La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/06/2024 | FRANCE | N°23/01145

France | France, Cour d'appel de Reims, Chambre sociale, 26 juin 2024, 23/01145


Arrêt n°

du 26/06/2024





N° RG 23/01145





FM/FJ









Formule exécutoire le :







à :



COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE SOCIALE

Arrêt du 26 juin 2024





APPELANT :

d'un jugement rendu le 14 juin 2023 par le Conseil de Prud'hommes de REIMS, section Encadrement (n° F 22/00085)



Monsieur [J] [I]

[Adresse 1]

[Localité 3]



Représenté par la SELARL RAFFIN ASSOCIES, avocats au barreau de RE

IMS





INTIMÉE :



SASU ID VERDE

[Adresse 2]

[Localité 4]



Représentée par Me Mathieu INFANTE de l'AARPI ACTIO AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

DÉBATS :



En audience publique, en application des dispositions des articles 805...

Arrêt n°

du 26/06/2024

N° RG 23/01145

FM/FJ

Formule exécutoire le :

à :

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE SOCIALE

Arrêt du 26 juin 2024

APPELANT :

d'un jugement rendu le 14 juin 2023 par le Conseil de Prud'hommes de REIMS, section Encadrement (n° F 22/00085)

Monsieur [J] [I]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par la SELARL RAFFIN ASSOCIES, avocats au barreau de REIMS

INTIMÉE :

SASU ID VERDE

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Mathieu INFANTE de l'AARPI ACTIO AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

DÉBATS :

En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 mai 2024, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur François MÉLIN, président de chambre, chargé du rapport, qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 26 juin 2024.

COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :

Monsieur François MÉLIN, président

Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller

Madame Isabelle FALEUR, conseiller

GREFFIER lors des débats :

Monsieur Francis JOLLY, greffier

ARRÊT :

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur François MÉLIN, président, et Monsieur Francis JOLLY, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

M. [J] [I] a été embauché par la société ID VERDE le 1er septembre 2016 en qualité de directeur d'agence, avec une reprise d'ancienneté au 1er août 1995.

Il a été licencié pour faute grave par un courrier du 21 juin 2021.

M. [J] [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Reims.

Par un jugement du 14 juin 2023, le conseil a :

- dit que M. [J] [I] a le statut de cadre dirigeant,

- débouté M. [J] [I] des demandes de paiement d'heures supplémentaires, et indemnitaires,

- dit le licenciement notifié à M. [J] [I] pour une cause réelle et sérieuse, qu'il qualifie de faute grave,

en conséquence,

- débouté M. [J] [I] de l'ensemble de ses demandes,

- condamné M. [J] [I] à payer 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires,

- condamné M. [J] [I] aux entiers dépens de l'instance.

M. [J] [I] a formé appel.

Par des conclusions remises au greffe le 28 mars 2024, M. [J] [I] demande à la cour de :

infirmer le jugement, en ce qu'il a :

dit que M. [J] [I] a le statut de cadre dirigeant,

débouté M. [J] [I] des demandes de paiement d'heures supplémentaires, et indemnitaires,

dit le licenciement notifié à M. [J] [I] pour une cause réelle et sérieuse, qu'il qualifie de faute grave,

en conséquence,

débouté M. [J] [I] de l'ensemble de ses demandes,

condamné M. [J] [I] à payer 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires,

condamné M. [J] [I] aux entiers dépens de l'instance.

confirmer le jugement, en ce qu'il a débouté la société ID VERDE de sa demande reconventionnelle.

Statuant à nouveau,

juger M. [J] [I] recevable et bien-fondé en son appel.

débouter la société ID VERDE de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires aux présentes.

juger les faits sanctionnés au sein de la lettre de licenciement de M. [J] [I] prescrits.

En tout état de cause,

juger le licenciement pour faute grave de M. [J] [I] abusif et dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En conséquence,

condamner la société ID VERDE à verser à M. [J] [I] les sommes et indemnités suivantes :

66.906,85 € nets à titre d'indemnité de licenciement,

25.806,94 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis (3 mois),

2.580 € bruts à titre de congés payés sur préavis,

154.841,58 € nets, soit 18 mois de salaire, à titre de dommages et intérêts licenciement abusif.

juger que M. [J] [I] ne relevait pas de la catégorie des cadres dirigeants.

