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16/04/2024 | FRANCE | N°22/01698

France | France, Cour d'appel de Reims, 1ere chambre sect.civile, 16 avril 2024, 22/01698


ARRET N°

du 16 avril 2024



R.G : 22/01698

N° Portalis DBVQ-V-B7G-FHK7





Organisme FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES D'ACTES DU TERRORIS ME ET D'AUTRES INFRACTIONS





c/



[O] [V]















Formule exécutoire le :

à :



la SELARL RAFFIN ASSOCIES



la SCP DELVINCOURT - CAULIER-RICHARD - CASTELLO AVOCATS ASSOCIES

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE-1° SECTION

ARRET DU 16 AVRIL 2024





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APPELANTE :



d'un jugement rendu le 29 juillet 2022 par le tribunal judiciaire de CHARLEVILLE-MEZIERES



Le FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES D'ACTES DU TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS - FGTI, prise en la personne de son représentant ...

ARRET N°

du 16 avril 2024

R.G : 22/01698

N° Portalis DBVQ-V-B7G-FHK7

Organisme FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES D'ACTES DU TERRORIS ME ET D'AUTRES INFRACTIONS

c/

[O] [V]

Formule exécutoire le :

à :

la SELARL RAFFIN ASSOCIES

la SCP DELVINCOURT - CAULIER-RICHARD - CASTELLO AVOCATS ASSOCIES

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE-1° SECTION

ARRET DU 16 AVRIL 2024

APPELANTE :

d'un jugement rendu le 29 juillet 2022 par le tribunal judiciaire de CHARLEVILLE-MEZIERES

Le FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES D'ACTES DU TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS - FGTI, prise en la personne de son représentant légal, domicilié de droit au siège :

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Jessica RONDOT, avocat au barreau de REIMS (SELARL RAFFIN ASSOCIES),

INTIME :

Monsieur [V] [O], né le [Date naissance 2] 1943, à [Localité 7] (ARDENNES), de nationalité française, demeurant :

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représenté par Me Mélanie CAULIER-RICHARD, avocat au barreau de REIMS (SCP DELVINCOURT - CAULIER-RICHARD - CASTELLO AVOCATS ASSOCIES),

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :

Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH présidente de chambre, et Madame Florence MATHIEU, conseillère, ont entendu les plaidoiries, les parties ne s'y étant pas opposées. Elles en ont rendu compte à la cour dans son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre,

Madame Véronique MAUSSIRE, conseillère,

Madame Florence MATHIEU, conseillère,

GREFFIER :

Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffier, lors des débats,

Madame Jocelyne DRAPIER, greffier, lors de la mise à disposition,

DEBATS :

A l'audience publique du 19 mars 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 16 avril 2024,

ARRET :

Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 16 avril 2024 et signé par Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre, et Madame Jocelyne DRAPIER, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

Le 25 août 2012, M. [V] [O], dans un carrefour encombré, heurtait volontairement avec son véhicule Mme [C] [I], policier municipal, en charge de la circulation à l'approche du stade de [Localité 6] où il désirait se rendre, un jour de match.

Par jugement du 29 août 2014, le tribunal correctionnel de Reims déclarait M. [V] [O] coupable de violence sur une personne dépositaire de l'autorité publique en la personne de Mme [I], suivie d'incapacité n'excédant pas 8 jours.

Sur l'action publique, M. [O] était condamné à une peine de quatre mois d'emprisonnement assortie du sursis simple et à une amende de 300 euros.

Le docteur [T] [F] a examiné Mme [I] à la demande de la ville de [Localité 6] le 13 novembre 2012, a décrit son état en lien de causalité avec l'agression et a conclu à une absence de consolidation.

Le Docteur [P] [A] a rendu un rapport d'examen psychiatrique le 8 janvier 2015.

Aux termes d'une expertise du 10 mars 2015, le Docteur [E], diplômé d'études médicales relatives à la réparation juridique du dommage corporel, ayant agi à la demande de la victime, qui l'avait examiné le 31 janvier 2013, a évalué les préjudices de la victime.

