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05/06/2007 | FRANCE | N°250

France | France, Cour d'appel de Rennes, Ct0007, 05 juin 2007, 250


FAITS ET PROCÉDURE

Exposant qu'elle est propriétaire d'un ensemble immobilier dénommé "Gué Lambert" situé commune de Trégueux, comprenant un manoir, une ferme et diverses parcelles de terre, le tout d'une contenance de 30 ha 37 a 92 ca, que ces terres sont desservies par divers charrois dépendant de son fonds et que la commune de Trégueux argue d'un droit de propriété sur le charroi dit "du Gué Lambert", par acte du 21 février 2002 Madame Ghislaine X... épouse RAOUL saisit le Tribunal aux fins de se voir déclarer propriétaire du chemin litigieux.

Par jugement du 9

septembre 2003 le Tribunal de grande instance de Saint Brieuc ordonna une ...

FAITS ET PROCÉDURE

Exposant qu'elle est propriétaire d'un ensemble immobilier dénommé "Gué Lambert" situé commune de Trégueux, comprenant un manoir, une ferme et diverses parcelles de terre, le tout d'une contenance de 30 ha 37 a 92 ca, que ces terres sont desservies par divers charrois dépendant de son fonds et que la commune de Trégueux argue d'un droit de propriété sur le charroi dit "du Gué Lambert", par acte du 21 février 2002 Madame Ghislaine X... épouse RAOUL saisit le Tribunal aux fins de se voir déclarer propriétaire du chemin litigieux.

Par jugement du 9 septembre 2003 le Tribunal de grande instance de Saint Brieuc ordonna une expertise confiée à Monsieur Y..., ultérieurement remplacé par Monsieur DE FERRON.

L'expert déposa son rapport le 18 janvier 2005.

Par jugement du 28 mars 20061e Tribunal de grande instance de Saint Brieuc :

débouta Madame X... épouse RAOUL de toutes ses demandes,

la condamna aux dépens et au paiement d'une somme de 2000 € en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Madame X... forma appel de ce jugement.

POSITION DES PARTIES

* MADAME X...

Dans ses dernières conclusions en date du 18 août 2006 Madame X... demande à la Cour:

d'infirmer le jugement,

de dire et juger qu'elle est titulaire d'un droit de propriété sur les chemins dits "du Gué Lambert"bordant au Nord les parcelles nº 513, 512, 501, 494, 492, 493 et au Sud nº 593, 594, 595, 597 et 2994 situées commune de Trégueux, section A,

de débouter la commune de Trégueux de toutes ses demandes,

de condamner la commune de Trégueux aux dépens et au paiement d'une somme de 2500 € en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

* LA COMMUNE DE TRÉGUEUX

Dans ses dernières écritures en date du 13 novembre 2006 la commune de Trégueux demande à la Cour:

de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Madame X... de toutes ses demandes,

de dire et juger que Madame X... ne justifie pas de sa propriété du chemin dit "du Gué Lambert",

de condamner Madame X... à lui payer une somme de 5000 € à titre de dommages et intérêts,

de condamner Madame X... aux dépens qui comprendront les frais de l'expertise ainsi qu'au paiement d'une somme de 3500 € en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

* SUR LA NATURE DU CHEMIN LITIGIEUX

Aux termes de l'article L 161-1 du code rural les chemins ruraux sont les chemins appartenant aux communes, affectés à l'usage du public, qui n'ont pas été classés comme voies communales. Ils font partie du domaine privé de la commune.

L'article L 161-2 précise: L'affectation à l'usage du public est présumée, notamment par l'utilisation du chemin rural comme voie de passage ou par des actes réitérés de surveillance ou de voirie municipale.

En application de ces textes tout chemin affecté à l'usage du public, c'est à dire tout chemin ouvert à la circulation générale et continue constituant un élément du réseau routier destiné à desservir des lieux publics, est présumé appartenir à la commune sur le territoire de laquelle il est situé.

