Arrêt n°
du 17/04/2024
N° RG 23/00750
AP/MLS/FJ
Formule exécutoire le :
à :
COUR D'APPEL DE REIMS
CHAMBRE SOCIALE
Arrêt du 17 avril 2024
APPELANTE :
d'un jugement rendu le 30 mars 2023 par le Conseil de Prud'hommes de REIMS, section Commerce (n° F 21/00484)
SAS VIVESCIA TRANSPORT
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par la SARL BELLEC & ASSOCIES, avocats au barreau de REIMS
INTIMÉ :
Monsieur [K] [I]
[Adresse 2]
lotissement [5]
[Localité 4]
Représenté par la SAS ISARD AVOCAT CONSEILS, avocats au barreau de NANCY
DÉBATS :
En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 6 mars 2024, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller, et Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller, chargés du rapport, qui en ont rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 17 avril 2024.
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
Monsieur François MÉLIN, président
Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller
Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller
GREFFIER lors des débats :
Monsieur Francis JOLLY, greffier
ARRÊT :
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur François MÉLIN, président, et Monsieur Francis JOLLY, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
Exposé du litige :
M. [K] [I] a été embauché par la SAS Vivescia Transport dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 20 septembre 2004, en qualité de conducteur hautement qualifié.
Le 28 juin 2018, il a été élu membre suppléant du comité social et économique (CSE).
Par courrier du 15 mars 2021, il a été licencié pour cause réelle et sérieuse.
Le 12 avril 2021, l'employeur a fait savoir au salarié que le licenciement prononcé au terme d'une procédure affectée d'une anomalie, était nul, que la procédure allait être reprise et que M. [I] était toujours salarié de l'entreprise.
Le 4 mai 2021, l'employeur a sollicité l'autorisation de licencier à laquelle l'inspection du travail a répondu le 19 mai 2021 par une décision d'incompétence.
Le 25 octobre 2021, M. [K] [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Reims d'une contestation du bien-fondé de son licenciement, sollicitant des dommages-intérêts pour licenciement nul ainsi qu'une indemnité pour violation du statut protecteur, outre une demande de remise sous astreinte des documents de fin de contrat rectifiés.
Par jugement du 30 mars 2023, le conseil de prud'hommes a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :
- dit que le licenciement de M. [K] [I] avait été prononcé sans autorisation de licenciement de l'Inspection du travail,
- dit que le licenciement de M. [K] [I] était nul,
- condamné la SAS Vivescia Transport au paiement des sommes suivantes :
62 858,76 euros bruts à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur,
36 000 euros bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
- ordonné sous astreinte à la SAS Vivescia Transport de remettre à M. [K] [I] son bulletin de salaire rectifié, son attestation Pôle Emploi et son solde de tout compte rectifiés conformes au présent jugement,
- débouté M. [K] [I] du surplus de ses demandes ;
- débouté la SAS Vivescia Transport de sa demande reconventionnelle.
Le 2 mai 2023, la SAS Vivescia Transport a interjeté appel du jugement sauf en ce qu'il a débouté M. [K] [I] du surplus de ses demandes.
Exposé des prétentions et moyens des parties :
Dans ses écritures remises au greffe le 3 janvier 2024, la SAS Vivescia Transport demande à la cour :
- de réformer le jugement rendu en ce qu'il :
a dit que le licenciement de M. [K] [I] avait été prononcé sans autorisation de licenciement de l'Inspection du travail,
a dit que le licenciement de M. [K] [I] était nul,
l'a condamnée au paiement des sommes suivantes :
62 858,76 euros bruts à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur,
36 000 euros bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
lui a ordonné sous astreinte de remettre à M. [K] [I] son bulletin de salaire rectifié, son attestation Pôle Emploi et son solde de tout compte rectifiés conformes au présent jugement ;
l'a déboutée de sa demande reconventionnelle ;
- de confirmer le jugement rendu en ce qu'il a débouté M. [K] [I] du surplus de ses demandes ;
En conséquence,
- de juger que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse ;
- de fixer le salaire de référence à la somme de 2 993,27 euros ;
- de juger qu'elle a involontairement omis de demander l'autorisation de licencier
M. [K] [I] et qu'elle a tenté de rattraper de bonne foi son erreur avant la sortie des effectifs de celui-ci ;
- de juger que ce dernier a refusé sa réintégration ;
- de débouter M. [K] [I] de l'ensemble de ses demandes ;
- de condamner M. [K] [I] au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 code de procédure civile ;
- de le condamner aux entiers dépens.
Dans ses écritures remises au greffe le 5 octobre 2023, M. [K] [I] demande à la cour :
- de confirmer le jugement en ce qu'il :
a dit que son licenciement a été prononcé sans autorisation de l'Inspection du travail ;
a dit que son licenciement était nul ;
a condamné la SAS Vivescia Transport au paiement des sommes suivantes :
62 858,76 euros bruts à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur,
500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
a ordonné sous astreinte à la SAS Vivescia Transport de lui remettre son bulletin de salaire rectifié, son attestation Pôle Emploi et son solde de tout compte rectifiés conformes au présent jugement ;
s'est réservé la faculté de liquider l'astreinte;
a débouté la SAS Vivescia Transport de sa demande reconventionnelle ;
- d'infirmer le jugement pour le surplus et, statuant a nouveau :
A titre principal,
- de condamner la SAS Vivescia Transport à lui verser la somme de 47 892 euros nets a titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;
A titre subsidiaire,
- de dire et juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- de condamner la SAS Vivescia Transport à lui verser la somme la somme de 40 409 euros nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- de condamner la SAS Vivescia Transport à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel;
- de condamner la SAS Vivescia Transport aux entiers frais et dépens.
Motifs :
1 - Sur la nullité du licenciement
M. [K] [I] demande la nullité de son licenciement pour avoir été prononcé sans autorisation préalable de l'inspecteur du travail.
Il expose que ce n'est que le 4 mai 2021, soit plusieurs semaines après la notification de son licenciement intervenu le 15 mars 2021, que la SAS Vivescia Transport a tenté de régulariser ses graves carences en transmettant une demande d'autorisation de le licencier. Il ajoute que l'employeur avait parfaitement connaissance de son mandat puisque c'est lui qui a organisé les élections processionnelles. Il fait valoir également que, par décision du 15 mai 2021, l'inspectrice du travail a indiqué que la demande était irrecevable et s'est déclarée incompétente compte tenu du fait que le contrat de travail avait déjà été rompu.
L'employeur explique avoir oublié le statut de salarié protégé de M. [K] [I] compte tenu de sa faible participation aux réunions du CSE, étant deuxième dans l'ordre des remplaçants. Il fait valoir que dès qu'il s'est aperçu de son erreur, il a proposé à M. [K] [I] de réintégrer les effectifs et a fait tout son possible pour régulariser la situation.
Selon l'article L 2411-1 du code du travail, bénéficie notamment de la protection contre le licenciement le membre élu à la délégation du personnel du comité social et économique.
Selon l'article L.2411-5 du même code, le licenciement d'un membre élu de la délégation du personnel du comité social et économique, titulaire ou suppléant ou d'un représentant syndical au comité social et économique, ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail.
Le licenciement d'un salarié protégé en violation de son statut protecteur est nul.
La proposition de l'employeur d'annuler un licenciement et de le réintégrer est sans effet si le salarié ne l'accepte pas.
Dès l'instant où il est notifié, le licenciement ne peut être annulé unilatéralement par l'employeur, qui ne peut revenir sur sa décision qu'avec l'accord du salarié. Il en résulte qu'en l'absence d'accord donné par le salarié à cette rétractation, celle-ci est sans effet et le licenciement antérieurement notifié conserve tous ses effets.
En l'espèce, il est constant que M. [K] [I] bénéficiait du statut de salarié protégé et que la SAS Vivescia Transport lui a notifié son licenciement le 15 mars 2021 sans obtenir l'autorisation préalable de l'inspecteur du travail.
Si la société a tenté de régulariser a posteriori la procédure, M. [K] [I] n'a pas donné son accord.
Par conséquent, le licenciement est nul.
Le jugement est confirmé de ce chef.
2 - Sur les conséquences de la nullité du licenciement
indemnité pour violation du statut protecteur
Selon l'article L1235-3-1 du code du travail, la nullité du licenciement d'un salarié protégé sans autorisation administrative préalable ouvre droit au salarié, s'il la demande, à réintégration qui est de droit, sauf impossibilité absolue ou en cas de disparition de la société.
A défaut de demande de réintégration, la méconnaissance par l'employeur du statut protecteur ouvre droit au profit du salarié à la rémunération qu'il aurait perçue jusqu'à la fin de la période de protection en cours.
En l'espèce, il n'est pas contesté que M. [K] [I] a exercé les fonctions de membre élu au CSE à compter du 26 juin 2018. Sa protection de quatre ans prolongée pendant six mois conformément à l'article L.2411-5 du code du travail expirait le 26 décembre 2022.
Ayant été licencié le 15 mars 2021, M. [K] [I] est fondé à solliciter une indemnité correspondant à 21 mois de salaire.
Les parties s'accordent sur un salaire de référence de 2 993,27 euros.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la SAS Vivescia Transport au paiement de la somme de 62 858,76 euros à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur, exactement calculée.
dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du licenciement nul
M. [K] [I] est également en droit de solliciter des dommages-intérêts réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement sur le fondement de l'article L 1235-3-1 du code du travail, indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois (19 268,84 euros).
Compte tenu de son ancienneté et de son âge au moment de son licenciement et de l'absence d'information quant à sa situation professionnelle après la rupture, la somme de 20 000 euros réparera entièrement les préjudices subis.
Le jugement doit donc être infirmé sur ce point.
Les demandes principales ayant été accueillies, il n'y a pas lieu de statuer sur la demande subsidiaire au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement.
3 - les autres demandes
- la remise des documents de fin de contrat
Le jugement sera confirmé sur ce point.
- l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Succombant au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la SAS Vivescia transport doit supporter les frais irrépétibles et les dépens par confirmation du jugement sur ces points.
En cause d'appel, elle sera condamnée aux dépens et à payer à M. [K] [I] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
Par ces motifs :
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme le jugement rendu le 30 mars 2023 par le conseil de prud'hommes de Reims en ce qu'il a condamné l'employeur à payer au salarié la somme de 36 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices nés du licenciement nul ;
Confirme le surplus du jugement en ses dispositions dévolues à la cour ;
statuant à nouveau, dans la limite du chef d'infirmation,
Condamne la SAS Vivescia Transport à payer à M. [K] [I] la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices nés du licenciement nul ;
Y ajoutant,
Déboute la SAS Vivescia Transport de sa demande de remboursement de ses frais irrépétibles d'appel,
Condamne la SAS Vivescia Transport à payer à M. [K] [I] la somme de 2 000 euros en remboursement de ses frais irrépétibles d'appel,
Condamne la SAS Vivescia Transport aux dépens de l'instance d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT