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26/06/2024 | FRANCE | N°23/01209

France | France, Cour d'appel de Reims, Chambre sociale, 26 juin 2024, 23/01209


Arrêt n°

du 26/06/2024





N° RG 23/01209





FM/FJ









Formule exécutoire le :







à :



COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE SOCIALE

Arrêt du 26 juin 2024





APPELANTE :

d'un jugement de départage rendu le 7 juillet 2023 par le Conseil de Prud'hommes de TROYES, section Activités Diverses (n° F 22/00036)



LA CAISSE D'ASSURANCE RETRAITE ET DE SANTE AU TRAVAIL DU NORD-EST (CARSAT DU NORD-EST)

[Adresse 4]

[

Localité 3]



Représentée par Me Fiona MERIOT, avocat au barreau de REIMS





INTIMÉE :



Madame [E] [M]

[Adresse 2]

[Localité 1]



Représentée par la SELARL IFAC, avocats au barreau de l'AUBE

DÉBATS :



En audience ...

Arrêt n°

du 26/06/2024

N° RG 23/01209

FM/FJ

Formule exécutoire le :

à :

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE SOCIALE

Arrêt du 26 juin 2024

APPELANTE :

d'un jugement de départage rendu le 7 juillet 2023 par le Conseil de Prud'hommes de TROYES, section Activités Diverses (n° F 22/00036)

LA CAISSE D'ASSURANCE RETRAITE ET DE SANTE AU TRAVAIL DU NORD-EST (CARSAT DU NORD-EST)

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Fiona MERIOT, avocat au barreau de REIMS

INTIMÉE :

Madame [E] [M]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par la SELARL IFAC, avocats au barreau de l'AUBE

DÉBATS :

En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 mai 2024, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur François MÉLIN, président de chambre, chargé du rapport, qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 26 juin 2024.

COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :

Monsieur François MÉLIN, président

Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller

Madame Isabelle FALEUR, conseiller

GREFFIER lors des débats :

Monsieur Francis JOLLY, greffier

ARRÊT :

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur François MÉLIN, président, et Monsieur Francis JOLLY, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

Mme [E] [M] a été embauchée par la Caisse régionale d'assurance-maladie du nord-est (CRAM nord-est) devenue la Caisse d'Assurance Retraite et de Santé au Travail du Nord-Est (CARSAT Nord-Est), dans le cadre d'un contrat à durée déterminée du 13 juillet 2004 au 12 octobre 2004. La relation s'est poursuivie par la suite dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à compter du 4 octobre 2004, sur un poste de technicien reconstitution de carrière.

Mme [E] [M] est devenue par la suite technicienne retraite conseil.

Par un avis du 20 septembre 2021, Mme [E] [M] a été déclarée inapte, avec une dispense pour l'employeur de l'obligation de reclassement au motif que l'état de santé fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Par un courrier du 14 octobre 2021, elle a été licenciée.

Mme [E] [M] a saisi le conseil de prud'hommes de Troyes.

Par un jugement de départage du 7 juillet 2023, le conseil a :

- dit que Mme [E] [M] a été victime de harcèlement moral ;

- dit que Mme [E] [M] n'a pas été victime de discrimination en raison de son état de santé ;

- déclaré nul licenciement pour inaptitude intervenue le 14 octobre 2021 ;

en conséquence,

- condamné la CARSAT Nord-Est à verser la somme totale de 38 202,44 euros décomposée comme suit :

. 7456,77 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

. 745,67 euros au titre des congés payés afférents,

. 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

- rejeté les demandes de Mme [E] [M] concernant le manquement à l'obligation de formation et la perte de droits à la retraite ;

- condamné la CARSAT Nord-Est à remettre à Mme [E] [M] l'ensemble de ses documents de fin de contrat rectifiés sous astreinte de 25 euros par jour à compter du 15e jour suivant la notification du présent jugement, astreinte que le conseil se réserve de liquider :

- dit que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter de chaque échéance exigible ;

- débouté les parties de leurs demandes contraires ou plus amples ;

- condamné la CARSAT Nord-Est aux dépens ;

- condamné la CARSAT Nord-Est à verser la somme de 1000 euros au titre des frais irrépétibles ;

- ordonné l'exécution provisoire.

