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04/09/2024 | FRANCE | N°23/01030

France | France, Cour d'appel de Reims, Chambre sociale, 04 septembre 2024, 23/01030


Arrêt n° 461

du 04/09/2024





N° RG 23/01030 - N° Portalis DBVQ-V-B7H-FLGB















Formule exécutoire le :



04/09/2024



à :



- LINVAL

- [W]

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE SOCIALE

Arrêt du 04 septembre 2024





APPELANTE :

d'une décision rendue le 09 juin 2023 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TROYES, section ENCADREMENT (n° F 21/00117)



Madame [J] [P] [Y]

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[Localité 2]



Représentée par la SELARL CORINNE LINVAL, avocats au barreau de l'AUBE

et par la SCP DELVINCOURT - CAULIER-RICHARD - CASTELLO AVOCATS ASSOCIES, avocats au barreau de REIMS





INTIMÉE :



S.A.S. ROUSSEY

[Adresse...

Arrêt n° 461

du 04/09/2024

N° RG 23/01030 - N° Portalis DBVQ-V-B7H-FLGB

Formule exécutoire le :

04/09/2024

à :

- LINVAL

- [W]

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE SOCIALE

Arrêt du 04 septembre 2024

APPELANTE :

d'une décision rendue le 09 juin 2023 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TROYES, section ENCADREMENT (n° F 21/00117)

Madame [J] [P] [Y]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par la SELARL CORINNE LINVAL, avocats au barreau de l'AUBE

et par la SCP DELVINCOURT - CAULIER-RICHARD - CASTELLO AVOCATS ASSOCIES, avocats au barreau de REIMS

INTIMÉE :

S.A.S. ROUSSEY

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par la SELARL LAMORIL-WILLEMETZ-LETKO-BURIAN, avocat au barreau de ARRAS

DÉBATS :

En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 mai 2024, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur François MÉLIN, Président de chambre, et Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseillère, chargés du rapport, qui en ont rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 04 septembre 2024.

COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :

Monsieur François MÉLIN, président

Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseillère

Madame Isabelle FALEUR, conseillère

GREFFIER lors des débats :

Madame Allison CORNU-HARROIS, greffière

ARRÊT :

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur François MÉLIN, président, et Madame Allison CORNU-HARROIS, greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Le 17 mai 2021, Madame [J] [P] [Y], employée depuis le 1er septembre 2001 en qualité d'ingénieur étude de prix, avec une ancienneté au 1er septembre 1998, par la société Roussey -groupe EUROVIA VINCI, a saisi le conseil de prud'hommes de TROYES d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, avant d'être licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 16 juin 2022.

En l'état de ses dernières écritures, elle a demandé au conseil de prud'hommes de:

- Prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail, avec les effets d'un licenciement nul, et à tout le moins sans cause réelle et sérieuse,

A titre subsidiaire,

- Juger que le licenciement du 16 juin 2022 est nul et subsidiairement sans cause réelle ni sérieuse,

- Juger nul et à tout le moins privée d'effet la convention de forfait jours,

- Condamner en conséquence la société ROUSSEY à lui verser les sommes suivantes :

o 4 573,58 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires d'avril à décembre 2018,

o 457,35 euros à titre de congés payés afférents,

o 6 048,66 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires pour l'année 2019,

o 604,86 euros à titre de congés payés afférents,

o 2 746,72 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires pour l'année 2020,

o 274,67 euros à titre de congés payés afférents,

o 12 001,20 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

o 1 200,12 euros à titre de congés payés afférents,

o 120 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices nés du licenciement nul, et à tout le moins sans cause réelle et sérieuse,

o 20 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral né du harcèlement sexuel et du harcèlement moral,

o 20 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés de l'absence de mesures de prévention des risques psychosociaux,

o 24 000 euros à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé,

o 3 600 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

- Condamner la société Roussey aux entiers dépens de première instance.

En réplique, la SAS Roussey a demandé au Conseil de débouter la salariée et de la condamner aux dépens et au paiement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement contradictoire rendu le 9 juin 2023, le conseil de prud'hommes a :

- dit Madame [J] [P] [Y] recevable et partiellement fondée en ses demandes,

- dit que la convention de forfait jours est privée d'effet,

- condamné la SAS Roussey au paiement des sommes suivantes :

. 4 573,58 euros à titre d'heures supplémentaires d'avril à décembre 2018,

. 457,35 euros à titre de congés payés afférents,

. 6 048,66 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires pour l'année 2019,

. 604,86 euros à titre de congés payés afférents,

. 2 746,72 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires pour l'année 2020,

. 274,67 euros à titre de congés payés afférents,

- débouté la salariée du surplus de ses demandes,

- condamné la SAS Roussey au versement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 de Code de Procédure Civile,

- condamné Ia SAS Roussey aux dépens.

Le 26 juin 2023 la salariée a interjeté appel du jugement en ce que le Conseil de Prud'hommes :

- a dit Madame [J] [P] [Y] partiellement fondée en ses demandes,

- a dit qu'elle n'avait pas été victime d'un harcèlement moral ou sexuel,

- a dit qu'il n'y avait pas lieu de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail,

- a dit que le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement était régulier et fondé,

- l'a déboutée du surplus de ses demandes,

- a condamné l'employeur au paiement d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 15 avril 2024.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions notifiées par voie électronique le 14 septembre 2023, l'appelante demande à la cour de :

- Déclarer recevable et bien fondé l'appel interjeté à l'encontre du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Troyes le 9 juin 2023,

- Infirmer le jugement attaqué sauf en ce qu'il a jugé que la convention de forfait jours était privée d'effet et condamné la SAS Roussey au paiement des rappels de salaires et congés payés afférents pour les années 2018, 2019 et 2020,

A titre principal,

- Prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société Roussey, avec les effets d'un licenciement nul, ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse,

- Condamner en conséquence la société Roussey à lui verser les sommes retenues par le conseil de prud'hommes au titre des heures supplémentaires et congés payés afférents, outre les sommes réclamées en première instance au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, de dommages et intérêts en réparation des préjudices nés du harcèlement moral et sexuel, ceux nés de l'absence de prévention des risques psychosociaux et de la rupture nulle ou abusive du contrat de travail, au titre de l'indemnité de travail dissimulé, y ajoutant une demande de 5 000 euros en remboursement de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.

- Condamner la société Roussey aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 10 novembre 2023, l'intimée demande à la cour de :

- Juger que les demandes de l'appelante sont irrecevables et mal fondées.

En conséquence,

- Confirmer le jugement rendu le 9 juin 2023 par le conseil de prud'hommes de Troyes en ce qu'il a :

o Dit que Madame [J] [P] [Y] n'avait pas été victime d'un harcèlement moral ou sexuel,

o Dit qu'il n'y avait pas lieu de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail,

o Dit que le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement de Madame [J] [P] [Y] était régulier et fondé,

- Infirmer le jugement rendu le 9 juin 2023 par le Conseil de Prud'hommes de Troyes en ce qu'il a :

o Dit Madame [J] [P] [Y] recevable et partiellement fondée en ses demandes,

o Dit que la convention de forfait jours était privée d'effet,

- Condamné le SAS Roussey au paiement de rappels de salaires au titre des heures supplémentaires avec congés payés afférents,

- Condamné la SAS Roussey au versement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 de Code de Procédure Civile,

- Condamné Ia SAS Rousseau aux dépens.

En tout état de cause,

- Débouter Madame [J] [P] [Y] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- Condamner Madame [J] [P] [Y] au paiement d'une somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- La condamner aux entiers dépens.

MOTIVATION

Au préalable il faut faire observer que la prétention tendant à l'irrecevabilité des demandes de l'appelante n'est soutenue par aucun moyen de sorte que les demandes seront déclarées recevables.

1- Sur l'exécution du contrat de travail:

- Sur le forfait jour:

La salariée soutient avoir été embauchée selon lettre d'engagement du 18 septembre 2001, faisant référence, pour l'annualisation du temps de travail sur une base de 217 jours travaillés, à l'accord BTP du 6 novembre 1998, que l'employeur a continué à appliquer même après son annulation par la cour de cassation.

Surabondamment, la salariée prétend que l'entreprise n'a pas mis en 'uvre de processus de traçabilité du suivi de la charge de travail, qu'elle s'est limitée à réaliser un entretien tous les deux ans portant sur les performances, et qu'il résulte nécessairement que la convention individuelle de forfait en jours est privée d'effet et que le temps de travail doit être apprécié par référence à l'horaire légal de travail de 35 heures hebdomadaires.

L'employeur intimé ne présente aucun moyen à ce sujet.

A peine de nullité, toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.

Toutefois, selon l'article L 3121-65 I du code du travail, issu de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, "à défaut de stipulations conventionnelles prévues aux 1° et 2° du II de l'article L. 3121-64, une convention individuelle de forfait en jours peut être valablement conclue sous réserve du respect des dispositions suivantes :

1° L'employeur établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l'employeur, ce document peut être renseigné par le salarié ;

2° L'employeur s'assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;

3° L'employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l'organisation de son travail, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération".

L'article L. 3121-64 II 1° et 2° du code du travail "l'accord autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours détermine :

1° Les modalités selon lesquelles l'employeur assure l'évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié ;

2° Les modalités selon lesquelles l'employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l'organisation du travail dans l'entreprise".

L'article 12 III de la loi de 2016 précitée précise que " l'exécution d'une convention individuelle de forfait en jours conclue sur le fondement d'une convention ou d'un accord de branche ou d'un accord d'entreprise ou d'établissement qui, à la date de publication de la présente loi, n'est pas conforme aux 1° à 3° du II de l'article L. 3121-64 du code du travail peut être poursuivie, sous réserve que l'employeur respecte l'article L. 3121-65 du même code. Sous ces mêmes réserves, l'accord collectif précité peut également servir de fondement à la conclusion de nouvelles conventions individuelles de forfait".

En l'espèce, la convention individuelle de forfait a été conclue le 18 septembre 2001, sous l'égide de la convention collective nationale des ingénieurs, cadres et assimilés des travaux publics en vigueur au 1er juillet 1956 et de l'accord BTP du 6 novembre 1998, tous deux exempts de stipulations assurant la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.

