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19/06/2024 | FRANCE | N°23/01137

France | France, Cour d'appel de Reims, Chambre sociale, 19 juin 2024, 23/01137


Arrêt n°397

du 19/06/2024





N° RG 23/01137





FM/ACH









Formule exécutoire le :

19 JUIN 2024





à :

CHASSANY

DUPUIS

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE SOCIALE

Arrêt du 19 juin 2024





APPELANTE :

d'un jugement rendu le 9 juin 2023 par le Conseil de Prud'hommes de CHARLEVILLE - MEZIERES, section Encadrement (n° F 21/00130)



La S.A.S. MAISONS DU MONDE FRANCE

[Adresse 3]

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INTIMÉE :



Madame [F] [L]

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représentée par la SCP DUPUIS LACOURT MIGNE, avocats au barreau des ARDENNES

DÉBATS :



En ...

Arrêt n°397

du 19/06/2024

N° RG 23/01137

FM/ACH

Formule exécutoire le :

19 JUIN 2024

à :

CHASSANY

DUPUIS

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE SOCIALE

Arrêt du 19 juin 2024

APPELANTE :

d'un jugement rendu le 9 juin 2023 par le Conseil de Prud'hommes de CHARLEVILLE - MEZIERES, section Encadrement (n° F 21/00130)

La S.A.S. MAISONS DU MONDE FRANCE

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par la SELAFA CHASSANY WATRELOT ET ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS

INTIMÉE :

Madame [F] [L]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par la SCP DUPUIS LACOURT MIGNE, avocats au barreau des ARDENNES

DÉBATS :

En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 mai 2024, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur François MÉLIN, président de chambre, et Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseillère, chargés du rapport, qui en ont rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 19 juin 2024.

COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :

Monsieur François MÉLIN, président de chambre

Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseillère

Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseillère

GREFFIER lors des débats :

Madame Maureen LANGLET, greffière placée

ARRÊT :

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur François MÉLIN, président de chambre, et Madame Allison CORNU HARROIS, greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

Mme [F] [L] a été embauchée le 21 octobre 2015, avec une prise d'effet au 16 novembre 2015, par la société Maisons du Monde France en qualité de directrice de magasin, par un contrat à durée indéterminée.

Elle a été licenciée par un courrier du 20 août 2020, pour cause réelle et sérieuse.

Mme [F] [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières.

Par un jugement du 9 juin 2023, le conseil a :

Déclaré les demandes de Mme [F] [L] partiellement recevables et fondées ;

Dit et jugé que le licenciement de Mme [F] [L] est un licenciement sans cause réelle et sérieuse;

Condamné la société Maisons du Monde France aux entiers dépens et à verser à Mme [F] [L] les sommes suivantes: 13 280euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

Retenu qu'il ne juge pas inéquitable de condamner la société Maisons du Monde France aux entiers dépens;

Débouté celle-ci de ses autres demandes.

L'employeur a formé appel.

Par des conclusions remises au greffe le 7 février 2024, la société Maisons du Monde France demande à la cour de :

- la recevoir en son appel et l'y déclarer bien fondée,

- infirmer le jugement en ce qu'il a :

- Jugé le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse;

- Condamné la société Maisons du Monde France à verser à la somme de 13.280euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

- Condamné la société Maisons du Monde France à verser la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

- Débouté la société Maisons du Monde France de ses demandes.

Statuant à nouveau,

- juger le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse;

- débouter Mme [F] [L] de l'ensemble de ses demandes;

- condamner Mme [F] [L] à une amende civile pour procédure abusive au titre de l'article 32-1 du code de procédure civile dont le montant est laissé à l'appréciation de la Cour;

- condamner Mme [F] [L] à verser la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la première instance;

- condamner Mme [F] [L] à verser la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la présente instance d'appel;

- condamner Mme [F] [L] aux entiers dépens.

Par des conclusions remises au greffe le 14 novembre 2023, Mme [F] [L] demande à la cour de :

- Confirmer le jugement en ce qu'il a dit que le licenciement de Mme [F] [L] est un licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a condamné la société Maisons du Monde France à payer la somme de 2 000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens;

- Infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Maisons du Monde France à verser à Mme [F] [L] la somme de 13 280 € au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Statuant à nouveau,

- Condamner la société Maisons du Monde France à payer à Mme [F] [L] les sommes de 30 000 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de 10 000 € de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait du caractère brutal et vexatoire de la rupture;

- Condamner la société Maisons du Monde France aux entiers dépens de l'instance.

Y ajoutant,

- Condamner la société Maisons du Monde France à payer à Mme [F] [L] la somme de 3 000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des frais irrépétibles d'appel.

MOTIFS

Sur le licenciement:

La société Maisons du Monde France a notifié à Mme [F] [L] son licenciement pour cause réel et sérieuse par un courrier du 20 août 2020 rédigé dans les termes suivants :

« (')

En contrat à durée indéterminée depuis le 16 novembre 2015, vous occupez actuellement les fonctions de Directrice au sein de notre magasin de [Localité 2]. En votre qualité de responsable de ce point de vente, vous avez notamment pour mission de fédérer et d'encadrer l'ensemble de votre équipe dans le respect des valeurs de Maisons du Monde, en veillant à faire preuve d'exemplarité et d'intégrité. Il vous incombe également de garantir et de veiller à l'application de l'ensemble des procédures opérationnelles définies par la Société Maisons du Monde France.

Or, l'enquête approfondie réalisée au sein du magasin les 16 et 17 juin 2020, au cours de laquelle l'ensemble de nos collaborateurs exerçant actuellement leurs fonctions ont été entendus, a révélé d'une part, que l'ambiance de travail au sein du magasin est, par votre fait majoritairement, perçue comme étant tendue, stressante, voir purement et simplement mauvaise et, d'autre part, que vous avez gravement et de manière répétée - violé les règles de procédure internes applicables.

Votre comportement fautif, qui s'est manifesté par de nombreux éléments objectifs que nous avons matériellement vérifiés, fait obstacle à votre maintien au sein de notre Société Maisons du Monde France.

$gt; Sur votre attitude et vos propos inappropriés à l'égard du personnel de la Société Maisons du Monde France

En tant que Directrice de magasin, et conformément aux termes de votre fiche de poste, il vous incombe de fédérer et d'encadrer l'ensemble de votre équipe dans le respect des valeurs de Maisons du Monde, et de faire preuve d'exemplarité et d'intégrité. Vos fonctions impliquent que vous placiez le sens du relationnel au coeur de vos priorités, en pratiquant une écoute active, et en vous montrant respectueuse d'autrui.

Or, l'enquête susmentionnée a révélé que vous avez fait preuve de comportements s'inscrivant en parfaite contrariété avec ces obligations, dont certains d'entre eux vont être détaillés ci-après.

En effet, vous n'avez eu de cesse de tenir des propos racistes et désobligeants à l'encontre des collaborateurs placés sous votre responsabilité.

En premier lieu, vous avez surnommé l'une de nos salariées « babouin», la comparant à un singe décoratif présent en magasin, et lui suggérant que lesdits singes décoratifs entretenaient un lien de parenté avec elle, vous exclamant : «regardez, ce sont vos frères».

En second lieu, vous avez attribué des surnoms tout à fait inappropriés à d'autres salariés : la « naine », la « princesse », la « taulière », Vous avez d'ailleurs reconnu avoir employé ce dernier sobriquet désobligeant lors de votre entretien préalable en date du 5 août 2020.

Enfin, vous avez fait preuve d'un management agressif et inadéquat envers votre

adjoint, tenant à son encontre des propos homophobes, et lui faisant subir les conséquences de votre mécontentement injustifié dans le fait de devoir assumer vous- même les responsabilités procédurales qui vous incombent au titre de vos fonctions.

En effet, vous aviez bénéficié d'une formation d'une semaine au sein du magasin de [Localité 4] ayant pour objet votre remise à niveau en matière de procédures internes applicables. Depuis cette formation, et au lieu d'accepter vos responsabilités, vous avez dénigré votre adjoint, que vous surnommiez désormais « le stagiaire» et le « branleur de rideaux », vous exclamant que «puisque c'est comme ça je n'ai plus d'adjoint, vous n'êtes plus rien ».