Sur le fondement de ces rapports à la suite à la saisine de la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) de [Localité 6] par Mme [I], le Fonds de garantie a proposé un accord sur une indemnisation totale de 35 544,45 euros, lequel accord a fait l'objet d'un constat signé et homologué par le Président de la CIVI le 7 décembre 2015.

Le Fonds de garantie a ensuite exercé une action récursoire à l'encontre de M. [O] sur le fondement de l'article 706-11 du code de procédure pénale, par mise en demeure du 9 octobre 2018. Faute de réponse, le Fonds de garantie a assigné M. [O] devant le tribunal de Charleville-Mézières en remboursement de la somme de 32 544,45 euros, composée comme suit :

. frais divers : 1.259 €

. incidence professionnelle : 5.000 €

. aide humaine (157 heures) : 1.884 €

. DFT 50% (31 jours) : 356,50 €

. DFT 25% (295 jours) : 1.696,25 €

. DFT 10% (396 jours) : 848,70 €

. souffrances endurées (3,5/7) : 6.000 €

. DFP(10%) : 13.500€

. préjudice d'agrément : 2.000 €

M. [O] a sollicité, à titre reconventionnel, une expertise judiciaire.

Le tribunal a, par jugement du 29 juillet 2022 :

- débouté M. [V] [O] de sa demande tendant à voir ordonner une expertise judiciaire,

- condamné M. [V] [O] à payer au Fonds de Garantie des Victimes des Actes de Terrorisme et d'Autres Infractions la somme de 5.202 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 16 juillet 2020,

- débouté le Fonds de Garantie des Victimes des Actes de Terrorisme et d'Autres Infractions du surplus de sa demande,

- condamné M. [V] [O] à payer au Fonds de Garantie des Victimes des Actes de Terrorisme et d'Autres Infractions une somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [V] [O] aux dépens de l'instance.

Il a estimé être en possession de suffisamment d'éléments pour évaluer le préjudice subi par Mme [I] et l'a ainsi fixé, sans recourir à une expertise judiciaire, à la somme totale de 10 404 euros.

Il a considéré au regard des pièces de l'enquête pénale que Mme [C] [I] avait commis une faute ayant contribué à la réalisation de son propre dommage, que

son droit à indemnisation devait par conséquent être réduit de moitié et que la moitié du montant du préjudice fixé était due par M. [O].

Le Fonds de garantie a interjeté appel de cette décision par déclaration du 27 septembre 2022.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 1er mars 2024, il demande à la cour :

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a réduit le droit à indemnisation de la victime de 50%, limité le montant des indemnisations à la somme de 10.404 euros, débouté le Fonds de Garantie du surplus de ses demandes ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [V] [O] de sa demande de voir ordonner une expertise judiciaire et l'a condamné aux frais d'instance.

Il fait valoir qu'il apporte, au soutien de ses demandes, l'intégralité des pièces nécessaires à l'appréciation des faits.

Il soutient que les trois experts distincts, tous tiers à Mme [I], ont tous conclu à un lien de causalité direct entre l'agression et les préjudices subis par la patiente, et que la procédure devant la CIVI ayant précisément pour objectif d'indemniser le préjudice de la victime en dehors de l'auteur de l'infraction pour éviter une nouvelle confrontation, il est normal que M. [O] n'ait pas été partie à l'expertise sur lequel s'est fondé le Fonds de Garantie.

Il estime d'une part, que Mme [I] n'étant pas partie à l'instance, la demande d'une expertise judiciaire la concernant est irrecevable, et d'autre part, que la mesure n'est pas utile dès lors qu'il existe déjà des rapports d'expertise que M. [O] a pu critiquer dans le cadre des débats.

Il rappelle que le comportement de la victime ne saurait exclure ou limiter son droit à indemnisation que si cette faute est grave et inexcusable, d'une exceptionnelle gravité, et si elle a joué un rôle causal dans la survenue de l'accident ; qu'une telle faute ne saurait être reprochée à un agent public agissant pour protéger l'ordre et la sécurité publique et confronté au refus persistant d'obtempérer d'un usager, lequel, par son comportement belliqueux, est seul à l'origine du dommage.