Par des conclusions remises au greffe le 8 février 2024, la CARSAT Nord-Est demande à la cour de :

- la déclarer recevable et bien fondée, en son appel,

Y faisant droit,

SUR LE HARCÈLEMENT MORAL, LA DISCRIMINATION ET LA NULLITÉ DU LICENCIEMENT

A titre principal,

- infirmer le jugement en ce qu'il a dit que Mme [E] [M] a été victime de harcèlement moral,

- confirmer le jugement rendu en ce qu'il a dit que Mme [E] [M] n'a pas été victime de discrimination en raison de son état de santé,

En conséquence,

- infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré nul le licenciement pour inaptitude intervenu le 14 octobre 2021,

En conséquence,

Statuant à nouveau,

- juger que Mme [E] [M] n'a pas été victime de harcèlement moral,

- juger que Mme [E] [M] n'a pas été victime de discrimination en raison de son état de santé,

En conséquence,

- juger que le licenciement pour inaptitude de Mme [E] [M] est fondé,

En conséquence,

Statuant à nouveau,

- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la CARSAT Nord-Est à verser à Mme [E] [M] la somme totale de 38 202,44 Euros, décomposée comme suit :

7 456,77 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

745,67 euros au titre des congés payés afférents,

30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- infirmer le jugement en ce qu'il a dit que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter de chaque échéance exigible,

- infirmer le jugement, en ce qu'il a condamné la CARSAT Nord-Est à remettre à Mme [E] [M] l'ensemble de ses documents de fin de contrat rectifiés sous astreinte de 25 euros (vingt-cinq euros) par jour à compter du 15ème jour suivant la notification du jugement, astreinte que le conseil se réserve le liquider,

En conséquence,

Statuant à nouveau,

- débouter Mme [E] [M] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- débouter Mme [E] [M] de ses demandes tendant à voir condamner la CARSAT à lui verser les sommes suivantes :

7 456,77 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

745,67 euros au titre des congés payés afférents,

59.654,16 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

35.543,93 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- confirmer pour le surplus la décision déférée en ses dispositions non contraires aux présentes,

A titre subsidiaire : en cas de licenciement nul,

- infirmer le jugement, en ce qu'il a condamné la CARSAT Nord-Est à verser à Mme [E] [M] la somme de 30.000 euros, à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

En conséquence,

Statuant à nouveau,

- juger que la CARSAT ne saurait être tenue de verser à Mme [E] [M] une somme supérieure à 14.913,54 euros, correspondant à 6 mois de salaire, à titre de dommages et intérêts, pour licenciement nul,

A titre infiniment subsidiaire : en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse

- juger que la CARSAT ne saurait être tenue de verser à Mme [E] [M] une somme supérieure à 7.455 euros, équivalent à 3 mois de salaire, à titre de dommages et intérêts, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

SUR LA DEMANDE RELATIVE AUX DOMMAGES ET INTERETS RÉCLAMÉS AU TITRE DU MANQUEMENT A L'OBLIGATION DE SÉCURITÉ DE L'EMPLOYEUR

- juger irrecevable la demande de Mme [E] [M] tendant à voir condamner la CARSAT d'avoir à lui verser la somme de 7.456,77 euros, à titre de dommages et intérêts, pour manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur,

En conséquence,

- débouter Mme [E] [M] de sa demande tendant à voir condamner la CARSAT d'avoir à lui verser la somme de 7.456,77 euros, à titre de dommages et intérêts, pour manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur,

SUR LA DEMANDE RELATIVE AUX DOMMAGES ET INTERETS POUR NON-RESPECT DE L'OBLIGATION DE FORMATION DE LA SALARIÉE

- confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de Mme [E] [M] concernant le manquement à l'obligation de formation,

