Arrêt n°
du 17/04/2024
N° RG 22/02009
AP/MLB/FJ
Formule exécutoire le :
à :
COUR D'APPEL DE REIMS
CHAMBRE SOCIALE
Arrêt du 17 avril 2024
APPELANTE :
d'un jugement rendu le 28 octobre 2022 par le Conseil de Prud'hommes de CHARLEVILLE-MEZIERES, section Activités Diverses (n° F 20/00264)
Madame [N] [I]
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentée par la SCP MEDEAU-LARDAUX, avocats au barreau des ARDENNES
INTIMÉ :
1) Monsieur [Z] [U]
pris en sa qualité de liquidateur amiable de la SARL VITA FORM'
[Adresse 3]
[Localité 2]
2) SARL VITA FORM'
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentés par la SCP FWF ASSOCIES, avocats au barreau de REIMS
DÉBATS :
En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 6 mars 2024, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller, et Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller, chargés du rapport, qui en ont rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 17 avril 2024.
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
Monsieur François MÉLIN, président
Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller
Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller
GREFFIER lors des débats :
Monsieur Francis JOLLY, greffier
ARRÊT :
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur François MÉLIN, président, et Monsieur Francis JOLLY, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
Exposé du litige :
Mme [N] [I] a été embauchée par la SARL VITA FORM' à compter du 16 novembre 2015 dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée à hauteur de 8 heures par mois en qualité d'éducatrice sportive, lequel s'est poursuivi au-delà du terme du contrat.
Par différents avenants, la durée de son travail était modifiée.
Le 28 mai 2019, la SARL VITA FORM' l'informait que dans le cadre de la réorganisation de ses activités, elle entendait diminuer la durée hebdomadaire de son contrat de travail, ramenée à 7,25 heures de travail hebdomadaire, ce qu'elle refusait par courrier du 17 juin 2019.
Mme [N] [I] était placée en arrêt de travail à compter du 12 juin 2019.
Le 27 novembre 2019, le médecin du travail la déclarait 'inapte au poste occupé et à tous les postes : l'état de santé de la salariée est incompatible avec un emploi dans l'entreprise ».
Le 18 décembre 2019, elle était convoquée à un entretien préalable à licenciement.
Le 6 janvier 2020, elle était licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Le 7 octobre 2020, elle a saisi le conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières aux fins de voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et obtenir le paiement de sommes à caractère indemnitaire et salarial. Elle demandait la convocation de la SARL VITA FORM', de Monsieur [Z] [U], pris en sa qualité de liquidateur amiable de la société et de l'AGS CGEA d'Amiens.
Par jugement réputé contradictoire du 28 octobre 2022, le conseil de prud'hommes a :
- dit que les demandes de Mme [N] [I] sont recevables mais non fondées ;
- débouté Mme [N] [I] de l'ensemble de ses demandes ;
- condamné Mme [N] [I] à verser à la SARL VITA FORM', représentée par M. [U], ès qualités de liquidateur, la somme de 100 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné Mme [N] [I] aux dépens de l'instance.
Le 28 novembre 2022, Mme [N] [I] a interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions à l'encontre de la SARL VITA FORM' et de son liquidateur amiable.
Exposé des prétentions et moyens des parties :
Dans ses écritures remises au greffe le 5 février 2024, Mme [N] [I] demande à la cour :
- de la déclarer recevable et bien fondée en son appel ;
- d'infirmer le jugement ;
En conséquence,
- de condamner la SARL VITA FORM' au paiement des sommes suivantes:
17.800 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
2.949,64 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
294,96 euros à titre de congés payés afférents,
5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité,
3.000 euros à titre de dommages- intérêts pour préjudice financier,
5.000 euros à titre de dommages- intérêts pour préjudice moral,
3.000 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect de l'obligation de formation,
2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
- de condamner la SARL VITA FORM' aux entiers dépens.
Dans ses écritures remises au greffe le 2 février 2024, M. [Z] [U], pris en sa qualité de liquidateur amiable de la SARL VITA FORM' et la SARL VITA FORM' demandent à la cour de :
- déclarer Mme [N] [I] recevable mais mal-fondée en son appel ;
En conséquence,
- confirmer dans l'ensemble de ses dispositions le jugement ;
- débouter Mme [N] [I] de l'intégralité de ses demandes ;
Subsidiairement,
- limiter à la somme de 1.474,82 euros brut le montant des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
En tout état de cause,
- condamner Mme [N] [I] à payer à la SARL VITA FORM' représentée par son liquidateur amiable, la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Mme [N] [I] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Motifs :
- Sur le manquement à l'obligation de formation :
Mme [N] [I] affirme n'avoir bénéficié d'aucune formation au cours de la relation contractuelle et prétend à la condamnation de son employeur au paiement de la somme de 3000 euros pour non-respect de l'obligation de formation et d'adaptation.
L'employeur réplique que Mme [N] [I] a bénéficié d'une formation « yoga instructeur » les 9 et 10 juin 2018. Il ajoute que Mme [N] [I] ne précise ni quelle formation aurait dû être mise en place ni à quel poste ou évolution elle aurait pu prétendre grâce à ces formations et ne justifie d'aucun élément à même de prouver l'existence du préjudice qu'elle prétend avoir subi ni de l'évaluer.
Selon l'article L. 6321-1 du code du travail, l'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail. Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations.
S'il appartient à l'employeur de justifier des formations mises en oeuvre au profit du salarié, il incombe à ce dernier de justifier du préjudice résultant du manquement à l'obligation de l'employeur.
En l'espèce, Mme [N] [I] a été embauchée le 16 novembre 2015 et licenciée le 6 janvier 2020.
L'employeur justifie que Mme [N] [I] a bénéficié de 16 h de formation en 2018.
Ces quelques heures de formation proposées en 2018 alors que Mme [N] [I] a travaillé au sein de la SARL VITA FORM' pendant plus de quatre ans n'apparaissent pas suffisantes pour justifier le respect par l'employeur de son obligation de formation.
Cependant, Mme [N] [I] n'invoque aucun préjudice au soutien de sa demande de dommages-intérêts, de sorte que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a rejeté sa demande de dommages-intérêts.
- Sur le manquement à l'obligation de sécurité :
Mme [N] [I] soutient que la SARL VITA FORM' a manqué à son obligation de sécurité en voulant l'obliger à quitter son poste pour pouvoir intervenir en qualité d'auto entrepreneur, ce qui a eu raison de son état de santé.
La SARLVITA FORM' soutient qu'elle n'a commis aucun manquement d'une telle sorte.
A considérer qu'un tel grief relève d'un manquement à l'obligation de sécurité, ce qui n'est pas discuté en son principe par l'employeur, celui-ci établit en toute hypothèse l'absence de manquement de sa part à ce titre.
En effet, il n'a pas fait des pressions incessantes à l'égard de la salariée pour la pousser à la démission, alors que tout au plus celle-ci écrit dans un SMS du 23 mai 2019 adressé au gérant qu'elle a pris la décision de ne pas démissionner et que dans une attestation, une stagiaire fait état de pressions répétées à l'encontre de Mme [N] [I] pour démissionner, sans les caractériser et surtout les situe en 2018 alors que Madame [N] [I] les situe pour sa part en avril 2019. L'employeur n'a pas non plus usé de stratagème pour la pousser à partir, alors qu'à la suite du refus opposé par la salariée à la modification de diminuer la durée hebdomadaire du contrat de travail, il a renoncé à son projet.
Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a débouté Mme [N] [I] de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité.
- Sur le licenciement sans cause réelle et sérieuse :
. Sur l'inaptitude physique conséquence d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et de la détérioration de ses conditions de travail :
Madame [N] [I] soutient que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse dès lors que son inaptitude physique résulte d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et d'une détérioration de ses conditions de travail.
Elle explique que son employeur lui a demandé de façon incessante de démissionner de son emploi à compter du mois d'avril 2019, en lui faisant des pressions et qu'il l'a mise à l'écart de tout le groupe sans raison, ni explication et qu'une telle situation a conduit son médecin traitant à la placer en arrêt de travail. Elle ajoute qu'ayant refusé de démissionner, son employeur a alors usé d'un stratagème en vue de lui faire comprendre que la relation contractuelle n'était plus souhaitée et lui a remis un courrier le 28 mai 2019 en lui indiquant que la durée hebdomadaire de son contrat de travail serait ramenée à 7 h 25 sans explication, à l'occasion d'un entretien -qu'elle a enregistré- et au cours duquel elle était manipulée. Elle indique que la réorganisation invoquée à l'appui de la diminution de ses horaires était injustifiée, alors même que ses collègues n'étaient pas impactés et que ses heures de travail étaient attribuées à un autre salarié, neveu du gérant, que dans ces conditions elle a refusé la modification, ce qu'elle a confirmé par écrit le 17 juin 2019. Elle ajoute que le gérant évoquait aussi les difficultés financières de la société et l'éventualité d'un licenciement pour motif économique et qu'il ressort donc de ces éléments que la volonté de se séparer d'elle est établie. Elle soutient qu'il y a un lien incontestable entre la réorganisation du travail et la dégradation de son état de santé, que le médecin du travail a d'ailleurs relevé dans l'étude de poste.
La SARL VITA FORM' réplique que Madame [N] [I] ne rapporte la preuve d'aucune pression, que celle-ci fixe au 28 mai 2019 la prétendue détérioration de ses conditions de travail, que son dernier jour travaillé est le 7 juin 2019, qu'à cette date elle a été examinée par le médecin du travail qui n'a fait aucune recommandation ou observation sur ses conditions de travail et qu'elle a ensuite été placée en arrêt-maladie le 12 juin 2019, alors qu'elle n'avait pas repris le travail et 15 jours après l'événement qu'elle identifie comme étant à l'origine des difficultés rencontrées. Elle conteste toute pression ou mise à l'écart à l'encontre de la salariée, antérieurement ou consécutivement à son refus de modification de son contrat de travail, intervenue dans le cadre d'une réorganisation de la salle de sport, consécutivement à son automatisation. Elle explique que face au refus de la salariée, elle lui a alors adressé un avenant portant modification de la répartition de ces horaires de travail auxquels elle n'a pas répondu. Elle ajoute qu'il ressort tant de la chronologie des faits que des pièces produites par la salariée - étant précisé qu'il convient d'écarter le procès-verbal de constat de retranscription d'une conversation par un huissier de justice s'agissant d'une preuve illicite- qui ne sont pas probantes, qu'elle n'a commis aucun manquement et qu'il n'y a pas eu de dégradation de ses conditions de travail.
Il vient d'être retenu l'absence de manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.
Il n'est pas non plus établi au vu des pièces produites une détérioration des conditions de travail de Mme [N] [I].
En effet, la salariée la situe au début du mois d'avril 2019.
Or, il n'est pas établi qu'elle a subi de pression lors de l'entretien du 28 mai 2019 au cours duquel l'employeur lui a remis le projet de modification du contrat de travail. En effet, si elle a enregistré l'entretien qu'elle a eu avec le gérant, ce qui ne suffit pas à le rendre illicite, en revanche, aucune force probante ne saurait lui être accordée, puisqu'il n'est retranscrit que partiellement avec de nombreuses parties qui comportent des points d'interrogation apposés par l'huissier de justice aux lieu et place des échanges, ce qui ne permet pas d'appréhender leur teneur exacte.
Aucune des pièces produites ne permet davantage de retenir que Mme [N] [I] a été mise à l'écart.
Le 7 juin 2019, elle faisait d'ailleurs l'objet d'une visite d'information et de prévention aux termes de laquelle le médecin du travail délivrait une attestation de suivi individuel de l'état de santé.
Il ressort du dossier médical de la médecine du travail que la salariée produit, qu'elle n'a à cette date exprimé aucune doléance, ni sur le plan de sa santé ni sur celui de ses conditions de travail. Le fait que la visite médicale ait été assurée par un médecin remplaçant ne suffit pas à lui retirer toute pertinence, comme le voudrait la salariée.