Il reproche au juge d'avoir statué ultra petita en remettant en cause les indemnisations de certains postes de préjudice, au-delà de ce qui était demandé par les parties et sans inviter ces dernières à formuler des observations sur ce point, et justifie les montants accordés pour chaque poste de préjudice dans le cadre de l'accord.

M. [V] [O] a formé appel incident le 16 mars 2023. Aux termes de ses conclusions n°2 du 14 août 2023, il demande à la cour :

- à titre principal, d'infirmer le jugement, de débouter le Fonds de garantie de ses demandes et de condamner le Fonds de garantie à lui payer les sommes de 2.000 euros + 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- subsidiairement, d'ordonner une expertise sur pièces afin d'évaluer et de chiffrer le préjudice de Mme [C] [I] en lien avec l'accident survenu le 25 août 2012 et de surseoir à statuer dans l'attente du rapport d'expertise,

- très subsidiairement, de confirmer le jugement en ce qu'il a dit que Mme [I] a concouru pour moitié à l'intensité de son dommage corporel réduisant par suite son droit à indemnisation de moitié, de débouter le FGTI de toutes ses demandes, fins ou conclusions et de le condamner à la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civil, outre les entiers dépens d'appel.

Il soutient que la commission de réforme a nécessairement statué sur la prise en charge de l'accident de service subi par Mme [I] et que le Fonds de garantie doit produire une attestation de la part de cette commission, permettant d'établir que la victime n'a perçu aucune prise en charge au titre de cet accident.

Il estime qu'il est invraisemblable d'accorder une indemnisation de 32.544,45 euros, sur la base d'éléments privés, pour une ITT de seulement 6 jours, et sans que soit rapporté le lien de causalité entre l'infraction et l'ITT.

Il fait valoir que les certificats médicaux de 2012 font faussement état d'un renversement par une voiture ; qu'aucun certificat de prolongation d'ITT ne permet de s'assurer d'un lien avec les lésions initiales et celles présentées par la suite ; que le rapport d'expertise non contradictoire, réalisé 3 ans après les faits, ne contient qu'une conclusion hypothétique « très vraisemblablement ». Il en conclut que le lien de causalité entre les faits et la lésion du canal carpien n'est pas établi.

Il considère que les rapports d'expertise non contradictoires ne suffisent pas plus à établir le lien de causalité entre les faits et les troubles psychiatriques.

Il affirme que Mme [C] [I] n'a pas contrôlé ses nerfs, frappant à plusieurs reprises le capot de la voiture, et qu'un tel comportement fautif est de nature à exonérer l'auteur fautif d'une part de responsabilité dans l'indemnisation.

Il estime que la référence à une faute inexcusable, cause exclusive de l'accident, n'est pas applicable en l'espèce puisque n'étant prévue que par la loi du 5 juillet 1985, non applicable aux faits d'espèce.

MOTIFS :

Sur le recours subrogatoire :

Selon l'article 706-3 du code de procédure pénale, toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent les caractères matériels d'une infraction et qui n'a pas été indemnisée peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à sa personne, lorsque les faits soit ont entraîné la mort, soit une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois.

L'incapacité temporaire totale suppose une perte d'autonomie en lien avec une infraction.

La durée de l'incapacité totale de travail est indépendante des circonstances de l'agression en ce que celle-ci peut avoir des retentissements et des conséquences différentes selon la victime selon son âge, son état de santé ou sa psychologie.

Elle est appréciée par la cour en fonction des conséquences médicales tenant notamment au nombre et à la gravité des blessures, à la nécessité ou non d'une hospitalisation aux souffrances endurées, à la persistance d'une perte d'autonomie liée à des problèmes de communication ou de déplacement.

Par ailleurs, la réparation peut être refusée ou son montant réduit à raison de la faute de la victime.