En conséquence,

- débouter Mme [E] [M] de sa demande tendant à voir condamner la CARSAT d'avoir à lui verser la somme de 15.000 euros, à titre de dommages et intérêts, pour non-respect de l'obligation de formation de la salariée,

SUR LA DEMANDE RELATIVE AUX DOMMAGES ET INTERETS POUR PERTE DE DROIT A LA RETRAITE

- confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de Mme [E] [M] concernant la perte de droit à la retraite,

En conséquence,

- débouter Mme [E] [M] de sa demande tendant à voir condamner la CARSAT d'avoir à lui verser la somme de 28.922,40 euros, à titre de dommages et intérêts, relatifs à la perte de droit à la retraite,

SUR LES FRAIS IRREPETIBLES ET LES DÉPENS

- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la CARSAT à verser à Mme [E] [M] la somme de 1.000 euros, au titre des frais irrépétibles de première instance, et l'a condamnée au paiement des dépens de première instance,

En conséquence,

Statuant à nouveau,

- débouter Mme [E] [M] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamner Mme [E] [M] à payer la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles de première instance,

- condamner Mme [E] [M] aux dépens de première instance,

- condamner Mme [E] [M] à payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles d'appel,

- condamner Mme [E] [M] aux dépens d'appel.

Par des conclusions remises au greffe le 9 janvier 2024, Mme [E] [M] demande à la cour de :

- LA RECEVOIR en son appel incident ;

- CONFIRMER le jugement en ce qu'il a :

dit que Mme [E] [M] a été victime de harcèlement moral ;

déclaré nul le licenciement pour inaptitude intervenu le 14 octobre 2021 ;

condamné la CARSAT Nord-Est à verser à Mme [E] [M] les sommes suivantes : 7.456,77 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ; 745,67 euros au titre des congés payés afférents ; 1.000 euros au titre des frais irrépétibles

condamné la CARSAT Nord Est à remettre à la salariée l'ensemble de ses documents de fin de contrat rectifiés sous astreinte de 25 euros par jour à compter du 15ème jour suivant la notification du présent jugement

dit que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter de chaque échéance exigible.

- INFIRMER le jugement sur le quantum des dommages et intérêts pour licenciement nul (30.000 euros) ;

- INFIRMER le jugement en ce qu'il a : dit que Mme [E] [M] n'a pas été victime de discrimination en raison de son état de santé ; Rejeté les demandes de Mme [E] [M] concernant le manquement à l'obligation de formation et la perte de droit à la retraite

Et statuant à nouveau :

CONDAMNER la CARSAT NORD EST au paiement des sommes suivantes :

dommages et intérêts pour licenciement nul : 59 654,16 euros,

A titre subsidiaire, dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 35 543,93 euros

En tout état de cause

dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur : 7 456,77 euros,

dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de formation de la salariée : 15 000,00 euros,

dommages et intérêts pour perte de droit à la retraite : 28 922,40 euros,

article 700 du code de procédure civile : 2 500,00 euros,

CONDAMNER la CARSAT NORD EST aux entiers frais et dépens de la première et de la présente instance.

Motifs :

Sur la demande de nullité du licenciement

Mme [E] [M] demande que le licenciement soit jugé nul au motif qu'elle a été victime d'un harcèlement moral et d'une discrimination.

l'allégation de harcèlement moral

L'article L.1154-1 du code du travail dispose que « Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 11523 et L. 1153-1 à L.1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ».

