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03/04/2024 | FRANCE | N°23/00232

France | France, Cour d'appel de Reims, Chambre sociale, 03 avril 2024, 23/00232


Arrêt n°

du 3/04/2024





N° RG 23/00232





MLS/FJ









Formule exécutoire le :







à :



COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE SOCIALE

Arrêt du 3 avril 2024





APPELANT :

d'un jugement de départage rendu le 30 décembre 2022 par le Conseil de Prud'hommes de CHARLEVILLE-MEZIERES, section Industrie (n° F 19/00410)



Monsieur [T] [E] [H] [C]

[Adresse 2]

[Adresse 2]



Représenté par la SCP LEDOUX

FERRI RIOU-JACQUES TOUCHON MAYOLET, avocats au barreau des ARDENNES





INTIMÉES :



1) SAS ELECTROLUX FRANCE

venant aux droits de la SAS ELECTROLUX HOME PRODUCTS FRANCE (EHP)

[Adresse 3]

[Localité 6]



2) SAS SOCIÉTÉ ARDENNAISE IN...

Arrêt n°

du 3/04/2024

N° RG 23/00232

MLS/FJ

Formule exécutoire le :

à :

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE SOCIALE

Arrêt du 3 avril 2024

APPELANT :

d'un jugement de départage rendu le 30 décembre 2022 par le Conseil de Prud'hommes de CHARLEVILLE-MEZIERES, section Industrie (n° F 19/00410)

Monsieur [T] [E] [H] [C]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par la SCP LEDOUX FERRI RIOU-JACQUES TOUCHON MAYOLET, avocats au barreau des ARDENNES

INTIMÉES :

1) SAS ELECTROLUX FRANCE

venant aux droits de la SAS ELECTROLUX HOME PRODUCTS FRANCE (EHP)

[Adresse 3]

[Localité 6]

2) SAS SOCIÉTÉ ARDENNAISE INDUSTRIELLE

[Adresse 5]

[Localité 6]

Représentées par la SELARL CAPSTAN LMS, avocats au barreau de PARIS

1) SCP ANGEL-[L]-DUVAL

prise en la personne de Maître [U] [L]

mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la SAS SAI

[Adresse 4]

[Adresse 4]

2) SELARL V & V ASSOCIES

prise en la personne de Maître [Z] [R]

administrateur judiciaire de la SAS SAI

[Adresse 7]

[Adresse 7]

Représentées par la SELARL AHMED HARIR, avocats au barreau des ARDENNES

AGS CGEA D'[Localité 8]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par la SCP X.COLOMES S.COLOMES MATHIEU ZANCHI THIBAULT, avocats au barreau de l'AUBE

DÉBATS :

En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 février 2024, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller, chargé du rapport, qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 3 avril 2024.

COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :

Monsieur François MÉLIN, président

Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller

Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller

GREFFIER lors des débats :

Monsieur Francis JOLLY, greffier

ARRÊT :

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur François MÉLIN, président, et Monsieur Francis JOLLY, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

Exposé du litige :

La société Electrolux home products France (EHPF) est une des cinq sociétés du groupe Electrolux France qui développait notamment une activité de fabrication de machines à laver à chargement par le haut, exercé sur un site industriel situé sur la commune de [Localité 9].

Au mois d'octobre 2012, la société a annoncé son intention de transférer l'activité en Pologne, de cesser la production de machines à laver à chargement par le haut sur le site de [Localité 9] et de mettre un terme à son activité sur le site.

Le 2 septembre 2013, elle a signé une lettre d'intention avec le groupe Selni prévoyant la création de deux nouvelles lignes de fabrication sur le site concerné, l'une pour des moteurs universels, l'autre pour des petits moteurs, ainsi que le maintien temporaire de l'activité de production de machines à laver.

