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19/06/2024 | FRANCE | N°23/00336

France | France, Cour d'appel de Reims, Chambre sociale, 19 juin 2024, 23/00336


Arrêt n°

du 19/06/2024





N° RG 23/00336





MLS/FJ









Formule exécutoire le :







à :



COUR D'APPEL DE [Localité 2]

CHAMBRE SOCIALE

Arrêt du 19 juin 2024





APPELANTE :

d'un jugement rendu le 30 janvier 2023 par le Conseil de Prud'hommes de [Localité 2], section Activités Diverses (n° F 22/00025)



Madame [G] [O]

[Adresse 4]

[Localité 1]



Représentée par la SELARL JBOUHANA AVO

CAT, avocats au barreau de PARIS



INTIMÉE :



[Localité 2] HABITAT

[Adresse 3]

[Localité 2]



Représentée par la SARL BELLEC & ASSOCIES, avocats au barreau de [Localité 2]

DÉBATS :



En audience publique, en application des disposit...

Arrêt n°

du 19/06/2024

N° RG 23/00336

MLS/FJ

Formule exécutoire le :

à :

COUR D'APPEL DE [Localité 2]

CHAMBRE SOCIALE

Arrêt du 19 juin 2024

APPELANTE :

d'un jugement rendu le 30 janvier 2023 par le Conseil de Prud'hommes de [Localité 2], section Activités Diverses (n° F 22/00025)

Madame [G] [O]

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par la SELARL JBOUHANA AVOCAT, avocats au barreau de PARIS

INTIMÉE :

[Localité 2] HABITAT

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par la SARL BELLEC & ASSOCIES, avocats au barreau de [Localité 2]

DÉBATS :

En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 6 mai 2024, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur François MÉLIN, président de chambre, et Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller, chargés du rapport, qui en ont rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 19 juin 2024.

COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :

Monsieur François MÉLIN, président de chambre

Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller

Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller

GREFFIER lors des débats :

Madame Maureen LANGLET, greffier placé

ARRÊT :

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur François MÉLIN, président de chambre, et Monsieur Francis JOLLY, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

Exposé des faits et de la procédure :

Mme [G] [O] a été embauchée depuis le 1er septembre 1989 en qualité de conseillère sociale puis de chargée de prévention, par l'office public d'HLM de [Localité 2] devenu la société d'économie mixte [Localité 2] Habitat.

Le 20 janvier 2022, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Reims de demandes tendant à :

faire juger qu'elle a fait l'objet d'une discrimination liée à son statut de travailleur handicapé ;

- faire prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur ;

- faire condamner la société d'économie mixte [Localité 2] Habitat à lui payer les sommes suivantes :

.26 271,85 euros nets à titre d'indemnité légale de licenciement ;

. 7 947,81 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

. 794,78 euros bruts au titre de congés payés y afférents ;

. 15 895 euros nets à titre de dommages et intérêts pour discrimination liée au statut de travailleur handicapé ;

. 52 985,40 euros nets à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices nés du licenciement nul  et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse ;

. 7 947,81 euros nets à titre de dommages et intérêts en réparation d'un préjudice moral ;

. 3 000 euros d'indemnité de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- faire condamner sous astreinte la société d'économie mixte [Localité 2] Habitat à lui remettre ses documents de fin de contrat, attestation Pôle Emploi, certificat de travail, solde tout compte ;

- faire condamner la société d'économie mixte [Localité 2] Habitat aux entiers dépens.

En réplique, l'employeur a conclu au débouté et a sollicité reconventionnellement la somme de 3 000 euros de dommages et intérêts au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que la condamnation de la salariée aux entiers dépens.

Par jugement contradictoire rendu le 30 janvier 2023, le Conseil de Prud'hommes a :

- dit qu'il n'y avait pas d'éléments de fait de discrimination liée au statut de travailleur handicapé ;

- jugé que Mme [G] [O] n'avait pas fait l'objet d'une discrimination liée à son statut de travailleur handicapé ;

- débouté en conséquence Mme [G] [O] de l'ensemble de ses demandes à ce titre ;

- reçu la société d'économie mixte [Localité 2] Habitat en sa demande reconventionnelle ;

- condamné Mme [G] [O] à lui payer la somme de 100 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné Mme [G] [O] aux entiers dépens de l'instance.

Le 16 février 2023, la salariée a interjeté appel du jugement en ce que le Conseil de Prud'hommes a reçu la demande reconventionnelle de la société d'économie mixte [Localité 2] Habitat, l'a déboutée de ses demandes liées à une discrimination fondée sur son statut de travailleur handicapé, et l'a condamnée à payer la somme de 100 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 8 avril 2024.

Exposé des prétentions des parties

Par conclusions notifiées par voie électronique le 3 avril 2024, l'appelante demande à la cour :

- de réformer le jugement,

- de débouter la société [Localité 2] Habitat des fins de son appel incident et de ses demandes,

- de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement nul pour discrimination et harcèlement moral, et subsidiairement pour (sic) cause réelle et sérieuse ;

- de fixer le salaire brut mensuel à la somme de 2 867,48 euros ;

- de condamner l'employeur au paiement des sommes suivantes :

. 97 494,32 euros pour la nullité du licenciement, à titre subsidiaire 48 908,80 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 11 469,92 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis doublé (L5213-9 Code du Travail) ;

. 1 146,99 euros à titre de congés payés afférents doublés (L5213-9 Code du Travail).

. 30 108,54 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement sur la base de la convention collective nationale de l'immobilier ;

- de dire que le rappel de prime d'ancienneté n'est pas sollicité par une nouvelle demande ;

- de condamner la société [Localité 2] Habitat au paiement des sommes suivantes :

8 803,58 euros à titre de rappel de la prime d'ancienneté de janvier 2020 à décembre 2021,

880,35 euros à titre de congés payés pour la même période,

4 500 euros à titre de rappel de prime d'ancienneté 2023,

450 euros à titre de congés payés afférents pour la même période,

17 204,88 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de préjudices nés de la discrimination liée au Handicap ;

17 204,88 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de préjudices nés du harcèlement moral (L4121-1 et L4624-6 Code du Travail) ;

17 204,88 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de préjudices nés du non-respect de l'obligation de sécurité,

10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation d'un préjudice moral,

10 020 euros au titre des frais irrépétibles de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- de condamner la société [Localité 2] Habitat à lui payer les intérêts de retard au taux légal à compter de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et d'orientation du Conseil de Prud'hommes sur les créances contractuelles et à compter de l'arrêt sur les créances indemnitaires ;

- de dire que les intérêts dus produiront des intérêts ;

- d'ordonner sous astreinte la remise du solde tout compte, du certificat de travail, du bulletin de salaire et d'une attestation Pôle Emploi conformes aux termes de l'arrêt à intervenir ;

- de dire que les dépens pourront être directement recouvrés par Maître Bouhana, avocat au barreau de Paris, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

- de condamner la société [Localité 2] Habitat aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 2 avril 2024, la société intimée demande à la Cour :

- de confirmer le jugement, et débouter Mme [G] [O] de l'ensemble de ses demandes ;

- de juger irrecevables les demandes nouvelles de Mme [G] [O], et donc de les rejeter ;

- de condamner Mme [G] [O] à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ;

- de la condamner en tous les frais et dépens liés à la présente instance.

Motivation :

Sur la fin de non-recevoir liée aux demandes nouvelles

L'intimée soulève une fin de non-recevoir fondée sur l'article 564 du Code de procédure civile, en faisant valoir que les demandes de prime d'ancienneté, de dommages et intérêts liés au harcèlement moral, et au non-respect de l'obligation de sécurité sont des demandes nouvelles irrecevables.