Mme [E] [M] invoque les éléments suivants :

les critiques et humiliations de la part de ses collègues à partir de l'année 2014 : elle produit notamment un procès-verbal de contact téléphonique entre la caisse nationale d'assurance-maladie et Mme [L], qui indique que des collègues ont mis des punaises sur la moquette du bureau de Mme [E] [M] afin qu'elle se blesse et qu'une collègue adressait des mails au supérieur hiérarchique concernant les erreurs commises par Mme [E] [M] afin qu'elle soit sanctionnée. Elle produit également un procès-verbal de contact téléphonique entre la caisse nationale d'assurance-maladie et Mme [H], qui indique que Mme [E] [M] lui rapportait les comportements anormaux de ses collègues et qu'elle a souvent constaté sa détresse car elle pleurait.

un suivi exagéré de son travail jusqu'à devenir journalier en 2018. Elle produit notamment les mêmes procès-verbaux de contact téléphonique, par lesquels Mme [L] précise que son responsable lui a demandé ainsi qu'à d'autres collègues des éléments sur la vie privée de Mme [E] [M] et a été mis en place une méthode de pression et de contrôle de l'activité de Mme [E] [M]. Mme [H] fait état d'une ambiance dégradée en raison de critiques négatives de collègues concernant Mme [E] [M], alors qu'une attention particulière était portée par la hiérarchie au travail de Mme [E] [M], avec l'établissement d'une fiche visant à déterminer ses points forts et ses points faibles.

un rabaissement constant de la part de sa hiérarchie quant à la qualité de son travail, résultant du fait que sa hiérarchie lui faisait des remontrances constantes.

le non-respect des préconisations de la médecine du travail s'agissant du télétravail, au motif que sa hiérarchie a voulu remettre en cause le télétravail à temps complet qui avait été mis en place à la demande de la médecine du travail.

le fait de n'avoir pu obtenir un fauteuil adapté que tardivement, étant précisé que Mme [E] [M] ne produit aucune pièce au soutien de cette allégation ;

l'absence de mesures prises par son employeur malgré ses alertes, ainsi que cela résulte, selon elle, de son courrier du 3 août 2018 mettant en cause les pratiques managériales de sa hiérarchie et des déclarations de certains collègues.

La cour relève que :

le jugement a retenu par des motifs exacts et pertinents qu'elle adopte que le premier grief doit être retenu au regard des déclarations de Mme [L] concernant des punaises placées sur la moquette du bureau de Mme [E] [M] et des déclarations concordantes de celle-ci et de Mme [H] quant à l'existence d'un climat global de critiques à l'encontre de Mme [E] [M] ;

le deuxième grief est également retenu car les éléments produits aux débats conduisent à retenir que Mme [E] [M] faisait l'objet d'un suivi spécifique de son activité, ainsi que le jugement l'a retenu par des motifs exacts et pertinents que la cour adopte ;

la matérialité du troisième grief est également établie, comme l'a retenu à juste titre le jugement, dans la mesure où il résulte des pièces produites (notamment les déclarations précitées de Mme [L] et le mail de Mme [F] du 19 mai 2017) que sa hiérarchie critiquait la qualité de son travail de manière répétée ;

la matérialité du quatrième grief n'est pas établie dans la mesure où Mme [E] [M], si elle produit un mail de sa hiérarchie faisant état d'un entretien pour faire le point sur sa situation et pour la corréler avec les obligations réglementaires, n'établit pas que sa hiérarchie a remis en cause le télétravail, contrairement à ce qu'a retenu le jugement ;

comme l'a retenu le jugement juste titre, Mme [E] [M] n'établit pas la matérialité du cinquième grief en l'absence d'éléments pertinents ;

le sixième grief est matériellement établi, ainsi que l'a retenu le jugement par des motifs exacts et pertinents que la cour adopte, au regard notamment du mail de Mme [E] [M] du 23 juillet 2018 et de son courrier du 3 août 2018, ainsi que des déclarations précitées de Mme [H].

Compte tenu de ces éléments, la cour retient que Mme [E] [M] invoque, au sens de l'article 1154-1 du code du travail, des éléments qui laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral.

Il incombe donc à la CARSAT Nord-Est de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

À ce sujet, la CARSAT Nord-Est fait notamment valoir, de manière générale, qu'elle a mis en place des mesures de prévention du harcèlement moral et de la discrimination, en particulier avec un protocole d'accord relatif aux risques psychosociaux, qu'elle a respecté les règles relatives aux visites médicales et aux préconisations médicales du médecin du travail, que les avis du médecin du travail n'ont jamais fait état d'un mal-être de Mme [E] [M] ni d'un prétendu harcèlement au travail et que celle-ci n'a jamais évoqué, au cours des différents entretiens qu'elle a eus avec son employeur, les faits qu'elle lui reproche aujourd'hui.

La CARSAT Nord-Est fournit par ailleurs les précisions suivantes concernant les griefs que la cour retient comme matériellement établis :

concernant le premier grief, la CARSAT Nord-Est fait notamment valoir que Mme [E] [M] n'en a jamais fait part, qu'il est donc étrange qu'elle l'invoque désormais, que les procès-verbaux établis par la caisse nationale d'assurance-maladie n'ont pas conduit la CPAM à reconnaître la maladie professionnelle invoquée par la salariée, que les propos recueillis dans les procès-verbaux ne permettent pas de démontrer les critiques et humiliations alléguées faute en particulier pour Mme [H] de rapporter des faits précis et pour Mme [L] de désigner l'identité des collègues prétendument en cause, alors qu'il existe des conflits et des ranc'urs personnelles ;

concernant le deuxième grief, la CARSAT Nord-Est indique que si un suivi du travail de Mme [E] [M] a effectivement été mis en place, il était justifié par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, que Mme [E] [M] a toujours présenté des difficultés dans l'exécution de ses tâches avec la mise en place d'un accompagnement dès 2009, ainsi que cela résulte des attestations de ses différents managers successifs ;

concernant le troisième grief, la CARSAT Nord-Est indique notamment qu'elle dispose d'un pouvoir de direction, qu'elle peut donc formuler des remarques sur l'accomplissement du travail des salariés, qu'elle a donné de nombreux conseils à Mme [E] [M] et que les critiques formulées étaient sans agressivité et parfois avec bienveillance ;

concernant le sixième grief, la CARSAT Nord-Est indique notamment que Mme [E] [M] n'a jamais soutenu avoir subi un harcèlement moral avant son courrier du 3 août 2018, qu'elle n'est néanmoins pas restée inactive face à ces reproches, qu'elle a mis en place de nombreux dispositifs au bénéfice de ses salariés en général et de Mme [E] [M] en particulier, avec par exemple l'intervention du service de santé au travail, l'intervention de l'organisme Pro-consulte, l'autorisation donnée à Mme [E] [M] d'occuper un bureau seule, la mise en place du télétravail, des formations adaptées, et le respect des préconisation médicale du médecin du travail.

Dans ce cadre, la cour retient que le jugement a considéré à juste titre, par des motifs exacts et pertinents qu'elle adopte, que Mme [E] [M] a été victime d'agissements répétés de harcèlement ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre sa vie professionnelle. Les éléments invoqués par la CARSAT Nord-Est présentent en effet différentes contradictions, avec à la fois un reproche tenant à une étude insuffisante des dossiers par la salariée ou à l'opposé à une étude trop approfondie, avec l'indication qu'un plan d'action a été mis en 'uvre et a conduit à un arrêt de travail de Mme [E] [M] sans que des conséquences n'en soient tirées, avec la précision que l'employeur a à la fois considéré la situation de la salariée (attestation de M. [P]) et en faisant manifestement cesser la bienveillance dont il se prévalait (compte-rendu de M. [D]), tout en sachant qu'il existait des relations interpersonnelles difficiles (attestation de M. [P]).

Le jugement est confirmé en ce qu'il a dit que Mme [E] [M] a été victime de harcèlement moral.

sur l'allégation de discrimination

Mme [E] [M] fait par ailleurs valoir qu'elle a été victime d'une discrimination en raison de sa santé, ce qui justifie également selon elle l'annulation du licenciement.