Toutefois, la convention collective nationale des ingénieurs, cadres et assimilés des travaux publics du 20 novembre 2015 est venue corriger cette défaillance. Cependant, elle ne remplit pas les conditions de l'article L 3121-64 II 1° du code précité, faute de préciser les modalités d'évaluation de la charge de travail du salarié. Les précisions apportées ne concernent en effet que le suivi de la charge de travail.

Néanmoins, l'employeur peut mettre en 'uvre valablement une convention de forfait s'il respecte les conditions l'article L 3121-65 I du code du travail, issu de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, étant observé à cet égard que l'employeur ne prétend pas avoir mis en place les outils nécessaires à l'évaluation et au suivi de la charge de travail de la salariée.

En conséquence faute d'accord collectif de branche ou d'entreprise conforme aux dispositions de l'article L 3121-64 II du code du travail, non corrigée par la pratique de l'employeur, la convention de forfait est nulle, et le jugement sera infirmé en ce qu'il l'a jugé privée d'effets.

- Sur le paiement des heures supplémentaires:

La salariée expose qu'elle a établi un décompte des heures de travail accomplies à partir d'extraction de sa boite électronique, des SMS échangés et de son agenda. Elle indique arriver à son bureau entre 7h30 et 8h, le quitter entre 17h30 et 18h en prenant une pause méridienne d'une heure trente maximum, et ne pas prendre cette pause lorsque des gros chantiers nécessitaient un travail supplémentaire, et même travailler plus tard le soir, samedi et dimanche. A ce titre, la salariée indique que contrairement aux propos de la société Roussey qui indique qu'elle prenait son temps pour effectuer son travail, elle était exposée à une surcharge de travail.

L'employeur reproche au conseil de prud'hommes de Troyes d'avoir fait droit aux demandes de sa salariée, alors que, selon lui, l'envoi d'un sms ou mail à 8h ou 20h ne permet pas de considérer que celle-ci a travaillé 12h par jour. Il soutient que le responsable du bureau d'étude indique que Madame [P] [Y] a toujours quitté à 17h30 pour privilégier sa vie de famille. Il prétend que le conseil de prud'hommes s'est contenté des relevés et tableaux produits par la salariée sans s'interroger sur leur fiabilité, sans tenir compte de l'attestation du responsable du bureau d'études précité, et indique que la requérante ne s'est jamais manifestée au sujet de la réalisation de la moindre heure supplémentaire. Il assure que loin d'être surchargée en télétravail, Madame [P] [Y] prenait son temps pour accomplir les missions qui lui étaient confiées. Il apporte en pièces 8 et 10 les entretiens individuels de progrès réalisés en 2018 et 2020 qui ne font pas état de la réalisation d'heures supplémentaires et encore moins impayées.

Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L. 3171-3 du même code, l'employeur tient à la disposition de l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L.8112-1 les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

La salariée produit en pièce 20 de son dossier un décompte réalisé au jour le jour des heures de travail effectuées avec un récapitulatif annuel, ce qui est suffisamment précis pour permettre à l'employeur de justifier des horaires réalisés.

L'employeur, qui se croyait tenu par une convention de forfait, n'a pas établi le décompte des heures effectuées par la salariée, étant rappelé à cet égard que, comme il a été dit plus haut, il s'est également abstenu préalablement à la convention de forfait, et régulièrement par la suite, d'évaluer la charge de travail de la salariée. L'absence de revendication en cours d'exécution du contrat de travail n'est pas à elle seule un signe d'absence d'heures supplémentaires. L'attestation du supérieur hiérarchique que la salariée accuse de harcèlement moral et qui affirme que celle-ci a toujours quitté son poste à 17h30 et ne restait pas au bureau plus tard en raison de contraintes familiales, privilégiant sa vie de famille, n'est pas suffisant pour faire la preuve d'une absence d'heures supplémentaires, d'autant que l'établissement d'une convention de forfait, par définition, induit une absence de comptabilisation des heures et une majoration du salaire forfaitaire en guise de rémunération des heures effectués au-delà du temps de travail légal.

Convaincue de l'existence d'heures supplémentaires, et en l'absence de décompte contraire à celui produit par la salariée, il convient de faire droit sur le principe à la demande d'heures supplémentaires.

Toutefois, pour ce qui concerne le quantum, force est de constater que la convention collective de 2015 précitée prévoit expressément la majoration de 15% du salaire forfaitaire de sorte que si la salariée n'avait pas été soumise au régime du forfait, elle aurait perçu un salaire inférieur de 15 %.

Aussi, les heures supplémentaires seront calculées sur la base d'un salaire de :

- 2 956,53 euros en 2018, soit un salaire horaire de 19,50 euros,

- 3 026,08 euros en 2019, soit un salaire horaire de 19,95 euros,

- 3 052,17 euros en 2020, soit un salaire horaire de 2020.

Pour l'année 2018, c'est une somme de 4 088,18 euros qui est due à raison de 143,15 heures supplémentaires majorées de 25% et 20,50 heures supplémentaires majorées de 50%.