Le droit de propriété de la commune ne s'éteint pas par le non-usage. En conséquence, même s'il a cessé d'être utilisé ou entretenu, un chemin rural est réputé appartenir à la commune tant que son aliénation n'a pas été réalisée dans les formes prescrites par la loi.

Dans le cas présent, contrairement à ce qu'indique Madame X... dans ses écritures, il ressort de la comparaison des différents plans produits aux débats que le chemin actuellement dénommé "du Gué Lambert"correspond bien à celui qui, sur l'ancien cadastre, était nommé chemin "du Créha à Saint Brieuc".

Ce chemin était déjà répertorié au cadastre napoléonien. Il n'était pas numéroté, ni fermé aux extrémités et faisait l'objet d'une dénomination.

L'ancien cadastre permet de constater que le chemin "du Créha à Saint Brieuc" constituait un élément d'un plus vaste réseau de voies de communication. En effet il partait du chemin de "Bourneufl', au lieu-dit "Croix Farhoux". Le chemin du "BourneuF' desservait lui-même les hameaux de la Ville Car et Le Guerneau et aboutissait au chemin dit "Bocco". Le chemin du "Créha à Saint-Brieuc" débutait au lieu-dit Croix Farhoux, dans le prolongement du chemin du "Bourneuf' et desservait la métairie du Gué Lambert, puis prenant le nom de chemin du "Gué Lambert", il bifurquait pour desservir les localités habitées de Fontaine Brou et de Ville Aubry avant d'aboutir au chemin dit la "Ville Grohan".

Sur le nouveau cadastre le chemin litigieux correspond à la portion d'une voie qui relie la route départementale à la rue du Bois Blanc et il s'intègre dans un réseau de rues reliant divers hameaux.

Il ressort des très nombreuses attestations rédigées par des personnes âgées que le chemin dit du "Gué Lambert" a toujours existé, qu'il était utilisé depuis des temps immémoriaux par les habitants des différents hameaux pour se rendre d'un hameau à un autre, de leur domicile à leurs terres, pour mener les troupeaux, pour accéder à une chapelle et à un étang. Il servait encore de raccourci pour se rendre à Saint Brieuc et même de lieu d'exercice pour l'armée.

Il ressort encore des constatations de l'expert judiciaire les faits suivants:

le chemin fait l'objet, sur l'ancien cadastre d'une dénomination, ce qui emporte le principe d'un caractère d'usage public puisqu'une dénomination propre fait apparaître qu'un tel chemin a pour objet de relier deux sites distincts,

sur l'ancien cadastre les emprises physiques des parcelles qui bordent le chemin sont parfaitement délimitées par des talus, ce qui établit qu'il était fait une distinction entre les propriétés spécifiquement privatives et le chemin,

sur le nouveau cadastre la portion Nord du chemin, qui faisait partie intégrante de l'ancien chemin du "Créha à Saint Brieuc" est devenue une voie communale dénommée "rue du Gué Lambert".

Il est ainsi établi que le chemin dit du "Gué Lambert" dessert depuis des temps immémoriaux des hameaux entre eux, et donc qu'il relie des lieux publics à d'autres lieux publics, qu'il n'est qu'un élément d'un plus vaste réseau de voies de communication et qu'il a toujours été affecté à l'usage public et ouvert à la circulation générale et continue.

La preuve que ce chemin est affecté à l'usage du public étant ainsi établie, il doit être qualifié de chemin rural et la commune en est présumée propriétaire.

* SUR LA REVENDICATION DE PROPRIÉTÉ

La présomption de propriété édictée par l'article L 161-2 du code rural n'est pas irréfragable et il appartient à celui qui revendique un tel chemin de rapporter la preuve de son titre de propriété ou d'une possession trentenaire conformément aux articles 2228 et suivants du code civil.

Madame X... soutient que le titre de ses auteurs lui attribue la propriété de ce chemin. Subsidiairement elle considère qu'elle l'a acquisepar prescription.

- sur les titres de propriété

Madame X... détient ses droits de Monsieur Jules Z... lequel a acquis la métairie du "Gué Lambert" suivant acte du 31 juillet 1928 au rapport de Maître A....