À cet égard, il y a lieu de rappeler qu'en application de l'article L 1134-1 du code du travail, il lui appartient de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte.

Or comme l'a relevé le jugement par des motifs exacts et pertinents que la cour adopte, Mme [E] [M] se borne à alléguer qu'elle a été victime de discrimination et à faire valoir la chronologie des faits de manière générale, sans qu'il résulte de cette présentation qu'il existe des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination.

Son allégation de discrimination est donc écartée, ainsi que le conseil l'a jugé.

*

Au regard de ce qui précède, le licenciement pour inaptitude est jugé nul compte tenu du harcèlement moral dont elle a été victime, dans la mesure où l'inaptitude trouve son origine dans les faits de harcèlement dont la salariée a été victime.

Il est alloué à Mme [E] [M] une somme de 30 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement nul, cette somme permettant de réparer le préjudice subi, contrairement à ce que cette dernière soutient, compte tenu de sa situation personnelle, de son âge (54 ans), de son statut de travailleur handicapé et des circonstances de l'espèce.

Le jugement est donc confirmé en ce qu'il a alloué à Mme [E] [M] la somme totale de 38 202,44 euros décomposée comme suit :

7456,77 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

745,67 euros au titre des congés payés afférents,

30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul.

Ces sommes porteront intérêts à compter de la date du prononcé du jugement et non pas, contrairement à ce qu'a dit le jugement, qui est donc infirmé de ce chef, à compter de chaque échéance exigible.

En application de l'article L 1235-4 du code du travail, il est ordonné à la CARSAT Nord-Est de remboursement à France Travail les indemnités de chômage versées à la salariée, dans la limite de six mois.

Sur la demande au titre de l'obligation de sécurité

Mme [E] [M] demande la condamnation de l'employeur à lui payer la somme de 7 456,77 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur. Elle indique que le conseil a omis de statuer sur cette demande. Elle indique qu'elle a vu ses conditions de travail se dégrader en raison des brimades et des actes de malveillance ainsi que de la volonté de mettre un terme au télétravail, que l'employeur n'a pourtant pris aucune mesure malgré ses alertes, et que l'inspection du travail a rappelé à l'employeur ses obligations pat un courrier du 27 août 2018.

L'employeur répond que cette demande n'a pas été formée en première instance, que le conseil n'a donc pas omis de statuer et qu'elle est dès lors irrecevable comme nouvelle.

Dans ce cadre, la cour rappelle que l'article 564 du code de procédure civile dispose qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

L'article 566 du même code ajoute que les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

Il ne résulte pas des termes du jugement que la demande aurait été formée devant le conseil, Mme [E] [M] ne fournissant par ailleurs aucun élément dont il résulterait qu'elle l'aurait été.

Toutefois, sa demande est recevable en application de l'article 566, dans la mesure où cette demande formée au titre de l'obligation de sécurité est l'accessoire de la demande formée au titre du harcèlement moral.

Néanmoins, cette demande est rejetée dès lors que la salariée n'établit pas qu'elle a subi un préjudice distinct de celui réparé au titre du harcèlement moral.

Sur la demande au titre de l'obligation de formation

Mme [E] [M] demande la condamnation de l'employeur à lui payer la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de formation de la salariée. Elle soutient qu'elle n'a bénéficié que de trois formations en 17 ans et que l'employeur a refusé qu'elle suive des formations qu'elle demandait.

Toutefois, le jugement a rejeté à juste titre cette demande, par des motifs exacts et pertinents que la cour adopte, Mme [E] [M] ayant en réalité suivi des formations en 2005, 2007, 2012, 2013, 2015, 2017, 2018 et 2019.

Le jugement est confirmé de ce chef.

Sur la demande au titre de la perte de droits à la retraite

Mme [E] [M] demande la condamnation de l'employeur à lui payer la somme de 28 922, 40 euros à titre de dommages et intérêts pour perte de droits à la retraite, au motif que le licenciement ne lui a pas permis d'obtenir le nombre de trimestres requis pour prétendre à une retraite anticipée, comme elle le souhaitait compte tenu de sa qualité de travailleuse handicapée.