En vue de mettre en 'uvre ce projet, la société EHPF a créé le 27 novembre 2013 la société ardennaise industrielle (SAI) dont elle détenait l'intégralité du capital, puis, le 19 juin 2014, a procédé à un apport partiel d'actifs de la société EHPF par l'apport du site de [Localité 9], puis a cédé les actions de cette société à la société Selni moyennant le prix de un euro.

Dans le même temps, un projet de licenciement collectif pour motif économique et un plan de sauvegarde de l'emploi ont été élaboré par la société SAI. L'accord majoritaire a été validé par la DIRECCTE le 29 octobre 2014.

Par jugement du 3 janvier 2018, le tribunal de commerce de Compiègne a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SAI et nommé la Selarl V&V, représentée par Maître [Z] [R], en qualité d'administrateur judiciaire et la SCP Angel-[L] représentée par Maître [U] [L], en qualité de mandataire judiciaire.

Par jugement du 23 février 2018, la procédure de redressement judiciaire a été étendue à la SAS EHPF en raison de la fictivité de la SAI, par le tribunal de commerce de Compiègne. Par un arrêt du 17 juillet 2018, la cour d'appel d'Amiens a annulé le jugement d'extension du tribunal de commerce de Compiègne du 23 février 2018. Toutefois, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, la cour d'appel, évoquant l'affaire, a étendu la procédure de redressement judiciaire de la SAI à la SAS EHPF et dit que les opérations se poursuivraient sous patrimoine commun. Cependant, par arrêt en date du 11 mars 2020, la cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens, mais seulement en ce qu'il a étendu à la société EHPF la procédure de redressement judiciaire ouverte à l'encontre de la SAI. Or, par jugement du 7 septembre 2018 un plan de redressement sous patrimoine commun de la SAI et de la SAS EHPF avait été arrêté par le tribunal de commerce de Compiègne, la SCP Angel-[L] représentée par Me [U] [L] avait été nommée commissaire à l'exécution du plan de ces deux sociétés et il avait été mis fin à la mission de Me [Z] [R], en qualité d'administrateur judiciaire. Ce jugement a finalement été infirmé par arrêt du 10 mars 2022 de la cour d'appel de Compiègne, qui a prononcé l'arrêt du plan de redressement commun par voie de continuation.

En tout état de cause, par jugement du 16 mai 2018, le tribunal de commerce de Compiègne a ordonné la cession partielle de la société SAI au profit de la société Delta Dore, décidé que le plan de cession incluait la poursuite de 24 contrats de travail dont il a autorisé le transfert, et autorisé la suppression des 157 postes non repris et le licenciement des salariés correspondants.

M. [T] [C] a fait partie des vingt-quatre salariés de la SAI dont le contrat de travail a été transféré à la société Delta Dore dans le cadre de ce plan de cession.

Le 31 décembre 2020, la société EHPF a fait l'objet d'une fusion-absorption par la société Electrolux France.

Le 5 avril 2023, le tribunal de commerce de Compiègne a arrêté un plan de redressement de la société SAI prévoyant notamment une garantie de la société Electrolux des condamnations prud'homales définitives à intervenir. Maître [L] a été désigné en qualité de commissaire à l'exécution du plan et il a été mis fin à la mission de la SELARL V&V représentée par Maître [Z] [R], en qualité d'administrateur judiciaire.

C'est dans ce contexte que le 24 décembre 2019, le salarié avait saisi le conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières de demandes dirigées à l'encontre de la SAI, de la SAS EHPF, de la SCP Angel-[L] représentée par Me [U] [L], en qualité de commissaire à l'exécution du plan de ces deux sociétés, de la SELARL V&V en qualité d'administrateur des deux sociétés, en présence de l'association Unédic délégation AGS CGEA d'[Localité 8]. Il a sollicité le paiement, sous exécution provisoire, d'un rappel de prime de préjudice, d'un rappel de participation, de dommages-intérêts, et d'une indemnité de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement de départage du 30 décembre 2022, rendu au contradictoire de la SAI, de la SAS Electrolux France venant aux droits de la société EHPF, de la SCP Angel-[L] en qualité de commissaire à l'exécution du plan des deux sociétés, de la SELARL V&V en qualité d'administrateur des deux sociétés et du CGEA-AGS d'[Localité 8], le conseil de prud'hommes :

