ARRET N°
du 28 mai 2024
N° RG 24/00217 - N° Portalis DBVQ-V-B7I-FOJY
[H]
c/
Compagnie d'assurance CAISSE REGIONALE D'ASSURANCES MUTUELLES AGRICOLES DU NORD EST
Caisse CPAM CONTRE TIERS
Formule exécutoire le :
à :
la SELARL OPTHÉMIS
COUR D'APPEL DE REIMS
CHAMBRE CIVILE-1° SECTION
ARRET DU 28 MAI 2024
APPELANTE :
d'une ordonnance rendue le 09 janvier 2024 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Reims
Madame [M] [H]
Née le [Date naissance 4]1980 à [Localité 6]
[Adresse 5]
[Localité 1]
Représentée par Me Elizabeth BRONQUARD, avocat au barreau de REIMS, avocat postulant, et Me Guillaume AFFRI, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
INTIMEES :
CAISSE REGIONALE D'ASSURANCES MUTUELLES AGRICOLES DU NORD EST exerçant sous l'appellation 'GROUPAMA NORD-EST'
Entreprise régie par le Code des assurances, inscrite au RCS de REIMS sous le numéro 383 987 625, ayant son siège social [Adresse 3], prise en la personne de son représentant légal domicilié de droit audit siège social
Représentée par Me Isabelle GUILLAUMET-DECORNE de la SELARL OPTHÉMIS, avocat au barreau de REIMS
La CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCES MALADIE ' Recours contre tiers, ayant son siège [Adresse 2], prise en la personne de son représentant légal domicilié de droit audit siège social,
Non comparante, ni représentée, bien que régulièrement assignée
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre
Madame Véronique MAUSSIRE, conseillère
Madame Sandrine PILON, conseillère
GREFFIER :
Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffière lors des débats et de la mise à disposition
DEBATS :
A l'audience publique du 16 avril 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 28 mai 2024
ARRET :
Réputé contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 28 mai 2024 et signé par Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre, et Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
Mme [M] [H], alors âgée de 26 ans, a été victime d'un accident de la circulation le 28 janvier 2007 alors qu'elle se trouvait à l'arrière d'un véhicule conduit par M. [G] [V], lequel a perdu le contrôle de son véhicule puis heurté un talus sur une route traversant la commune de [Localité 7] (10).
Le véhicule de M. [G] [V] était assuré, au jour de l'accident, par la Compagnie Groupama.
Aussitôt prise en charge par les pompiers et conduite au centre hospitalier général de [Localité 6], Mme [H] a été hospitalisée du 28 au 30 janvier 2007 pour un traumatisme crânien avec perte de connaissance initiale.
Les examens pratiqués ont révélé une fracture sans déplacement de l'os frontal ainsi qu'une plaie frontale qui a été suturée aux urgences.
Mme [H] indique avoir commencé à souffrir de céphalées chroniques, de troubles de l'équilibre et de la mémoire, ainsi que de problèmes de concentration dans son travail.
Une première expertise médicale, effectuée par le Dr [J] le 4 mai 2007, a conclu que les lésions étaient en lien direct avec l'accident de circulation en date du 28 janvier 2007 mais que l'état de Mme [H] n'était pas consolidé, de sorte qu'un nouvel examen médical serait nécessaire.
A la suite du second examen médical diligenté le 9 février 2009, le Dr [J] a conclu comme suit:
- Hospitalisations imputables : du 28 au 30 janvier 2007
- Arrêt des activités professionnelles imputables : nc
- Dates des éventuelles gênes temporaires :
Temporaire totale toutes activités : du 28 au 30 janvier 2007
Temporaire partielle toutes activités : du 31 janvier 2007 au 08 novembre 2008
- Date de la consolidation : 04/11/2008
- Taux de l'AIPP : 3 %
- Degré des souffrances endurées : 3/7
- Degré du dommage esthétique : 2/7
- Frais futurs à caractère certain et prévisible : oui
La Compagnie Groupama a proposé d'indemniser Mme [H] dans les proportions suivantes :
- Au titre des souffrances endurées : 3.000 €
- AIPP à 3% à 850 € : 2.550 €
- Gêne temporaire totale 3 jours : 60 €
- Gêne temporaire partielle 21 mois : 6.400 €
- Préjudice esthétique : 2.500 €
Soit un total de 14.510 € (moins provision versée de 5 000 euros à déduire).