Ensuite, l'employeur indique que Mme [N] [I] n'a pas repris le travail -sans être contredit sur ce point- avant son absence du 11juin et son arrêt maladie du 12 juin 2019 qui sera ininterrompu.
Dans ces conditions, il est établi que sur la période en cause, soit d'avril 2019 jusqu'à son arrêt-maladie, il n'y a pas eu de détérioration des conditions de travail de Mme [N] [I] et donc en toute hypothèse aucune conséquence de celles-ci sur son état de santé.
Ce n'est d'ailleurs pas ce que conclut le médecin du travail dans son étude de poste et des conditions de travail de Mme [N] [I] en date du 27 novembre 2019, contrairement à ce que celle-ci soutient. Il écrit en effet que la 'réorganisation du travail a eu un impact sur la santé de Mme [N] [I]', alors même qu'il a été précédemment relevé que la réorganisation envisagée n'a jamais eu lieu et que Mme [N] [I] n'a pas repris le travail, et que de surcroît ce que cette dernière a vécu est tout au plus de l'ordre du ressenti puisqu'il écrit qu'elle a 'ressenti une remise en question de ses valeurs professionnelles et de son identité professionnelle et de la philosophie de l'établissement qu'elle connaissait depuis 5 ans'.
Au vu de ces éléments, il n'est pas donc pas établi non plus que l'inaptitude de Mme [N] [I] trouve sa source dans une dégradation de ses conditions de travail.
. Sur le manquement à l'obligation de reclassement :
Mme [N] [I] reproche aux premiers juges d'avoir retenu que la SARL VITA FORM' avait satisfait à son obligation de reclassement. A hauteur d'appel, la SARL VITA FORM' soutient qu'elle y a satisfait, ce qu'il lui appartient d'établir, et ce dans les conditions de l'article L.1226-2 du code du travail.
C'est à tort que la SARL VITA FORM' soutient qu'elle était dispensée d'une recherche de reclassement alors qu'il ne ressort nullement de l'avis d'inaptitude qu'elle se trouvait dans un cas de dispense de recherche de reclassement, peu important à cet effet, les échanges ultérieurs entre l'employeur et le médecin du travail.
Contrairement à ce que soutient Mme [N] [I] -puisque la SARL VITA FORM' produit en pièce n°19 un registre du personnel complet avec les dates d'entrée et de sortie du personnel- la SARL VITA FORM' établit l'impossibilité de la reclasser puisqu'elle justifie de l'absence de poste disponible à la date de son licenciement au titre d'un emploi aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagements du temps de travail.
Dans ces conditions, et dès lors que la SARL VITA FORM' a satisfait à l'obligation de reclassement, Mme [N] [I] doit être déboutée de sa demande tendant à voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse, de ses demandes d'indemnité de préavis et de congés payés y afférents et de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice financier du fait de la perte de son emploi.
Le jugement doit être confirmé de ces chefs et en ce qu'il a en outre débouté Mme [N] [I] de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral, en ce qu'il n'y a pas de lien entre une dégradation de son état de santé et un comportement fautif de l'employeur.
*********
Le jugement doit être confirmé du chef des dépens et en ce qu'il a condamné Mme [N] [I] au paiement d'une indemnité de procédure.
Partie succombante à hauteur d'appel, Mme [N] [I] doit être condamnée aux dépens d'appel, déboutée de sa demande d'indemnité de procédure et condamnée en équité à payer à la SARL VITA FORM', prise en la personne de son liquidateur amiable, la somme de 900 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel.
Par ces motifs :
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Confirme le jugement déféré ;
Y ajoutant :
Condamne Mme [N] [I] à payer à la SARLVITA FORM', prise en la personne de son liquidateur amiable, la somme de 900 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel ;
Déboute Mme [N] [I] de sa demande d'indemnité de procédure ;
Condamne Mme [N] [I] aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT