ARRET N°
du 02 juillet 2024
N° RG 23/00275 - N° Portalis DBVQ-V-B7H-FJLO
[O]
[D]
c/
[Z]
Formule exécutoire le :
à :
la SCP LR AVOCATS & ASSOCIES
COUR D'APPEL DE REIMS
CHAMBRE CIVILE-1° SECTION
ARRET DU 02 JUILLET 2024
APPELANTS :
d'un jugement rendu le 27 janvier 2023 par le tribunal judiciaire de TROYES
Monsieur [J] [O]
Né le 12 février 1985 à [Localité 8] (58)
[Adresse 11]
[Localité 10]
Représenté par Me Anne-Sophie FARINE de la SCP PLOTTON-VANGHEESDAELE-FARINE-YERNAUX, avocat au barreau de L'AUBE
Monsieur [T] [D]
Né le 25 septembre 1989 à [Localité 9] (10)
[Adresse 11]
[Localité 10]
Représenté par Me Anne-Sophie FARINE de la SCP PLOTTON-VANGHEESDAELE-FARINE-YERNAUX, avocat au barreau de L'AUBE
INTIMEE :
Madame [M] [Z]
Née le 20 février 1960 à [Localité 9] (10)
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Didier LEMOULT de la SCP LR AVOCATS & ASSOCIES, avocat au barreau de L'AUBE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :
Madame MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre, et Madmae MATHIEU, conseillère, ont entendu les plaidoiries, les parties ne s'y étant pas opposées. Elles en ont rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre
Madame Florence MATHIEU, conseillère
Madame Sandrine PILON, conseillère
GREFFIER :
Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffière lors des débats et de la mise à disposition
DEBATS :
A l'audience publique du 28 mai 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 02 juillet 2024
ARRET :
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 02 juillet 2024 et signé par Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre, et Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire
Suivant acte notarié du 28 décembre 2017, Mme [M] [Z] a vendu a MM [J] [O] et [T] [D] un terrain à bâtir situé à [Localité 10] (Aube), figurant au cadastre section ZC n°[Cadastre 3] et [Cadastre 6], au prix de 45 250 euros.
La parcelle ZC n°[Cadastre 6] provient de la division d'un immeuble de plus grande importance, originairement cadastré section ZC n°[Cadastre 4], le surplus restant la propriété de Mme [Z] étant cadastré ZC n°[Cadastre 5].
L'acte de vente contient une clause intitulée " pacte de préférence au profit de l'acquéreur", prévoyant que Mme [Z] s'engage, pour le cas où elle déciderait de mettre en vente la parcelle cadastrée section ZC n°[Cadastre 5], à donner la préférence, sur toute personne intéressée par l'acquisition de ce terrain, à MM [O] et [D].
Mme [Z] ayant fait paraître une annonce pour la vente d'un terrain incluant la parcelle ZC n°[Cadastre 5], outre une parcelle ZC n°[Cadastre 7] au prix de 49 500 euros, MM [O] et [D] ont indiqué qu'ils entendaient se prévaloir du pacte de préférence s'agissant de la seule parcelle ZC n°[Cadastre 5], au prix de 15 765.28 euros.
Par courrier du 25 août 2020, le notaire ayant reçu l'acte en cause a informé MM [O] et [D] que Mme [Z] s'était engagée à vendre à des tiers le terrain cadastré section ZC n°[Cadastre 5], moyennant le prix principal de 40 000 euros.
Par acte d'huissier du 29 mars 2021, MM [O] et [D] ont fait assigner Mme [Z] devant le tribunal judiciaire de Troyes afin que la vente de l'immeuble en cause soit ordonnée à leur profit.
Par jugement du 27 janvier 2023, le tribunal a :
- débouté MM [O] et [D] de l'ensemble de leurs demandes,
- condamné MM [O] et [D] à payer à Mme [Z] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné MM [O] et [D] aux entiers dépens,
- dit n'y avoir lieu d'écarter l'exécution provisoire de la décision,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires au dispositif.
Le tribunal a relevé que la parcelle visée dans l'annonce correspondait aux parcelles ZC n°[Cadastre 5] et ZC n°[Cadastre 7] et que MM [O] et [D] ont indiqué dans leur courrier qu'il n'acceptait l'offre qu'en ce qui concerne la première parcelle, en rapportant le prix de l'annonce à la surface de cette seule partie.
Il a considéré que ce courrier ne pouvait être analysé en une acceptation, mais en une contre-offre portant sur la seule parcelle qui les intéressait, dans la mesure où, l'offre de vente portant sur les deux parcelles, le prix était déterminé en fonction de leurs caractéristiques conjointes, sans qu'il soit indiqué que la vente pouvait être réalisée aux mêmes conditions de prix au m² pour chacune d'elle séparément.
Et il a constaté que Mme [Z] n'a pas accepté cette contre-offre, ayant par la suite proposée la vente de la parcelle ZC n°[Cadastre 5] à un prix de 44 000 euros.