- a débouté le salarié de l'ensemble de ses demandes,

- a reçu le garant des salaires en son intervention, en lui donnant acte en sa qualité de représentant de l'AGS dans l'instance (sic)

- a dit que les créances ne revêtaient pas la qualité de créances salariales,

- a exclu la garantie des salaires,

- a prononcé la mise hors de cause de la SCP Angel-[L] et de la SELARL V&V en qualité de commissaires à l'exécution du plan des deux sociétés,

- a rejeté la demande d'indemnité de l'article 700 du code de procédure civile du salarié,

- a condamné le salarié aux dépens,

- a condamné le salarié à payer aux société SAI et Electrolux France venant aux droits de EHPF la somme de 100 euros chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Le 30 janvier 2023, le salarié a interjeté appel de ce jugement sauf en ce qu'il a reçu l'intervention du garant des salaires, en intimant l'ensemble des parties au jugement, sauf la SCP Angel-[L]-Duval en qualité de commissaire à l'exécution du plan de redressement judiciaire de la société EHPF et la SELARL V&V Associés en qualité d'administrateur judiciaire de la société EHPF.

Par ordonnance du 6 septembre 2023 confirmée par arrêt du 20 décembre 2023, les conclusions déposées le 21 juillet 2023 par l'association Unédic délégation AGS CGEA ont été déclarées irrecevables.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 29 janvier 2024.

Dans leurs dernières conclusions du 22 janvier 2024, les sociétés SAI et Electrolux demandent à la cour d'écarter des débats les conclusions et pièces transmises le 12 janvier 2024 par l'appelant, au motif que cette transmission tardive après des années de procédure l'empêchait de répliquer utilement.

Or, la clôture a été reportée à la demande des intimées pour permettre une réplique, ce qu'elles ont fait le 22 janvier 2024, soit une semaine avant la clôture. Par ailleurs, les écritures prétendument tardives n'ajoutent aucune prétention ni aucun moyen mais étayent une argumentation sur laquelle la partie adverse a pu s'expliquer dans ses écritures. Au surplus, les pièces nouvelles sont les éléments comptables que les sociétés intimées connaissaient nécessairement. La demande sera donc rejetée.

Exposé des prétentions et moyens des parties :

Par conclusions notifiées par voie électronique le 12 janvier 2024, auxquelles il sera expressément renvoyé pour plus ample exposé du litige, l'appelant demande à la cour de faire droit à ses demandes initiales, soit en condamnant la société SAI soit en fixant ses créances au passif de la société débitrice, selon qu'elle soit ou non in bonis, de condamner solidairement ou in solidum la société Electrolux France venant aux droits de la société EHPF, de dire que l'arrêt emportera restitution avec intérêts des sommes qu'il aurait pu être amené à verser aux intimées, de fixer sa créance et/ou condamner les sociétés SAI et Electrolux au paiement d'une somme de 3 000,00 euros en remboursement de ses frais irrépétibles d'appel, de condamner les intimés sauf le garant des salaires aux dépens de première instance et d'appel et de dire que l'arrêt sera commun et opposable au garant des salaires et aux mandataires judiciaires.

Au soutien de ses prétentions il fait valoir :

