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19/06/2024 | FRANCE | N°23/00381

France | France, Cour d'appel de Reims, Chambre sociale, 19 juin 2024, 23/00381


Arrêt n°

du 19/06/2024





N° RG 23/00381





MLS/FJ









Formule exécutoire le :







à :



COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE SOCIALE

Arrêt du 19 juin 2024





APPELANTE :

d'un jugement rendu le 16 février 2023 par le Conseil de Prud'hommes de TROYES, section Activités Diverses (n° F 22/00026)



Madame [S] [O]

[Adresse 2]

[Adresse 2]



Représentée par la SELARL IFAC, avocats au barreau de

l'AUBE



INTIMÉE :



SELARL MATONDO

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représentée par Me Marie Gabrielle DUVAL, avocat au barreau de l'AUBE

DÉBATS :



En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de...

Arrêt n°

du 19/06/2024

N° RG 23/00381

MLS/FJ

Formule exécutoire le :

à :

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE SOCIALE

Arrêt du 19 juin 2024

APPELANTE :

d'un jugement rendu le 16 février 2023 par le Conseil de Prud'hommes de TROYES, section Activités Diverses (n° F 22/00026)

Madame [S] [O]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par la SELARL IFAC, avocats au barreau de l'AUBE

INTIMÉE :

SELARL MATONDO

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Marie Gabrielle DUVAL, avocat au barreau de l'AUBE

DÉBATS :

En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 6 mai 2024, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur François MÉLIN, président de chambre, et Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller, chargés du rapport, qui en ont rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 19 juin 2024.

COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :

Monsieur François MÉLIN, président de chambre

Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller

Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller

GREFFIER lors des débats :

Madame Maureen LANGLET, greffier placé

ARRÊT :

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur François MÉLIN, président de chambre, et Monsieur Francis JOLLY, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

Exposé des faits et de la procédure :

Madame [S] [O], salariée de la SELAS Matondo depuis le 1er juin 2019 avec une reprise d'ancienneté au 28 août 1983, a été licenciée pour motif économique le 23 avril 2022, après avoir saisi le conseil de prud'hommes de TROYES le 3 février 2022 d'une demande de résiliation de son contrat de travail.

En l'état de ses dernières écritures, elle a demandé au conseil de prud'hommes':

A titre principal,

- de prononcer la résiliation du contrat de travail la liant à la SELAS Matondo

A titre subsidiaire,

- de dire et juger son licenciement pour motif économique sans cause réelle et sérieuse,

En tout état de cause,

- de fixer son salaire moyen à 4'509,30 euros,

- de condamner la SELAS Matondo à lui verser les sommes suivantes':

. 9 018,60 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

. 901,86 euros à titre de congés payés sur préavis,

. 8'705,45 euros à titre de reliquat d'indemnité légale de licenciement,

. 90 186,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 24 974,57 euros à titre de prime d'ancienneté sur la période de 3 ans non prescrite,

. 2 497,46 euros à titre de congés payés sur rappel de prime d'ancienneté,

. 3 468,69 euros à titre de rappel de prime de 13ème mois de l'année 2020,

. 346,87 euros à titre de congés payes sur prime de 13ème mois de l'année 2020,

. 1 156,23 euros à titre de rappel de prime de 13ème mois de l'année 2022,

. 115,62 euros à titre de congés payés sur prime de 13 mois de l'année 2022,

. 3 935,60 euros à titre d'indemnité de congés payés (29,5 jours),

. 9 018,60 euros à titre de dommages et intérêts pour remise tardive des documents de fin de contrat,

. 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonner l'exécution provisoire en application de l'article R1454-28 du Code du travail,

- dire et juger que la défenderesse devra rembourser au demandeur les frais d'huissier en cas d'exécution forcée en application de l'article 10 du décret 96-1080 du 12/12/1996.