L'appelante soutient que la demande de prime d'ancienneté est l'accessoire, la conséquence, ou le complément nécessaire des prétentions soumises au premier juge et est donc recevable en application des dispositions de l'article 566 du Code de procédure civile. Elle soutient par ailleurs que la demande de dommages et intérêts liée au harcèlement moral tend aux mêmes fins que celles soumises aux premiers juges au titre de la résiliation judiciaire du contrat de travail dans la mesure où les moyens liés au harcèlement moral soutiennent la nullité du licenciement et que la demande de dommages-intérêts en est l'accessoire.

En première instance la salariée avait sollicité la résiliation du contrat de travail avec les effets d'un licenciement nul en raison d'une discrimination liée à son état de santé, outre des dommages et intérêts en réparation d'un préjudice distinct né de la discrimination.

En cause d'appel, elle a complété la demande de résiliation du contrat de travail avec effet d'un licenciement nul en le fondant sur un moyen supplémentaire tenant au harcèlement moral, elle a sollicité des dommages et intérêts en réparation de préjudices nés du harcèlement moral et du non-respect de l'obligation de sécurité par l'employeur. Elle y a ajouté une demande de prime d'ancienneté.

En droit, l'article 563 du code de procédure civile permet, pour justifier en appel les prétentions soumises aux premiers juges, d'invoquer des moyens nouveaux, de produire de nouvelles pièces et de proposer de nouvelles preuves. L'article 564 du même code interdit, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, de soumettre à la cour de nouvelles prétentions, si ce n'est pour proposer compensation, faire écarter les prétentions adverses, pour faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. L'article 565 du même code précise toutefois que les prétentions qui tendent aux mêmes fins que celles soumises aux premiers juges ne sont pas nouvelles même si leur fondement juridique est distinct. En outre, l'article 566 n'autorise les parties à ajouter aux prétentions soumises aux premiers juges que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire. L'article 567 précise par ailleurs que les demandes reconventionnelles sont recevables en appel.

En l'espèce, le harcèlement moral est présenté comme un moyen nouveau qui vient soutenir la demande de résiliation du contrat de travail avec effets d'un licenciement nul. Il est donc recevable en application de l'article 563 du code de procédure civile précité. Le harcèlement moral est également invoqué comme une prétention nouvelle pour obtenir des dommages-intérêts, non sollicités devant les premiers juges. Cependant, cette demande apparaît comme l'accessoire ou le complément nécessaire de la demande de résiliation du contrat de travail fondée sur le harcèlement moral. Il faut donc la dire recevable en application de l'article 566 du code de procédure civile.

Le non-respect de l'obligation de sécurité est argué en raison notamment de la méconnaissance des préconisations du médecin du travail, également soutenu dans le cadre de la discrimination. La demande de dommages-intérêts formulée en cause d'appel doit donc être considérée comme recevable pour être le complément nécessaire ou l'accessoire de la demande initiale de résiliation du contrat de travail présentée aux premiers juges, le tout en application des dispositions de l'article 566 du code de procédure civile.

Les demandes de prime d'ancienneté, nouvelles en appel, ne sont liés à aucune demande présentée devant les premiers juges. Elles ne visent pas à opposer compensation, à faire écarter des prétentions adverses, ni à faire juger des questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. Elles ne tendent pas aux mêmes fins que celles soumises aux premiers juges. Elles ne sont pas l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire des demandes formées devant les premiers juges. Ce ne sont pas davantage des demandes reconventionnelles. Par conséquent, elles doivent être déclarées irrecevables.