Enfin l'article 706-9 du code de procédure pénale pose que la commission tient compte, dans le montant des sommes allouées à la victime en réparation de son préjudice :

- des prestations versées par les organismes, établissements et services gérants un régime obligatoire de sécurité sociale et par ceux mentionnés aux articles 1106-9, 1234-8 et 1234-20 du code rural,

- des prestations énumérées au II de l'article 1er de l'ordonnance numéro 59-76 du 7 janvier 1959 relative aux actions en réparation civile de l'Etat et de certaines autres personnes publiques,

- des sommes versées en remboursement des frais de traitement médical et de rééducation,

- des salaires et des accessoires du salaire maintenus par l'employeur pendant la période d'inactivité consécutive à l'événement qui a occasionné le dommage,

- des indemnités journalières de maladie et des prestations d'invalidité versées par les groupements mutualistes régis par le code de la mutualité,

- des indemnités de toutes natures reçues ou à recevoir d'autres débiteurs au titre du même préjudice.

Ces dispositions instituent, devant la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions, en faveur des victimes d'infractions, un mode de réparation autonome indépendant des règles régissant le droit commun de la responsabilité pénale ou civile et celle-ci, juridiction indépendante, n'est pas liée par une décision pénale antérieure concernant des montants alloués à une victime ou un partage de responsabilité.

En l'espèce, le Fonds de Garantie et Mme [I] ont signé un constat d'accord, homologué par le président de la Commission d'indemnisation des victimes d'infraction, conformément aux dispositions de l'article 706-5-1 du code de procédure pénale.

Il n'a retenu aucune faute de la victime devant réduire le montant de sa réparation et a accordé une indemnisation totale de 32.544,45 euros au titre de 7 postes de préjudice retenus.

En conséquence, le Fonds de Garantie dispose d'un recours subrogatoire contre l'auteur de l'infraction responsable du dommage indemnisé.

Mais, la transaction passée avec les victimes étant inopposable aux auteurs du dommage qui n'y ont pas été parties (Crim 13 mars 1996, n° 95-81.995), l'auteur de l'infraction peut opposer au Fonds de Garantie les exceptions et moyens de défense qu'il aurait été en mesure d'opposer à la victime subrogeante et notamment discuter de sa responsabilité dans la réalisation de son propre préjudice, de l'existence d'un poste de préjudice ou du montant des indemnités allouées en réparation de ceux-ci.

Ainsi faut-il, à la demande de M. [O], réévaluer judiciairement le préjudice en lien de causalité avec l'infraction et examiner les circonstances de la réalisation du préjudice pour vérifier l'absence de cause d'exonération totale ou partielle du responsable dont notamment une faute de la victime.

Sur le préjudice en lien de causalité avec l'infraction :

M. [V] [O] estime, qu'en violation avec les règles précitées, le Fonds n'a pas suffisamment vérifié l'absence d'indemnisation de la victime policière municipale, fonctionnaire territoriale blessée dans l'exercice de ses fonctions et notamment auprès de la commission de réforme qui a nécessairement statué sur la prise en charge de cet accident de service et sur l'amplitude de l'indisponibilité de l'agent territorial ; qu'en outre, il n'établit pas la preuve du lien de causalité entre l'infraction et une lésion au poignet droit ou des troubles psychiatriques par la seule production de documents médicaux établis par des experts privés.

Il réclame une expertise sur pièces.

Mais, si une expertise privée non contradictoire est insuffisante à justifier seule de la nature et de l'ampleur du préjudice pour venir au soutien des prétentions de celui qui s'en prévaut, en revanche, elle est utilement présentée si elle est corroborée par d'autres éléments.

En l'espèce, dès le 30 août 2012, 5 jours après les faits, le docteur [X] ayant eu à examiner Mme [C] [I] à l'accueil des urgences du CHU de [Localité 6], constatait :

un 'dème traumatique résiduel du poignet,

une douleur de l'interligne articulaire,

une mobilité non limitée mais douloureuse,

une anxiété.

Puis, la victime a été examinée dans un cadre amiable par plusieurs médecins dont 2 spécialistes de l'évaluation de la réparation du préjudice corporel, à différents moments, près des faits, avant puis après sa consolidation ; ceux-ci ont été sollicités l'un par elle-même, le docteur [E] (qui s'approprie le rapport du docteur [A], psychiatre, du 8 janvier 2015, l'avis du docteur [S], neurologue, et recueille des éléments auprès du médecin traitant de Mme [C] [I], le docteur [K]) et l'autre par la ville de [Localité 6], qui n'a pas les mêmes intérêts, et est médecin agrée par l'administration, le docteur [F].

