Arrêt n° 367
du 05/06/2024
N° RG 23/00853
MLS/ML
Formule exécutoire le :
à :
COUR D'APPEL DE REIMS
CHAMBRE SOCIALE
Arrêt du 5 juin 2024
APPELANTE :
d'un jugement rendu le 12 mai 2023 par le Conseil de Prud'hommes de REIMS, section Commerce (n° F 21/00580)
La S.A.R.L. VISTA AUTOMOBILES
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Vincent NICOLAS, avocat au barreau de REIMS
INTIMÉ :
Monsieur [M] [O]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représenté par la SELARL GUYOT - DE CAMPOS, avocats au barreau de REIMS et par Me Jean-Yves PIERLOT, avocat au barreau de LAON
DÉBATS :
En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 avril 2024, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller, chargé du rapport, qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 5 juin 2024.
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
Monsieur François MÉLIN, président de chambre
Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller
Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller
GREFFIER lors des débats :
Madame Maureen LANGLET, greffier placé
ARRÊT :
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur François MÉLIN, président de chambre, et Madame Allison CORNU HARROIS, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
M. [M] [O], embauché depuis le 1er février 2009 en qualité de mécanicien automobile, a été licencié pour inaptitude le 16 août 2022 par la société Vista automobiles, après que le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Reims le 24 décembre 2021 d'une demande de résiliation de son contrat de travail.
En l'état de ses dernières écritures, le salarié a demandé au conseil de prud'hommes :
- de prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail au 16 août 2022, avec les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et subsidiairement faire dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-de condamner l'employeur à lui payer, avec intérêts au taux légal, les sommes suivantes :
. 50 euros de rappel de salaire correspondant à la prime de vente,
. 21'536,13 euros d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. 3915,66 euros d'indemnité compensatrice de préavis,
. 391,66 euros de congés payés afférents,
. 390 euros en remboursement de prélèvements indus au titre de la mutuelle,
. 2 400 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- d'ordonner sous astreinte à la société employeur la modification et la remise du bulletin de paie d'août 2022, ainsi que des documents de fin de contrat.
En réplique, l'employeur a conclu au débouté et au paiement d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement contradictoire rendu le 12 mai 2023, le conseil de prud'hommes a fait droit à l'intégralité des demandes principales, sauf à fixer à 6 000 euros l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et à 500 euros l'indemnité de l'article 700 du code de procédure civile, en déboutant la société employeur de sa demande reconventionnelle et en la condamnant aux dépens.
Le 25 mai 2023, l'employeur a fait appel du jugement en toutes ses dispositions.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 3 avril 2024.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions notifiées par voie électronique le 18 août 2023, l'appelant demande à la cour d'infirmer le jugement, de débouter le salarié, de le condamner aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 17 novembre 2023, l'intimé demande à la cour d'infirmer le jugement sur le quantum des dommages-intérêts en réitérant sa demande initiale, de confirmer le surplus, de débouter l'appelant, et de la condamner à lui payer la somme de 1 990 euros en remboursement de ses frais irrépétibles d'appel.
MOTIVATION
1- l'exécution du contrat de travail
- les primes
C'est à raison que le conseil de prud'hommes a fait droit à la demande après avoir constaté de paiement tardif et partiel en mars 2022 des indemnités sollicitées depuis septembre 2021 par le salarié.
En effet, dès septembre 2021 le salarié a communiqué à son employeur la liste des véhicules vendus générant une prime de 25 euros par véhicule comme stipulé à son contrat de travail, soit au total une prime de 300 euros pour 12 véhicules vendus. Or, c'est en mars 2022 que l'employeur paiera à ce titre une somme de 250 euros de sorte que l'employeur est redevable à ce titre d'une somme de 50 euros, au paiement de laquelle il a été condamné par jugement qui sera confirmé sur ce point.
- les congés payés
Les parties discutent le paiement des congés payés régularisés en mars 2022 alors que le salarié n'a pas formé de prétentions à ce titre, qu'il n'y a pas de condamnation à ce titre dans le jugement, de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer sur cette question non dévolue à la cour.
- Le remboursement des cotisations de mutuelle prélevées à tort
C'est à raison que le conseil de prud'hommes a fait droit à cette demande dans la mesure où le salarié bénéficie d'un cas de dispense d'affiliation à l'assurance complémentaire obligatoire de l'entreprise, étant par ailleurs couvert par celle de l'employeur de son conjoint, en application des dispositions de l'article R 242-1-6 du code général de la sécurité sociale.
Certes, si le salarié s'est plaint du prélèvement de telles cotisations sur son salaire, il ne ressort pas du dossier qu'il ait demandé expressément à son employeur une dispense. Toutefois, cette affiliation n'existait pas avant le transfert, et il ne ressort pas du dossier que l'employeur ait informé le salarié de son affiliation et de sa possibilité de dispense avant de prélever les cotisations, de sorte que c'est vainement qu'il vient soutenir que le salarié n'aurait pas complété le formulaire de dispense qu'il produit à son dossier. À cet égard, dans un courrier du 5 octobre 2021, le salarié se plaint des prélèvements sur son salaire au titre des cotisations en faisant observer que son consentement n'a pas été sollicité, qu'aucune proposition ne lui a été faite de la part de l'employeur et qu'il avait refusé par mail son affiliation. De plus, dans le cadre du présent contentieux, le salarié justifie bénéficier d'une complémentaire santé obligatoire, de sorte que les sommes prélevées pour l'affilier à un système complémentaire de santé auquel il pouvait être dispensé, doivent lui être remboursées.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
2- la rupture du contrat de travail
Le salarié qui demande la résiliation judiciaire du contrat de travail, doit justifier des griefs qu'il impute à l'employeur, et qui doivent être suffisamment graves pour justifier la rupture du contrat de travail. Il relève du pouvoir souverain des juges du fond d'apprécier si le manquement de l'employeur à ses obligations contractuelles présente une gravité suffisante pour justifier la résiliation .
Le juge saisi d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail doit examiner l'ensemble des griefs invoqués au soutien de celle-ci quelle que soit leur ancienneté.
Lorsque le salarié demande la résiliation de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d'autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée ; c'est seulement dans le cas contraire qu'il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur.
La date d'effet de la résiliation doit être fixée à la date de la décision judiciaire la prononçant dès lors que le contrat n'a pas été rompu avant cette date.
La résiliation judiciaire du contrat de travail à l'initiative du salarié et aux torts de l'employeur produit les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et le salarié doit être indemnisé par le versement des indemnités de rupture et de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse calculée en application des dispositions de l'article L 1235-3 du code du travail.
L'employeur appelant soutient que le salarié lui reproche :
-le non-paiement de la prime véhicule depuis le mois de juillet 2021, et la suppression des jours de congés payés alors qu'elle a repris les activités de l'ancien employeur avec transfert du contrat de travail, et qu'elle a régularisé la situation au mois de mars 2022, après avoir obtenu les informations qu'elle n'avait pas à la date du transfert,
-la dégradation de ses conditions de travail, insuffisamment caractérisée par l'attestation de la conjointe du salarié et d'un collègue également déclaré inapte, et en contentieux avec l'employeur, en faisant observer que les pièces médicales ne démontrent pas le lien de causalité entre la situation de santé du salarié et ses conditions de travail.
Le salarié intimé soutient que l'employeur n'a pas réglé la totalité de la prime due au titre des ventes de véhicules, qu'il l'a fait travailler dans des conditions dégradées en le faisant travailler à des tâches non compris dans ses fonctions, sans aucune directive, engendrant un syndrome anxiodépressif réactionnel affectant sa vie personnelle et familiale et conduisant à son inaptitude physique'; que ces manquements sont suffisamment graves pour justifier la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur.
L'absence de paiement intégral des primes de vente avant la saisine du conseil de prud'hommes est avérée, puisque le salarié a communiqué les chiffres en septembre 2021 permettant le versement de 300 euros de prime pour les ventes
effectuées en juillet août et septembre 2021. Ce n'est qu'en mars 2022 que l'employeur réglera une somme de 250 euros laissant subsister un solde impayé de 50 euros.
Concernant les conditions de travail, le salarié produit un courrier adressé le 5 octobre 2021 au gérant de l'entreprise, réceptionné le 11 octobre 2021, listant de nombreuses difficultés qui depuis juillet 2021, date de la reprise de l'entreprise, n'avaient pas été réglées. S'y ajoute le courrier d'un collègue corroborant son constat de la situation dégradée de travail. Sont également justifiées ses difficultés de santé ayant généré des arrêts de travail continus jusqu'à l'inaptitude.