De tels propos sont parfaitement inacceptables et irrespectueux vis-à-vis de vos

collègues.

Si chaque membre du personnel est tenu de travailler dans un bon esprit d'équipe et de collaboration, et que de tels propos, par leur nature même, ne peuvent être acceptés sous aucune circonstance, ils revêtent un degré de gravité particulier lorsqu'ils sont prononcés par un collaborateur exerçant des fonctions de direction, et ayant donc le statut de cadre. Encadrer l'ensemble de votre équipe dans le respect des valeurs de notre Société Maisons du Monde France constitue l'une de vos missions principales. Or, au lieu de fédérer, vous avez insulté, humilié, rabaissé et ostracisé les salariés placés sous votre responsabilité.

En votre qualité de Directrice, vous êtes garante du climat social du magasin. Il ne fait nul doute au regard des nombreux témoignages que nous avons recueillis que vous avez manqué à vos obligations en contribuant par votre comportement à l'installation d'un climat social négatif et anxiogène, ne permettant pas à vos collaborateurs d'exercer sereinement leurs fonctions.

$gt;Sur votre attitude et vos propos inappropriés à l'égard de clients de notre Société Maisons du Monde France

Nous sommes au regret de constater que ce comportement dégradant, humiliant, et en tout point contraire aux valeurs de Maisons du Monde, ainsi qu'aux obligations vous incombant en tant que Directrice de magasin, n'était pas réservé à vos collaborateurs.

C'est ainsi que lors de l'enquête diligentée les 16 et 17 juillet 2020, ces derniers nous ont alertés quant aux propos que vous teniez à l'égard de clients du magasin.

Vous surnommiez certains les « couscous», d'autres « négresse». Une collaboratrice vous a ainsi entendue employer ce terme extrêmement raciste le 12 juin 2020, faisant référence à une cliente qui venait de régler ses achats et sortait du magasin.

De la même manière, vous avez, le 5 juin 2020, expliqué à des salariés que vous alliez revendre tous les articles défectueux « à la négresse».

En tenant de tels propos, vous avez porté une atteinte grave à la dignité de notre clientèle, dignité dont le respect constitue pour nous une priorité absolue.

De plus, un tel comportement constitue une violation grave des obligations vous incombant au titre de vos fonctions. En tant que Directrice de magasin, vous constituez une interface entre notre Société Maisons du Monde France et notre clientèle. A ce titre, et comme l'énonce votre fiche de poste, il vous appartenait de délivrer « un service client en lien avec les attentes de l'enseigne en termes d'image de marque et de qualité de service», ce que vous n'avez manifestement pas fait.

$gt; Sur le non-respect des procédures internes à notre Société Maisons du Monde France

Vos fonctions de Directrice de magasin impliquent un degré aigu de savoir-faire opérationnel. Comme le précise votre fiche de poste, vous devez appliquer et faire appliquer les procédures de vente, être garante de la gestion des flux financiers internes et externes liés à votre magasin, et être responsable du respect des procédures, notamment des procédures de caisse. Garantir et veiller « à l'application de l'ensemble des procédures opérationnelles définies par la Direction Générale» constitue même l'une de vos missions principales en vertu de votre fiche de poste.

Or, vous avez gravement, et de manière répétée, manqué aux obligations vous incombant en matière d'application et de respect des procédures internes.

Nous avions d'ailleurs été contraints de formaliser vos manquements en vous sanctionnant, le 26 avril 2018 et le 07 juin 2019, pour des faits de non-respect des procédures internes.

Or, de manière regrettable, ces sanctions n'ont pas suscité une modification de votre comportement puisque vous avez, de manière à la fois récente et fréquente, violé les procédures applicables.

En premier lieu, vous avez instauré une pratique parfaitement contraire aux règles en vigueur consistant à créer une « caisse illicite» sous la caisse, ayant pour objet de recueillir la monnaie de clients qui ne souhaitent pas recevoir de petites pièces.