Or, ces médecins parviennent aux mêmes constatations cliniques et à l'évaluation d'un même préjudice en lien de causalité avec l'agression.

Il s'en déduit que ces rapports se corroborent les uns les autres.

Ainsi le docteur [F], expert près la cour d'appel de Reims, en évaluation du préjudice corporel agrée de l'administration, ayant examiné la victime peu après les faits, soit le 13 novembre 2012, à la demande de la ville de Reims, employeur, note l'existence de doléances antalgiques au niveau du poignet avec oedème résiduel et décharges électriques dans le pouce, des doléances fonctionnelles tenant à l'impossibilité d'écrire après trois minutes en raison d'une barre en regard de la face

antérieure du poignet, et des doléances psychologiques tenant à une certaine appréhension à se retrouver sur le terrain.

Il constate cliniquement une nette diminution de la force motrice, un déficit de la mobilité du poignet et des larmes lors de l'examen clinique qu'il doit stopper au motif que la patiente n'était manifestement pas consolidée : il conclut à cette époque que le poignet est le siège d'un oedème résiduel déclaré douloureux démontrant une pathologie compressive sous jacente responsable des doléances nécessitant des examens complémentaires et un réexamen.

Le docteur [S], neurologue, à qui la patiente a été adressée par son médecin traitant le docteur [K], développe dès le 10 septembre 2012 qu'il pense que le syndrome de canal carpien droit modéré, sensitif uniquement, simplement à surveiller, qu'il constate « fait suite à oedème post confusionnel de la patiente qui a frappé contre le capot en hyper extension et qui se plaint depuis d'épisodes de décharge électrique du pouce »

Le docteur [A], psychiatre, ayant examiné Mme [C] [I] le 25 août 2012 rappelle que cette femme, née en 1979, mère de 2 enfants, engagée dans la police municipale depuis 2002, de bon contact, était en pleine forme avant les faits, qu'elle a continué son service le jour de l'infraction puis, le lendemain a réalisé qu'elle avait mal au poignet et était en souffrances psychologiques.

Il note qu'elle demeure anxieuse, phobique de la rue, qu'elle a beaucoup pleuré et pleure encore, qu'elle a pris 10 kg depuis l'agression, que son sommeil est mauvais qu'elle a demandé un réel poste administratif pour se tenir complètement à l'écart d'un service à l'extérieur mais que la névrose traumatique dont elle a souffert s'est estompée.

Le 8 janvier 2015 il conclut à :

- déficit fonctionnel temporaire partiel : 15%,

- arrêt temporaire des activités professionnelles imputable : somatiques,

- consolidation médico-légale : premier octobre 2014,

- atteinte à l'intégrité physique : 6%,

- incidence professionnelle : demande de changement de poste.

Enfin le docteur [E], spécialiste de l'évaluation de la réparation du préjudice corporel, dans son second rapport du 10 mars 2015, écrit à l'avocat de la victime, qu'il avait déjà examiné Mme [C] [I], le 31 janvier 2013, l'a revue le 10 mars 2015 ; il fait référence à un arrêt de travail jusqu'au 5 septembre 2012 pour accident du travail établi le 27 août 2012 par le médecin traitant de la victime, le docteur [K] pour des douleurs aux deux quadriceps, un hématome du poignet, une perte de mobilité, des douleurs, arrêt qui sera renouvelé jusqu'au 7 octobre 2012, puis renouvelé le 8 décembre 2012 jusqu'au 17 juillet 2013, pour une recrudescence des douleurs du poignet droit, et il fait référence à la prescription d'un traitement anxiolytique le 4 septembre 2012.

Il mentionne que, lors de retour au domicile, elle a dû être aidée pour les courses et le ménage pour les enfants et les déplacements puis encore pour les grosses courses et le gros ménage.

A l'examen clinique du poignet, il note des diminutions à la flexion palmaire et dorsale, une diminution de la force de préhension et la persistance d'une gêne fonctionnelle douloureuse du poignet droit et l'existence d'un retentissement psychologique souligné par le rapport du docteur [A] précité ; il observe que son médecin traitant a estimé qu'elle était consolidée au 21 juillet 2014 avec des séquelles et qu'elle a repris son travail en poste aménagé en bureau et sans port d'armes en raison notamment de sa crainte d'être sur la voie publique.