Toutefois, par courrier du 25 octobre 2021, l'employeur a proposé au salarié de répondre à ses griefs à son retour de congé maladie qui durait depuis le 27 septembre 2021. Or, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes d'une demande de résiliation sans avoir repris son activité, et donc sans laisser la possibilité à l'employeur de corriger les dysfonctionnements qu'il avait dénoncés. En l'absence de reprise de son activité professionnelle, il n'est pas justifié que les dysfonctionnements existaient toujours à la date de saisine du conseil de prud'hommes alors que l'employeur avait promis d'en discuter en octobre 2021.
Aussi, le non-paiement de 50 euros de prime, et la dégradation des conditions de travail que l'employeur avait promis d'examiner avec le salarié à son retour en activités ne sont pas suffisamment graves pour justifier la résiliation du contrat de travail alors que le salarié n'a pas repris son activité jusqu'au licenciement.
Le licenciement n'est pas contesté par le salarié de sorte que le jugement sera infirmé concernant la résiliation du contrat de travail, la condamnation de l'employeur au paiement d'une somme au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents ainsi qu'une indemnité et au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse
3- Les autres demandes
-Les intérêts de retard
C'est à tort que le conseil de prud'hommes a assorti les condamnations d'intérêts au taux légal à compter de la convocation devant le bureau d'orientation et de conciliation dans la mesure où le point de départ des intérêts est constitué par la date de réception de cette convocation, laquelle n'est pas précisée sur l'accusé de réception. Aussi le point de départ des intérêts sera fixé au 25 mai 2022, date d'établissement des premières écritures de l'employeur.
Le jugement sera infirmé sur les intérêts.
-la modification et la remise du bulletin de paie d'août 2022
L'employeur soutient que le salarié ayant été rempli de ses droits, aucune régularisation ne doit être effectuée, faisant observer que le salarié n'explique pas les raisons de cette demande.
En effet, le salarié sollicite la modification et la remise d'un bulletin de salaire d'août 2022 sans développer de moyens permettant d'y faire droit.
Outre le fait qu'il n'est pas possible de modifier un bulletin de salaire déjà édité, rien ne justifie l'édition d'un bulletin de salaire rectificatif pour le mois d'août 2022.
Le salarié sera donc débouté de ses demandes par infirmation du jugement.
-La modification et la remise des documents de fin de contrat
Le salarié ayant été débouté, rien ne justifie la modification ni la rectification des documents de fin de contrat de sorte que par infirmation du jugement le salarié sera débouté de ses demandes.
-les frais irrépétibles et les dépens
Le salarié qui succombe au sens de l'article 696 du code de procédure civile supportera les dépens de première instance par infirmation du jugement et supportera en outre les dépens d'appel.
L'équité commande de débouter les deux parties de leur demande de remboursement de leurs frais irrépétibles
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, contradictoirement, et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement rendu le 12 mai 2023 par le conseil de prud'hommes de Reims en ce qu'il a condamné l'employeur à payer au salarié la somme de 50 euros de rappel de prime, et 390 euros en remboursement de prélèvements indus au titre de la complémentaire santé obligatoire';
Infirme le surplus du jugement en ses dispositions soumises à la cour,
Déboute le salarié de ses demandes au titre de la résiliation du contrat de travail et de ses conséquences indemnitaires, de sa demande de modification et de remise d'un bulletin de paie pour le mois d'août 2022 ainsi que des documents de fin contrat, de sa demande de remboursement de ses frais irrépétibles de première instance ;
Dit que les condamnations porteront intérêts à compter du 25 mai 2022';
Déboute la SARL Vista Automobiles de sa demande de remboursement de ses frais irrépétibles de première instance ;
Condamne M. [M] [O] aux dépens de première instance ;
Y ajoutant,
Dit que les condamnations sont prononcées sous réserve d'y déduire le cas échéant, les charges sociales et salariales applicables ;
Déboute M. [M] [O] et la SARL Vista Automobiles de leur demande de remboursement de leurs frais irrépétibles d'appel ;
Condamne M. [M] [O] aux dépens de l'instance d'appel.
Le greffier, Le président.