Sur l'exécution du contrat de travail

la discrimination

La salariée prétend avoir été victime de discrimination liée au handicap, en invoquant un management harcelant de son chef de service et de la direction des ressources humaines, caractérisé par le refus de report de la journée de télétravail en violation des préconisations du médecin du travail, des critiques réitérées de ses absences pour maladie, la demande finalement abandonnée de venir chercher son courrier pendant la phase de télétravail, des critiques injustifiées de son N+1 dans l'entretien annuel du 30 mars 2021, l'exigence de présentiel dans un contexte de pandémie, et des pressions pour l'obliger à signer un avenant au contrat de travail. Elle y ajoute le non-respect des accords collectifs pendant la phase de déconfinement de septembre-octobre 2020 en lui imposant un retour en présentiel pendant la phase de déconfinement malgré la fragilité de sa situation de santé, en refusant sa demande de télétravail intégral contraire aux préconisations du médecin conditionnées par le respect des règles de sécurité qui n'était pas assuré, et alors que l'employeur devait a minima respecter les deux jours de télétravail préconisé par le médecin du travail. Elle y ajoute également une rupture d'égalité de traitement caractérisé par le fait qu'il n'a pas été tenu compte de son handicap pour aménager son poste en télétravail.

L'employeur demande que Madame [O] soit déboutée de ses demandes, car selon ce dernier, elle ne présente pas d'éléments de faits laissant supposer l'existence d'une discrimination et que la société [Localité 2] Habitat justifie de sa prise de position par des éléments objectifs et pertinents.

Selon l'article L 1134-1 du Code du travail, lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En droit, la discrimination directe existe quand, pour des raisons d'origine, de sexe, de moeurs, d'orientation sexuelle, d'identité de genre, d'âge, de situation familiale, de grossesse, de caractéristiques génétiques, de particulière vulnérabilité résultant de la situation économique, de l'appartenance ou non à une ethnie, une nation ou une prétendue race, d'opinions politiques, d'activités syndicales ou mutualistes, de l'exercice d'un mandat électif, de convictions religieuses, d'apparence physique, de nom de famille, de lieux de résidence ou de domiciliation bancaire, d'état de santé, de perte d'autonomie, de handicap, de capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français, une personne est traitée de manière moins favorable qu'un autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été.

La discrimination indirecte existe quand une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre affecte, dans une proportion plus élevée des personnes relevant de la catégorie précitée, à moins que cette disposition ou pratique ne soit justifiée par des facteurs objectifs et indépendants de toute discrimination.

La discrimination formelle consiste à traiter différemment et de manière arbitraire des situations semblables. La discrimination matérielle consiste à faire application des mêmes règles à des situations différentes.

La salariée se plaint d'une discrimination indirecte matérielle.

Le management harcelant serait selon elle caractérisé par :

- le refus de report de la journée de télétravail en violation des préconisations du médecin du travail. En effet, le 7 décembre 2017, la salariée a été déclarée apte sous réserve de travailler deux jours par semaine en télétravail. Or, en pièce 12 de son dossier la salariée produit un courrier du 10 janvier 2018 dans lequel elle sollicite la possibilité d'effectuer un deuxième jour de la semaine en télétravail et explique que la proposition de l'exercer un mardi ne lui convient pas dès lors que ce jour-là, elle anime une réunion et sollicite de pouvoir récupérer ce jour le mercredi ou le jeudi suivant. En pièce 13 de son dossier figure la réponse de l'employeur dans laquelle celui-ci donne son accord pour un deuxième jour en télétravail en rappelant que conformément aux accords d'entreprise, le report de la journée de télétravail ne peut être qu'exceptionnel et conditionné par une nécessité de service en ajoutant que de ce fait, le mardi où elle anime une réunion ne pourra être « récupérée » s'agissant d'une réunion mensuelle récurrente. Il maintient donc le 2ème jour de télétravail le mardi, ce qui caractérise le non-respect des préconisations du médecin du travail, puisque l'organisation imposée par l'employeur revient à mettre en place 2 jours de télétravail tous les 15 jours et non pas toutes les semaines comme préconisé médicalement.