Pour l'année 2019, c'est une somme de 5 009,95 euros arrondie à 5 010 euros qui est due à raison de 192,20 heures supplémentaires majorées de 25% et 7,30 majorées de 50%.

Pour l'année 2020, c'est une somme de 2 364,12 euros qui est due à raison de 66,15 heures supplémentaires majorées de 25% et de 23,20 heures majorées de 50%.

Ces sommes, outre, les congés payés afférents, seront allouées à l'appelante par infirmation du jugement.

- Sur le travail dissimulé:

La salariée prétend avoir travaillé durant ses arrêts maladie, ses congés, repos, périodes durant lesquelles l'employeur n'a pas voulu, selon elle, opérer de rectification de ses congés. Elle prétend avoir fait des journées de télétravail pendant le confinement avec des horaires pouvant varier d'un jour à l'autre, ce dont elle s'est plainte auprès de son employeur. Elle soutient avoir travaillé pendant ses arrêts maladie et devait affronter les griefs de l'employeur si elle ne le faisait pas.

L'employeur soutient que la nullité d'une convention de forfait n'entraine pas la démonstration du caractère intentionnel du travail dissimulé, et qu'il incombe à la salariée de rapporter la preuve selon laquelle la société ROUSSEY aurait eu intentionnellement recours au travail dissimulé, intention qu'il conteste.

L'employeur, se croyant tenu par une convention de forfait valide, n'a pas logiquement comptabilisé les heures de la salariée, et l'a rémunéré au forfait incluant les heures supplémentaires.

Aussi, et quand bien même le travail se serait effectué pendant une période de congé ou de suspension du contrat de travail, l'intention dissimulatrice n'est pas caractérisée faute d'autres éléments de preuve. Aussi, le travail dissimulé ne peut être retenu de sorte que le jugement sera confirmé sur ce point.

- Sur le harcèlement:

Le harcèlement sexuel :

La salariée prétend que dès 2006, elle avait alerté sa hiérarchie sur le comportement sexiste, les propos graveleux à connotation sexuelle et pesants d'un de ses collègues. Elle affirme que la direction n'a pas sanctionné le salarié concerné, mais a fait en sorte qu'ils ne travaillent plus ensemble jusqu'en 2016, date à laquelle elle a été contrainte de retravailler avec lui, bien qu'ayant averti son nouveau directeur d'agence des difficultés antérieures. Elle exprime avoir dû se mutiler et effectuer une réduction mammaire, pensant faire cesser le comportement de son collègue, qui, au contraire, le lui reprochait. La salariée soutient que sa hiérarchie a considéré les propos de son collègue comme étant sans gravité. Elle ajoute que nombreux sont les salariés qui témoignent du comportement de ce collègue sans pour autant s'en plaindre attribuant son attitude à l'humour, en indiquant qu'il sait s'arrêter quand on le lui dit. La salariée rappelle que les actes ne sont pas seulement antérieurs à 2006, que le comité d'enquête suggère que son collègue soit recadré et que la direction a fermé les yeux sur ce type de comportement. Elle soutient que le harcèlement sexuel est caractérisé par les faits antérieurs à 2006, l'intervention chirurgicale de 2019, des échanges SMS avec sa collègue et les attestations relative au comportement de ce dernier.

L'employeur soutient que la salariée ne produit aucun élément de nature à laisser présumer qu'elle a été victime de harcèlement sexuel, que les faits ne sont pas adaptés, que pour certains ils sont prescrits, qu'ils sont contestés par le salarié concerné, que Mme [P] ne s'en est jamais plaint, et qu'une commission d'enquête sur les faits finalement dénoncés en 2021 n'a pas permis de mettre en exergue un comportement inapproprié du salarié dénoncé.

Le conseil de prud'hommes, en déboutant la salariée au motif qu'elle ne rapportait pas la preuve du harcèlement sexuel dont elle a été victime, a fait peser que celle-ci l'intégralité de la charge de la preuve, en violation de l'article L 1154-1 du code du travail.

En effet, la salariée qui allègue un harcèlement sexuel doit, en application des dispositions de l'article L 1154-1 du Code du travail en sa version applicable en l'espèce, présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement sexuel, étant rappelé que le harcèlement est défini par l'article L 1153-1 du Code précité comme tous propos, comportements à connotation sexuelle répétés qui, soit portent atteinte à la dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à l'encontre de la victime une situation intimidante, hostile ou offensante, ou encore tous propos, comportements de cette nature venant de plusieurs personnes, de manière concertée ou à l'instigation de l'une d'elles, alors même que chacune de ces personnes n'a pas agi de façon répétée, ou alors tous propos comportement de cette nature, successivement, venant de plusieurs personnes qui, même en l'absence de concertation, savent que ces propos, comportements caractérisent une répétition, ou bien toute forme de pression grave même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.

Au vu de ces éléments, il incombe alors à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement sexuel et que la situation est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, en 2021, la salariée a dénoncé auprès de la direction des ressources humaines le comportement de M. [L] (pièce 9 de son dossier). Dans ce courrier, elle se plaint de propos grivois et malsains, de gestes douteux, de grossièretés sexistes, d'une focalisation sur sa poitrine en faisant des remarques à caractère sexuel dégradant du genre " je peux mettre ma bite entre tes seins ' " " J'aimerais être une souris pour être là quand ton mec éjacule, ça doit être chouette ! ".