Il ressort des ces éléments qu'il n'apparaît pas nécessaire d'ordonner une expertise judiciaire sur pièces pour déterminer le préjudice de Mme [C] [I], en lien de causalité avec l'agression, et que celui-ci peut être calculé sur la base des conclusions du docteur [E] du 10 mars 2015 qui fait une exacte appréciation des conséquences résultant des symptômes décrits ci dessous soit :

Arrêt des activités professionnelles : du 25.08.2012 au 07.10.2012, puis du 08.12.2012 au 17.07.2013 ;

- DFT classe 3 : du 25.08.2012 au 25.09.2012 ;

- DFT classe 2 : du 26.09.2012 au 17.07.2013;

- DFT classe 1 : du 18.07.2013 au 21.07.2014;

- date de consolidation : 21 juillet 2014 ;

- souffrances endurées : 3,5/7, en tenant compte du retentissement psychologique ;

- DFP : 10%, en tenant compte du retentissement psychologique ;

- préjudice d'agrément avec gêne pour la pratique de la gymnastique en salle et arrêt de la course à pied en rapport avec la peur d'un nouveau traumatisme ;

- incidence professionnelle : travail en poste aménagé, sédentaire, justifié par une crainte d'être sur la voie publique ;

Tierce personne : 1heure/jour en période de DFT classe 3 puis 3 heures/semaine en DFT classe 2

En conséquence, sur le fondement de l'article 706- 3 du code de procédure pénale et compte tenu d'un déficit fonctionnel permanent , le principe du droit à indemnisation de la victime par le Fonds de Garantie du préjudice résultant de faits de violences volontaires est établi et l'appréciation de son montant par poste de préjudice sera analysée ci dessous.

Sur la part de responsabilité de Mme [C] [I] dans la survenance de son dommage :

Par jugement du tribunal correctionnel de Reims du 29 août 2014, M. [V] [O] a été déclaré coupable de violences volontaires sur Mme [C] [I], personne dépositaire de l'autorité publique, suivies d'incapacité de travail n'excédant pas 8 jours.

M. [O] estime que Mme [I] a adopté un comportement fautif qui a contribué à la réalisation de son propre dommage en s'abstenant, d'une part, de se mettre en sécurité, notamment en contournant le véhicule et au besoin en faisant appel à des renforts, et d'autre part, en portant à plusieurs reprises des coups avec sa main sur la carrosserie de son véhicule ce qui n'était manifestement pas de nature à provoquer son arrêt.

Mais entendu le 25 août, M. [V] [O] qui déclarait que Mme [I] avait « très bien pu se blesser en voulant l'empêcher d'avancer en retenant la voiture par la poignée.. alors qu'honnêtement, elle ne pouvait pas bloquer une voiture en la retenant.. » reconnaissait donc qu'elle voulait l'empêcher d'avancer.

Et il résulte clairement des auditions des personnes qu'il évoque lui même, qu'elle était énervée par son comportement récalcitrant ; qu'en effet, alors qu'elle lui demandait clairement par la voix et les gestes de reculer, qu'elle ne voulait pas qu'il passe, qu'elle courrait à côté de lui en tapant sur la voiture, il persistait à continuer à avancer sans la regarder « du tout » ou en consentant à discuter avec elle sans ouvrir sa fenêtre.

M. [M], témoin des faits, sorti à la même bretelle d'autoroute et entendu par la police, comme M. [Z] [J] qui se trouvait dans la voiture de M. [V] [O], et encore M. [Y] [B], collègue de Mme [C] [I], se trouvant sur le même point de circulation, confirment par ailleurs la version de celle-ci qui soutient qu'elle s'est positionnée dans un premier temps face au véhicule de M. [V] [O] qui refusait de s'arrêter ; les deux derniers affirment par ailleurs que le conducteur disposait de la place nécessaire pour se conformer à l'ordre reçu et reculer.