- les critiques réitérées de ses absences pour maladie. La salariée se réfère à sa pièce numéro 25, constituée par le compte rendu de valorisation de la performance individuelle, dans lequel la responsable hiérarchique indique comme faits marquants de l'année 2020 qu'elle n'a pas revu la salariée depuis mars 2020, que celle-ci n'a pas pu accomplir certaines tâches qui lui incombaient, ce travail ayant dû être repris par d'autres salariés. La responsable hiérarchique dans ce document a déploré l'absence de la salariée en présentiel, précisant qu'il était impossible de jauger son travail, que faute d'interaction avec la salariée aucun projet n'a pu aboutir, et que son absence a généré du travail supplémentaire pour ses collègues qui ont dû pallier son absence. La retranscription de ces éléments de fait incontesté d'ailleurs par la salariée ne constitue pas une critique de ses absences pour maladie, étant rappelé que la salariée n'était pas en arrêt de travail pour cause de maladie pendant cette période ;

- la demande finalement abandonnée de venir chercher son courrier pendant la phase de télétravail, et produit à cet effet une pièce n°38 dans lequel son supérieur hiérarchique lui indique que son courrier était à sa disposition dans son bureau alors qu'elle avait sollicité son envoi dématérialisé ;

- des critiques injustifiées de son N+1 dans l'entretien annuel du 30 mars 2021.

La salariée se réfère à la pièce 25 ci-dessus relatée ;

- l'exigence de présentiel dans un contexte de pandémie. Les échanges entre la salariée et son supérieur hiérarchique ainsi que les pièces ci-dessus relatées confirment la volonté de l'employeur de maintenir une partie de l'activité en présentiel,

- des pressions pour l'obliger à signer un avenant au contrat de travail. La salariée verse au débat des pièces 30,31, 32,33 constitués de correspondances dans lequel la hiérarchie la sollicite pour la signature d'un avenant numéro 43 au contrat de travail.

Ces éléments, hormis les critiques réitérées et injustifiées, pris dans leur ensemble sont de nature à faire présumer une discrimination indirecte et matérielle liée au handicap dès lors que l'employeur a refusé de tenir compte du handicap de la salariée et l'a traitée à égalité avec les autres salariés y compris pendant les périodes où la salariée bénéficiait de préconisations médicales de télétravail. Il appartient à l'employeur de justifier que ses décisions étaient étrangères à toute discrimination.

Il résulte des pièces du dossier de l'employeur, comme celles du dossier de la salariée, que celle-ci, ayant depuis 2010 le statut de travailleur handicapé, devait, selon les préconisations du médecin du travail, travailler en télétravail deux jours par semaine depuis le 1er février 2018 mais qu'elle n'a en réalité travaillé selon ce mode qu'une semaine sur deux, l'employeur se référant à l'accord d'entreprise du 14 juin 2016 qui permet à l'employeur d'exiger la présence du salarié en cas d'impératifs professionnels, en violation de l'avis médical émis par le médecin du travail.

En mars 2020, en raison de la pandémie de COVID 19, la salariée a travaillé intégralement en télétravail. A partir de septembre 2020, l'employeur a mis en place un plan de déconfinement exigeant la présence des salariés au minimum un jour par semaine à compter du 14 septembre, ce à quoi la salariée a résisté en invoquant son état de santé et les risques sanitaires, alors que le médecin du travail, dans un avis du 29 septembre 2020, a estimé qu'elle pouvait reprendre en présentiel si les gestes barrières étaient respectés ainsi que la distanciation sociale et le port du masque.