Considérant que son préjudice n'était pas consolidé, compte tenu des céphalées et troubles cognitifs dont elle continuait à souffrir sans savoir comment son état allait évoluer, Mme [H] a refusé l'offre d'indemnisation de la Compagnie Groupama.
Le 31 octobre 2017, Mme [H] a, par la voix de son conseil, sollicité auprès de Groupama une indemnisation revue à la hausse, en prenant notamment en compte le traitement qu'elle prenait depuis plusieurs années pour ses céphalées chroniques et qui avait compromis ses chances de procréer.
La compagnie Groupama a mandaté le Dr [T] pour procéder à un nouvel examen médical de Mme [H], puis, à la demande du Dr [T] a désigné le Dr [F], neurologue, qui a considéré qu'aucune aggravation du préjudice de Mme [H] ne pouvait être retenue.
Groupama a notifié son refus d'indemnisation.
A la demande de Mme [H], le juge des référés du tribunal judiciaire de Reims a désigné le Dr [K] [N] aux fins d'expertise judiciaire.
Aux termes du rapport d'expertise déposé le 5 juin 2022 :
- La consolidation des lésions, vu le contexte neuropathique post-traumatique, est retenue à 2 ans, soit le 28 janvier 2009.
- Constitutives d'un Déficit Fonctionnel Temporaire, je retiens une Gêne Temporaire Totale du 28 au 30 janvier 2007 (hospitalisation) ; puis une Gêne Temporaire Partielle de classe I du 31 janvier 2007 au 28 janvier 2009.
- Souffrances Endurées, physiques, psychiques, et morales, liées à cette cicatrice et aux douleurs neuropathiques envahissantes et invalidantes justifiant un lourd traitement à visée antalgique, modérément efficace toutefois, qualifiées de " moyennes " soit 4 sur l'échelle de 1 à 7.
- Préjudice Esthétique Temporaire, une cicatrice faciale disgracieuse, une large prise de poids, qualifié de " léger à moyen " soit 3,5 sur l'échelle de 1 à 7.
- Déficit Fonctionnel Permanent, constitué essentiellement de douleurs neuropathiques (" de désafférentation ") de la face et du cuir chevelu, et dont la pérennité est incontestable, je retiens un taux de 8 %.
- Pas de répercussion immédiate sur l'activité professionnelle (la victime était au chômage au moment de l'accident) même si un projet professionnel à l'époque n'a pu se concrétiser. Par la suite la victime a pu s'engager dans plusieurs activités professionnelles jusqu'à ce jour.
- Pas d'assistance requise par tierce personne.
- Les activités de sport et de loisir, durablement altérées dans les premières années après l'accident, ont été partiellement reprises depuis.
- Préjudice Esthétique Définitif, La cicatrice frontale s'est légèrement atténuée avec le temps, estimé " modéré ", soit 3 sur l'échelle de 1 à 7.
- Pas de préjudice sexuel identifiable, dans ses différentes dimensions.
