Sixième Chambre
ARRÊT No
R. G : 07 / 04058
Mme Florence Christiane X...
C /
M. Jean Emmanuel Y...
POURVOI U 0818748 du 14 / 08 / 2008
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 07 AVRIL 2008
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Bernard CALLÉ, Président,
Madame Elisabeth MAUSSION, Conseiller,
Monsieur Marc JANIN, Conseiller,
GREFFIER :
Huguette NEVEU, lors des débats et lors du prononcé
MINISTERE PUBLIC :
Monsieur François-René A..., Substitut Général lequel a pris des réquisitions ;
DÉBATS :
En chambre du Conseil du 03 Mars 2008
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé par Monsieur Bernard CALLÉ, Président, à l'audience publique du 07 Avril 2008, date indiquée à l'issue des débats.
****
APPELANTE :
Madame Florence Christiane X...
née le 30 mai 1974 à RIS ORANGIS (91130)
agissant au nom et pour le compte de ses enfants :
Victoria et Arnaud X...
...
44800 SAINT HERBLAIN
représentée par la SCP JACQUELINE BREBION ET JEAN-DAVID CHAUDET, avoués
assistée de Me Anne BOUILLON, avocat
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2007 / 6900 du 29 / 11 / 2007 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de RENNES)
INTIMÉ :
Monsieur Jean Emmanuel Y...
né le 1er décembre 1955 à CHAMONIX MONT BLANC (74400)
...
38100 GRENOBLE
représenté par la SCP GAUTIER-LHERMITTE, avoués
assisté de Me C...ADAM subsituant Me D..., avocat
I. FAITS ET PROCÉDURE
Le 25 novembre 1998, Madame Florence X...donne naissance à une enfant prénommée Victoria. Elle est reconnue le 1er décembre 1998 par Monsieur E.... Mais, le 26 novembre 2002, le Tribunal de Grande Instance de Nantes, après expertise génétique, annule la reconnaissance.
Le 21 février 2000, Madame X...donne de nouveau naissance à un enfant prénommé Arnaud dont la filiation paternelle n'est pas établie.
Selon Madame X..., Monsieur Jean-Emmanuel Y...est le père de ses deux enfants.
C'est dans le cadre de son activité professionnelle que Madame X...a fait la connaissance de Madame Sofia Y...qui exerçait également la profession d'aide soignante, et de son mari, Monsieur Jean-Emmanuel Y.... La rencontre entre les deux parties se produit alors à la fin de l'année 1997. Selon les dires de Madame X..., leur relation se concrétise début 1998 et aboutit à la naissance de Victoria et Arnaud. Monsieur Y...n'a reconnu aucun des deux enfants.
Par acte du 27 mai 2005, Madame X...agissant au nom et pour le compte de ses deux enfants, assigne Monsieur Y...aux fins d'obtenir, sur le fondement des articles 342 et suivants du code civil, le versement de la somme de 300 euros pour chaque enfant, à titre de subsides. Elle sollicite, à titre subsidiaire, une expertise génétique.
Le Ministère public, le 31 janvier 2006, émet un avis favorable à la demande d'expertise génétique.
Par jugement avant dire droit du 8 juin 2006, le Juge aux affaires familiales du Tribunal de Grande Instance de Nantes a considéré que Madame X...ne démontrait pas l'existence de relations intimes rendant possible la paternité de Monsieur Y...sur les deux enfants Victoria et Arnaud. Cependant, le Juge aux affaires familiales a ordonné une expertise génétique.
Monsieur Y...s'est soustrait à trois reprises à la mesure d'instruction qui par ailleurs, est de droit en matière de filiation tout comme en matière de subsides.
Par jugement en date du 2 mai 2007, le Tribunal de Grande Instance de Nantes a notamment :
débouté les parties de leurs demandes,
laissé les dépens à la charge de Madame X....
Madame X...a interjeté appel de cette décision par acte du 2 juillet 2007.
II. MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par conclusions récapitulatives en date du 31 août 2007, Madame X...demande à la Cour de :
réformer le premier jugement et déclarer recevable l'action aux fins de subsides initiée par elle,
dire et juger que Madame X...rapporte la preuve des relations intimes ayant existé entre elle et Monsieur Y...au moment de la conception de Victoria et Arnaud X...,
fixer à 300 euros par mois et par enfant la contribution versée par Monsieur Y...à ses enfants Victoria et Arnaud, soit un total de 600 euros,
faire rétroagir l'octroi de cette contribution au 27 mai 2005, date de l'assignation en première instance,
assortir cette contribution de l'indexation d'usage,
condamner Monsieur Y...à payer à Madame X...la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Par conclusions récapitulatives en date du 11 décembre 2007, Monsieur Y...demande à la Cour de :
confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 2 mai 2007 par le Tribunal de Grande Instance de Nantes,
débouter Madame X...de toutes ses demandes, fins et conclusions.
A titre subsidiaire, il demande à la Cour de fixer la pension alimentaire à 125 euros par mois pour les deux enfants,
et, en tout état de cause de :
condamner Madame X...à payer la somme de 1500 euros au titre de dommages et intérêts,
condamner Madame X...à payer la somme de 1500 euros au titre des frais irrépétibles,
condamner Madame X...aux entiers dépens, lesquels seront recouvrés par la S. C. P Yvonnick GAUTIER et Christophe LHERMITTE, avoués associés, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par écritures du 18 janvier 2008, le Ministère Public conclut à l'infirmation de la décision dont appel et s'en rapporte sur le montant des subsides.
Pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, la Cour fait référence à leurs dernières écritures respectives.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 24 janvier 2008.
III. MOTIFS DE LA DÉCISION
A) Sur l'action aux fins de subsides
Aux termes de l'article 342 alinéa 1er du code civil, " tout enfant dont la filiation paternelle n'est pas légalement établie, peut réclamer des subsides à celui qui a eu des relations avec sa mère pendant la période légale de conception ".
Madame X...prétend avoir eu des relations intimes avec Monsieur Y...pendant la période légale de conception de ses enfants. Si Monsieur Y..., quant à lui, nie toute relation intime avec Madame X...et affirme n'avoir rencontré cette dernière qu'une ou deux fois dans sa vie, il s'avère en réalité qu'il est parti en vacances avec Madame X...et ses enfants et qu'il a rencontré la mère et le père de celle-ci.
En outre, Madame X...apporte plusieurs indices permettant d'établir la réalité d'une relation intime avec ce dernier tels que des photographies, une vidéo et des attestations des membres de sa famille. Si les photographies ne permettent effectivement pas à elles seules, comme l'a retenu le Tribunal de Grande Instance de Nantes, d'en déduire la preuve de l'existence de relations intimes rendant possible la paternité de Monsieur Y...sur Victoria et Arnaud, elles permettent cependant de démontrer que les relations entre les deux parties étaient différentes de ce que Monsieur Y...laisse entendre et allaient au-delà de simples relations d'amitié. Elles sont d'ailleurs confortées par les attestations des parents et de la soeur de Madame X...disant que cette dernière leur a présenté Monsieur Y...comme le père de ses enfants. En outre, Monsieur F...atteste s'être rendu à Grenoble en janvier 2000 pour récupérer les meubles de Madame X...qui se trouvaient au domicile de Monsieur Y....
Par ailleurs, Madame X...a sollicité une expertise génétique. En effet, l'expertise génétique est la seule preuve absolue de la paternité. Le Tribunal de Grande Instance de Nantes a fait droit à sa demande dans une décision du 8 juin 2006.
Cependant, Monsieur Y..., qui pourtant avait dans ses écritures devant le premier juge précisé qu'il se plierait à cette mesure, a refusé de se soumettre à cet examen et ce à trois reprises. Force est de constater que désormais l'expertise génétique est de droit en matière d'action à fins de subsides, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder. Or, en l'espèce, Monsieur Y...n'expose aucun motif valable à son refus de se soumettre à l'examen génétique.
Les éléments apportés par l'appelante additionnés au refus de Monsieur Y...de se soumettre à l'expertise génétique constituent des éléments de preuves suffisants au sens de l'article 342 du code civil pour retenir, malgré les attestations qu'il produit, que Monsieur Y...a bien eu des relations intimes avec Madame X...pendant la période légale de conception des enfants Victoria et Arnaud.
Il convient donc d'infirmer le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Nantes le 2 mai 2007 en ce qu'il a débouté Madame X...de sa demande de subsides.
B) Sur le montant des subsides
Aux termes de l'article 342-2 alinéa 1, " les subsides se règlent, en forme de pension, d'après les besoins de l'enfant, les ressources du débiteur, la situation familiale de celui-ci ".
L'action à fins de subsides jugée bien fondée par la Cour implique donc de prendre en considération la situation de Monsieur Y...pour en déduire le montant des subsides qu'il devra verser à Victoria et Arnaud. La situation de Madame X...quant à elle, n'a pas lieu d'être prise en compte. En effet, quelle que soit la situation financière de la mère, celle-ci est en droit de réclamer des subsides à celui que la loi met dans l'obligation de contribuer à l'entretien des enfants. Force est cependant de constater que Madame X...bénéficie de l'aide juridictionnelle totale.
La situation de Monsieur Y...est actuellement la suivante :
- salaire moyen en 2005 : 2477 euros / mois (29724 euros déclarés)
- prêt immobilier : 501, 86 euros / mois
-prêt voiture : 128, 10 euros / mois
-taxe d'habitation (2006) : 509 euros / an soit 42, 42 euros par mois
-taxe foncière (2006) : 1128 euros / an soit 94 euros / mois
-impôts sur le revenu (2005) : 78, 67 euros / mois (944 euros / an)
- pensions alimentaires pour deux autres enfants : 250 euros.
Monsieur Y...dispose donc de 1381, 95 euros par mois pour ses dépenses courantes.
Les enfants sont aujourd'hui âgés de 10 et 8 ans.
Il convient donc de fixer à 100 euros par mois et par enfant la contribution versée par Monsieur Y...à ses enfants Victoria et Arnaud, soit un total de 200 euros, et ce à compter du 27 mai 2005, date de l'assignation introductive d'instance.
C) Sur les dommages et intérêts
Aux termes de l'article 1382, " tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ".
Monsieur Y...demande la condamnation de Madame X...au paiement de 1500 euros au titre de dommages et intérêts. Il prétend que l'action intentée par Madame X...est abusive et ne tend qu'à nuire aux intérêts de Monsieur Y....
Dès lors qu'il est fait droit à la demande de Madame X..., il n'est pas établi que celle-ci ait commis une faute en engageant cette procédure. Il convient donc de débouter Monsieur Y...de sa demande.
D) Sur les frais et dépens
Compte tenu de la nature de la cause, il convient de laisser à Monsieur Y...la charge des dépens de première instance et d'appel.
En revanche, la situation économique de Monsieur Y...justifie de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, alors qu'en outre Madame X...bénéficie de l'aide juridictionnelle totale.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Après rapport fait à l'audience,
Réforme le jugement en ce qu'il a débouté Madame X...de sa demande tendant à obtenir le versement par Monsieur Y...de 300 euros par enfant à titre de subsides,
Déclare Madame X...bien fondée en sa demande de subsides,
Fixe, à compter du 27 mai 2005, à 100 euros par mois et par enfant les subsides que doit verser Monsieur Y...à Madame X...pour les enfants Victoria et Arnaud X..., soit un total de 200 euros,
Dit que cette somme est indexée sur l'indice national des prix à la consommation et réévaluée de plein droit, sans formalité, automatiquement et proportionnellement, chaque premier janvier, compte tenu du montant de l'indice du mois d'octobre précédent et de sa variation par rapport à l'indice existant en mai 2005 et selon la formule suivante :
contribution d'origine X indice d'octobre = somme actualisée
indice d'origine
Déboute Monsieur Y...de sa demande tendant à condamner Madame X...à payer la somme de 1500 euros à titre de dommages et intérêts,
Déboute les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Monsieur Y...aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT