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02/07/2024 | FRANCE | N°23/00877

France | France, Cour d'appel de Reims, 1ere chambre sect.civile, 02 juillet 2024, 23/00877


ARRET N°

du 02 juillet 2024



N° RG 23/00877 - N° Portalis DBVQ-V-B7H-FKZY





[D]





c/



S.A. BNP PARIBAS















Formule exécutoire le :

à :



la SCP SCRIBE-BAILLEUL-SOTTAS



la SCP BADRE HYONNE SENS-SALIS DENIS ROGER DAILLENCOURT

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE-1° SECTION

ARRET DU 02 JUILLET 2024



APPELANT :



d'un jugement rendu le 17 avril 2023 par le tribunal de commerce

de Troyes



Monsieur [U] [D]

Né le [Date naissance 5] 1985 à [Localité 6]

[Adresse 3]

[Localité 2]



Représenté par Me Angelique BAILLEUL de la SCP SCRIBE-BAILLEUL-SOTTAS, avocat au barreau de L'AUBE





INTIMEE :



S.A. BNP PARIB...

ARRET N°

du 02 juillet 2024

N° RG 23/00877 - N° Portalis DBVQ-V-B7H-FKZY

[D]

c/

S.A. BNP PARIBAS

Formule exécutoire le :

à :

la SCP SCRIBE-BAILLEUL-SOTTAS

la SCP BADRE HYONNE SENS-SALIS DENIS ROGER DAILLENCOURT

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE-1° SECTION

ARRET DU 02 JUILLET 2024

APPELANT :

d'un jugement rendu le 17 avril 2023 par le tribunal de commerce de Troyes

Monsieur [U] [D]

Né le [Date naissance 5] 1985 à [Localité 6]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représenté par Me Angelique BAILLEUL de la SCP SCRIBE-BAILLEUL-SOTTAS, avocat au barreau de L'AUBE

INTIMEE :

S.A. BNP PARIBAS, SA au capital de 1.679.234.990 euros dont le siège est situé [Adresse 4], immatriculée au registre de commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro B 662 042 449agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Jean ROGER de la SCP BADRE HYONNE SENS-SALIS DENIS ROGER DAILLENCOURT, avocat au barreau de REIMS

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :

Madame MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre, et Madame MATHIEU, conseillère, ont entendu les plaidoiries, les parties ne s'y étant pas opposées. Elles en ont rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre

Madame Florence MATHIEU, conseillère

Madame Sandrine PILON, conseillère

GREFFIER :

Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffière lors des débats et de la mise à disposition

DEBATS :

A l'audience publique du 28 mai 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 02 juillet 2024

ARRET :

Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 02 juillet 2024 et signé par Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre, et Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

Le 12 décembre 2013, BNP Paribas a ouvert un compte courant au profit de la SARLU STFR, dont l'unique gérant est M. [U] [D].

La SARLU STFR a contracté quatre prêts auprès de BNP Paribas :

Le 12 mai 2016 : un prêt n°60844944 d'un montant de 40 000 euros, garanti par un cautionnement solidaire de M. [U] [D] dans la limite de 46 000 euros et de 84 mois

Le 11 juin 2016 : un prêt n°60868224 d'un montant de 23 000 euros garanti par un cautionnement solidaire de M. [U] [D] dans la limite de 26 450 euros et de 84 mois

Le 7 juillet 2016 : un prêt (crédit SILO) de 30 000 euros, garanti par un cautionnement solidaire de M. [U] [D] dans la limite de 34 500 euros et de 84 mois

Le 29 octobre 2016 : un prêt n°60934087 d'un montant de 4 000 euros, garanti par un cautionnement solidaire de M. [U] [D] dans la limite de 4 600 euros et de 84 mois.

Par acte du 16 décembre 2017, M. [U] [D] a consenti à BNP Paribas un "cautionnement solidaire de l'ensemble des engagements du client cautionné ", à savoir la société STFR, pour un montant garanti de 60 000 euros et une durée de dix ans.

La SARLU STFR a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Troyes du 23 juillet 2019.

La société BNP Paribas a déclaré sa créance en date du 20 août 2019.

Un plan de redressement a été arrêté par jugement du 20 octobre 2020, et les créances de la société BNP Paribas admises sur l'état des créances dans les termes suivants, selon l'état adressé par le greffe à BNP Paribas le 14 janvier 2021 :

. à titre chirographaire : 25 907,96 euros au titre du solde débiteur du compte courant

. à échoir : 27 683,24 euros chirographaire au titre du prêt de 40 000 euros du 12 mai 2016

. à échoir : 9 004,55 euros chirographaire au titre du prêt de 23 000 euros du 11 juin 2016

. à titre chirographaire : 11 511,70 euros au titre du crédit SILO de 30 000 euros du 7 juillet 2016

. à échoir : 1 897,36 euros chirographaire au titre du prêt de 4 000 euros du 29 octobre 2016

Puis le plan a été résolu le 22 mars 2022, et la SARLU STFR a été placée en liquidation judiciaire.

La société BNP Paribas a, par courriers des 21 mai et 24 juin 2022, mis en demeure M. [U] [D] de lui régler sous quinzaine les sommes dues au titre des engagements de caution, puis par exploit d'huissier du 24 novembre 2022, a assigné M. [U] [D] en condamnation et paiement.

M. [U] [D] n'a pas comparu et n'était pas représenté.

Par jugement réputé contradictoire du 17 avril 2023, le tribunal de commerce de Troyes a fait droit aux demandes de BNP Paribas. Il a :

- constaté le défaut de M. [U] [D]

- reçu les demandes de la SA BNP Paribas et les déclare bien fondées.

- condamner M. [U] [D] à payer à la SA BNP Paribas :

Au titre du compte courant N°[XXXXXXXXXX01] : 25.130,72 €

Au titre du prêt N°60844944 : 24.866,16 €

Au titre du prêt N°60868224 : 6.849,53 €

Au titre du crédit SILO : 10.758,09 €

Au titre du prêt N°60934087 : 1.535,36 €

- condamner M. [U] [D] à payer à la SA BNP Paribas la somme de 1.000,00 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

- condamner M. [U] [D] aux entiers dépens.

M. [U] [D] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 26 mai 2023.

Aux termes de ses conclusions n°3 notifiées par RPVA le 26 mars 2024, il demande à la cour d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de Troyes, et statuant à nouveau :

A titre principal

- déclarer M. [U] [D] recevable et bien fondé en ses demandes, fins et prétentions ;

- débouter la SA BNP Paribas de toute ses demandes, fins et prétentions formulées à l'encontre de M. [U] [D] ;

- déclarer que la SA BNP Paribas a manqué à son devoir de mise en garde et à ses devoirs d'information ;

- condamner à des dommages et intérêts d'un montant égal aux montant réclamés à M. [U] [D] au titre de son engagement et prononcer la compensation de ces sommes ;

- déclarer que la SA BNP Paribas est déchue en totalité du droit aux intérêts et pénalités de retard des crédits n°60844944, 60868224, crédit SILO, 60934087 souscrits par la société STFR et le solde débiteur de compte courant ;

- déclarer que la créance invoquée par la SA BNP Paribas n'est pas certaine.

A titre subsidiaire :

- juger que les sommes sollicitées par la SA BNP Paribas ne sont ni certaines, ni liquides ni exigibles et la débouter par voie de conséquence de toutes ses demandes.

A titre infiniment subsidiaire :

- accorder un étalement de la dette de M. [U] [D] au moyen de 24 mensualités, soit 23 mensualités successives de 500,00 euros chacune suivies d'une 24ème mensualité comprenant le solde de la dette, la première mensualité devant être payée au cours du mois suivant la signification du jugement à intervenir;

- juger que les intérêts produits par sa dette pendant le cours des délais de paiement soient plafonnés au taux légal ;

- juger que ses paiements s'imputent par priorité sur le principal de sa dette ;

En tout état de cause :

- condamner la SA BNP Paribas à verser à M. [U] [D] la somme de 2.500,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la SA BNP Paribas aux entiers dépens de la présente instance d'appel et de la première instance.

Il fait valoir à titre principal que la banque ne démontre à aucun moment avoir exécuté son devoir de mise en garde à l'égard de M. [U] [D], caution non avertie, alors que la charge de la preuve lui incombe, et a même autorisé un prêt au 18 mai 2017 alors que la situation était catastrophique.

Il invoque par ailleurs un manquement de la banque à son devoir d'information de la caution personne physique au titre des incidents de paiement intervenus sur le fondement de l'article 2303 du code civil, pour solliciter la déchéance du droit aux intérêts et pénalités de retard.

A titre subsidiaire, il soutient que les actifs de la société SFTR ont permis d'apurer une partie des dettes de cette dernière, mais que le mandataire judiciaire n'ayant pas produit les éléments d'information sollicités, l'état des créances de la société est inconnu et la créance de BNP Paribas non certaine, liquide et exigible.

A titre infiniment subsidiaire, il sollicite l'octroi de délais de paiement sur le fondement de l'article 1343-5 du code civil au regard de sa situation patrimoniale.

Par conclusions n°3 du 9 avril 2024, la société BNP Paribas demande à la cour de:

- déclarer recevable mais mal fondé l'appel interjeté par M. [U] [D]

A titre principal

- confirmer le jugement rendu le 17 avril 2023 par le tribunal de commerce de Troyes en toutes ses dispositions.

A titre subsidiaire, en cas d'infirmation du Jugement

- débouter M. [U] [D] de l'ensemble de ses demandes.

A titre plus subsidiaire, en cas d'octroi de délais de paiement,

- ordonner la déchéance immédiate de l'échéancier au premier incident de paiement avec exigibilité immédiate de la totalité de la créance restant due.

En tout état de cause,

- condamner M. [U] [D] au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile d'un montant de 3.000 € pour la procédure d'appel.

- condamner M. [U] [D] aux dépens d'appel prévus à l'article 695 du Code de Procédure Civile en application de l'article 696 du même Code

Elle estime que le devoir de mise en garde n'est dû aux cautions non averties qu'en cas de risque d'endettement excessif, lequel ressort du caractère proportionné des engagements à leurs capacités financières dont la charge de la preuve pèse sur la caution, preuve non rapportée en l'espèce. Elle souligne par ailleurs que M. [U] [D] ne fait pas état de la moindre perte de chance de ne pas contracter.

La banque soutient avoir exécuté son obligation d'information annuelle en application de l'article L333-2 du code de la consommation et précise qu'elle n'a pas eu à déclarer d'incident de paiement sur le fondement de l'article 2303 du code civil avant l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société STFR le 23 juillet 2019.

Elle précise que M. [U] [D] n'a exercé aucune contestation ni aucune réclamation des créances dans les formes et délais de la procédure collective, de sorte que les créances de la société BNP Paribas sont bien certaines, liquides et exigibles. Elle estime que l'existence d'éventuels actifs à réaliser concerne la suite à donner à la procédure de liquidation judiciaire de la société débitrice et est sans influence sur son action afin d'obtenir un titre exécutoire à l'encontre de la caution.

Elle demande le rejet de la demande de délais de paiement en relevant que selon l'échéancier qu'il propose, M. [U] [D] n'aurait pas la possibilité de régler le solde de sa dette au 24ème mois, et à titre subsidiaire demande la caducité de l'échéancier au premier incident de paiement.

MOTIFS

Sur le devoir de mise en garde de la banque

M. [U] [D] estime que BNP Paribas ne démontre pas avoir exécuté son devoir de mise en garde de la caution, et sollicite en conséquence la condamnation de cette dernière à des dommages et intérêts d'un montant égal aux sommes demandées par M. [D] au titre de son engagement et une compensation de ces sommes.

Si la preuve de l'exécution du devoir de mise en garde pèse sur la banque, il faut au préalable caractériser l'existence de ce devoir.

Sous l'empire du droit antérieur à la réforme du 15 septembre 2021, le devoir de mise en garde n'était dû par la banque que si la caution était profane, non avertie, et qu'était caractérisé le risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur, ou la disproportion de l'engagement de la caution au regard de ses biens et revenus, et ce au jour de l'engagement de la caution.

La société BNP Paribas ne conteste pas la qualité de caution profane de M. [D].

Quant au risque d'endettement né de l'octroi du prêt ou la disproportion de l'engagement de caution au moment de son engagement, il appartient à la caution qui s'en prévaut d'en rapporter la preuve.

M. [D] est défaillant sur ce point.

Quant au risque d'endettement provenant de l'octroi d'un crédit excessif à la société STFR, il estime que BNP Paribas aurait dû attendre de connaître la situation de la société au 30 juin 2017 avant d'autoriser un prêt au 18 mai 2017.

Or, non seulement cette situation comptable est un projet mais au surplus les prêts accordés datent des 12 mai, 11 juin, 7 juillet et 29 octobre 2016, soit presque un an avant la situation invoquée par M. [D].

De même, la crise des gilets jaunes dont il fait état, date de la fin de l'année 2018, deux ans après la signature des prêts et des engagements de caution correspondants.

Au contraire, il ressort des décomptes produits en pièce 16 par BNP Paribas, arrêtés à la date du 22 mars 2022, que le premier impayé date de juillet 2019, d'où il découle que la société STFR a régulièrement fait face aux échéances d'emprunt jusqu'à l'ouverture du redressement judiciaire, environ 3 ans après la souscription des engagements bancaires, démontrant qu'elle était en capacité d'assumer ces charges.

Rien ne permet donc de conclure au caractère excessif du crédit octroyé à la société STFR, faisant peser un risque d'endettement sur M. [D].

Quant à la disproportion de l'engagement de caution au regard des capacités financières de M. [D] au jour de cet engagement, la cour dispose comme seul élément d'une fiche de renseignements datée du 15 mars 2016, deux mois avant la date du premier prêt et du premier engagement de caution correspondant, produite par BNP Paribas et contenant les éléments suivants :

- M. [D] était célibataire avec un enfant de 3 mois à charge,

- il percevait des revenus annuels de 48 000 euros,

- ses charges annuelles s'élevaient à 13 640 euros au titre d'emprunts immobilier et automobile, soit 28 % de ses revenus, étant précisé qu'à compter de la fin 2018, ces charges d'emprunt devaient être ramenées à 8 640 euros, soit 18% de ses revenus, l'échéance finale du prêt automobile étant 2018,

- il ne détenait aucune épargne,

- il était propriétaire de sa résidence principale estimée pour une valeur de 123.000 euros , financé par un crédit immobilier du même montant souscrit en 2012 pour une durée de 20 ans, dont il lui restait à rembourser 110. 000 euros (inclus dans les charges mensuelles).

Aux termes des quatre contrats de prêts souscrits entre le 12 mai 2016 et le 29 octobre 2016, M. [U] [D] s'est engagé à titre de caution solidaire pour un montant total de 105 550 euros.

Compte tenu du patrimoine déclaré de M. [D] et de son faible taux d'endettement aux jours de souscription des prêts et des cautionnements, il n'est pas établi que son engagement de caution était disproportionné au regard de ses capacités financières.

Dans ce contexte, en l'absence de risque d'endettement ou de disproportion, aucun devoir de mise en garde spécifique ne pesait sur la banque concernant les quatre engagements de caution souscrits durant l'année 2016 en garantie des prêts consentis à la société STFR.

M. [D] a, par la suite, en date du 16 décembre 2017, souscrit un cautionnement solidaire de l'ensemble des engagements du client cautionné, parmi lesquels le compte courant n°[XXXXXXXXXX01], pour un montant additionnel de 60 000 euros et pour une durée de 10 ans.

Il ne produit aucun élément de preuve de nature à établir une quelconque disproportion avec ses capacités financières au jour de cet engagement.

Rien ne permet cependant de penser que les éléments déclarés moins de deux ans auparavant par M. [U] [D] aient évolué, compte tenu du fait qu'il était propriétaire de sa résidence et continuait à en rembourser le crédit y attaché, et qu'il ne justifie pas d'un quelconque changement d'activité en 2016 ou 2017 générant des revenus distincts. Il apparaît que la seule évolution concerne le taux d'endettement de M. [D] qui a été réduit de 28 à 18% peu de temps après la souscription du cautionnement additionnel, le crédit automobile arrivant à échéance en 2018.