En réplique, la SELAS Matondo a demandé au Conseil de':

- la recevoir en ses demandes fins et conclusions et la juger bien fondée en ses arguments,

- en conséquence, de débouter Madame [S] [O] de l'ensemble de ses demandes en ce qu'elles sont mal fondées,

- condamner Madame [S] [O] à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par jugement contradictoire rendu le 16 février 2023 et notifié le 17 février 2023, le conseil de prud'hommes a':

- déclaré Madame [S] [O] recevable et partiellement fondée en ses réclamations,

- dit que le licenciement pour motif économique de Madame [S] [O] repose sur une cause réelle et sérieuse,

- condamné la SELAS Matondo à payer à Madame [S] [O] les sommes suivantes':

. 12'466,72 euros à titre de rappel de la prime d'ancienneté,

. 1'246,67 euros à titre de congés payés afférents,

. 3'468,20 euros à titre de rappel de prime de 13ème mois de 2020,

. 346,82 euros à titre de congés payés afférents,

. 1'156,23 euros à titre de rappel de prime de 13ème mois de 2022,

. 115,62 euros à titre de congés payés afférents,

. 3 935,60 euros à titre d'indemnité de congés payés (29,5 jours),

. 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour remise tardive des documents de fin de contrat,

. 1'500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté Madame [S] [O] du surplus de ses demandes,

- débouté la SELAS Matondo de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné la SELAS Matondo aux dépens.

Le 23 février 2023 la salariée a interjeté appel du jugement':

- en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes principales et subsidiaires relatives à la résiliation judiciaire du contrat de travail, à la contestation du licenciement et leurs conséquences indemnitaires, à la fixation de son salaire moyen à la somme de 4'509,30 euros,

- en ce qu'il a limité le rappel de prime d'ancienneté et l'indemnité compensatrice de congés payés afférents, les dommages et intérêts pour remise tardive des documents de fin de contrat et la condamnation de l'intimée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 8 avril 2024.

Exposé des prétentions et moyens des parties :

Par conclusions notifiées par voie électronique le 1er juin 2023, l'appelante demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il a':

. dit que le licenciement pour motif économique reposait sur une cause réelle et sérieuse,

. condamné l'employeur au paiement des sommes suivantes':

. 12'466,72 euros à titre de rappel de la prime d'ancienneté,

. 1'246,67 euros à titre de congés payés afférents,

. 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour remise tardive des documents de fin de contrat,

. rejeté le surplus de ses demandes,

- confirmer le jugement en ce qu'il a'condamné la SELAS Matondo à lui payer les sommes suivantes':

. 3'468,20 euros à titre de rappel de prime de 13ème mois de 2020,

. 346,82 euros à titre de congés payés afférents,

. 1'156,23 euros à titre de rappel de prime de 13ème mois de 2022,

. 115,62 euros à titre de congés payés sur prime de 13 mois de l'année 2022,

. 3 935,60 euros à titre d'indemnité de congés payés (29,5 jours),

. 1 500,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouter la société Matondo de l'ensemble de ses demandes et de son appel incident,

Et statuant à nouveau,

A titre principal,

- prononcer la résiliation du contrat de travail la liant à la SELAS Matondo,

A titre subsidiaire,

- dire et juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En tout état de cause,

- fixer le salaire moyen à 4'509,30 euros,

- condamner la SELAS Matondo à lui payer les sommes suivantes':

. indemnité compensatrice de préavis': 9'018,60 euros,

. indemnité de congés payés sur préavis': 901,86 euros,

. reliquat d'indemnité légale de licenciement': 8'705,45 euros,

. dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse': 90 186,57 euros,

. prime d'ancienneté sur la période de 3 ans non prescrite': 24'974,57 euros,

. congés payés sur rappel de prime d'ancienneté': 2'947,46 euros,

. rappel prime de 13ème mois de l'année 2020': 3'468,69 euros,

. congés payés sur prime de 13ème mois de l'année 2020': 346,87 euros,

. rappel de prime de 13ème mois sur l'année 2022': 1'156,23 euros,

. congés payés sur prime de 13ème mois de l'année 2022': 115,62 euros,

. indemnité de congés payés (29,5 jours)': 3'935,60 euros,

. dommages et intérêts pour remise tardive des documents de fin de contrat': 9'018,60 euros,

- condamner la SELAS MATONDO à lui verser la somme de 3'500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

- dire et juger que l'intimée devra lui rembourser les frais d'huissier en cas d'exécution forcée en application de l'article 10 du décret 96-1080 du 12/12/1996.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 23 mai 2023, l'intimée demande à la cour de':