Suite à un nouvel accord d'entreprise sur le télétravail, l'employeur l'a sollicitée ainsi que tous les salariés pour connaître les jours de télétravail souhaités, générant une demande de quatre jours de télétravail que le chef de service a refusé le 3 février 2021 et que la direction des ressources humaines a refusé par courrier du 23 mars 2021 invoquant des nécessités de service. En effet, la fiche de poste de la salariée nécessitait une présence dans les locaux pour assurer la mission d'accueil de la clientèle. De plus, il est justifié notamment par l'attestation de deux autres salariés que la période pendant laquelle la salariée a travaillé intégralement en télétravail a généré pour eux un supplément de travail puisqu'il fallait numériser et envoyer des courriers que celle-ci ne venait plus physiquement chercher, et accueillir la clientèle que celle-ci ne pouvait plus accueillir physiquement. En outre, Mme [O] n'était pas seule à travailler selon ce mode, de sorte que l'employeur était tenu d'organiser le service en fonction des jours de présence de chaque salarié. Par ailleurs, l'accord de télétravail oblige l'employeur à rester vigilant sur la cohésion des équipes et l'isolement des salariés. À cet égard, par courrier du 13 mai 2022 et du 27 juin 2022 le chef de service sollicite un échange et constate l'isolement de Mme [O]. En outre, dès le 29 septembre 2020 le médecin du travail a autorisé un retour en présentiel sans indiquer la nécessité de deux jours de télétravail qui ne sera de nouveau imposé médicalement que le 9 mai 2022. Enfin, l'employeur explique son insistance concernant la signature de l'avenant numéro 43 par la nécessité d'adapter les contrats de travail au nouvel accord sur le télétravail, étant précisé que le salarié ne peut se trouver en télétravail sans accord préalable. Toutefois, cet avenant, par sa clause de réversibilité tel qu'elle était rédigée (réversibilité selon le bon vouloir de l'employeur) était incompatible avec l'avis du médecin du travail qui préconisait 2 jours de télétravail minimum. L'employeur ne pouvait, comme il l'a fait, solliciter un retour en présentiel total en raison de l'absence de signature de l'avenant conçu en violation des préconisations du médecin du travail.

Il ressort donc de ces éléments, que les décisions de l'employeur avaient pour objectif de mettre en place une organisation du travail dans le respect des règles de sécurité posée au niveau national pendant la pandémie de COVID 19, et des accords d'entreprise. Toutefois, l'employeur ne justifie pas que le non-respect des préconisations médicales en 2018, puis dans l'avenant proposé en mai 2022, qui s'imposaient à lui, était étranger à la discrimination. Il ne justifie pas davantage que l'application indifférenciée à la salariée des accords conventionnels, qui n'excluaient pourtant pas la mise en place de plus de deux jours de télétravail, était incontournable pour des raisons étrangères à toute discrimination. Au contraire, connaissant la situation de handicap de la salariée, et les préconisations médicales, l'employeur a persisté à lui appliquer les règles des accords d'entreprise au même titre qu'aux autres salariés, sans justifier de motifs valables étrangers à la discrimination.

La discrimination est ainsi démontrée de sorte que le préjudice moral subi par la salariée, qui a dû affronter la négation injustifiée et répétée de sa situation particulière de santé sera réparé par l'allocation d'une somme de 5 000 euros.

le harcèlement moral

L'appelante prétend avoir subi un harcèlement moral en reprenant pour partie les mêmes éléments que ceux ayant soutenu la discrimination soit le management harcelant de son chef de service et de la direction des ressources humaines, caractérisé par le refus de report de la journée de télétravail en violation des préconisations du médecin du travail, les critiques réitérées de ses absences pour maladie, la demande finalement abandonnée de venir chercher son courrier pendant la phase de télétravail, les critiques injustifiées de son N+1 dans l'entretien annuel du 30 mars 2021, l'exigence de présentiel dans un contexte de pandémie, et les pressions pour l'obliger à signer un avenant au contrat de travail.

La salariée qui allègue un harcèlement moral doit, en application des dispositions de l'article L 1154-1 du Code du travail en sa version applicable en l'espèce, présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement, étant rappelé que le harcèlement est défini par l'article L 1152-1 du Code précité comme tous agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Au vu de ces éléments, il incombe alors à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Les éléments retenus ci-dessus dans le cadre de la discrimination, pris dans leur ensemble sont de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral en ce sens où il s'agit d'agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Au vu de ces éléments, il incombe alors à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Or, comme il a été dit plus haut l'employeur justifie sa décision par le respect indifférencié des règles conventionnelles du télétravail sans égard pour la situation de la salariée handicapée et en violation pour certaines périodes des préconisations médicales, ce qui a été jugé plus haut comme étant discriminatoire.