M. [M] affirme par ailleurs «qu'on voyait bien que le conducteur n'avait pas l'intention d'obéir, qu'il était très énervé, qu'il ne tenait pas compte de la femme policier qui s'était mise devant la voiture et lui faisait signe de reculer et de dégager le carrefour, qu'il faisait semblant d'avancer, a réussi ensuite à avancer doucement pour la forcer à s'écarter et a continué à la pousser, la policière faisant des sauts pour ne pas se faire écraser.. qu'ensuite celle-ci s'est trouvée à côté de sa vitre qu'il n'a pas baissée, qu'il ne l'a pas regardée, que la circulation s'étant dégagée, il a avancé malgré la femme qui avait attrapé la poignée de porte et courrait à ses côtés en lui demandant de s'arrêter... »

Il ne lui appartenait pas d'apprécier la logique de cet ordre, son opportunité ou son utilité au regard des circonstances qui manifestement d'ailleurs justifiaient l'intervention des services d'ordre puisque M. [V] [O] reconnaît dans son

audition que ce soir de match de foot, il y avait un bouchon sur la voie de décélération, qu'il a laissé 5 ou 6 feux rouges avant de pouvoir passer, qu'il s'est retrouvé bloqué au milieu de la route à une longueur de voiture après le passage au feu.

Il devait s'y conformer, à supposer même que s'ouvrait ensuite devant lui un espace de circulation de quelques mètres, parce qu'il émanait d'une personne dépositaire de l'autorité publique en charge de régler la circulation.

Il n'apparaît pas de quelle autre manière ce chargé de l'ordre, qui usait des gestes réglementaires et portait son uniforme, pouvait autrement se faire respecter par la conducteur récalcitrant « qui l'a regardée, lui a fait des gestes d'énervement et ne voulait pas reculer ni s'arrêter» selon le témoignage évoqué précédemment corroborant le rapport d'information de cet agent et le procès-verbal de sa plainte devant les services de police, ni quelles « précautions d'usage » elle aurait pu prendre pour ne pas se blesser de sorte que son positionnement devant la voiture, sa course à côté de celle-ci qui continuait à avancer, les chocs de sa main, volontaires ou non sur le capot et la vitre, comme la peur ressentie par celle-ci, sont en lien de causalité avec le seul comportement du conducteur.

En conséquence, à supposer même que le feu ait été au vert, que Mme [C] [I] n'a été accrochée à la poignée que sur 20 et non 80 mètres ou qu'elle n'ait pas eu à reculer poussée par la voiture de M. [V] [O], mais seulement de courir à ses côtés en tenant la portière, il n'en reste pas moins que M. [V] [O], qui aurait dû s'arrêter, ouvrir la fenêtre, descendre de son véhicule, reculer ou réaliser les actions qui étaient requises, est entièrement et seul responsable du dommage qu'elle a subi du fait d'une intervention dans le cadre de laquelle elle s'est limitée à prendre des mesures raisonnables et proportionnées à la situation pour faire respecter son autorité.

M. [V] [O] doit, dès lors, assumer seul toutes les conséquences dommageables qui en sont résultées dont les douleurs au poignet droit dont elle s'est plainte dès son audition du 27 août 2012 et qui, avec les conséquences psychologiques observées dès cette date, ont justifié un arrêt de travail initial de 6 jours par le médecin légiste le 30 août qui a été ensuite prolongé.

En conséquence, le jugement est infirmé en ce qu'il retient une part de responsabilité de Mme [I] dans la survenance de son dommage.

Sur le montant du recours subrogatoire :

Compte tenu du retentissement psychologique de l'agression qui a obligé cette jeune femme de 33 ans, jeune et motivée, à renoncer à ses missions sur le terrain et à travailler dans un poste aménagé sédentaire par crainte d'être sur la voie publique réduisant ses perspectives d'évolution dans la police et conduisant à une dévalorisation sur le marché du travail, l'incidence professionnelle de l'agression à hauteur de 5.000 euros a été justement appréciée par le tribunal.