En page 2 de cet acte les immeubles vendus sont désignés de la manière suivante : "La métairie du Gué Lambert située commune de Trégueux et par extension commune de Ploufragan comprenant bâtiments d'habitation et d'exploitation, terres labourables et non labourables, déports, jardins, prés, landes, charrois sans aucune exception ni réserve, tel que ladite métairie pour la majeure partie louée (.) Le tout pour 38 ha 49 a 37 ca".

Sur l'ancien cadastre, soit à l'époque de cette vente, le chemin litigieux ne figurait pas sous un numéro mais sous sa dénomination.

Dès lors ce chemin ne figure pas dans la liste des parcelles énumérées à l'acte de vente.

Le chemin dont s'agit ne saurait être considéré comme un charroi. En effet un charroi est un petit sentier permettant le passage de charrettes d'une parcelle de terre à une autre.

Or le chemin anciennement dénommé du "Créha à Saint Brieuc", à raison de sa longueur, de sa largeur et de son importance, de sa destination consistant à relier entre elles des localités habitées, ne répond nullement à l'appellation de charroi.

En conséquence le titre de Madame X..., en ce qu'il lui attribue les charrois sans exception ni réserve, ne contredit pas la présomption dont bénéficie la commune de Trégueux.

- sur la possession

Madame X... soutient qu'elle a acquis la propriété du chemin pour l'avoir possédé entre les années 1952 et 1993. Elle expose que, durant toute cette période, les talus ont été arasés et le chemin labouré par ses fermiers et intégré à son domaine.

Toutefois Madame X... ne justifie pas d'une possession trentenaire.

En effet un seul témoin, Madame Marie B..., vient attester que le chemin aurait été supprimé dans le courant de l'année 1950. Or ce témoignage est contredit par ceux de Messieurs Jean C..., André D..., André E..., qui certifient avoir continué à emprunter ce chemin jusque dans les années 1979/1980. Madame Marie-Hélène Z... atteste quant à elle qu'il était toujours utilisé de l'année 1955 à l'année 1970.

Un autre témoin, Madame F..., se déclare dans l'incapacité de préciser à quelle date le chemin a été intégré à la propriété de Madame X....

Si la photographie aérienne de l'année 1993 apporte la preuve qu'à cette date le chemin avait disparu pour être intégré aux terres labourables le bordant, le tracé du chemin apparaît encore nettement sur celles datant des années 1948 et 1989.

En conséquence la décision du premier juge sera confirmée en ce qu'elle a débouté Madame X... de toutes ses demandes.

* SUR LA DEMANDE DE DOMMAGES ET INTÉRÊTS

La preuve n'étant pas rapportée que le droit d'agir en justice de Madame X... ait dégénéré en abus ni qu'elle ait fait preuve d'un véritable acharnement judiciaire, la commune de Trégueux sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

* SUR LES DÉPENS

Les dépens seront supportés par Madame X... qui succombe en son appel.

Madame X... sera déboutée de sa demande formée en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et condamnée à payer, à ce titre, à la commune de Trégueux une somme de 2000 €, somme qui s'ajoutera à celle déjà accordée par le premier juge sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement en date du 28 mars 2006 rendu par le Tribunal de grande instance de Saint Brieuc en toutes ses dispositions.

Y ajoutant,

Déboute la commune de Trégueux de sa demande de dommages et intérêts.

Déboute Madame Ghislaine X... épouse RAOUL de sa demande formée en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Condamne Madame X... à payer à la commune de Trégueux une somme de deux mille euros ( 2000,00 €) en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, somme qui s'ajoutera à celle déjà accordée par le premier juge sur le même fondement.

Condamne Madame X... aux dépens de première instance et d'appel qui comprendront les frais de l'expertise et qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : Ct0007
Numéro d'arrêt : 250
Date de la décision : 05/06/2007

Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Saint-Brieuc, 23 mars 2006


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.rennes;arret;2007-06-05;250 ?
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