- la recevoir en ses demandes fins et conclusions et la juger bien fondée en ses arguments et son appel incident';

En conséquence,

- confirmer la décision dont appel en ce qu'elle a':

. rejeté la demande de résiliation judiciaire de Madame [O],

. jugé le licenciement économique fondé,

- infirmer la décision dont appel en ce qu'elle l'a condamnée à tort à verser à Madame [O]':

. des rappels de salaire à titre de prime d'ancienneté,

. une indemnité correspondant à 29,5 jours de congés payés,

. 1'000 euros à titre de dommages et intérêts pour remise tardive des documents de fin de contrat,

. 1'500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner Madame [S] [O] à lui restituer la somme de 14'280,76 euros qui lui a été versée le 10 mai 2023 au titre de l'exécution provisoire de la décision dont appel avec restitution des documents afférents';

- condamner Madame [S] [O] à lui verser la somme de 3'500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

Motivation :

1 - l'exécution du contrat de travail

le rappel de salaires à titre de prime d'ancienneté

La salariée appelante prétend pouvoir bénéficier de la prime d'ancienneté au titre de l'article 14 de la convention collective des cabinets médicaux, et soutient donc être bien fondée à réclamer cette prime pour la période non prescrite de 3 années, soit 24'974,57 euros outre 2'497,46 euros au titre des congés payés afférents, soutenant que le Conseil de Prud'hommes a fait une interprétation erronée de son ancienneté en prenant une base de calcul contestable à savoir le salaire conventionnel et non le salaire réel. De même sur la période d'ancienneté, la salariée prétend ne pas avoir changé de lieu de travail, ni de poste, et que malgré les employeurs successifs, elle a conservé son ancienneté.

L'employeur prétend justifier que le calcul de la prime d'ancienneté peut se faire au choix sur le salaire réel ou sur le salaire minimum conventionnel comme en atteste une décision de la commission d'interprétation du 8 décembre 1999. De même, la société prétend que Madame [O] a perçu plus que le salaire conventionnel comprenant la prime d'ancienneté qui lui était due, de sorte que cette demande est mal fondée. Il ajoute également que la société Matondo a repris la totalité de l'ancienneté de la salariée, alors que si elle avait appliqué à la lettre la convention collective elle n'en aurait repris que la moitié. L'employeur prétend donc avoir dépassé les obligations conventionnelles.

L'article 14 de la convention collective des personnels des cabinets médicaux prévoit une prime en fonction de l'ancienneté du salarié sans préciser le salaire qui sert de base à son calcul. Aussi, la commission d'interprétation de la convention collective a, dans une décision du 8 décembre 1999, considéré que l'employeur pouvait choisir soit le salaire conventionnel soit le salaire réel comme base de calcul en précisant que c'est à l'employeur de choisir le mode de calcul.

Or, l'employeur n'ayant jamais payé la prime d'ancienneté, n'a pas fait de choix.

Le conseil de prud'hommes a choisi'de prendre comme base le salaire conventionnel sans motiver sa décision.

Certes, le salaire réel était supérieur au salaire conventionnel. Toutefois, aucune stipulation contractuelle, ni aucune mention du bulletin de paie ne laissent croire que la prime était effectivement intégrée au salaire réellement payé. Par conséquent, en l'absence de choix fait par l'employeur dans le temps de la relation contractuelle, il faut en déduire que le salaire réellement payé, bien que dépassant le salaire conventionnel, n'intégrait pas la prime, laquelle doit par conséquent être calculée sur le salaire réel.

C'est à tort par ailleurs que le conseil de prud'hommes a fait démarrer l'ancienneté en 2019, alors que l'ancienneté de la salariée a, par la volonté des parties exprimée dans le contrat de travail, été reprise depuis le 23 avril 1983.

Aussi, dans le temps de la prescription, soit du 23 avril 2019 au 23 avril 2022, la salariée, qui avait plus de 20 ans d'ancienneté devait percevoir une majoration de salaire de 20 %, soit au total un rappel de 24 974,56 euros outre 2 497,45 euros de congés payés afférents.

Le jugement sera donc infirmé sur ces points.