De même, au regard de l'amplitude du besoin à tierce personne et d'un taux d'indemnisation de 12 euros de l'heure accordée, au regard de la durée et de l'intensité de la gêne progressivement réduite dans les actes de la vie courante avant la consolidation et de la base de l'indemnisation de ce DFT de 23 euros à 100% soit 11 euros pour un taux de 50% pendant 31 jours puis 5 euros pendant 295 jours pour un taux de 25 % et 2,20 euros pendant 369 jours pour un taux de 10%, au regard par ailleurs du taux modéré des souffrances tant physiques que morales endurées (3,5/7), de la nature des séquelles résiduelles restant après la consolidation du 21 juillet 2014 impactant sa vie quotidienne et de l'application d'une valeur de point de 1.350 euros ( 2.035 euros alloués par la jurisprudence pour une victime âgée de 31 à 40 ans), encore d'une pratique de la gymnastique en salle avant le traumatisme soulignée par celle-ci dans sa requête devant la commission et usuelle pour des jeunes membres de cette profession sur le terrain nécessitant une forme physique qui n'a pas pu être reprise par peur d'un nouveau traumatisme, il apparaît à la cour que les montants accordés par le Fonds de Garantie, qui ont été réduits par rapport aux prétentions initiales de la victime, et représentent une indemnisation se situant dans une fourchette très basse de sa jurisprudence, conduisant à une juste et très raisonnable réparation du préjudice subi par Mme [I].

Il s'y rajoute les frais divers correspondant aux honoraires des experts et médecins justifiés par la production des factures de chacun d'eux.

Par ailleurs sur la base des éléments médicaux précités, le Fonds de Garantie a rejeté les demandes d'indemnisation de la victime au titre des pertes de gains actuelles alors même que Mme [C] [I] se prévalait de la perte du bénéfice des nombreuses heures supplémentaires qu'elle réalisait, qui n'ont pas été incluses dans l'indemnisation de la période au cours de laquelle elle a été arrêtée.

En outre, du courrier de la ville de [Localité 6] du 1er avril 2014, il ressort que le taux d'IPP évalué sur la base du barème de la compagnie d'assurance de la ville ne lui permettait pas de prétendre à une allocation temporaire d'invalidité et donc qu'aucun montant n'était à déduire de celui accordé par le Fonds.

Ainsi M. [V] [O] est malvenu à soutenir que le Fonds n'a pas suffisamment vérifié l'absence d'indemnisation de la victime policière municipale, fonctionnaire territoriale blessée dans l'exercice de ses fonctions, et notamment auprès de la commission de réforme qui a nécessairement statué sur la prise en charge de cet accident de service et sur l'amplitude de l'indisponibilité de l'agent territorial.

En conséquence, le Fonds de Garantie qui a accordé à Mme [C] [I] en réparation de son préjudice, un montant de 32.544,45 euros, composé comme suit :

. Frais divers : 1.259 €,

. Incidence professionnelle : 5.000 €,

. Aide humaine (157 heures) : 1.884 €,

. DFT 50% (31 jours) : 356,50 €,

. DFT 25% (295 jours) : 1.696,25 €,

. DFT 10% (396 jours) : 848,70 €,

. Souffrances endurées (3,5/7) : 6.000 €,

. DFP(10%) : 13.500 €,

. Préjudice d'agrément : 2.000 €,

est fondé dans son recours subrogatoire dirigé contre M. [V] [O] pour l'intégralité de ce montant.

Le jugement du tribunal, qui a réduit le montant du préjudice de la victime et retenu une faute de celle-ci réduisant son droit, est dès lors infirmé et M. [V] [O] condamné à payer au Fonds de Garantie la somme de 32.544,45 euros.

PAR CES MOTIFS :

La cour statuant publiquement et contradictoirement :

Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Charleville-Mézières en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et ajoutant,

Condamne M. [V] [O] à payer au Fonds de garantie la somme de 32.544,45 euros avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 16 juillet 2020,

Condamne M. [V] [O] à payer au Fonds de garantie la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et le déboute de ses prétentions à ce titre,

Condamne M. [V] [O] aux dépens.

Le greffier, La présidente de chambre,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Reims
Formation : 1ere chambre sect.civile
Numéro d'arrêt : 22/01698
Date de la décision : 16/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 22/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-16;22.01698 ?
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