987 ;
- que la société THAERON a eu connaissance de cet avis d'inaptitude comme cela résulte des différentes lettres que lui a adressées la Direction Départementale des Affaires maritimes du FINISTERE et de ses propres courriers ;
- que l'employeur à la suite de cet avis d'inaptitude n'a procédé ni au reclassement du salarié ni à son licenciement et n'a pas repris le versement des salaires ;
Considérant que si l'article L 122.32 du code du travail exclut l'application de la législation protectrice des victimes d'accident du travail (ou de maladie professionnelle) aux rapports entre cet employeur et un salarié victime d'un accident du travail survenu lorsqu'il était au service d'un autre employeur, le salarié peut toutefois prétendre au bénéfice de la protection légale dès lors qu'il existe un lien de causalité entre la rechute ou l'accident du travail et ses conditions de travail ou tout autre événement inhérent à ses fonctions au service du nouvel employeur ;
Que force est de constater cependant en l'espèce qu'en l'absence de tout document médical produit permettant de connaître avec précision la nature des lésions subies lors de l'accident du travail initial survenu 13 ans auparavant et les éventuelles recommandations et préconisations et compte tenu de la durée pendant laquelle Monsieur X... a exercé ses fonctions d'ouvrier ostréicole au sein de la société THAERON qui l'a embauché en 1993, les éléments fournis sont suffisants pour établir que cette rechute ait eu un lien de causalité avec ses conditions de travail ;
Que les dispositions de l'article L122.32.1 et suivant doivent être écartées ;
Considérant en revanche que les dispositions de l'article L742.1 du code du travail qui prévoit que le contrat d'engagement ainsi que les conditions de travail des marins à bord des navires sont régis par des lois particulières ne font pas obstacle à ce que les dispositions de l'article L122.24.4 du code du travail soient appliquées à un marin devenu inapte à la navigation à la suite d'un accident où d'une maladie non professionnels à partir du moment où la situation d'un tel marin n'est régie par aucune loi particulière et où le droit du travail général n'est ni expressément exclu dans ce cas ni incompatible compte tenu d'éventuelles adoptions, sauf à admettre l'existence d'un rôle juridique ;
Considérant qu'il s'ensuit qu'en s'abstenant de procéder au reclassement de Monsieur X... sur un poste à terre ou de licencier l'intéressé si une telle possibilité de reclassement n'existait pas la société THAERON a fait preuve d'une carence et d'une inertie totales alors qu'à plusieurs reprises la direction des affaires maritimes lui a rappelé ses obligations et lui a demandé de régulariser la situation de l'intéressé ;
Considérant que de tels manquements présentent un caractère suffisamment grave pour que la résiliation judiciaire du contrat de travail soit prononcée aux torts de l'employeur, étant précisé :
- que le fait que Monsieur X... ait pendant un certain temps continué à adresser des arrêts de travail à la société THAERON est totalement inopérant dans la mesure où l'avis d'inaptitude (rendu selon les procédures en vigueur en matière maritime et dont la régularité n'est d'ailleurs pas remise en cause) a mis fin à la suspension du contrat de travail ;
- que le licenciement intervenu en juin 2002 est dépourvu de tout effet et n'a pas lieu d'être examiné ;
Que le jugement sera confirmé de ces chefs.
Considérant que Monsieur X... est en conséquence fondé à prétendre :
- à un rappel de salaire par application de l'article L122.24.4 du code du travail pour la période du 13 décembre 2002 au 30 juin 2002, date à laquelle il a pris sa retraite, dès lors qu'il s'agit d'un salaire "de remplacement" et que parallèlement il a saisi le tribunal d'instance pour voir statuer sur la rupture de son contrat de travail, usant ainsi de l'option qui lui était offerte ;
- à une indemnité de préavis et aux congés payés y afférents ;
- à une indemnité de licenciement mais qui n'a pas à être majorée puisque le statut protecteur n'est pas applicable, tenant compte de l'ancienneté du salarié jusqu'à la rupture du contrat de travail ;
- à des dommages-intérêts dont le montant a fait l'objet d'une exacte appréciation eu égard au préjudice subi par l'intéressé qui avait une dizaine d'année d'ancienneté ;
Considérant par contre que le salarié ne peut prétendre à l'indemnité de congés payés qu'il sollicite dès lors qu'il n'a pas été présent au moins un mois au cours des 12 derniers mois et qu'il ne verse aux débats aucune pièce de nature à justifier sa demande de rappel de cotisation de retraite aux caisses concernées ;
Considérant que l'équité commande d'allouer à Monsieur X... une indemnité supplémentaire de 2 000€ en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Que la société THAERON qui succombe pour l'essentiel supportera ses propres frais irrépétibles et les dépens;
PAR CES MOTIFS :
LA COUR
Confirme le jugement entrepris à l'exception du montant du rappel de salaire et du montant de l'indemnité de licenciement ;
Condamne la société Etablissements THAERON FILS à verser à Monsieur X... :
- 9 717,50 € au titre du versement des salaires par application de l'article L 122.24.4 du code du travail ;
- 2 460,52 € au titre de l'indemnité de licenciement;
Y additant,
Condamne la société Etablissements THAERON FILS à verser à Monsieur X... la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et aux dépens ;
Déboute les parties de leurs autres demandes.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,