C'est ainsi que le 08 juin 2020, alors qu'une de vos collègues de travail a constaté qu'il manquait de l'argent dans le fond de caisse, vous avez pris la somme correspondante dans la « caisse illicite» et l'avez placée dans la caisse légitime afin d'atteindre la somme qui devait s'y trouver. L'enquête menée les 16 et 17 juin 2020 a confirmé l'existence de cette seconde caisse, qui prenait la forme d'un pot à crayons placé sous l'ordinateur de caisse. Le 30 mai 2020, une de nos collaboratrices vous avait déjà rappelé que cette pratique constituait une infraction à la procédure.

Lors de votre entretien préalable en date du 05 août 2020, vous avez reconnu à la fois connaître l'existence de la « caisse illicite», et admis avoir effectué un transfert entre cette dernière et la caisse légitime le 08 juin 2020 afin de combler un écart de caisse.

Or, en votre qualité de Directrice de magasin, il vous appartient d'être particulièrement vigilante au respect des procédures de recouvrement des sommes payées par les clients et de vous montrer exemplaire en-- matière de respect des procédures, sans vous octroyer le droit de déroger à certaines règles qui vous ont pourtant été rappelées oralement lors d'un audit, et expliquées de manière détaillée lors de la formation susmentionnée.

En second lieu, vous avez, les 08 et 09 juin 2020, omis de fermer à clé le tiroir du meuble de caisse, laissant la clé de manière visible, étant précisé que le tiroir contenait des fonds de caisse, la monnaie et la remise en banque. Les 09 et 10 juin 2020, vous avez laissé la clé du coffre sur la porte de ce dernier, au vu et au su de tous. Or, il est indubitable que de tels agissements, constitutifs de violations des procédures internes applicables, créent un risque important en termes de sécurité.

Le 08 juin 2020, vous avez quitté votre poste de travail afin de vaquer à vos

occupations personnelles. C'est ainsi que vous avez quitté le magasin dans le but d'effectuer des achats personnels, laissant le magasin sans personnel encadrant, et sans fermer le tiroir du meuble de caisse à clé. Lors de votre entretien préalable, vous avez reconnu vous être ainsi absentée durant vos horaires de travail, et avez tenté de vous justifier en nous expliquant que vous ne saviez pas où était le problème, car le magasin dans lequel vous vous êtes rendue se trouve en face de celui au sein duquel vous exercez vos fonctions.

Un tel raisonnement ne saurait prospérer et le niveau de responsabilité et d'exemplarité dont vous devez faire preuve en tant que Directrice confère incontestablement un degré de gravité supplémentaire à votre comportement.

Le 10 juin 2020, une de vos collègues de travail s'est vue contrainte d'intervenir afin d'entrer son code encadrant car vous alliez confier la responsabilité d'un encaissement à une salariée à qui il n'appartenait pas de le faire.

De manière générale, l'enquête que nous avons diligentée a révélé que vous manquez d'exemplarité et de rigueur. C'est ainsi qu'en matière de procédures de caisse, vous vous dispensez d'appliquer les règles en vigueur en matière de rendu de monnaie, au risque de créer des erreurs de caisse, et vous laissez très régulièrement le fond de caisse et la remise en banque dans le tiroir du meuble caisse sans le fermer à clé, et ce alors que vous devriez placer ces sommes dans le coffre. Confrontée par une collègue à ce sujet, vous avez exprimé votre mécontentement en les termes suivants : « ça commence à bien faire avec vos procédures». De plus, vous laissez parfois la porte entre le magasin et les locaux sociaux ouverte, et effectuez régulièrement seule des tâches - telles la sortie des poubelles ou la clôture de caisse - qui doivent pourtant être effectuées à plusieurs. De la même manière, vous confiez à des salariés sous votre responsabilité la charge d'exécuter seuls des missions qu'ils doivent effectuer en compagnie d'autres salariés.

De surcroît, vous refusez d'appliquer avec la rigueur requise les procédures internes, comme les règles légales, relatives au temps de travail. En effet, vous avez, le 06 juin 2020, eu une altercation avec une salariée qui a porté à votre connaissance le fait que les plannings tels que vous les aviez établis ne lui permettaient pas de bénéficier d'un temps de pause, et ce alors qu'elle devait travailler pendant plus de 6 heures consécutives. Or, vous ne pouvez ignorer le fait que dès lors que le temps de travail quotidien atteint 6 heures, le salarié bénéficie d'un temps de pause d'une durée minimale de 20 minutes consécutives, étant précisé que cette disposition est d'ordre public. La semaine suivante, vous avez soumis les plannings de l'été à une collègue pour relecture et celle-ci vous a fait remarquer qu'ils n'étaient pas conformes car les salariés étant en binôme, ils ne pourraient pas prendre de pause déjeuner. Vous lui avez alors répondu qu'un salarié pourrait rester seul en magasin, ce qui est tout à fait contraire aux règles de procédure en vigueur.

Enfin, et manière primordiale, vous avez refusé de vous conformer à une procédure spéciale instaurée pour garantir votre propre sécurité, ainsi que celle de l'ensemble de notre personnel et de nos clients. En effet, dès la réouverture de nos magasins consécutive au confinement national, nous avons mis en place une procédure spéciale en matière sanitaire, visant à assurer la santé et la sécurité de tous.

Aux termes de cette procédure, est fixé un nombre maximal de personnes autorisées à se trouver dans le magasin à la fois, étant précisé que ce nombre est fonction de la surface dudit magasin, et qu'il est de 19 personnes s'agissant du magasin dont vous êtes la Directrice.

En vertu de l'article 3 de notre Règlement Intérieur, « le personnel est tenu de respecter rigoureusement et de faire respecter; en fonction de ses responsabilités, les dispositions mises en place dans la Société Maisons du Monde France pour l'application de la réglementation en vigueur en matière d'hygiène et de sécurité».

Or, vous avez sciemment failli à cette obligation en accueillant, le 13 juin 2020, 30 personnes de manière simultanée au sein du magasin, ce que vous avez reconnu et qui représente un dépassement du seuil autorisé de plus d'un tiers. Interpelée à ce sujet par deux collaborateurs, vous vous êtes contentée de leur répondre, de manière sarcastique, que c'était pour cela qu'il était difficile de respirer, sans prendre de quelconques mesures pour pallier cette violation des règles en vigueur en matière d'hygiène et de sécurité.

De surcroît, vous n'avez pas appliqué avec la constance requise la politique, pourtant cruciale eu égard au contexte sanitaire actuel, de prise de température de l'équipe.

L'ensemble de ces éléments constitue un manquement grave à vos obligations professionnelles, dès lors que nous sommes légitimement en droit d'attendre de la part de nos salariés un comportement exemplaire, qui, à nos yeux, fait aujourd'hui défaut.

Un tel manque de professionnalisme dans l'exercice de vos fonctions ne saurait être accepté et, au regard de l'impact de vos manquements, nous considérons votre comportement comme nécessairement fautif.

En conséquence, l'ensemble de ces éléments rend impossible la poursuite de nos relations contractuelles et justifie votre licenciement pour cause réelle et sérieuse. (') ».

S'agissant d'un licenciement pour cause réelle et sérieuse, il y a lieu de rappeler, de manière générale, que le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié (art. L 1235-1).

La société Maisons du Monde France produit notamment les pièces suivantes :

Une attestation de Mme [U], salariée du magasin dont Mme [F] [L] était la directrice, qui indique que le 5 juin 2020, elle a entendu cette dernière demander où se trouvait une chaise défectueuse afin qu'elle soit vendue à, selon l'expression utilisée par Mme [F] [L] aux dires de l'attestation, « la négresse », à savoir une cliente;

Une attestation de M. [B], adjoint de Mme [F] [L], qui indique que le 5 juin 2020, cette dernière lui a demandé où se trouvait la chaise cassée pour la vendre à « la négresse », selon l'expression imputée par l'attestant à Mme [F] [L] ;

Un courrier, transmis à la société Maisons du Monde France, non daté et non signé mais portant les prénoms et noms de sept personnes dont Mmes [N] et [G] ainsi que M. [B], qui indique que suite au retour de Mme [F] [L] d'un arrêt de travail, « la tyrannie, les coups bas, les sous-entendus, la vulgarité, le dénigrement et le mépris règnent à nouveau » ;

Une attestation de Mme [N] qui indique qu'elle a fait partie des personnes ayant rédigé ce courrier et ce pour dénoncer, notamment, les propos racistes de Mme [F] [L] ;