- Aptitude à mener un projet de vie familiale, préjudice retenu, sous l'angle de la procréation, du fait de l'impossibilité, affirmée à la blessée par ses médecins successifs, d'entreprendre une grossesse sous le traitement antalgique continûment administré depuis l'accident. La discussion, développée ci-dessus, apporte à cet effet des arguments tirés de la littérature médicale, mais il faut également souligner que la décision finale, individuelle, laquelle revient à la femme, doit avoir été, au mieux, éclairée par des échanges multiples, approfondis et argumentés, dont l'existence et la trace n'ont pas été explicitement fournies
Par exploit d'huissier du 13 octobre 2022, Mme [H] a assigné la compagnie Groupama aux fins d'obtenir sa condamnation à lui verser les sommes suivantes :
- Au titre des préjudices extra-patrimoniaux temporaires :
. Déficit fonctionnel temporaire : 2.274 euros ;
. Souffrances endurées : 20.000 euros ;
. Préjudice esthétique temporaire : 12.000 euros ;
- Au titre des préjudices extra-patrimoniaux permanents :
. Déficit fonctionnel permanent : 16.280 euros ;
. Préjudice esthétique permanent : 6.000 euros ;
. Préjudice d'agrément :4.500 euros ;
. Préjudice d'établissement : 40.000 euros.
outre la somme de 7.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et les entiers dépens de l'instance.
La Compagnie Groupama a soulevé un incident tendant à faire constater par le Juge de la mise en état que l'action de Mme [H] était prescrite en application de l'article 2226 du Code civil.
Par ordonnance du 9 janvier 2024, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Reims a :
- déclaré Mme [M] [H] irrecevable en son action du fait de la prescription compte tenu de la fixation de la date de consolidation de son état au 28 janvier 2009,
- condamné Mme [M] [H] à payer à la compagnie d'assurances Groupama Nord Est une somme de 1000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.
Il a jugé que le délai de prescription de l'action en réparation des préjudices corporels court à compter de la date de consolidation de la victime, consolidation qui correspond au moment où les lésions se fixent et prennent un caractère permanent, et qui est indépendant de la connaissance que la victime peut avoir de la réalité de son état, et a rappelé que la consolidation qui correspond à la stabilisation de l'état séquellaire d'une victime ne se confond pas avec l'état de guérison. Prenant en conséquence comme point de départ du délai la date du 28 janvier 2009 fixée par le Dr [N] comme date de consolidation, il a considéré que l'action était prescrite au 13 octobre 2022.
Sur l'interruption de la prescription, en se fondant sur l'article 2241 du code civil prévoyant l'interruption de la prescription en cas de demande en justice, il a souligné que l'action en référé-expertise intentée par Mme [H] le 7 février 2020 était intervenue trop tardivement pour interrompre le délai de prescription échu au 28 janvier 2019.
Mme [H] a relevé appel de cette décision par déclaration du 30 janvier 2024.
Aux termes de ses conclusions notifiées par RPVA le 26 février 2024, elle demande à la Cour, au visa des articles 2226, 2240, 2250 et 2251 du code civil, d'infirmer la décision déférée dans toutes ses dispositions, et en conséquence de :
- juger que l'action de Mme [H] n'est pas prescrite et qu'elle est parfaitement recevable à agir en réparation de son préjudice compte tenu de la date à laquelle sa consolidation doit être fixée ;
- rejeter la fin de non-recevoir soulevée par la Compagnie Groupama Nord Est ;
- renvoyer l'affaire devant Mme, M. le Juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Reims ;
- condamner la Compagnie Groupama Nord Est à payer à Mme [H] la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la Compagnie Groupama-Nord-Est aux entiers dépens de l'instance.
Elle soutient que le caractère évolutif de certaines lésions doit nécessairement être pris en compte pour déterminer la date à laquelle l'état séquellaire de la victime s'est stabilisé, que selon une jurisprudence de la Cour de cassation, en cas de pathologie évolutive, qui rend impossible la fixation d'une date de consolidation, le délai de prescription ne peut commencer à courir, et qu'en l'espèce l'expert judiciaire a fixé une date de consolidation de Mme [H] au 28 janvier 2009 alors que son état séquellaire n'était manifestement pas stabilisé à cette date.
Elle estime que l'expert aurait dû faire droit à la demande de Mme [H] de voir fixer la date de consolidation au 31 décembre 2014, les troubles cognitifs de cette dernière ayant connu une amélioration en 2013 et globalement disparu en 2014. Elle soutient que ces troubles sont bien imputables au traumatisme crânien et non à son traitement médicamenteux.
Elle fait par ailleurs valoir que le traitement de Prégabaline qui lui a été prescrit ainsi que les douleurs neuropathiques et les troubles de l'équilibre dont elle souffrait ont fait échec à son projet de procréation avec son ancien compagnon, et ont même entrainé la rupture, que le préjudice d'établissement en résultant, constaté par l'expert, ne pouvait être consolidé à la date du 28 janvier 2009 mais seulement au 31 août 2016, date de la séparation du couple.
Elle précise que même si un rapport d'expertise ne mentionne pas expressément la date de consolidation du dommage corporel, les juges du fond peuvent apprécier souverainement la date de consolidation du préjudice corporel d'après les constatations de l'expert afin de faire courir le délai de prescription.
Elle considère qu'en acceptant de procéder à la mise en place d'une deuxième expertise amiable contradictoire en 2017 et de désigner un deuxième médecin conseil ainsi qu'un sapiteur neurologue sans émettre la moindre réserve sur le droit à indemnisation de Mme [H], Groupama a interrompu la prescription décennale et fait courir un nouveau délai de 10 ans en application de l'article 2240 du code civil.
Elle affirme enfin qu'en ne se prévalant pas de la prescription en novembre 2019, lors d'échanges entre les parties, Groupama a implicitement renoncé à se prévaloir de cette prescription conformément aux articles 2250 et 2251 du code civil.
Par conclusions du 20 mars 2024, Groupama demande à la Cour de :
- constater que la date de consolidation de Mme [M] [H] a été fixée par le Dr [N] à la date du 28 janvier 2009.
- constater que Mme [M] [H] disposait d'un délai jusqu'au 28 janvier 2019 pour assigner devant la juridiction de céans.
En conséquence,
- confirmer l'ordonnance d'incident du 9 janvier 2024 en ce qu'elle a retenu que l'action de Mme [M] [H] était manifestement prescrite.
- confirmer l'ordonnance d'incident du 9 janvier 2024 en ce qu'elle a déclaré Mme [M] [H] irrecevable en ses demandes.
- confirmer l'ordonnance d'incident du 9 janvier 2024 en ce qu'elle a condamné Mme [M] [H] au paiement d'une somme de 1000,00 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et l'a condamné aux dépens de l'instance.
Y ajoutant,
- condamner Mme [M] [H] à payer à la compagnie d'assurance Groupama Nord-Est une somme de 1 000,00 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
- condamner Madame [M] [H] aux entiers dépens de l'instance.
La compagnie d'assurances fait valoir que le Dr [F], neurologue, et le Dr [T], saisis en 2017 à la demande de Mme [H], ont estimé il n'existait pas de critère d'aggravation de l'état de santé de Mme [H] depuis 2009, date du rapport du Dr [J] ; et que le Dr [N] judiciairement désigné à la demande de Mme [H] pour fixer la date de consolidation et son préjudice initial, a fixé la consolidation de Mme [H] au 28 janvier 2009, en dépit des dires de Mme [H] visant à voir reculer cette date et donc en toute connaissance de cause.
Elle précise par ailleurs qu'il n'existe en l'espèce aucun caractère évolutif des lésions, de sorte que l'état de santé de Mme [H] est stabilisé depuis le 28 janvier 2009, et rappelle que dans les cas où les séquelles subsistent, il n'y en a pas moins consolidation dès lors qu'aucune évolution fonctionnelle dans le sens favorable ou défavorable n'est plus à envisager et que l'état post-traumatique présente donc un caractère stable et définitif.
Elle souligne qu'il n'existe pas d'éléments particuliers qui permettraient à la juridiction de céans de remettre en cause les conclusions de l'expert judiciaire, précisément désigné pour ses connaissances poussées en la matière.
Elle affirme, d'une part que la prescription ne peut être interrompue que par une citation en justice, une assignation, un commandement ou encore la reconnaissance que le débiteur fait du droit de celui contre lequel il prescrivait, d'autre part que les échanges de courrier entre Mme [H] et Groupama ne révèlent en aucun cas une volonté manifeste de la compagnie Groupama de renoncer au bénéfice de la prescription acquisitive, pas plus que l'acceptation par Groupama de recourir à une expertise amiable en 2018 alors que la prescription n'était pas acquise à cette date.
MOTIFS
Sur le point de départ du délai de prescription
Aux termes de l'article 2226 du code civil, l'action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé.
La consolidation correspond au moment où les lésions se fixent et prennent un caractère permanent, tel qu'un traitement n'est plus nécessaire, si ce n'est pour éviter une aggravation, et qu'il est possible d'apprécier un certain degré d'incapacité permanente réalisant un préjudice définitif.
Elle marque donc la fin de la maladie traumatique, c'est à dire la date fixée par l'expert médical de stabilisation des conséquences des lésions organiques et physiologiques.
L'expert désigné par la société Groupama, le docteur [J], a estimé en 2009 que l'état de Mme [H] était consolidé au 4 novembre 2008.
Le neurologue, également saisi par l'assureur, en 2018, a conclu à l'absence d'une nouvelle aggravation neurologique.
Et l'expert judiciaire indique, dans son rapport du 5 juin 2022, que la consolidation des lésions, vu le contexte neuropathique post-traumatique, est retenue à 2 ans, soit le 28 janvier 2009.
Mme [H] assure qu'elle a souffert de troubles cognitifs, consistant en des troubles de la mémoire et de l'équilibre, qui se sont améliorés en 2013 et ont " globalement " disparu en 2014. Elle produit un certificat de son médecin traitant confirmant ce point.
Si le docteur [J] indique que Mme [H], le 9 février 2009, " se plaint de troubles de la mémoire, qu'on peut rapporter au traumatisme crânien ", il n'en fait pas mention au titre de la nature des lésions initiales, ni au titre de l'évolution.
Le neurologue rapporte, au titre des " doléances actuelles " de Mme [H], les répercussions des douleurs sur la mémoire de celle-ci et des troubles de l'équilibre, alors même qu'il l'a examinée le 25 octobre 2018, soit une date postérieure à l'époque de disparition de ces troubles selon Mme [H].
L'expert judiciaire explique, pour sa part, que le traumatisme crânien subi par Mme [H] a entraîné une fracture de l'os frontal, sans lésion cérébrale associée, une large plaie frontale suturée en urgence, dont l'aspect disgracieux s'est modérément atténué au fil des mois, mais qui est à l'origine de douleurs faciales de type neuropathique, continues et invalidantes, lesquelles constituent la séquelle principale, ainsi qu'une lésion des dents 11 et 21.
Il n'évoque pas l'existence de troubles de la mémoire et de l'équilibre au titre des lésions imputables à l'accident, mais fait état, parmi les effets secondaires du traitement par Lyrica suivi par Mme [H] pour traiter les douleurs, de pertes d'équilibres et explique que celle-ci a du mal à se concentrer et à se remémorer un certain nombre de choses, la posologie de prégabaline (Lyrica, traitement anti-douleur) ayant été portée au maximum jusqu'à 600mg/j. Il impute donc clairement les troubles cognitifs décrits par Mme [H] à la prise de ce traitement.
Dans ces conditions, Mme [H] ne rapporte pas la preuve suffisante, contre l'avis de l'expert extra-judiciaire et de l'expert judiciaire, fixant la date de sa consolidation dès 2008-2009, que la phase traumatique de ses blessures se serait poursuivie jusqu'en 2013-2014 au motif qu'elle aurait souffert de troubles cognitifs qui soient imputables au traumatisme crânien et qui auraient disparu à cette époque.
Mme [H] estime par ailleurs avoir subi un préjudice d'établissement en expliquant que ses médecins lui ont déconseillé d'entamer une grossesse tant qu'elle continuerait de prendre son traitement par Lyrica en raison d'un risque accru de malformation, mais que ce préjudice ne pouvait être consolidé avant le 31 août 2016, date à laquelle elle s'est séparée de son compagnon.