L'enquête interne déclenchée par cette dénonciation a conclu à l'absence de harcèlement sexuel, au terme d'une motivation selon laquelle les faits anciens de plus de 10 ans n'ont pas été vérifiés ni confirmés, que les témoins n'ont pas relaté d'agissements permettant de caractériser une situation de harcèlement sexuel même s'il ressort des entretiens que M. [L] " peut parfois avoir des propos inappropriés et indélicats pour faire part de son opinion à ses collègues de travail. " La commission d'enquête a par ailleurs noté que Mme [P] n'a pas fixé de limites à son collègue, et ne s'est jamais plaint de son comportement.

Toutefois, la commission d'enquête a considéré important que ce collègue soit conscient de son comportement qui peut parfois être mal perçu, quand bien même il n'y avait pas de harcèlement sexuel avéré.

Les auditions menées lors de cette enquête ont été versées aux débats par l'employeur. Toutes les personnes auditionnées soutiennent n'avoir jamais été témoin de propos déplacés et irrespectueux de M. [L] envers Mme [P]. Plusieurs indiquent toutefois qu'il a un humour exagéré, qu'il peut être lourd, mais sait s'arrêter quand il faut et qu'il se comporte de la même façon avec tout le monde. Une des personnes auditionnées indique qu'elle savait que Madame [P] trouvait M. [L] un peu lourd. La plupart impute la réaction de Mme [P] à des problèmes personnels.

De ces éléments, il apparaît déjà que Mme [P], comme les autres salariés, subissait l'humour particulier de M. [L].

Toutefois, l'attestation de Madame [U] [M], produite par l'appelante, permet de croire que les personnes auditionnées pendant l'enquête ont livré, par crainte ou conviction, une version édulcorée de la situation.

En effet, ce témoin indique en préambule de son témoignage : " je tiens d'abord à préciser que si je me sens libre de faire ce témoignage, c'est que je suis depuis quelques mois à la retraite que je peux donc m'exprimer sans risque de représailles. J'ai supporté pendant plusieurs années (25 ans) les attitudes, paroles et propos tenus dans l'entreprise. Le système de management est basé sur une forme de dictature ne permettant pas aux salariés de s'exprimer en cas de désaccord, de litige ou de réclamation ; tout salarié se permettant de libérer sa parole, se voit subir un déchaînement de colère, de propos véhéments, puis d'être, dès lors, marqué à l'encre rouge, voire freiné dans son éventuelle progression professionnelle ; les salariés doivent rentrer dans le moule sous peine d'être dénigrés, non respectés, voire rejetés de l'entreprise. "

Concernant l'attitude de M. [L], ce témoin indique " des propos sexuels circulent allègrement dans l'entreprise, particulièrement pour un conducteur de travaux, Monsieur [G] [L]. C'est une personne très compétente dans son domaine professionnel, je pense, mais toute conversation avec cette personne aboutit inéluctablement à des propos très sexuels, propos quotidiens et récurrents. Je tiens à préciser que, au retour de repas trop arrosés (ce qui arrive fréquemment), il s'agit de discours carrément pornographiques. "

Cette attestation corrobore les témoignages portés devant la commission d'enquête précitée sur l'humour particulier et lourd de M. [L], que personne par habitude ou par crainte, n'a voulu préciser la connotation sexuelle inadaptée.

Par ailleurs, Mme [X] [D], qui n'appartient pas à l'entreprise, atteste qu'en mars 2018, Mme [P] lui a confié qu'elle allait subir une réduction mammaire. Interrogée sur ses motivations Mme [P] lui a répondu : " je n'en peux plus au travail de me prendre des réflexions sur la taille de ma poitrine, c'est trop pour moi ". Les justificatifs de l'intervention chirurgicale sont d'ailleurs produits au dossier de la salariée appelante.

L'ensemble de ces éléments laisse supposer l'existence d'un harcèlement sexuel, y compris après 2016 et jusqu'à l'inaptitude, et donc non prescrit, en ce sens qu'il s'agit de propos et comportement à connotation sexuelle répétés qui portent atteinte à la dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, et qui créent à l'encontre de la victime une situation intimidante, hostile ou offensante.

Dès lors, il appartient à l'employeur de justifier que ces propos étaient étrangers à tout harcèlement sexuel, ce qu'il ne fait pas, puisqu'il considère que ces propos n'ont pas existé ou bien qu'ils étaient acceptables.

Par conséquent, le harcèlement sexuel sera donc retenu, par infirmation du jugement qui a débouté la salariée.