- concernant la prime de préjudice, que la société EHPF s'était engagée unilatéralement en mars 2018 à payer aux salariés dont le contrat de travail avait été transféré à la société cessionnaire Delta Doré, l'indemnité supra légale qu'ils auraient perçue s'ils avaient été licenciés ; qu'il s'agit d'un accord unilatéral qui oblige celui qui s'engage, en application des dispositions des articles 1103 et 1100-1 du code civil ; qu'il s'agit d'un accord transactionnel au sens de l'article 2044 du code civil, que le juge départiteur a dénaturé en lui déniant sa vraie nature, se fondant sur une absence d'écrit que seul le salarié peut exciper. Il ajoute que le juge départiteur en refusant de reconnaître au salarié un droit direct à l'encontre de la société EHPF a dénaturé l'accord. Il affirme que la nature transactionnelle de cette indemnité commande son régime social et fiscal ; que s'agissant d'un accord transactionnel compensant un préjudice, l'indemnité n'est pas soumise à cotisations sociales ; que les salariés licenciés ont perçu une indemnité nette et qu'il a perçu une indemnité auquel l'employeur a soustrait des cotisations de sorte qu'il n'a pas été rempli de ses droits ; que de plus, au moment du versement de l'indemnité, il était salarié de la société Delta Doré de sorte que la somme versée par la société SAI, qui était pour lui un tiers, est soumise au régime de cotisations de l'article 242-1-4 du code de la sécurité sociale. Il prétend que le paiement de l'indemnité par la société SAI ne dégage pas la société EHPF de son obligation à paiement ;

- concernant la créance de participation, il prétend que la participation de 2016 a été versée partiellement et qu'il n'a pas été totalement rempli de ses droits de sorte qu'il en réclame le solde ;

- concernant les dommages et intérêts il soutient que les sociétés intimées ont commis des fautes en mettant en place un montage au travers d'une société fictive pour se défaire d'un pan de son activité au détriment des salariés, le tout en négligeant son obligation de sécurité puisqu'elle n'a pas pris les mesures pour limiter les risques liés à la situation anxiogène qu'elles avaient crée ; que le préjudice qui en découle est caractérisé par la perte d'avantages nombreux, par les retards de versement de la réserve de participation, par l'incertitude de l'avenir en rappelant que le préjudice né de la violation de l'obligation de sécurité est un préjudice nécessaire.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 22 janvier 2024, auxquelles il sera expressément renvoyé pour plus ample exposé du litige, la société SAI et la société Electrolux France venant aux droits de la société EHPF, demandent à la cour de confirmer le jugement sauf sur le quantum des frais irrépétibles qui leur a été alloué, de débouter le salarié, et de le condamner à leur verser chacune la somme de 2 000 euros en remboursement de leurs frais irrépétibles. A titre subsidiaire en cas de condamnation, elles demandent à la cour de limiter la condamnation à une somme qu'elle a déterminée et de rejeter la demande d'indemnité de l'article 700 du code de procédure civile.

Les intimées font valoir :

- concernant l'indemnité de préjudice, que la demande n'est pas fondée aux motifs que certes, la SAS EHPF s'était engagée à payer une indemnité de préjudice, mais sans qu'aucune exonération totale de charges sociales n'ait été décidée ; que cette indemnité nette ne saurait être supérieure à celle qu'aurait perçue un salarié licencié. Elles affirment que l'indemnité reste assujettie aux dispositions des articles L 136-1 et L 242-1 du code de la sécurité sociale et que la précision d'une prime nette dans l'accord s'explique par le fait que le salarié n'était pas licencié et que les cotisations propres aux indemnités de rupture ne pouvaient s'appliquer. Elles contestent la nature transactionnelle de l'indemnité tout en faisant valoir qu'en tout état de cause l'éventuelle nature transactionnelle n'entraîne pas de facto l'exonération des charges. Elles affirment que le versement doit être considéré comme ayant été fait par l'employeur même si au moment du versement, le transfert du contrat de travail avait opéré. Elles en déduisent que l'indemnité doit suivre le régime social des indemnités de rupture. Elles rappellent d'ailleurs que dans un arrêt précédent la cour a jugé que l'indemnité était bien soumise aux charges sociales. Elles soutiennent en outre que la salarié doit justifier son calcul qu'elles estiment erroné. A titre subsidiaire, elles soutiennent que le salarié pourrait prétendre à un solde d'indemnité pour atteindre l'indemnité qui lui aurait été versée s'il avait été licencié.