Dans ces circonstances, la cour retient que l'engagement de caution du 16 décembre 2017 qui portait à 165 550 euros l'engagement total de caution de M. [D] pour des revenus estimés à 48 000 euros annuels et un patrimoine immobilier de 123 000 euros, était disproportionné par rapport aux capacités financières de M. [D] dès lors qu'une activation de la caution pour la totalité de ses engagements aurait pour effet inéluctable la ruine totale de M. [D].

BNP Paribas ne justifie d'aucune mise en garde spécifique concernant cet engagement à la portée particulièrement large puisqu'il visait à garantir le paiement de toutes sommes que la société STFR pourrait devoir à la banque à raison de tous engagements, toutes opérations et d'une façon générale toutes obligations dont l'origine était antérieure à la date d'expiration de la durée prévue à l'engagement de caution, à savoir le 16 décembre 2027.

La banque a par conséquent manqué à son devoir de mise en garde quant à ce cautionnement particulier.

Le préjudice résultant d'un manquement au devoir de mise en garde s'analyse en une perte de chance de n'avoir pas souscrit, en l'espèce le cautionnement solidaire de 60 000 euros. Considérant que ce cautionnement additionnel à la portée très étendue avait vraisemblablement pour objet de rassurer la banque sur ses chances de récupérer les fonds mis à disposition de la société STFR sous quelque forme que ce soit, que M. [D] en sa qualité de dirigeant de cette société avait un fort intérêt à stabiliser sa relation avec l'établissement de crédit, mais que pour autant si son attention avait été attirée sur la situation dans laquelle pourrait le conduire, la mise en jeu de ce cautionnement additionnel, il ne se serait peut-être pas engagé dans ces proportions, la cour évalue la perte de chance de ne pas avoir souscrit ce cautionnement de 60 000 euros à 40 %.

La SA BNP Paribas sera condamnée à payer à M. [D] la somme de 24 000 euros au titre de son manquement au devoir de mise en garde relativement au cautionnement du 16 décembre 2017.

Sur l'information des incidents de paiements intervenus

M. [U] [D] invoque l'article 2303 du code civil, applicable depuis le 1er janvier 2022, y compris aux cautionnements constitués antérieurement, aux termes duquel le créancier professionnel est tenu d'informer toute caution personne physique de la défaillance du débiteur principal dès le premier incident de paiement non régularisé dans le mois de l'exigibilité de ce paiement, à peine de déchéance de garantie des intérêts et pénalités échus entre la date de cet incident et celle à laquelle elle en a été informée.

Il ne reproche pas à la banque un manquement à son devoir d'information annuelle, les développements de BNP Paribas sur ce point étant par conséquent surabondant.

La société BNP Paribas souligne que, n'ayant eu à déplorer aucun incident de paiement jusqu'à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société STFR le 23 juillet 2019, cette information était dépourvue d'objet.

La créance de remboursement d'un prêt étant considérée comme née au jour où ce prêt est contracté, elle constitue une créance antérieure soumise à l'interdiction de paiement des créances antérieures. Il en est nécessairement résulté une défaillance de la société STFR.

Conformément aux règles propres aux procédures collectives, les échéances d'emprunt non échues au jour du jugement d'ouverture du redressement judiciaire sont devenues exigibles au fur et à mesure de leurs termes jusqu'à l'ouverture de la liquidation judiciaire le 22 mars 2022 qui a rendu exigible l'ensemble des créances.

On peut par conséquent fixer le premier incident de paiement le mois qui suit l'ouverture de la procédure collective, au mois d'août 2019.

Il appartenait donc à la banque, dès le mois de septembre, d'informer la caution conformément aux dispositions de l'article 2303 du code civil, lequel n'opère pas de distinction selon que la caution est dirigeante ou non, ni selon que le débiteur est en procédure collective ou non. Compte tenu de l'esprit du texte, qui a pour objet de protéger la caution personne physique, et en l'absence d'aucune information émanant de la banque à l'égard de la caution dès le premier incident, il y a lieu de prononcer la déchéance totale des intérêts et pénalités échus à compter du premier incident de paiement survenu au mois d'août 2019.

Sur le caractère certain, liquide et exigible de la créance

M. [D] fait état de réalisations d'actifs et de blocages de sommes sur les comptes courants de la société STFR, ayant servi à apurer des dettes, considère que BNP Paribas ne justifie pas des sommes qui lui ont été versées par la procédure et estime que l'état à jour des créances de la société STFR est inconnu à ce jour, de sorte que les sommes sollicitées par la demanderesse ne sont ni certaines ni liquides ni exigibles.

Cependant, la procédure d'admission des créances a pour objet de déterminer l'existence, le montant ou la nature de la créance déclarée. L'admission d'une créance au passif du débiteur acquiert, quant à son existence et à son montant, l'autorité de la chose jugée à l'égard de la caution, sauf contestation par celle-ci de l'état de créances dans les conditions prévues aux articles L. 624-3-1 et R.624-8 du code de commerce.

Il ne ressort d'aucune pièce du dossier que M. [D] aurait contesté l'état des créances, communiqué à BNP Paribas le 14 janvier 2021, et sur lequel a été admis:

. à titre chirographaire : 25 907,96 euros au titre du solde débiteur du compte courant,

. à échoir : 27 683,24 euros chirographaire au titre du prêt de 40 000 euros du 12 mai 2016,

. à échoir : 9 004,55 euros chirographaire au titre du prêt de 23 000 euros du 11 juin 2016,

. à titre chirographaire: 11 511,70 euros au titre du crédit de 30 000 euros du 7 juillet 2016,

. à échoir : 1 897,36 euros chirographaire au titre du prêt de 4 000 euros du 29 octobre 2016.

Le caractère certain et liquide des créances ainsi admises au passif est établi.

Quant à leur exigibilité, les mensualités à échoir sont, à défaut de preuve contraire, devenues exigibles au fur et mesure de leurs échéances jusqu'à la date du prononcé de la liquidation judiciaire, le 22 mars 2022, lequel a rendu exigible l'ensemble des créances en application de l'article L. 643-1 du code de commerce.

S'il est possible que des paiements soient intervenus au profit de BNP Paribas dans le cadre de la liquidation de la société STFR, ces paiements n'ont pas pour effet de remettre en cause le caractère certain, liquide et exigible de la créance de la banque, et par conséquent le titre exécutoire de BNP Paribas.

En vertu de l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire, le juge de l'exécution sera exclusivement compétent pour connaitre d'éventuelles difficultés relatives aux titres exécutoires.

C'est dans le cadre de l'exécution de la caution qu'il conviendra de prendre en considération l'ensemble des éléments concernant la réalisation de l'actif et l'apurement du passif, en recueillant notamment toutes informations utiles auprès des organes de la procédure, compte tenu du principe selon lequel le cautionnement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur (article 2290 ancien du code civil).

Sur le montant des condamnations

Par conséquent, sur le fondement des décomptes non contestés établis par la société BNP Paribas, M. [U] [D] sera condamné au paiement des sommes suivantes :

Au titre du compte courant n°[XXXXXXXXXX01]

Principal 25 907,96 euros

A déduire acompte - 777,24 euros

Soit un total de 25 130,72 euros, à compenser avec la créance de dommages et intérêts de 24 000 euros de M. [D] au titre d'un manquement à son devoir de mise en garde au titre du cautionnement solidaire du 16 décembre 2017.

Au titre du prêt n°60844944 du 12 mai 2016 et d'un montant de 40 000 euros

Principal 27 683,24 euros

A déduire acomptes - 3 047,75 euros

Soit un total de 24 635,49 euros

Au titre du prêt n°60868224 du 11 juin 2016 et d'un montant de 23 000 euros

Principal 9 004,55 euros

A déduire acomptes - 2 327,18 euros

Soit un total de 6 677,37 euros

Au titre du crédit SILO du 7 juillet 2016 et d'un montant de 30 000 euros

Principal 11 511,70 euros

A déduire acompte - 753,61 euros

Soit un total de 10 758,09 euros

Au titre du prêt n°60934087 du 29 octobre 2016 d'un montant de 4 000 euros

Principal 1 897,30 euros

A déduire acompte - 374,53 euros

Soit un total de 1 522,77 euros

La dette de caution de M. [D] s'élève à la somme de 68 724,44 euros.