Le harcèlement moral:

La salariée prétend avoir subi un comportement toxique de la part de son supérieur hiérarchique qui l'accusait de privilégier le télétravail, de mal effectuer son travail et d'avoir des difficultés relationnelles avec les salariées de la société notamment avec le salarié auteur de harcèlement sexuel sur sa personne, avec qui elle a été obligée de travailler à nouveau. Elle ajoute un dénigrement de la qualité de son travail, des propos injurieux de son supérieur hiérarchique. Elle invoque un arrêt de travail intitulé " souffrance au travail " et indique que la société Roussey a procédé tardivement à une enquête finalement partiale et mal menée. La salariée indique qu'après 20 mois d'arrêt de travail, elle a été déclarée inapte à son poste dans cette entreprise au terme d'un avis d'inaptitude qui ne vise que l'agence de [Localité 1]. Elle ajoute une mise en 'uvre déloyale de l'obligation de reclassement et une détresse morale partagée avec son entourage.

L'employeur soutient que la salariée ne démontre aucunement la matérialité de faits pouvant laisser présumer qu'elle aurait été victime d'un quelconque harcèlement moral. Il soutient que l'enquête, annoncée avant la saisine de la juridiction prud'homale, a été menée de façon loyale, de nombreux salariés ayant été interrogés y compris ceux cités par Madame [P]. Il prétend que la salariée connaissait des difficultés relationnelles, et que l'entretien de 2021 réfute toute situation de harcèlement moral, que son supérieur hiérarchique était dans son rôle de manager, et que contrairement à ce qu'elle soutient, ce dernier n'a jamais fait preuve de mépris envers elle. L'employeur prétend que l'attestation du psychologue ne fait pas état d'un quelconque lien avec la situation professionnelle, et indique que la salariée connaissait des problèmes conjugaux. Il en découle selon lui qu'aucun des éléments produits par la salariée ne permet de démontrer l'existence d'un harcèlement moral ou sexuel.

La salariée qui allègue un harcèlement moral doit, en application des dispositions de l'article L 1154-1 du Code du travail en sa version applicable en l'espèce, présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement, étant rappelé que le harcèlement est défini par l'article L 1152-1 du Code précité comme tous agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Au vu de ces éléments, il incombe alors à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, en page 28 de ses écritures la salariée liste les éléments qui, selon elle, feraient présumer le harcèlement moral, à savoir :

- ses échanges avec M. [S],

- son arrêt de travail motivé par une souffrance au travail,

- les reproches concernant son refus de travailler pendant ses arrêts de travail,

- son obligation de travailler avec M. [L] sans précautions préalables,

- l'inaptitude restreinte à la seule agence où elle travaillait,

- les échanges avec son entourage à qui elle a confié sa détresse morale,

- le déclenchement tardif de l'enquête interne.

Il est établi par l'audition du directeur d'agence lors de l'enquête interne, que celui-ci, informé par la salariée du comportement inapproprié à caractère sexuel de M. [L] à l'égard de Mme [P] [Y], n'a pas hésité à les faire travailler ensemble de nouveau, alors que ces deux salariés ne se parlaient plus depuis plus d'une dizaine d'années, sans prendre aucune mesure de nature à garantir la protection de Mme [P] [Y]. Il ressort de l'ensemble des auditions menées par la commission d'enquête, que ce salarié a toujours été persistant dans son comportement inapproprié et connus de tous, ne laissant à Mme [P] d'autre choix que de s'en accommoder.

Il ressort également des pièces du dossier de la salariée qu'au mois de mai 2020, celle-ci a reproché à M. [O] [S], responsable du bureau d'études, son comportement harcelant, dans un mail dont copie a été adressée au directeur d'agence. Si M. [S] a réfuté les accusations dans un mail du 28 mai 2020, aucune pièce justificative de la réaction du directeur d'agence ne figure au dossier les parties. Il faudra attendre mai 2021 pour qu'une commission d'enquête soit mise en place après que la salariée ait à nouveau dénoncé les faits de harcèlement moral outre les faits de harcèlement sexuel dans un courrier du 11 mars 2021. Par conséquent, la réaction tardive de l'employeur est avérée.

L'échange de mails avec M. [O] [S] confirme que le 11 mai 2020, s'est tenu un entretien que celui-ci qualifie lui-même de " vif et soutenu " et au cours duquel il a fait un certain nombre de reproches à la salariée, notamment sur la qualité de son travail et son implication qu'il considérait insuffisantes.

Si M. [S] ne confirme pas avoir reproché à la salariée de ne pas avoir travaillé pendant ses arrêts de travail, les échanges de mails avec la secrétaire du service études montrent que la salariée était sollicitée notamment le 5 juin 2019 et le 29 avril 2020 alors qu'elle était en arrêt maladie. Alors qu'elle fait savoir à son interlocutrice que son mari s'y oppose, celle-ci lui répond : " chez Roussey, c'est comme cela ".

En outre, la salariée verse aux débats les échanges de SMS avec des collègues, qui laissent transparaître un mal-être morbide. Les interlocutrices lui disent : " j'ai vu que tu n'étais pas bien ", ou " tu es toujours persécutée je le vois bien " ou alors " je suis affectée par ce que je t'ai vu te dégrader et je n'ai rien fait. Je voulais aller les engueuler mais j'avais peur que ça soit pire pour toi. Ils t'ont détruit. Ça me laisse pas indifférente "

Alors qu'une de ses interlocutrices lui demande ce qu'elle attend d'un rendez-vous, elle répond : " j'ai le droit de répondre l'euthanasie ' "

Alors une de ses interlocutrices lui dit : " où tu continues à travailler comme cela jusqu'à ce que tu te détruises, ou tu te plantes ", elle répond : " c'est eux qui me détruisent " en disant faire des crises d'angoisse et en ajoutant que si quelqu'un l'appelait elle serait incapable de parler sans pleurer.