Une attestation de Mme [G] qui indique que ce courrier a été établi par l'équipe du magasin, afin qu'il soit mis un terme aux agissements de Mme [F] [L] et notamment aux propos racistes qu'elles tenaient à l'égard des clients et de membres de l'équipe ;

Une seconde attestation de M. [B], qui indique avoir constaté les propos racistes et homophobes de Mme [F] [L] ;

Un rapport d'enquête effectué à l'initiative de la société Maisons du Monde France auprès de l'équipe du magasin ls 16 et 17 juin 2020, qui rapporte les propos de M. [B] selon lesquels Mme [F] [L] lui a demandé s'il est « à voile et à vapeur » et si, à l'occasion d'une soirée, il voulait écouter le groupe de musique YMCA et a fait de nombreuses remarques à caractère homophobe.

Mme [F] [L] indique quant à elle qu'elle n'a pas tenu de propos racistes et homophobes, qu'elle produit des attestations (pièces 12 à 16) de personnes (un livreur et quatre clientes) qui font état de sa cordialité et de sa politesse, que l'attestation de Mme [U] porte deux écritures et une signature ne correspondant pas à celle apparaissant sur son titre de séjour, que M. [B] avait intérêt au licenciement pour devenir lui-même directeur du magasin, que le courrier prétendument établi par différents salariés n'est ni daté ni signé, que le rapport d'enquête montre que les conditions de travail sont bonnes et qu'elle n'a pas été mise en mesure de présenter sa défense à l'occasion de cette enquête.

Dans ce cadre, la cour retient que contrairement à ce que soutient Mme [F] [L], l'attestation de Mme [U] ne porte pas deux écritures et que la signature qui y est apposée correspond à celle figurant sur le titre de séjour ; et que si le courrier de salariés produit par l'employeur n'est effectivement pas signé et daté, Mmes [N] et [G] confirment, par leurs attestations, avoir souscrit à sa rédaction et à son envoi.

Par ailleurs, il résulte des pièces produites par l'employeur que Mme [F] [L] a tenu des propos racistes et homophobes.

Ces propos justifient à eux-seuls le licenciement pour cause réelle et sérieuse de Mme [F] [L], sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs.

Le jugement est donc infirmé en ce qu'il a :

- Dit et jugé que le licenciement de Mme [F] [L] est un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- Condamné la société Maisons du Monde France aux entiers dépens et à verser à 13 280 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire:

Mme [F] [L] demande la condamnation de l'employeur à payer la somme de 10 000 € de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait du caractère brutal et vexatoire de la rupture, en raison d'une mise à pied injustifiée, du caractère infamant de certains motifs du licenciement et du retentissement psychologique de celui-ci.

Toutefois, comme l'a retenu le jugement qui est confirmé de ce chef, la demande doit être rejetée car le licenciement est jugé fondé et car Mme [F] [L] se borne à faire état d'un retentissement psychologique, sans le justifier.

Sur les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile:

Le jugement est infirmé en ce qu'il a condamné la société Maisons du Monde France au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [F] [L], qui succombe, est condamnée à payer la somme de 750 euros au titre de la première instance et 750 euros à hauteur d'appel.

Sur la demande au titre de l'article 32-1 du code de procédure civile:

La société Maisons du Monde France demande la condamnation de Mme [F] [L] au paiement d'une amende civile pour procédure abusive.

Il n'y a toutefois pas lieu de condamner Mme [F] [L] au titre de l'article 32-1 du code procédure civile, en l'absence d'abus du droit d'agir.

Sur les dépens:

Le jugement est infirmé en ce qu'il a condamné l'employeur aux dépens.

Mme [F] [L], qui succombe, est condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement, sauf en ce qu'il a débouté Mme [F] [L] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire ;

Statuant à nouveau,

Juge le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

Déboute Mme [F] [L] de l'ensemble de ses demandes ;

Condamne Mme [F] [L] à payer à la société Maisons du Monde France sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile la somme de 750 euros au titre de la première instance et la somme de 750 euros au titre de la procédure d'appel ;

Condamne Mme [F] [L] aux dépens de première instance et d'appel.

La Greffière Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Reims
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 23/01137
Date de la décision : 19/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-19;23.01137 ?
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