Le 13ème mois

La salariée rappelle la décision du Conseil, et son droit de bénéficier de la prime de treizième mois pour les années 2020 et 2022 avec les congés payés y afférents, bien que cette prime ne soit pas conventionnelle mais résulte d'un usage.

L'employeur vient rappeler que la preuve de l'usage repose sur la salariée, et que le versement n'a été fait que deux fois ce qui ne constitue en rien un usage.

Il est acquis que les primes peuvent être fixées par un usage, qui, pour lier l'employeur et l'obliger à en assurer le paiement, doit présenter les caractères cumulatifs de constance, de fixité et de généralité à moins que celui-ci ne l'ait régulièrement dénoncé en notifiant sa décision aux représentants des salariés, à défaut individuellement aux salariés concernés, en prévoyant un préavis nécessaire à la négociation. Un usage non régulièrement dénoncé demeure en vigueur' et les salariés peuvent réclamer l'avantage en résultant jusqu'à la dénonciation régulière de celui-ci ou la conclusion d'un accord d'entreprise ayant le même objet que cet usage.

C'est à raison que le conseil de prud'hommes a retenu l'existence d'un usage puisque le 13ème mois a été payé en 2019 et 2021. Certes, le paiement n'a pas été fait en 2020, mais il ressort du courrier adressé par l'employeur aux salariés le 10 août 2020, que ce paiement a été suspendu en raison de la pandémie de COVID et qu'il a été repris en 2021. Le critère de constance est donc établi de même que le critère de fixité dès lors que le montant du 13ème mois correspond invariablement au montant du salaire mensuel perçu par le salarié. En outre, le critère de généralité apparaît également dans le courrier précité puisse que le courrier évoquant le 13ème mois a été envoyé à tous les salariés.

Par conséquent, faute d'avoir dénoncé l'usage concernant le versement d'une prime de 13ème mois, l'employeur est tenu de la payer à la salariée qui la réclame à bon droit. Le jugement, qui a fait droit à la demande doit être confirmé ainsi que les congés payés afférents.

les congés payés

La salariée soutient qu'à la lecture des bulletins de salaire de 2021 et 2022, 29,5 jours de congés payés apparaissaient, ceux-ci ayant disparu sur le dernier bulletin de salaire d'avril 2022, alors qu'ils y étaient encore en mars, et qu'en raison d'arrêts maladie en avril, et de la rupture du contrat, il ne lui a pas été possible de les poser. La salariée ajoute qu'aucune ligne du bulletin de salaire n'indique la pose de ces congés payés.

L'employeur indique que la salariée aurait pris l'intégralité de ses congés payés avant la rupture de son contrat de travail, le règlement de ces derniers n'est donc pas dû, ce en quoi il demande la réformation du jugement sur ce point.

Toutefois, aucune pièce du dossier de l'employeur n'atteste de la prise de congés entre le mois de mars 2022 et le mois d'avril 2022. Pourtant, alors que le bulletin de salaire du mois de mars 2022 présente un solde de 29,55 jours de congés, celui du mois d'avril 2022 solde l'ensemble des jours de congés sans les payer alors même que le bulletin de salaire accompagnant le solde de tout compte n'a réglé qu'un seul jour de congé considéré à tort comme ayant été pris. Il reste donc un solde de 29,55 jours de congés qui n'a pas été réglé à la salariée, de sorte qu'il faut confirmer le jugement qui a fait droit à la demande.

1 - la rupture du contrat de travail

la résiliation et ses conséquences

La salariée appelante reproche à l'employeur une absence de fourniture de travail, qui ne s'explique pas selon elle par des difficultés économiques alors que la société employeur poursuivait son activité, outre de mauvaises conditions de travail en l'absence de bureau et de poste de travail dédié à son activité. Elle fait valoir que l'action en résiliation judiciaire de contrat implique la poursuite des relations contractuelles dans l'attente de la décision du juge, et que si le salarié est licencié avant cette décision, les juges doivent en premier lieu rechercher si la demande de résiliation est justifiée, peu importe que l'employeur ait engagé la procédure de licenciement ou que le salarié ait adhéré à un contrat de sécurisation professionnelle. Elle rappelle que c'est seulement dans le cas où la demande de résiliation est rejetée que les juges se prononcent sur le licenciement notifié par l'employeur.