De fait, la salariée a été en arrêt de travail continu dès le 30 mai 2020, suite à l'entretien " vif et intense " dont parle le responsable du bureau d'études et à la vaine alerte adressée au directeur de l'agence, et ce, jusqu'à son inaptitude le 1er février 2022, qui effectivement, a limité l'inaptitude à l'agence dans laquelle travaillait la salariée, en précisant qu'elle pouvait occuper un poste identique dans une autre filiale.

L'ensemble de ces éléments laisse présumer l'existence d'un harcèlement moral en ce sens où il s'agit d'agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Au vu de ces éléments, il incombe alors à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Or, l'employeur qui prétend qu'aucun élément ne fait présumer le harcèlement moral ne justifie pas que le traitement réservé à la salariée était étranger au harcèlement moral.

Par conséquent, le harcèlement moral sera retenu par infirmation du jugement qui a débouté la salariée..

La réparation des préjudices et du harcèlement sexuel et moral:

Le harcèlement moral et sexuel subi pendant plusieurs années par la salariée a dégradé son état de santé au point de conduire à une réduction mammaire, à son inaptitude et à une perte de confiance en elle, perte de confiance notée par certaines personnes auditionnées par la commission d'enquête.

Le préjudice ainsi caractérisé sera réparé entièrement par l'allocation d'une somme de 20 000 euros.

- Sur l'obligation de sécurité:

La salariée invoque un manquement de l'employeur à son obligation de prévention des risques psychosociaux, en ignorant ses interpellations sur le harcèlement sexuel et moral dont elle a été victime, en minimisant les risques et en précipitant une reprise forcée d'une étroite collaboration avec son harceleur.

L'employeur prétend que la salariée ne s'est jamais manifestée auprès de son employeur qui a découvert les faits dans la plainte de mars 2021 alors que certains faits étaient anciens et prescrits. Il prétend avoir mis en place des mesures de prévention au travers des entretiens individuels de progrès qui traitaient des besoins de formation, de l'équilibre entre la vie privée, la vie professionnelle et qui permettaient aux salariés d'exposer leurs difficultés et que la salariée n'a jamais fait la moindre réserve sur sa situation. Il ajoute avoir mis en place une commission d'enquête dès qu'il a eu connaissance des faits dont se plaignait la salariée.

L'employeur, tenu à une obligation préventive et curative de sécurité et de préservation de la santé des salariés supporte la charge de la preuve.

Or, en l'espèce, l'employeur ne justifie d'aucun plan de prévention des risques psychosociaux et se réfère aux entretiens individuels de progrès qui sont des entretiens essentiellement professionnels qui ne prévoient aucune place spécifique à la prévention de tels risques. À cet égard, il faut rappeler le témoignage de Madame [M] qui atteste que le système interne est fait pour étouffer toute plainte ou réclamation. D'ailleurs, alors même que l'employeur est alerté de comportements pouvant être qualifiés de harcèlement moral et de harcèlement sexuel, et qui perduraient depuis des années, la commission d'enquête, s'en remet à la prise de conscience des personnes dénoncées, sans pointer l'absence de système de détection de comportement déviant, ni prévoir sa future mise en place, ce que n'empêchait pas sa conclusion sur l'absence de harcèlement.

Au surplus, la salariée, qui certes ne supporte pas la charge de la preuve, démontre que l'employeur en la personne du directeur d'agence a ignoré ses alertes en 2016 et 2020, qu'il l'a fait retravailler sans précaution avec la personne qu'elle accusait de harcèlement sexuel, peu importe à cet égard que les faits qu'elle dénonçait étaient réels ou pas.

Par conséquent, le manquement à l'obligation de sécurité est caractérisé, générant un préjudice distinct de celui généré par le harcèlement sexuel et moral. En effet, en ignorant les difficultés exprimées par la salariée, et en l'abandonnant à son sort et à ses harceleurs, l'employeur l'a positionnée dans une impasse qui a eu des effets morbides sur sa santé mentale, tel que cela ressort des messages figurant à son dossier.

La somme de 20 000 euros réparera entièrement le préjudice subi.

2 - Sur la fin du contrat de travail

- Sur la résiliation judiciaire :

La salariée prétend justifier d'un comportement fautif grave de l'employeur justifiant la résiliation judiciaire en raison de l'application d'une convention de forfait nulle, le harcèlement sexuel d'ambiance encouragé, l'inertie de l'entreprise face au comportement de M. [L], et le comportement délétère assumé de M. [S].

La salariée soutient que l'employeur a failli lourdement à son obligation de prévention des risques par son inertie à son obligation générale de sécurité en matière de risque psychosociaux, que ces fautes sont suffisamment graves pour entrainer la résiliation judiciaire du contrat de travail ayant les effets d'un licenciement nul, et à tout le moins un licenciement sans cause réelle et sérieuse au regard de la nature des fautes à l'origine de la rupture.