Le non-respect réitéré et injustifié des préconisations médicales et la négation persistante du handicap de la salariée, sans justification autre que la discrimination qui n'est pas étranger au harcèlement moral, caractérisent donc le harcèlement moral, qui a causé préjudice moral à la salariée, qui a dû subir pendant plusieurs années une souffrance au travail.

La somme de 5 000 euros réparera intégralement ce préjudice.

l'obligation de sécurité

La salariée invoque un préjudice distinct né du refus par l'employeur d'appliquer les préconisations du médecin du travail, de respecter les dispositions de l'article L5213-6 du Code du Travail, et de la convention collective applicable à l'époque.

L'employeur a manqué à son obligation de sécurité en ne respectant pas les préconisations du médecin du travail à deux reprises.

Toutefois, le préjudice qui en découle, caractérisé par les difficultés physiques à supporter un travail en présentiel sera intégralement réparé par l'allocation d'une somme de 5 000 euros.

Le préjudice moral

La salariée indique avoir été critiquée, malmenée par sa supérieure hiérarchique et par la directrice des ressources humaines, stigmatisée à l'égard de ses collègues de travail créant des conditions vexatoires, et sollicite 10 000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral.

L'employeur répond en estimant qu'elle ne justifie d'aucun préjudice au titre du préjudice moral.

Le préjudice allégué a déjà été réparé par l'allocation de sommes au titre du harcèlement moral et de la discrimination, de sorte que la demande, qui ne peut aboutir, sera rejetée par confirmation du jugement.

2 - sur la rupture du contrat de travail

la résiliation judiciaire produisant les effets d'un licenciement nul

La salariée soutient que la résiliation doit être prononcée au regard de la discrimination et du harcèlement moral qu'elle a subis, avec effet d'un licenciement nul, et à tout le moins sans cause réelle et sérieuse en raison du manquement à l'obligation de sécurité.

L'employeur soutient que les faits invoqués ne sont pas constitutifs de manquements graves, et soulève que les faits afférents aux refus de la société [Localité 2] Habitat s'agissant d'une augmentation du temps de travail sont trop anciens datant de septembre 2020 et février 2021. De plus, il est invoqué un accord pour télétravailler 4 jours par semaines que la salariée avait accepté. Il ajoute que l'appelante a refusé de signer un avenant lui proposant d'appliquer l'avis rendu par le médecin du travail et de se conformer aux dispositions de l'accord de télétravail.

Le harcèlement moral et la discrimination retenus plus haut caractérisés en 2018, mais également en 2022, et qui perdurent encore en l'état du maintien par l'employeur de l'avenant au contrat travail non conforme aux préconisations du médecin du travail, sont suffisamment graves pour justifier qu'il soit mis fin aux torts de l'employeur au contrat de travail, dans la mesure où les manquements affectent la santé et la sécurité de la salariée.

La résiliation se fera donc à la date du présent arrêt.

L'appelante peut donc prétendre :

- à une indemnité compensatrice de préavis égale à deux mois du salaire que la salariée aurait perçu si elle avait travaillé, en application des dispositions de l'article L 1234-1 du code du travail et de l'article 32 de la convention collective de l'immobilier. La base d'un salaire mensuel brut de 2 475,44 euros incluant la rémunération de base et la prime d'ancienneté, l'indemnité se monte à 4 950,88 euros, doublée en application des dispositions de l'article L5213-9 du code du travail, soit au final une somme de 9 901,76 euros,

- à des congés payés afférents soit la somme de 990,17 euros,

- à une indemnité conventionnelle de licenciement calculée sur la base d'un salaire mensuel brut moyen des trois derniers mois, plus favorable, de 2 863,01 euros, soit une indemnité de 30 777,10 euros pour 34 ans et 9 mois d'activité, de sorte qu'il faut faire droit à la demande de 30 108,54 euros,

- à des dommages et intérêts en réparation des préjudices nés de la rupture abusive du contrat de travail sur le fondement de l'article L 1235-3-1 du code du travail laquelle ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois (16 925,36 euros). Compte tenu de l'ancienneté de la salariée, de son niveau de salaire, de son âge (63 ans) la somme de 30 000 euros est de nature à réparer entièrement les préjudices subis.