En conséquence,

juger que M. [J] [I] était soumis à la durée légale du travail, soit 35 heures hebdomadaires.

- condamner la société ID VERDE à verser à M. [J] [I] :

95.945,07 € bruts à titre de rappel d'heures supplémentaires, sur les années 2019, 2020 et 2021,

9.594,50 € bruts au titre des congés payés y afférents,

24.136,38 € bruts au titre du repos compensateur, outre 2.413,63 € bruts au titre des congés payés afférents,

16.000 € nets de dommages et intérêts pour violation des durées maximales de travail et des temps de repos.

condamner la société ID VERDE à verser à M. [J] [I] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner la société ID VERDE aux entiers dépens.

Par des conclusions remises au greffe le 12 avril 2024, la société ID VERDE demande à la cour de :

1° Sur le licenciement :

- confirmer le jugement ;

- juger que le licenciement pour faute grave de M. [J] [I] repose bien sur une cause réelle et sérieuse ;

- débouter M. [J] [I] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions s'y rapportant ;

2° Sur le statut de cadre dirigeant :

A titre principal :

- confirmer le jugement ;

- juger que M. [J] [I] relève bien du statut de cadre dirigeant ;

- déclarer irrecevables ses demandes et en tout état de cause débouter M. [J] [I] de l'ensemble de celles-ci.

A titre subsidiaire :

débouter purement et simplement M. [J] [I] de ses demandes.

A titre infiniment subsidiaire :

condamner M. [J] [I] à rembourser à la société ID VERDE la somme nette de 114.603,75 euros bruts en cas de requalification de son statut de cadre dirigeant à un niveau inférieur et correspondant au salaire trop perçu sur 3 ans.

En tout état de cause,

- débouter M. [J] [I] de l'ensemble des demandes, fins et conclusions ;

- confirmer le jugement en ce que celui-ci a condamné M. [J] [I] à verser à la société ID VERDE la somme de 1.500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [J] [I] à verser à la société ID VERDE la somme de 3.500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Motifs :

Sur le licenciement

M. [J] [I] a été licencié pour faute grave par un courrier du 21 juin 2021, qui indique notamment que :

« (...)

Pour mémoire, vous avez été embauché au sein de notre société ID VERDE à compter du 1er septembre 2016 en qualité de Directeur d'Agence, statut Cadre de Niveau 5 (votre ancienneté ayant été reprise à compter du 1er août 1995). En dernier lieu, vous exerciez ces fonctions au sein de l'établissement Id Verde de [Localité 6].

Dans le cadre de vos fonctions, vous étiez responsable du management, du commerce, des études, de la production et de la gestion analytique de l'agence que vous dirigiez.

S'agissant plus spécifiquement du management, il vous incombait de mettre en oeuvre la politique sociale de l'entreprise et en tant que chef d'établissement, représentant de la société ID VERDE titulaire d'une délégation de pouvoir, vous étiez en charge de la mise en oeuvre du pouvoir disciplinaire de l'employeur dès lors que la situation le nécessitait.

Or, il apparaît que vous avez gravement manqué à vos obligations contractuelles.

Le 6 mai dernier, nous avons été alertés par l'un des salariés de l'entreprise exerçant ses fonctions au sein de l'établissement de [Localité 6] sur le fait qu'à diverses reprises, l'un de ses collègues, M. [Z] [S], Directeur Etudes et Méthodes (statut Cadre de Niveau 4) lui avait adressé de nombreux courriers électroniques via sa messagerie professionnelle ([Courriel 5]) contenant des pièces jointes de nature pornographique (photographies et/ou vidéos), voire de nature zoophile.

Compte tenu de ces révélations, nous avons alors initié des recherches sur le système informatique supportant la messagerie professionnelle de M. [S] et avons constaté qu'il avait effectivement adressé plusieurs dizaines de messages contenant des pièces jointes (images ou vidéos) à plusieurs destinataires, messages contenant la mention « privé(e) ». Cette messagerie a alors fait l'objet d'une sauvegarde arrêtée au 18 mai 2021.

Le 2 juin suivant, en présence de M. [S] et d'un huissier de justice, nous avons fait procéder à l'analyse informatique de sa messagerie professionnelle et du matériel informatique professionnel mis à sa disposition.