L'employeur soutient qu'il incombe à la salariée de démontrer d'une part, l'existence de manquements imputables à son employeur et, d'autre part, du caractère particulièrement grave de ces prétendus manquements. Il prétend que la salariée n'a pas été victime de harcèlement, qu'il soit moral ou sexuel, et n'a pas réalisé d'heures supplémentaires impayées. L'employeur prétend que si la juridiction venait à considérer que la société avait manqué à ses obligations, elle ne pourrait que constater que ces manquements n'étaient pas de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail compte tenu de leur ancienneté en précisant que les rappels de salaires commencent en 2018, les prétendus faits de harcèlement sexuels antérieurs à 2006 et de harcèlement moral de 2020.

Or, comme il a été démontré plus haut, la salariée a subi de manière continue un harcèlement moral et sexuel auquel l'employeur ne proposait pas de solutions, qu'il a manqué à son obligation de sécurité en ignorant ses alertes relatives au harcèlement sexuel et moral qu'elle disait subir et en n'envisageant pas de solution de prévention au terme de la commission d'enquête. Il ressort également du dossier qu'il a soumis à un régime de forfait jours illicite, éludant par conséquent les heures supplémentaires.

Les manquements graves, qui perduraient à la date de la saisine de la juridiction prud'homale, et qui portent atteinte à la santé de la salariée, et contre lesquels il n'est pas proposé de remèdes, justifient qu'il soit mis fin, au 16 juin 2022, date de rupture des relations contractuelles, au contrat de travail aux torts de l'employeur avec les effets d'un licenciement nul, en application des dispositions de l'article L 1152-3 du code du travail.

Les demandes subsidiaires en contestation du licenciement sont donc sans objet.

Au titre des indemnités de rupture la salariée peut prétendre :

- à une indemnité compensatrice de préavis, égale à trois mois du salaire qui aurait été perçu si elle avait travaillé, soit un salaire de 3 524,84 euros incluant les heures supplémentaires, pour une indemnité compensatrice de 10574,53 euros,

- à des congés payés afférents, soit 1 057,45 euros,

- à des dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du licenciement nul, lesquels, en application des dispositions de l'article L 1235-3-1 du code du travail ne peuvent être inférieur aux salaires des six derniers mois (23 551 euros).

Compte tenu de l'âge de la salariée (47 ans), de ses charges familiales, de sa situation de santé, de sa situation d'emploi après la rupture du contrat, la somme de 80 000 euros est de nature à réparer entièrement les préjudices subis.

3- Sur les autres demandes

Succombant au sens de l'article 696 du code de procédure civile, l'employeur doit supporter les frais irrépétibles et les dépens de première instance, comme l'a décidé le conseil de prud'hommes dont le jugement sera néanmoins infirmé au quantum sur les frais irrépétibles, compte tenu de la complexité du dossier, et des solutions retenues en appel.

Par infirmation du jugement, l'employeur sera condamné à payer à la salariée la somme de 5 000 euros en remboursement de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, contradictoirement, et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement rendu le 9 juin 2023 par le conseil de prud'hommes de Troyes en ce qu'il a dit les demandes recevables et partiellement fondées, en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande d'indemnité forfaitaire de travail dissimulé et en ce qu'il a condamné l'employeur aux dépens ;

Infirme le surplus du jugement déféré, en ses dispositions soumises à la cour ;

Statuant à nouveau dans la limite des chefs d'infirmation,

Juge nulle la convention de forfait ;

Ordonne la résiliation judiciaire du contrat de travail, au 16 juin 2022, avec les effets d'un licenciement nul ;

Condamne la SAS Roussey à payer à madame [J] [P] [Y] les sommes suivantes :

- 4 088,18 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires d'avril à décembre 2018,

- 408,81 euros à titre de congés payés afférents,

- 5 010 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires pour l'année 2019,

- 501 euros à titre de congés payés afférents,

- 2 364,12 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires pour l'année 2020,

- 236,41 euros à titre de congés payés afférents une

- 10 574,53 euros d'indemnité conventionnelle compensatrice de préavis,

- 1 057,45 euros de congés payés y afférents,

- 20 000 euros de dommages et intérêts en réparation des préjudices nés du harcèlement sexuel et moral,

- 20 000 euros de dommages et intérêts en réparation des préjudices nés du manquement par l'employeur à son obligation de sécurité,

- 80 000 euros de dommages et intérêts en réparation des préjudices nés de la résiliation du contrat de travail avec les effets d'un licenciement nul ;

Y ajoutant,

Dit que les condamnations sont prononcées sous réserve d'y déduire le cas échéant, les charges sociales et salariales ;

Déboute la SAS Roussey de cette demande de remboursement de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

Condamne la SAS Roussey à payer à madame [J] [P] [Y] la somme de 5 000 euros en remboursement de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

Condamne la SAS Roussey aux dépens de l'instance d'appel.

La Greffière Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Reims
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 23/01030
Date de la décision : 04/09/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-09-04;23.01030 ?
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