Toutefois, ce préjudice ne résulte pas directement d'une lésion physiologique que Mme [H] aurait subie du fait de l'accident dont elle a été victime et, par conséquent, susceptible d'une stabilisation qui caractériserait la consolidation de son état, laquelle ne peut en outre résulter d'un événement familial.
En conséquence, il n'est pas justifié de repousser la date de consolidation à une date postérieure à celle proposée par l'expert judiciaire, soit le 28 janvier 2009.
Sur l'interruption du délai de prescription
L'article 2240 du code civil prévoit que la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription.
Mme [H] se prévaut d'échanges épistolaires avec la société Groupama et de l'acceptation de l'assureur de désigner un nouvel expert amiable, puis un sapiteur.
Dans un courrier du 31 octobre 2017, l'avocat de Mme [H] a demandé à l'assureur s'il acceptait d'organiser une nouvelle expertise amiable pour revoir l'évaluation du préjudice subi par celle-ci, après avoir expliqué que le traitement qu'elle prenait avait largement compromis ses chances de procréer.
Par lettre du 27 avril 2018, la société Groupama a informé le conseil de Mme [H] qu'elle avait mandaté un médecin pour procéder à l'examen médical de cette dernière.
Or le rapport déposé par ce médecin révèle que celui-ci a été saisi à la suite d'une "demande d'aggravation " et le sapiteur neurologue désigné à la demande de ce médecin s'est lui-même prononcé sur l'existence ou non d'une aggravation de l'état neurologique de Mme [H].
La désignation des experts par la société Groupama ne portait donc pas sur le préjudice corporel initial de Mme [H], mais sur l'existence ou non d'une aggravation. Dans ces conditions, elle ne peut être considérée comme valant reconnaissance du droit de Mme [H] à obtenir l'indemnisation de son préjudice initial, ni donc constituer une cause d'interruption du délai de prescription décennal ayant commencé à courir le 28 janvier 2009.
Sur la renonciation à invoquer la prescription
Il résulte des articles 2250 et 2251 que seule une prescription acquise est susceptible de renonciation, que la renonciation à la prescription est expresse ou tacite et que la renonciation tacite résulte de circonstances établissant sans équivoque la volonté de ne pas se prévaloir de la prescription.
Mme [H] se prévaut d'un courrier du 14 novembre 2019 par lequel la société Groupama rejette une demande de Mme [H] tendant à voir revaloriser le poste 'souffrances endurées', au motif que le principe de règlement du dommage corporel par voie transactionnelle revêt un caractère définitif.
Quand bien même ce serait à la suite d'une erreur que la conclusion d'une transaction entre les parties est évoquée, un tel courrier ne peut être considéré comme valant renonciation, non équivoque, de la société Groupama, à se prévaloir de la prescription du droit à réparation de Mme [H].
Il résulte de tout ce qui précède que le délai décennal de prescription, dont le point de départ doit être fixé au 28 janvier 2009, n'a pas été interrompu avant le 28 janvier 2019 (l'assignation de la société Groupama au fond a été délivrée le 13 octobre 2022) et qu'il n'est pas démontré que la société Groupama aurait renoncé à se prévaloir de la prescription ainsi acquise à cette date.
En conséquence, Mme [H] est prescrite et donc irrecevable en son action et l'ordonnance du juge de la mise en état doit être confirmée de ce chef.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le sort des dépens et frais irrépétibles de première instance a été exactement réglé par le premier juge.
Mme [H] succombe en son appel. Elle doit donc supporter les dépens de cette procédure et sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile doit être rejetée.
L'équité ne commande pas de faire droit à la demande de la société Groupama en paiement d'une indemnité pour ses frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire,
Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 9 janvier 2024 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Reims,
Y ajoutant,
Déboute les parties de leur demande en paiement au titre de leur frais irrépétibles d'appel,
Condamne Mme [M] [H] aux dépens d'appel.
Le greffier La présidente