Nous avons constaté que sur les derniers mois, il avait effectivement adressé un grand nombre de messages contenant notamment des images et/ou vidéos à caractère érotique et/ou pornographique.

Ces messages, accompagnés ou non de commentaires de sa part, ont été adressés à certains salariés de l'entreprise, mais également à diverses personnes ne faisant pas partie de nos effectifs (s'agissant de ces derniers, principalement des salariés de la société Colas).

Là également, nous avons constaté que vous étiez très régulièrement destinataire de ces mails.

L'analyse de la sauvegarde de la messagerie a quant à elle confirmé l'existence un nombre élevé de messages envoyés à plusieurs destinataires appartenant aux effectifs de l'entreprise ou non. Là encore, cela a confirmé que très régulièrement, vos étiez destinataire de ces messages et des pièces qui y étaient jointes, contenant des vidéos/photographies majoritairement pornographiques.

L'un des messages envoyés par M. [S] (message adressé le 16 février 2021), contient même une vidéo montrant des scènes explicites de zoophilie.

Parallèlement à ces constats réalisés nous avons également fait procéder à l'analyse de la messagerie professionnelle de l'un des destinataires réguliers de ces envois. Cette analyse a confirmé les constats réalisés sur la messagerie professionnelle de M. [J] [I] [S], mais a par ailleurs révélé qu'en l'espace de quelques mois seulement, ce sont des dizaines de messages de cette nature qui avait été adressés, parfois plusieurs par jour, pendant le temps de travail. Nous avons alors découvert que l'une d'entre elles fait apparaître la présence d'un enfant alors que dans le même temps, un couple est manifestement en train d'avoir un rapport sexuel.

DES LORS,

A travers les éléments et constats ci-dessus visés, nous avons découvert que depuis de nombreux mois, M. [S], qui exerce ses fonctions sous votre autorité au sein de l'établissement de [Localité 6], a adressé plusieurs dizaines de messages depuis sa messagerie professionnelle mise à sa disposition par l'entreprise contenant notamment des images et et/ou vidéos érotiques et/ou pornographiques.

Parmi les éléments qui ont été découverts, se trouvaient qui plus est au moins deux vidéos, l'une montrant des scènes de zoophilie l'autre, pornographique, tournée en présence d'un enfant.

Ces messages ont été adressés de façon récurrente à une trentaine de destinataires environ, dont vous-même.

Vous ne pouviez donc méconnaitre l'existence de cette situation inacceptable puisque vous avez très régulièrement reçu ce type de message de la part de M. [S].

Vous avez donc fait preuve d'une grande négligence et avez manqué à vos obligations contractuelles et managériales en intervenant pas et en ne sanctionnant pas le responsable de ces envois pour faire en sorte que cela cesse.

Votre passivité vis-à-vis de ces faits est injustifiable.

Certaines vidéos sont en effet susceptibles d'être pénalement réprimées.

Elles sont également susceptibles d'engendrer une grave atteinte à la réputation de l'entreprise puisque ces messages ont été adressés via la messagerie IDVERDE, qui plus est à des personnes qui en sont extérieures.

En tout état de cause, ce type de message adressé via la messagerie électronique de l'entreprise n'a pas sa place dans un environnement de travail.

Il vous appartenait de faire cesser ces envois récurrents et d'entreprendre vis-à-vis de M. [S] une procédure disciplinaire, d'autant que ce sont des dizaines de mails que ce dernier vous a adressés (ainsi qu'à d'autres destinataires dans et hors de l'entreprise).

En n'agissant pas, vous avez laissé cette situation intolérable s'installer et se pérenniser. Les agissements de M. [S] contreviennent tant aux dispositions de notre règlement

intérieur qu'à celles de notre charte informatique. Ils sont en tout état de cause inacceptables et ne peuvent être tolérés par notre société ID VERDE. En tant que son représentant, vous deviez nécessairement agir et vous ne l'avez pas fait (...) ».

S'agissant d'un licenciement pour faute grave, la charge de la preuve pèse sur l'employeur, étant précisé que M. [J] [I] invoque à tort la prescription, dès lors que la société ID VERDE a eu connaissance des faits litigieux le 6 mai 2021 et qu'elle a convoqué le salarié à un entretien dès le 10 juin 2021.