3 - sur les autres demandes

les intérêts

En application des dispositions de l'article 1231-6 du Code civil l'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, l'indemnité conventionnelle de licenciement porteront intérêts au taux légal à compter du 25 janvier 2022, date de la réception de la mise en demeure de comparaître devant le bureau de conciliation.

En application des dispositions de l'article 1231-7 du code civil, la condamnation aux dommages et intérêts en réparation des préjudices nés du harcèlement moral, de la discrimination, du manquement à l'obligation de sécurité, du licenciement abusif, porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

En application des dispositions de l'article 1343-2 code précité les intérêts échus, du au moins pour une année entière, produiront intérêts.

la remise des documents de fin de contrat

L'employeur sera condamné sans astreinte à remettre à la salariée un reçu pour solde de tout compte, un certificat de travail, un bulletin de paie, et une attestation France travail conformes au présent arrêt.

les frais irrépétibles, et les dépens

Succombant au sens de l'article 696 du code de procédure civile, l'employeur intimé doit supporter les dépens et frais irrépétibles de première instance et d'appel par infirmation du jugement.

Débouté de ses demandes à ce titre, il sera condamné aux dépens de première instance et d'appel avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. Si l'appelante a justifié des honoraires d'avocats à hauteur de 10 020 euros, l'équité commande de condamner la partie perdante à lui payer, au titre des frais irrépétibles, la somme de 5 000 euros.

Par ces motifs :

La cour statuant publiquement contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement rendu le 30 janvier 2023 par le conseil de prud'hommes de [Localité 2] en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande de réparation d'un préjudice moral distinct ;

Infirme le surplus en ses dispositions soumises à la cour ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés, y ajoutant,

Déclare recevables les demandes nouvelles liées au harcèlement moral et au non-respect de l'obligation de sécurité ;

Déclare irrecevables les demandes nouvelles de primes d'ancienneté ;

Juge que Mme [G] [O] a été victime de harcèlement moral et de discrimination ;

Juge que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité ;

Ordonne la résiliation du contrat de travail liant Mme [G] [O] à la société [Localité 2] Habitat, à compter du 19 juin 2024, avec effets d'un licenciement nul ;

Condamne la société [Localité 2] Habitat à payer, avec intérêts au taux légal à compter du 25 janvier 2022, à Madame [G] [O], les sommes suivantes :

9 901,76 euros d'indemnité compensatrice de préavis,

990,17 euros de congés payés afférents,

30 108,54 euros d'indemnité conventionnelle de licenciement,

Condamne la société [Localité 2] Habitat à payer, avec intérêts au taux légal à compter du 19 juin 2024, à Mme [G] [O], les sommes suivantes :

5 000 euros de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés de la discrimination,

5 000 euros de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du harcèlement moral,

5 000 euros de dommages et intérêts en réparation des préjudices nés du manquement de l'employeur à son obligation de santé de sécurité,

30 000 euros de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés de la rupture abusive du contrat de travail,

Dit que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêts ;

Dit que les condamnations sont prononcées sous réserve d'y déduire le cas échéant, les charges sociales et salariales ;

Condamne la société [Localité 2] Habitat à payer à Mme [G] [O] la somme de 5 000 euros en remboursement de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

Condamne la société [Localité 2] Habitat aux dépens avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me Bouhana.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Reims
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 23/00336
Date de la décision : 19/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-19;23.00336 ?
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