L'employeur soutient à titre liminaire que dans la mesure où le contrat de travail a été rompu par l'effet de l'acceptation du contrat de sécurisation professionnelle par la salariée, la résiliation judiciaire du contrat de travail ne peut plus être prononcée. Il ajoute tout de même que la résiliation judiciaire n'est possible que si les manquements sont d'une gravité suffisante et empêchent la poursuite du contrat de travail. Il prétend que la société Matondo n'a pu donner qu'une partie de ses fonctions (activité administrative) à Madame [O], l'autre partie (activité médicale) ne pouvant plus être exercée à partir du 1er février 2022 suite à l'arrêt de l'exercice de ses activités au sein des locaux de la clinique de champagne. Elle fait observer que la demande de résiliation est survenue le lendemain de l'arrêt des activités au sein des locaux de la clinique et soutient donc que le prétendu manquement d'une durée de 24 heures ne peut justifier la résiliation. Il est également rappelé que la salariée a refusé la modification de son contrat, et qu'il ne peut être reproché à l'employeur de ne pas avoir licencié immédiatement sa salariée, lequel prétend avoir continué de tenter de trouver un établissement de soins où réaliser ses prestations médicales.

La salariée qui demande la résiliation judiciaire du contrat de travail, doit justifier des griefs qu'elle impute à l'employeur, et qui doivent être suffisamment graves pour justifier la rupture du contrat de travail. Il relève du pouvoir souverain des juges du fond d'apprécier si le manquement de l'employeur à ses obligations contractuelles présente une gravité suffisante pour justifier la résiliation, étant précisé que cette appréciation se fait au jour de leur décision. Le juge saisi d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail doit examiner l'ensemble des griefs invoqués au soutien de celle-ci quelle que soit leur ancienneté.

Lorsque le salarié demande la résiliation de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d'autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée ; c'est seulement dans le cas contraire qui doit se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur.

La date d'effet de la résiliation doit être fixée à la date de la décision judiciaire la prononçant dès lors que le contrat n'a pas été rompu avant cette date.

La résiliation judiciaire du contrat de travail à l'initiative du salarié et aux torts de l'employeur produit les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et le salarié doit être indemnisé par le versement des indemnités de rupture et de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse calculée en application des dispositions de l'article L 1235-3 du code du travail.

Il ressort du courrier envoyé le 24 novembre 2021 par l'employeur aux salariés de l'entreprise qu'un arrêt de l'activité programmée fin décembre 2021 a été échelonné jusqu'en mars 2022 en gardant jusqu'à cette date le poste de secrétaire. La lettre de proposition du contrat de sécurisation professionnelle en vue d'un licenciement économique envoyée à la salariée le 21 mars 2022 laisse voir que l'activité a cessé le 20 janvier 2022, et que la personne morale a déménagé dans son siège social, quittant les locaux de la clinique de champagne le 31 janvier 2022, où elle exerçait antérieurement son activité. Le grief lié à l'absence de travail est donc caractérisé à compter du 20 janvier 2022, la salariée ayant saisi le conseil de prud'hommes le 3 février 2022, après le déménagement mentionné dans la lettre de proposition du contrat de sécurisation professionnelle. Contrairement ce que soutient la salariée, il n'est pas établi qu'elle ne disposait pas d'un poste de travail dans les nouveaux locaux, les photographies qu'elle produit laissent voir des locaux en cours d'aménagement.

Au final, seule l'absence de fourniture de travail est établie, sans que l'employeur ne justifie les difficultés qu'il allègue comme étant à l'origine de la cessation d'activité. En effet, la rupture des contrats avec la clinique de champagne où la société employeur exerçait son activité d'anesthésie, prétendument à l'origine des difficultés économiques de la société employeur, n'est pas justifiée autrement que par les allégations de l'employeur dans les courriers qu'il envoie aux salariés. Seule est justifiée la dénonciation de la convention de partage des frais de secrétariat entre les différents anesthésistes de la clinique et la SELAS Matondo.