Il en a conclu qu'aucune vente n'était intervenue entre les parties.
MM [O] et [D] ont interjeté appel de ce jugement par déclaration du 2 février 2023.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 7 mai 2024, ils demandent à la cour d'infirmer le jugement en l'ensemble de ses dispositions et de :
- dire et juger que l'arrêt à intervenir tiendra lieu d'acte de vente, au profit de MM [O] et [D], du terrain sis à [Adresse 11], cadastré section ZC n°[Cadastre 5] pour une surface de 09 a 76 ca, moyennant le prix de 15 767.28 euros hors frais de notaire,
- ordonner la publication de la décision à intervenir au service de publicité foncière de Troyes,
- condamner Mme [Z] au versement d'une indemnité de 5 000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter en toute hypothèse Mme [Z] de sa propre réclamation fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [Z] aux entiers dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement au profit de la SCP Plotton Vangheesdaele Farine Yernaux conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Ils rappellent les termes de l'article 1583 du code civil et soutiennent que :
- lorsque l'acceptation du bénéficiaire rencontre l'offre du pollicitant, la vente est formée sans aucune autre condition nécessaire dès lors qu'il y a accord sur la chose et sur le prix,
- le vendeur ne peut pas formuler une offre qui mettrait à la charge du bénéficiaire des obligations plus importantes que celles résultant de la mise en 'uvre de son pacte de préférence, de sorte qu'ils étaient parfaitement fondés à restreindre leur acceptation à la seule parcelle objet de leur droit,
- peu importe qu'aucune promesse de vente n'ait été régularisée lorsqu'ils ont manifesté leur volonté d'acquérir au prix proposé par la venderesse,
- il n'a jamais été question dans l'annonce de l'existence d'une parcelle inconstructible, ni d'un tarif fixé en considération de celle-ci, aucune distinction de nature et de prix n'étant faite,
- si le vendeur est en droit de rétracter son offre de vente, c'est à la condition qu'elle n'ait pas encore été acceptée
Par conclusions transmises par voie électronique le 21 juillet 2023, Mme [Z] demande à la cour de :
- déclarer l'appel recevable mais mal fondé,
- confirmer la décision déférée en toutes ses dispositions,
- débouter en toute hypothèse MM [O] et [D] de l'intégralité de leurs demandes sur quelque fondement que ce soit,
- dire n'y avoir lieu à cession judiciaire à leur profit du terrain cadastré ZC n°[Cadastre 5] pour une surface de 9 a 76 ca pour le prix de 15 767.28 euros,
- condamner MM [O] et [D] solidairement à la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
Elle affirme que :
- elle avait mis en vente ensemble les deux parcelles ZC n°[Cadastre 5] et [Cadastre 7] parce que la seconde était inconstructible, à la différence de la première, que cet ensemble était indissociable et que la volonté des appelants de scinder cette offre constitue une atteinte au droit de propriété,
- de ce fait, le droit de préférence ne pouvait absolument pas avoir vocation à s'appliquer,
- le mécanisme technique du droit de préférence s'est exercé comme il devait l'être, une promesse authentique de vente ayant été conclue, qui ne portait que sur la parcelle ZC n°[Cadastre 5], le notaire a adressé aux appelants la lettre de notification, à compter de laquelle les bénéficiaires disposent d'un délai pour répondre et que MM [O] et [D] ont contestée, de sorte qu'ils n'ont pas fait jouer leur droit de préférence,
- les appelants ne pouvaient prétendre acquérir un terrain à bâtir pour un prix près de deux fois moins élevé que celui auquel ils ont acheté leur parcelle trois ans auparavant,
- les acquéreurs pressentis n'ont pas poursuivi la réalisation par acte authentique ; les appelants ne peuvent obtenir par la voie judiciaire la cession forcée d'une parcelle dont le retrait a eu lieu par les vendeurs et les acquéreurs potentiels.
MOTIFS
Sur la vente de la parcelle ZC n°[Cadastre 5]
Il résulte de l'article 1123 du code civil que le pacte de préférence est le contrat par lequel une partie s'engage à proposer prioritairement à son bénéficiaire de traiter avec lui pour le cas où elle déciderait de contracter.
Selon l'article 1583, la vente est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé.
Le pacte de préférence contenu dans l'acte authentique de vente du 28 décembre 2017 est ainsi libellé : " Pour le cas où Madame [Z] se déciderait à mettre en vente la parcelle aujourd'hui cadastrée section ZC n°[Cadastre 5] pour 09a 76ca, elle s'engage à donner la préférence, sur toute personne intéressée par l'acquisition de ce terrain, à Monsieur [O] et Monsieur [D], acquéreurs aux présentes, et de leur faire une offre de vente.
Elle s'engage en conséquence à leur faire connaître l'identité et la qualité de l'acquéreur éventuel, le prix au m² offert par celui-ci, ses modalités de paiement, ainsi que les conditions de la vente projetée et devra leur notifier, par lettre recommandée avec accusé de réception.
La date de l'avis de réception de cette lettre fixera le point de départ d'un délai de 30 jours, avant l'expiration duquel Monsieur [O] et Monsieur [D] devront, par lettre recommandée avec accusé de réception, faire connaître à Madame [Z], leur intention d'user de ce droit de préférence.
Passé ce délai, sans manifestation de volonté de leur part, Monsieur [O] et Monsieur [D] seront définitivement déchus de ce droit.
En cas d'exercice de ce droit de préférence, Monsieur [O] et Monsieur [D] devront régulariser l'acte d'achat et régler le prix et les frais, dans un délai de 60 jours, à compter de la date de manifestation de leur volonté d'acquérir ".
Le pacte de préférence dont les appelants bénéficient porte uniquement sur la parcelle ZC n°[Cadastre 5] ; MM [O] et [D] n'entendaient exercer leur droit de préférence que sur cette seule parcelle.
Pour autant, le pacte ne pouvait imposer au vendeur de diviser son bien (Civ. 3e, 9 avr. 2014, n° 13-13.949) et de vendre la seule parcelle qui en était l'objet, indépendamment d'autres, avec lesquelles elle composait un ensemble plus vaste.
Il n'était donc pas interdit à Mme [Z] de faire paraître l'offre de vente portant sur un ensemble immobilier plus large, incluant la parcelle litigieuse. Et M [O] et [D] ne peuvent se prévaloir du pacte de préférence pour soutenir qu'ils étaient fondés à restreindre leur acceptation à la seule parcelle objet de leur droit, puisque ceci conduit à imposer à Mme [Z] de leur céder la parcelle ZC n°[Cadastre 5], uniquement, et donc à diviser son bien.
Dans l'annonce à laquelle MM [O] et [D] ont répondu, Mme [Z] n'a pas présenté distinctement le prix de la parcelle ZC n°[Cadastre 5] et celui de la parcelle ZC n°[Cadastre 7], ni même précisé un prix au m².
Dès lors, MM [O] et [D] s'étant portés acquéreurs de la seule parcelle ZC n°[Cadastre 5], pour un prix de 15 767.28 euros, quand Mme [Z] entendait vendre ladite parcelle avec celle cadastrée ZC n°[Cadastre 7], au prix de 49 500 euros, il ne peut qu'être constaté que l'offre de cette dernière et l'acceptation des premiers ne sont pas concordantes, de sorte qu'aucune vente ne s'est formée entre les parties le 19 juin 2020, ainsi que les appelants le soutiennent.
Mme [Z] ayant ensuite adressé à MM [O] et [D] une " proposition d'achat " portant sur la parcelle ZC n°[Cadastre 5] seule, au prix de 44 000 euros, ceux-ci se sont prévalus de l'existence du contrat de vente en date du 19 juin 2020, dont il vient d'être dit qu'il n'avait pas été valablement conclu entre les parties. Les appelants ne l'ayant pas acceptée, aucune vente n'a été conclue sur cette nouvelle offre de l'intimée.
Cette dernière ayant conclu une promesse de vente au profit de tiers portant sur la parcelle litigieuse, le notaire chargé de recevoir la vente a porté à la connaissance de MM [O] et [D] l'identité des bénéficiaires et les conditions de la vente (prix de 40 000 euros) en exécution du pacte de préférence, leur rappelant qu'ils disposaient d'un délai de 30 jours pour lui faire savoir s'ils souhaitaient acquérir le terrain auxdites conditions.
Par courrier de leur avocat daté du 21 septembre 2020, ceux-ci se sont à nouveau prévalus de la conclusion d'une vente sur la parcelle en cause à la date du 19 juin 2020 et indiqué qu'il était en conséquence absolument exclu qu'ils acceptent la surenchère que Mme [Z] prétendait selon eux leur imposer.
Le droit de préférence dont il disposait a donc été valablement purgé et les appelants ne sont pas fondés à voir consacrer l'existence d'une vente à leur profit sur la parcelle ZC n°[Cadastre 5], le jugement étant confirmé en ce qu'il les déboute de leurs demandes présentées en ce sens.
Sur les dépens et frais irrépétibles
Le sort des dépens et frais irrépétibles de première instance a été exactement réglé par le premier juge.
MM [O] et [D], qui succombent en leur appel, sont tenus aux dépens de cette procédure et leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile doit être rejetée.
Il est équitable d'allouer à Mme [Z] la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel. En l'absence de stipulation contractuelle d'une quelconque solidarité entre MM [O] et [D] au profit de Mme [Z], laquelle ne résulte pas non plus de la loi en la présente espèce, cette condamnation est conjointe entre ces derniers.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 27 janvier 2023 par le tribunal judiciaire de Troyes,
Y ajoutant,
Condamne MM [J] [O] et [T] [D] à payer à Mme [M] [Z] la somme de 2 000 euros pour ses frais irrépétibles d'appel,
Déboute MM [J] [O] et [T] [D] de leur propre demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne MM [J] [O] et [T] [D] aux dépens d'appel.
Le greffier La présidente