- s'agissant du rappel de participation, les appelantes soutiennent que le salarié a été rempli de ses droits et qu'il effectue une lecture inexacte des comptes en expliquant que par une erreur comptable, la réserve de participation n'a pas figuré dans les comptes de 2015 et qu'elle a été totalisée avec celle de 2016 dans les comptes de cette année, avant d'être payée aux salariés avec les intérêts, par le groupe Electrolux suite à la reprise de SAI ;

- concernant la demande de dommages-intérêts, elles prétendent que le salarié ne démontre aucune faute de leur part, et qu'il n'apporte pas la preuve de ses préjudices en faisant observer que celui-ci a conservé son emploi tout en percevant une somme équivalente à l'indemnité de rupture et que contrairement à ce qu'il soutient en se fondant sur une jurisprudence inopérante au cas d'espèce, le préjudice doit être prouvé. Elles notent que la cour a déjà rejeté ces demandes présentées par d'autres salariés dans un arrêt précédent selon une motivation à adopter.

Par conclusions du 20 juillet 2023, la SCP Angel-[L]-Duval en qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la SAI et la SELARL V&V Associés en qualité d'administrateur judiciaire de la SAI demandent à la cour de les mettre hors de cause en qualité de commissaires à l'exécution du plan des sociétés SAI et EPHF, de rejeter les demandes formulées à leur encontre et de condamner les appelants aux dépens.

Au soutien de leurs prétentions, elles prétendent que le salarié a perçu la prime de participation pour les années 2015 et 2016 avec intérêts comme cela ressort des documents comptables et qu'il ressort de ces mêmes documents que les résultats de 2017 et 2018 n'ont pas permis de dégager une créance de participation.

Les conclusions du garant des salaires ont été déclarées irrecevables.

Motifs de la décision :

1 - l'indemnité dite 'de préjudice'

Il ressort des conclusions et des pièces du dossier du salarié et de l'employeur que le plan social de la société SAI a été garanti par le groupe ELECTROLUX, lequel s'est engagé dans l'accord collectif du 27 octobre 2014, à verser aux salariés dont le contrat de travail était rompu, une «indemnité complémentaire de préjudices».

Ainsi, la société EHPF s'est engagée à verser aux salariés licenciés pour motif économique ou quittant la société dans le cadre d'un départ volontaire pour une solution professionnelle (hors départ volontaire en préretraite), en complément de l'indemnité conventionnelle de licenciement, une indemnité complémentaire destinée à compenser le préjudice de toute nature subi par les salariés.

Cette indemnité complémentaire se décomposait d'une somme correspondant à 12 mois de salaire brut, d'une somme correspondant à 2 300 euros par année d'ancienneté, le tout plafonné à 92'000 euros bruts, étant expressément prévu que l'indemnité de préjudice s'entendait brute et soumise à charges sociales dans les conditions légales.

Concernant les 24 salariés repris par la société DELTA DORE, dont fait partie l'appelant, la société EHPF s'est engagée à payer, le jour de la signature des actes de cession, « une somme équivalente en euros nets de charges sociales à celle prévue dans ladite convention en cas de licenciement d'un salarié de SAI en procédure collective et aux mêmes conditions que celles prévues dans cette convention de garantie et reprise dans l'accord collectif du 27 octobre 2014 ».

En l'espèce, cet engagement n'est pas discuté en son principe et c'est son exécution qui a généré le présent contentieux, qui porte sur le montant final devant revenir aux salariés compte tenu des charges applicables.

Au demeurant, le présent litige n'est pas un contentieux de la sécurité sociale et les cotisations applicables devront en tout état de cause être payées. Le contentieux est un contentieux prud'homal limité aux rapports entre les salariés, la SAI et la société EPHF devenue Electrolux France, et circonscrit au montant net finalement dû aux salariés.

D'ailleurs, le salarié réclame le complément d'indemnité qui correspond au prélèvement effectué par la SAI qui en a assuré le paiement, au titre des charges sociales.

Le litige porte finalement sur l'interprétation de la clause accordant aux salariés transférés le bénéfice de l'indemnité de préjudice accordé aux salariés licenciés, concernant la déduction des charges sociales.