Après compensation avec la créance de dommages et intérêts qu'il détient à l'encontre de la banque, la dette de M. [D] se fixe à 44 724,44 euros

Sur la demande en délais de paiement

M. [U] [D] sollicite des délais de paiement sur le fondement de l'article 1343-5 du code civil donnant au juge la possibilité de reporter ou d'échelonner la dette dans la limite de deux années en tenant compte de la situation du débiteur et des besoins du créancier.

La dette de M. [D] à l'égard de la SA BNP Paribas s'élève à 44 724,44 euros.

Il ressort d'un unique bulletin de paie du mois d'octobre 2023 qu'il a perçu à cette date un salaire mensuel net de 2 082,18 euros.

M. [D] justifie de charges mensuelles, d'électricité, de téléphonie et frais de garde (ces derniers étant adressés à M. et Mme [U] et [W] [D]) pour un montant total de 112,56 euros.

Il affirme par ailleurs, sans produire de justificatifs, supporter des charges de loyer, eau, assurance, mutuelle, alimentation pour un total de 1 085,80 euros, qui porteraient les charges mensuelles à 1 198 euros.

Dans ces conditions, il y a lieu d'accorder à M. [D] des délais de paiement en permettant un échelonnement de sa dette en 23 mensualités de 650 euros et une vingt-quatrième mensualité destinée à compléter l'entier paiement.

Les mensualités devront être payées le 5 de chaque mois, la première mensualité étant fixée au 5 du mois suivant la signification de la présente décision.

Cet échéancier deviendra caduc dans les 10 jours suivant le premier incident de paiement, et la créance sera alors immédiatement exigible pour le montant restant dû.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

Déclare recevable et bien fondé l'appel interjeté par M. [U] [D] ;

Infirme le jugement du tribunal de commerce de Troyes du 17 avril 2023 sauf en ce qu'il a constaté le défaut de M. [U] [D] et a reçu les demandes de la SA BNP Paribas ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déclare que la SA BNP Paribas a manqué à son devoir de mise en garde quant à la disproportion de l'engagement de caution du 16 décembre 2017 ;

Condamne la SA BNP Paribas à payer à M. [U] [D] la somme de 24 000 euros à ce titre ;

Déclare que la SA BNP Paribas a manqué à son devoir d'information de la caution dès le premier incident de paiement du débiteur principal ;

Prononce en conséquence la déchéance en totalité du droit aux intérêts et pénalités de retard des crédits n°60844944, n°60868224, crédit SILO, n°60934087 souscrits par la société STFR et le solde débiteur de compte courant ;

Déclare la créance invoquée par la SA BNP Paribas certaine, liquide et exigible ;

Condamne M. [U] [D] à payer à la SA BNP Paribas :

. au titre du compte courant n°[XXXXXXXXXX01] : la somme de 25 130,72 euros

. au titre du prêt n°60844944 du 12 mai 2016 : la somme de 24 635,49 euros

. au titre du prêt n°60868224 du 11 juin 2016 : la somme de 6 677,37 euros

. au titre du crédit SILO du 7 juillet 2016 : la somme de 10 758,09 euros

. au titre du prêt n°60934087 du 29 octobre : la somme de 1 522,77 euros

Ordonne la compensation entre la créance de BNP Paribas au titre du compte courant n° [XXXXXXXXXX01] et la créance de dommages et intérêts de M. [U] [D] à hauteur de la plus faible et condamne M.[U] [D] à payer le surplus ;

Accorde à M. [U] [D] un échelonnement de sa dette résiduelle en 23 mensualités de 650 euros et une vingt-quatrième mensualité destinée à compléter l'entier paiement ;

Fixe le point de départ de cet échéancier au 5 du mois suivant la signification de la présente décision ;

Ordonne la déchéance immédiate de l'échéancier dans les 10 jours suivant le premier incident de paiement avec exigibilité immédiate de la totalité de la créance restant due ;

Déboute les parties de toutes autres demandes, fins ou prétentions ;

Condamne M. [U] [D] à payer à la SA BNP Paribas la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [U] [D] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Le greffier La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Reims
Formation : 1ere chambre sect.civile
Numéro d'arrêt : 23/00877
Date de la décision : 02/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-02;23.00877 ?
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