Toutefois, le jugement a retenu à juste titre que les dommages-intérêts alloués en réparation du préjudice lié à la nullité de son licenciement réparent le préjudice né de la perte de l'emploi, de sorte que la demande tendant à l'allocation des dommages-intérêts réparant la perte de chance de percevoir l'intégralité de la pension de retraite à laquelle Mme [E] [M] aurait eu droit si son contrat de travail n'avait pas été rompu avant son départ à la retraite tend à réparer le même préjudice (Soc., 11 septembre 2019, n° 17-27.984).

Le jugement est donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande.

Sur les documents de fin de contrat

La CARSAT Nord-Est est condamnée à remettre à Mme [E] [M] l'ensemble de ses documents de fin de contrat rectifiés au plus tard le quinzième jour suivant la signification de cet arrêt.

Le jugement est donc infirmé en ce qu'il a condamné la CARSAT Nord-Est à remettre à Mme [E] [M] l'ensemble de ces documents de fin de contrat rectifiés sous astreinte de 25 euros par jour à compter du quinzième jour suivant la notification du présent jugement, astreinte que le conseil se réserve de liquider.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement est confirmé en ce qu'il a condamné la CARSAT Nord-Est au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

A hauteur d'appel, la CARSAT Nord-Est est condamnée à payer la somme de 2 500 euros à ce titre. La demande formée par celle-ci est dès lors rejetée.

Sur les dépens

Le jugement est confirmé en ce qu'il a condamné la CARSAT Nord-Est aux dépens.

Elle est par ailleurs condamnée aux dépens d'appel.

Par ces motifs :

La cour, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a :

- dit que les sommes de 7456,77 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, de 745,67 euros au titre des congés payés afférents et de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul porteront intérêt au taux légal à compter de chaque échéance exigible ;

- condamné la CARSAT Nord-Est à remettre à Mme [E] [M] l'ensemble de ces documents de fin de contrat rectifiés sous astreinte de 25 euros par jour à compter du quinzième jour suivant la notification du présent jugement, astreinte que le conseil se réserve de liquider ;

Statuant à nouveau de ces chefs,

Juge que les sommes de 7456,77 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, de 745,67 euros au titre des congés payés afférents et de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul porteront intérêts au taux légal à compter de la date du prononcé du jugement ;

Condamne la Caisse d'Assurance Retraite et de Santé au Travail du Nord-Est (CARSAT Nord-Est) à remettre à Mme [E] [M] les documents de fin de contrat rectifiés conformément aux termes de cet arrêt au plus tard le quinzième jour suivant sa signification ;

Y ajoutant,

Juge recevable la demande formée par Mme [E] [M] de condamnation de la Caisse d'Assurance Retraite et de Santé au Travail du Nord-Est (CARSAT Nord-Est) à lui payer la somme de 7 456,77 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur ;

Déboute Mme [E] [M] de sa demande de condamnation de la Caisse d'Assurance Retraite et de Santé au Travail du Nord-Est (CARSAT Nord-Est) à lui payer la somme de 7 456,77 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur ;

Ordonne à la Caisse d'Assurance Retraite et de Santé au Travail du Nord-Est (CARSAT Nord-Est) de rembourser à Pôle Emploi devenu France Travail les indemnités de chômage versées à Mme [E] [M], dans la limite de six mois ;

Condamne la Caisse d'Assurance Retraite et de Santé au Travail du Nord-Est (CARSAT Nord-Est) à payer à Mme [E] [M] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la Caisse d'Assurance Retraite et de Santé au Travail du Nord-Est (CARSAT Nord-Est) aux dépens ;

Rejette le surplus des demandes formées par les parties.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Reims
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 23/01209
Date de la décision : 26/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-26;23.01209 ?
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