En application des clauses précitées, la société EHPF s'est engagée à verser aux salariés transférés la même somme nette que celle qu'elle aurait accordée aux salariés licenciés. Autrement dit, quelles que soient les charges sociales applicables à l'indemnité versée, et dont il appartient au débiteur d'en faire son affaire, le salarié doit percevoir la même somme nette que celle qu'aurait perçue un salarié licencié. C'est pourquoi, le débat sur la nature de la créance et le régime des cotisations est inopérant, car impropre à régler le litige.

Dans ces conditions, le salarié ne peut prétendre à obtenir la somme qu'il réclame après s'être exonéré de toutes charges sociales.

Pour autant, il est avéré qu'il n'a pas été rempli de ses droits puisque l'employeur prétend que l'application des charges sociales à hauteur de celles qui seraient applicables aux salariés licenciés ouvrirait droit à un complément d'indemnité de 5719,01 euros dont le mode de calcul n'est pas discuté.

Par conséquent, il sera fait droit au subsidiaire de la société EHPF devenue Electrolux France, qui, se trouvant en l'état in bonis, sera condamnée à verser au salarié la somme nette correspondante.

À cet égard, la question de l'extension de la procédure collective de la société SAI à la société EHPF, aujourd'hui mise à néant par l'arrêt de cassation ci-dessus cité, est indifférente, dès lors qu'il s'agit d'exécuter un engagement que la société EPHF a pris indépendamment de la situation de la société qu'elle a garantie.

Dans la mesure où l'indemnité incomplète a été versée par la société SAI, celle-ci doit être tenue in solidum, au paiement de la somme due. Dans la mesure où l'extrait du registre du commerce ainsi que le dernier arrêt du 10 mars 2022 de la cour d'appel d'Amiens, et le jugement du 5 avril 2023 du tribunal de commerce de Compiègne font état d'une société bénéficiant d'un plan de redressement par voie de continuation, il y a donc lieu de la condamner in solidum au paiement.

2 - la participation

C'est à raison que le conseil de prud'hommes a rejeté à la demande à partir du moment ou la société SAI justifie avoir rempli le salarié de ses droits en démontrant que le total des primes de participation distribuées en 2016 correspondait au cumul des primes de participation 2015 et 2016 suite à une erreur comptable sur l'exercice 2015.

Par confirmation du jugement le salarié doit être débouté de sa demande à ce titre.

3 - les dommages et intérêts

C'est à raison que le conseil de prud'hommes a rejeté la demande en l'absence de démonstration d'un préjudice après avoir constaté que le salarié avait conservé son emploi. Il faut ajouter que le salarié a de plus perçu l'indemnité complémentaire objet du présent litige, sensé réparer tous les préjudices subis.

Toutefois, y ajoutant, il n'est pas inutile de rappeler que l'allocation de dommages et intérêts en réparation d'un préjudice, suppose l'existence d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre ces deux éléments.

Or, la faute que le salarié impute aux sociétés SAI et EHPF n'est pas démontrée. Celui-ci soutient que ces sociétés ont agi en fraude des droits des salariés en constituant une société fictive qui serait reconnue par l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens du 17 juillet 2018. Or cet arrêt a été cassé par la Cour de cassation, alors qu'aucune autre pièce du dossier du salarié ne vient établir que les vicissitudes procédurales reprises en exorde, seraient caractéristiques d'une fraude.

En outre, le salarié qui prétend avoir perdu de nombreux avantages caractérisant un préjudice supplémentaire, n'en justifie pas, étant de plus rappelé que l'indemnité complémentaire qui lui a été versée avait vocation à réparer les préjudices subis.

Par ailleurs, le retard de versement de l'indemnité de préjudice est imputable à l'extension de la procédure collective à la société EHPF. Enfin, le paiement tardif de la participation ne peut constituer un préjudice dès lors que la cour a considéré que les sommes réclamées n'étaient pas dues.