Celui-ci indique notamment que M. [S] a adressé pendant plusieurs mois, à partir de sa messagerie professionnelle, des messages à une trentaine de personnes, dont M. [J] [I], avec des pièces jointes contenant des images ou des vidéos érotiques ou pornographies, que M. [J] [I] est pourtant resté passif lors de la réception de ces messages, qu'il lui est donc reproché de ne pas avoir agi malgré ses fonctions et pouvoirs de direction et d'avoir toléré les agissements de M. [S], qui a été licencié, et que le règlement intérieur interdit toute diffusion de messages de ce type.

La cour relève qu'il est constant que les messages litigieux ont été envoyés par M. [S] et non pas par M. [J] [I], que ce dernier en était destinataire comme une trentaine de personnes et que les images ou vidéos litigieuses étaient jointes aux messages électroniques, ce qui impliquait que les fichiers joints soient ouverts pour que ces images ou vidéos soient visionnées. Il est également constant que les intitulés de ces fichiers joints n'évoquaient pas le caractère érotique ou pornographie de leur contenu.

Or, comme celui-ci l'indique, la société ID VERDE n'établit pas que M. [J] [I] a ouvert ces fichiers joints et qu'il a visionné leur contenu.

Dès lors, dans la mesure où il n'est pas établi que M. [J] [I] a eu connaissance du contenu de ces fichiers ou qu'il en a été informé par d'autres destinataires, l'employeur ne peut pas utilement lui reprocher de ne pas avoir agi en conséquence et d'avoir toléré les agissements de M. [S].

La société ID VERDE ajoute que même s'il devait être retenu que M. [J] [I] n'a pas ouvert ces fichiers et que les messages adressés par M. [S] portaient la mention « privé », il n'en faudrait pas moins considérer qu'il a commis une négligence en n'agissant pas, car d'une part la messagerie professionnelle ne peut pas être utilisée pour envoyer des messages personnels sauf de façon raisonnable et car d'autre part il devait veiller à ce que les messages respectent la charte informatique et le règlement intérieur. Cependant, dans la mesure où l'employeur admet que les salariés peuvent utiliser la messagerie professionnelle pour des communications personnelles (conclusions p. 24), il ne peut pas utilement reprocher à M. [J] [I] son inaction puisque les messages litigieux ont été au nombre de dix-huit sur une période d'un peu moins de quatre ans (du 11 janvier 2017 au 6 mai 2021) selon le constat d'huissier du 2 juin 2021 (p. 3) et puisqu'il a été indiqué précédemment que M. [J] [I] ne connaissait pas leur contenu.

Par suite, la cour retient que la société ID VERDE ID VERDE n'établit pas l'existence d'une faute imputable à M. [J] [I] et que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse. 

Le jugement est donc infirmé de ce chef.

La société ID VERDE est condamnée à payer à M. [J] [I] les sommes suivantes :

' 66.906,85 € nets à titre d'indemnité de licenciement,

' 25.806,94 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

' 2.580 € bruts à titre de congés payés sur préavis,

' 43 500 € nets, à titre de dommages et licenciement abusif, compte tenu d'une embauche le 1er septembre 2016 avec reprise d'ancienneté au 1er août 1995 et du fait que le salarié ne justifie pas de sa situation professionnelle et personnelle postérieure au licenciement.

Par ailleurs, en application de l'article L 1235-4 du code du travail, il est ordonné à l'employeur de rembourser à Pôle Emploi devenu France Travail les indemnités de chômage versées à M. [J] [I], dans la limite de six mois.

Sur la qualité de M. [J] [I]

M. [J] [I] indique que la société ID VERDE l'a placé à tort dans la catégorie des cadres dirigeants, alors pourtant qu'il ne participe pas à la direction de l'entreprise. Il en déduit qu'il peut demander le paiement d'heures supplémentaires ainsi que des repos compensateurs.

La société ID VERDE répond que M. [J] [I] est bien un cadre dirigeant et que si la cour devait écarter ce statut, elle demanderait la condamnation du salarié à rembourser la somme nette de 114.603,75 euros bruts en cas de requalification de son statut de cadre dirigeant à un niveau inférieur et correspondant au salaire trop perçu sur 3 ans.

Dans ce cadre, la cour rappelle qu'en application de l'article L 3111-2 du code du travail, sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement.

Ces critères légaux sont cumulatifs. Les parties s'accordent sur le fait que ces critères sont en l'espèce remplis à l'égard de M. [J] [I].

Néanmoins, la qualité de cadre dirigeant suppose en outre une participation à la direction de l'entreprise, étant précisé, de manière générale, que le juge doit vérifier précisément les conditions réelles d'emploi du salarié concerné pour déterminer si un salarié dispose ou non de la qualité de cadre dirigeant (Soc., 4 février 2015, n° 13-22892).

La société ID VERDE soutient que M. [J] [I] remplit cette condition, en faisant notamment valoir que celui-ci appartenait au niveau de classification ultime des cadres, qu'il bénéficiait d'un pouvoir décisionnel très élevé, qu'il définissait en effet le budget de l'établissement, qu'il décidait des embauches, qu'il présidait le CSE, qu'il disposait d'une délégation de pouvoirs, qu'il accédait au plan d'investissement, qu'il organisait l'activité d'environ 85 salariés, qu'il organisait son emploi de manière autonome, qu'il était habilité à prendre des décisions de façon autonome dans les matières commerciale, sociale et administrative, qu'il pouvait conclure des marchés de travaux public de moins de 500 000 euros HT par an dans sa zone géographique, qu'il pouvait conclure des contrats dans la limite de 50 000 euros, qu'il procédait aux embauches, qu'il participait à des réunions stratégiques organisées par le directeur de région et avec la direction générale lors des réunions de régions, qu'il présentait le budget de l'établissement, que sa rémunération était la plus élevée dans son établissement, et qu'il avait la possibilité d'acquérir des actions à un prix préférentiel.

Toutefois, ces éléments établissent certes que les critères de l'article L3111-2 sont réunis en l'espèce mais ne permettent pas de retenir que M. [J] [I] participait à la direction de l'entreprise, au-delà de son action dans l'établissement qu'il dirigeait. En effet, les seuls éléments fournis faisant état d'une activité à l'égard de l'entreprise concernent sa participation à des réunions stratégiques organisées par le directeur de région et avec la direction générale lors des réunions de régions. Néanmoins, il est fait état d'une participation à des réunions, sans que soit justifiée d'une activité de direction de l'entreprise.

Le jugement est donc infirmé en ce qu'il a dit que M. [J] [I] a le statut de cadre dirigeant.

Sur les demandes formées par M. [J] [I] en l'absence de qualité de cadre dirigeant

Dans la mesure où il ne bénéficie de la qualité de cadre dirigeant, M. [J] [I] indique qu'il doit être soumis au régime des 35 heures et demande la condamnation de l'employeur à lui payer les sommes suivantes :

' 95.945,07 € bruts à titre de rappel d'heures supplémentaires, sur les années 2019, 2020 et 2021,

' 9.594,50 € bruts au titre des congés payés afférents,

' 24.136,38 € bruts au titre du repos compensateur, outre 2.413,63 € bruts au titre des congés payés afférents,

' 16.000 € nets de dommages et intérêts pour violation des durées maximales de travail et des temps de repos.

Sur la recevabilité

La société ID VERDE soutient que ces demandes sont irrecevables au motif que M. [J] [I] avait le statut de cadre dirigeant. Ces demandes sont toutefois recevables, dans la mesure où ce statut est écarté.

Sur la demande au titre des heures supplémentaires et des repos compensateurs

Pour justifier des heures supplémentaires qu'il indique avoir effectuées, M. [J] [I] produit ses agendas ainsi qu'un tableau récapitulatif de ces heures, qui précise, pour chaque semaine, le nombre d'heures devant être payées à 125 % et celles devant être rémunérées à 150 %.

Il fournit donc des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il soutient avoir accomplies au sens de l'article L 3171-4 du code du travail, qui dispose que « En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable ».

Il appartient donc à l'employeur de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

A ce sujet, la société ID VERDE critique les éléments produits par M. [J] [I] en soutenant qu'ils ont été dressés a posteriori pour les besoins de la procédure, sans justificatifs et avec une régularité quasi métronomique, que son agenda laisse apparaître que certaines journées comprenaient des trous béants (conclusions p. 39 et 40, qui fournit une liste des journées considérées), et que M. [J] [I] s'organisait en réalité librement compte tenu de sa très grande autonomie.