En l'absence de justification des motifs économiques pour lesquels l'employeur prétend avoir cessé son activité, la salariée était fondée en sa demande de résiliation, dès lors qu'il était évident à compter de fin janvier 2022 que l'employeur ne lui confierait plus d'activité, et qu'en début février 2022, date de l'assignation en résiliation judiciaire, aucune procédure de licenciement n'avait été initiée. De surcroît, à la date du présent arrêt, les difficultés économiques liées à la rupture des relations avec la clinique de champagne ne sont pas justifiées autrement que par les dires de l'employeur de sorte que le grief invoqué par la salariée, est suffisamment grave pour qu'il soit mis fin au contrat de travail aux torts de l'employeur.

Par infirmation du jugement, la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur doit être accueillie.

La salariée a droit à une indemnité de préavis égale à deux mois du salaire qu'elle aurait perçu si elle avait travaillé. Compte tenu de la date de la rupture au mois d'avril 2022, la salariée aurait perçu la somme de 4 162,42 euros incluant la prime d'ancienneté de sorte que l'indemnité compensatrice de préavis se monte à 8 324,85 euros outre 832,48 euros de congés payés afférents.

La salariée peut également prétendre à une indemnité légale de licenciement égal à 54'362,11 euros calculée sur la base d'un salaire brut mensuel moyen de 4 509,30 euros. Dans la mesure où elle a perçu une somme de 45'406,15 euros à ce titre, il reste un reliquat de 8 955,96 euros. Par infirmation du jugement, il sera donc fait droit à la demande du 8 705,45 euros.

La salariée peut également prétendre à des dommages et intérêts en réparation des préjudices nés de la rupture abusive du contrat de travail sur le fondement de l'article L 1235-3 du code du travail. Compte tenu de l'ancienneté de la salariée supérieure à 30 ans et de l'effectif de l'entreprise inférieur à 11 salariés, l'indemnité doit être comprise entre 3 et 20 mois de salaire brut. Considérant l'ancienneté et l'âge de la salariée, son niveau de salaire et l'absence de justificatifs de la situation de la salariée après la rupture du contrat de travail, la somme de 27'000 euros est de nature à réparer entièrement le préjudice subi, étant observé que le salaire moyen brut peut être fixé à 4 509,30 euros compte tenu du 13ème mois et de la prime d'ancienneté.

le licenciement

Compte tenu de la résiliation du contrat de travail, la contestation du licenciement devient sans objet.

dommages et intérêts en réparation des préjudices nés de la remise tardive des documents de fin de contrat et du solde de tout compte

La salariée prétend ne pas avoir reçu les documents lors de la rupture du contrat le 23 avril 2022, et ajoute que lors du bureau de conciliation, la société Matondo indiquait qu'elle remettrait les documents dans un délai de 2 semaines que la société n'aurait pas respecté. Elle soutient également une attitude inadmissible de son employeur, car elle a dû attendre plus de deux mois pour avoir le versement de son solde tout compte. Elle estime son préjudice partiellement réparé, puisque la somme allouée par le Conseil de Prud'hommes de 1 000 euros ne répare pas le délai de deux mois durant lequel la salariée n'a pu effectuer de démarches auprès de Pôle emploi ou commencer d'éventuelles formations ou recherches d'emploi, et elle sollicite donc la somme de 9'018,60 euros.

L'employeur prétend que les documents ont été remis à sa salariée le 27 mai 2022 et non le 7 juin 2022 comme prétendu par la salariée, seul le chèque a été remis le 7 juin. L'employeur demande la réformation de la décision du Conseil de Prud'hommes en ce qu'il l'a condamné à 1'000 euros de dommages et intérêts, la salariée ne justifiant pas le préjudice.

Si les documents de fin de contrat versés au dossier datent du 23 avril 2022, il apparaît en réalité qu'ils n'étaient toujours pas établis le 5 mai 2022 tels que cela ressort du procès-verbal de l'audience du bureau de conciliation, ce qu'admet d'ailleurs l'employeur à hauteur de cour. En outre, le chèque correspondant au solde de tout compte a été émis le 7 juin 2022.

Il est donc établi que les documents de fin de contrat et le versement du solde de tout compte n'ont pas été immédiatement transmis et versé à la salariée après la rupture du contrat de travail caractérisant ainsi le retard allégué. Toutefois, la faute ne peut générer les dommages-intérêts qu'en cas de préjudice subséquent. Or, si la salariée invoque un préjudice, aucune pièce du dossier ne rapporte la preuve de préjudices nés de cette faute. En effet, aucune pièce ne vient établir des difficultés dans les démarches de retour à l'emploi après la rupture du contrat de travail, ni de difficultés financières générées par ce retard. Par conséquent, la demande ne peut prospérer et le jugement qui a partiellement fait droit à la demande, doit être infirmé.