Enfin l'obligation de sécurité ne saurait empêcher l'employeur de mettre en oeuvre ses choix de développement fussent-ils générateurs d'inquiétude, ce qui n'est pas démontré en l'occurrence.

Par conséquent, et par motifs complétés, il faut débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts.

4 - les autres demandes

* la garantie des salaires

Les sociétés débitrices étant in bonis, et pour l'une n'ayant jamais été en redressement judiciaire, la créance ne saurait être garantie. D'ailleurs, le salarié ne réclame pas la garantie de l'AGS dans ce cas.

* la déclaration d'arrêt commun au garant des salaires et aux mandataires judiciaires

Le garant des salaires et les mandataires judiciaires étant dans la cause, il n'est pas nécessaire de leur déclarer expressément l'arrêt commun et opposable.

* la mise hors de cause des mandataires judiciaires

La SCP ANGEL-[L]-DUVAL prise en la personne de Maître [U] [L], en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société EHPF n'est pas intimée ni appelante et elle n'a pas conclu es qualités. D'ailleurs, la procédure collective la concernant a été contestée avec succès. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il l'a mise hors de cause sachant que le salarié qui a interjeté appel sur ce point, ne formule pas de demandes à l'encontre du mandataire en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société EHPF

La SCP ANGEL-[L]-DUVAL prise en la personne de Maître [U] [L], en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société SAI, ne peut être mise hors de cause en l'état du redressement courant, de sorte que sa demande sera rejetée par infirmation du jugement sur ce point.

La SELARL V&V Associés ne saurait être mise hors de cause en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société SAI ou EHPF, dès lors qu'il ne ressort pas des pièces des dossiers qu'elle ait été désignée en cette qualité.

* la restitution de sommes au salarié

L'arrêt constitue le cas échéant un titre de restitution sans qu'il n'y ait lieu de le mentionner expressément dans le dispositif.

* les frais irrépétibles et les dépens

Aucune des deux parties ne succombe ni ne triomphe totalement de sorte qu'il convient de partager les dépens comme il sera dit au dispositif et de rejeter les demandes d'indemnité de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ces motifs :

La cour statuant publiquement, contradictoirement, et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Déboute les sociétés SAI et Electrolux France de leur demande tendant à faire écarter des débats les conclusions déposées le 12 janvier 2024 par le salarié ainsi que les pièces n° 21, 22, 23 et 24 ;

Confirme le jugement rendu le 30 décembre 2022 par le conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de dommages et intérêts, de sa demande de rappel de participation, et en ce qu'il a mis hors de cause la SCP ANGEL-[L]-DUVAL prise en la personne de Maître [U] [L], en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société EHPF ;

Infirme le surplus en ses dispositions dévolues à la cour ;

statuant à nouveau, dans la limite des chefs d'infirmation,

Condamne in solidum la société SAI et la société ELECTROLUX FRANCE venant aux droits de la société ELECTROLUX HOME PRODUCT FRANCE, à payer à M. [T] [C] la somme de 5719,01 euros nette de toutes charges y compris de CSG et de CRDS, au titre du solde de l'indemnité de préjudice ;

Dit n'y avoir lieu à garantie par l'ASSOCIATION UNEDIC DELEGATION AGS CGEA ([Localité 8]) ;

Déboute la SCP ANGEL-[L]-DUVAL prise en la personne de Maître [U] [L], en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société SAI, de sa demande tendant à être mise hors de cause ;

Déboute la SELARL V&V Associés en qualité d'administrateur de la société SAI de sa demande tendant à être mise hors de cause en qualité de commissaire à l'exécution du plan des société SAI et EHPF ;

Rejette les demandes de remboursement des frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

Fait masse des dépens de première instance et d'appel qui seront partagés par moitié entre la SAI et la société ELECTROLUX FRANCE d'une part et le salarié d'autre part.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Reims
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 23/00232
Date de la décision : 03/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 09/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-03;23.00232 ?
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