Dans ce cadre, la cour relève que la société ID VERDE critique les éléments fournis par le salarié mais ne produit pas un récapitulatif précis de ses horaires.

Au vu de ces éléments, la cour a la conviction que M. [J] [I] a accompli des heures supplémentaires non rémunérées et qu'il y a donc lieu de condamner l'employeur à lui payer à ce titre les sommes suivantes :

12 380 euros bruts au titre de l'année 2019, outre 1238 euros de congés payés afférents ;

12 880 euros bruts au titre de l'année 2020, outre 1 288 euros de congés payés afférents ;

6 655 euros bruts au titre de l'année 2021, outre 665, 50 euros de congés payés afférents.

La demande formée par M. [J] [I] au titre des repos compensateur prévus par l'article 56 de la convention collective des entreprises est en revanche rejetée, dans la mesure où les repos compensateurs sont dus au-delà d'un contingent annuel d'heures supplémentaires de 350 heures, qui n'a pas été atteint en l'espèce.

Sur la demande de dommages et intérêts pour violation des durées maximales de travail et des temps de repos.

M. [J] [I] demande la condamnation de l'employeur à lui payer la somme de 16.000 € nets de dommages et intérêts pour violation des durées maximales de travail et des temps de repos, l'employeur lui ayant appliqué le statut de cadre dirigeant à tort.

Il est fait droit à cette demande à hauteur de 1 000 euros, l'employeur ne justifiant pas du respect de ces durées.

Sur la demande reconventionnelle de l'employeur

Au cas où le statut de cadre dirigeant serait écarté, l'employeur demande à la cour de condamner M. [J] [I] à rembourser la somme nette de 114.603,75 euros bruts. Elle indique en effet que le salarié a perçu un salaire très supérieur au salaire conventionnel précisément car il était considéré comme cadre dirigeant et qu'il doit donc rembourser la différence entre les salaires qu'il a perçus en sa qualité de cadre dirigeant et les salaires qu'il aurait dû percevoir sans cette qualité.

Cette demande est toutefois rejetée en l'absence de fondement juridique, le salaire ayant été librement déterminé par les parties.

Sur les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement est infirmé en ce qu'il a condamné M. [J] [I] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société ID VERDE, qui succombe, est condamnée à payer la somme de 3 000 euros à ce titre, sa demande étant quant à elle rejetée.

Sur les dépens

Le jugement est infirmé en ce qu'il a condamné M. [J] [I] aux dépens.

La société ID VERDE, qui succombe, est condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Par ces motifs :

La cour, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté M. [J] [I] de sa demande au titre des repos compensateurs ;

Statuant à nouveau,

Condamne la société ID VERDE à payer à M. [J] [I] les sommes suivantes :

' 66.906,85 € nets à titre d'indemnité de licenciement,

' 25.806,94 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

' 2.580 € bruts à titre de congés payés sur préavis,

' 43 500 € nets, à titre de dommages et licenciement abusif ;

Juge que M. [J] [I] n'était pas un cadre dirigeant ;

Juge recevables les demandes de M. [J] [I] de rappel d'heures supplémentaires, de congés payés afférents, de repos compensateur, de congés payés afférents, et de dommages et intérêts pour violation des durées maximales de travail et des temps de repos ;

Condamne la société ID VERDE à payer à M. [J] [I] les sommes suivantes :

12 380 euros bruts au titre des heures supplémentaires de l'année 2019, outre 1238 euros de congés payés afférents ;

12 880 euros bruts au titre des heures supplémentaires de l'année 2020, outre 1 288 euros de congés payés afférents ;

6 655 euros bruts au titre des heures supplémentaires de l'année 2021, outre 665,50 euros de congés payés afférents ;

1 000 euros de dommages et intérêts pour violation des durées maximales de travail et des temps de repos ;

Condamne l'employeur à rembourser à Pôle Emploi devenu France Travail les indemnités de chômage versées à M. [J] [I], dans la limite de six mois ;

Condamne la société ID VERDE à payer à M. [J] [I] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société ID VERDE aux dépens de première instance et d'appel ;

Rejette le surplus des demandes formées par les parties.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Reims
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 23/01145
Date de la décision : 26/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-26;23.01145 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award