3 - autres demandes

le salaire moyen

C'est à raison que la salariée fixe à 4'509,30 euros son salaire mensuel brut moyen comprenant la prime d'ancienneté le 13ème mois.

la restitution des sommes versées au titre de l'exécution provisoire

La demande de l'employeur tendant à restitution des sommes versées au titre de l'exécution provisoire sera rejetée compte tenu des décisions qui précèdent, dans observé que la cour n'a pas à ordonner de restitution, l'arrêt valant le cas échéant ordre de restitution.

les intérêts au taux légal

En application des dispositions de l'article 1231-6 du Code civil les condamnations à l'exclusion dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du licenciement sans cause réelle et sérieuse porteront intérêts au taux légal à compter du 12 février 2022 date de réception de la convocation devant le bureau de conciliation. En revanche, la condamnation au paiement de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés de la rupture abusive du contrat de travail portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

les frais irrépétibles et les dépens

Succombant au sens de l'article 696 du code de procédure civile, l'employeur intimé supportera les dépens et les frais irrépétibles de première instance par confirmation du jugement. En cause d'appel il sera débouté de ses demandes de remboursement de ses frais irrépétibles et sera condamné à supporter les dépens et à payer à l'appelante la somme de 1 500 euros à ce titre.

Le droit proportionnel de l'article R. 444-55 du code de commerce (ex- article 10 du décret n° 96-1080 du 12 décembre 1996 ) n'est pas dû dans les cas énumérés par le 3° de l'article R. 444-53, soit une créance alimentaire ou née de l'exécution d'un contrat de travail. En conséquence, l'appelante sera déboutée de sa demande articulée sur ce fondement.

Par ces motifs :

La cour statuant publiquement, contradictoirement, et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement rendu le 16 février 2023 par le conseil de prud'hommes de Troyes, en ce qu'il a':

- dit que le licenciement pour motif économique reposait sur une cause réelle et sérieuse,

- débouté la salariée de sa demande de résiliation du contrat de travail, et de ses demandes indemnitaires subséquentes, et de sa demande de fixation de son salaire mensuel brut moyen';

- condamné l'employeur à payer à la salariée les sommes suivantes :

. 12'466,72 euros de rappel de prime d'ancienneté,

. 1246,67 euros de congés payés afférents,

. 1 000 euros de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés de la remise tardive des documents de fin de contrat';

Confirme le surplus du jugement en ses dispositions soumises à la cour,

Statuant à nouveau, dans la limite des chefs d'infirmation,

Ordonne la résiliation au 23 avril 2022 du contrat de travail, avec les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse';

Juge sans objet la contestation du licenciement';

Condamne la SELAS Matondo à payer à Mme [S] [O], avec intérêts au taux légal à compter du 12 février 2022, les sommes suivantes':

- 8 324,85 euros d'indemnité compensatrice de préavis,

- 832,48 euros de congés payés afférents,

- 8 705,45 euros de reliquat d'indemnité légale de licenciement,

- 24'974,56 euros de prime d'ancienneté,

- 2 497,45 euros de congés payés afférents,

Condamne la SELAS Matondo à payer à Mme [S] [O], avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt la somme de 27'000 euros de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Déboute Mme [S] [O] de sa demande de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés de la remise tardive des documents de fin de contrat et du paiement tardif du solde de tout compte';

Fixe à 4 509,30 euros le montant du salaire mensuel brut moyen';

Y ajoutant,

Dit que les condamnations sont prononcées sous réserve d'y déduire le cas échéant, les charges sociales et salariales ;

Condamne la SELAS Matondo à payer à Mme [S] [O] la somme de 1 500 euros en remboursement de ses frais irrépétibles d'appel ;

Condamne la SELAS Matondo aux dépens de l'instance d'appel qui ne comprendront pas les frais d'exécution.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Reims
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 23/00381
Date de la décision : 19/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-19;23.00381 ?
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