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14/03/2024 | FRANCE | N°23/00105

France | France, Cour d'appel de Reims, Chambre premier président, 14 mars 2024, 23/00105


DECISION N°



DOSSIER N° : N° RG 23/00105 - N° Portalis DBVQ-V-B7H-FMUV-16







[R] [L]





c/



MINISTERE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES ( AJE )

MADAME LA PROCUREURE GENERALE





















Expédition certifiée conforme revêtue de la formule exécutoire

délivrée le

à

Me BOISSY

Me Ludivine BRACONNIER

























DECISION

PREVUE PAR L'ARTICLE 149-1

DU CODE DE PROCEDURE PENALE



L'AN DEUX MIL VINGT QUATRE,



Et le 14 mars 2024 ,



Nous, Christophe REGNARD, premier président de la cour d'appel de REIMS, en présence de Madame Dominique LAURENS, procureure générale près la cour d'appel de REIMS, assisté de Monsie...

DECISION N°

DOSSIER N° : N° RG 23/00105 - N° Portalis DBVQ-V-B7H-FMUV-16

[R] [L]

c/

MINISTERE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES ( AJE )

MADAME LA PROCUREURE GENERALE

Expédition certifiée conforme revêtue de la formule exécutoire

délivrée le

à

Me BOISSY

Me Ludivine BRACONNIER

DECISION PREVUE PAR L'ARTICLE 149-1

DU CODE DE PROCEDURE PENALE

L'AN DEUX MIL VINGT QUATRE,

Et le 14 mars 2024 ,

Nous, Christophe REGNARD, premier président de la cour d'appel de REIMS, en présence de Madame Dominique LAURENS, procureure générale près la cour d'appel de REIMS, assisté de Monsieur Nicolas MUFFAT-GENDET, greffier, qui a signé la minute avec le premier président

A la requête de :

Monsieur [R] [L]

né le [Date naissance 3] 1988 à [Localité 7]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 4]

représenté par Me BOISSY, avocat au barreau de REIMS

DEMANDEUR

et

MINISTERE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES ( AJE )

Direction des Affaires Juridiques

Sous-direction du Dt privé [Adresse 6]

[Localité 5]

représenté par Me Ludivine BRACONNIER, avocat au barreau de REIMS

MADAME LA PROCUREURE GENERALE

[Adresse 1]

[Localité 4]

DÉFENDEURS

A l'audience publique du 11 janvier 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 14 mars 2024, statuant sur requête de [R] [L],né le [Date naissance 3] 1988 à [Localité 7], représenté par Me [Z] a été entendue en ses demandes,

Me Ludivine BRACONNIER avocat de l'Agent judiciaire de l'état a été entendue en sa plaidoirie,

Madame la procureure générale a été entendue en ses observations ;

Me [Z] a eu la parole en dernier

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Par requête déposée le 10 janvier 2023, M. [R] [L] a sollicité l'indemnisation de préjudices résultant d'une détention provisoire.

Il expose qu'il a été mis en examen pour violences habituelles sur mineur de 15 ans suivies d'une ITT supérieure à 8 jours et placé en détention provisoire le 1er novembre 2019, avant d'être remis en liberté sous contrôle judiciaire le 1er avril 2020.

Il ajoute que le dossier a été renvoyé devant le tribunal correctionnel le 8 octobre 2021, mais qu'il a bénéficié d'une relaxe totale par jugement du 20 septembre 2022, décision aujourd'hui définitive, aucun appel n'ayant été interjeté.

Il estime que la durée de la détention provisoire indemnisable est de 151 jours.

Il indique avoir subi un préjudice moral, estimé à 45 300 euros, résultant,

- Du choc carcéral lié à une première incarcération ;

- De sa situation familiale, notamment du fait d'avoir été privé de sa femme et de sa fille en bas-âge

- De son isolement, en lien avec le fait qu'il n'a pu recevoir aucune visite de membres de sa famille ceux-ci résidant à l'étranger

- Des conditions dégradées de détention à la maison d'arrêt de [Localité 8], de la détention pendant la période de COVID 19 et du taux de surpopulation carcérale ;

Il ajoute qu'il a également subi un préjudice matériel, qu'il estime à 7 392 euros, résultant de la perte de gains professionnels. Il expose qu'il était employé avant son incarcération, a repris la même activité à sa sortie de détention, même s'il a dû ensuite, son entreprise ayant cessé son activité pour cause de COVID 19, retrouver un autre emploi.

Il demande en outre le remboursement de ses frais d'avocat, en lien avec la détention provisoire, pour la somme de 3 600 euros et produit deux factures. Il sollicite enfin une somme de 2 400 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'agent judiciaire de l'Etat, après avoir souligné la recevabilité en la forme et au fond, demande de réduire la somme due au titre du préjudice moral à la somme de 13 000 euros, pour une détention de 151 jours, et de réduire à 5 932,90 euros la somme au titre de la réparation du préjudice matériel lié à la perte de salaires, de débouter M. [L] de sa demande de remboursement des frais d'avocats et de réduire à de plus justes proportions la somme demandée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Concernant le préjudice moral,

Il estime que la demande est excessive au regard de des préjudices invoqués et de la jurisprudence habituelle en la matière. Il relève notamment que l'atteinte à la réputation ne peut être indemnisée, que les éléments relatifs aux conditions de détention dégradées ne sont pas concomitants à l'incarcération et qu'il ressort des éléments de dossier que le quotidien en détention se passait aussi bien que possible. Il relève que l'expert psychiatre note l'absence de symptôme de dépression réactionnelle à l'incarcération.

Sur la rupture des liens avec la famille, il signale que M. [L] avait accès à un téléphone, qu'il était déjà avant son incarcération dans l'impossibilité de rencontrer les membres de sa faille, ceux-ci étant à l'étranger. Il ajoute que c'est la procédure pénale conduite, et non la seule détention, qui a provoqué la rupture des liens avec sa fille et sa femme, au vu de la nature des faits reprochés et note que cette situation s'est poursuivie pendant le contrôle judiciaire.

Sur la situation née du COVID19, il précise que c'était une situation mondiale qui pouvait s'analyser en un cas de force majeure.

Au vu de ces éléments l'agent judiciaire de l'Etat propose une indemnisation à hauteur de 13 000 euros.

- Concernant le préjudice matériel,

Il relève que pour obtenir une indemnisation, la jurisprudence pose le principe d'une réparation au titre de la perte de salaires nets et que le salaire net de M. [L] avant son incarcération était de 1186,58 euros par mois, soit pour 5 mois une somme de 5932,90 euros.

- En ce qui concerne les frais d'avocats, il rappelle que seuls sont indemnisables les honoraires correspondants aux prestations directement liées à la privation de liberté et que la facture produite ne permet pas de déterminer la part des honoraires versée au titre du contentieux de la liberté. Il ajoute que de jurisprudence constante, il n'appartient pas au juge saisi d'évaluer le coût que représente le contentieux de la détention.

Il demande enfin de réduire la demande faite au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La Procureure générale conclut dans le même sens que l'agent judiciaire de l'Etat, relevant que la demande est recevable en la forme et au fond.

Elle demande, pour une détention injustifiée de 151 jours, l'allocation de la somme de 13 000 euros au titre de la réparation du préjudice moral, d'une somme de 5 932,90 euros au titre de la réparation du préjudice matériel, le débouté relativement à l'indemnisation des frais d'avocats et la réduction de la somme sollicitée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'affaire a été mis en délibéré au 14 mars 2023.

MOTIFS

Présentée dans les formes et délais requis et accompagnée des pièces nécessaires, la requête est recevable en la forme et au fond.

Sur l'indemnisation

En ce qui concerne le préjudice moral,

De jurisprudence constante, seul le préjudice subi par le demandeur, en lien direct et exclusif avec la détention, doit être réparé.

En l'espèce, sont invoqués :

- le choc carcéral lié à une première incarcération ;

- la situation familiale, notamment le fait d'avoir été privé de sa femme et de sa fille en bas-âge ;

- l'isolement, en lien avec le fait qu'il n'a pu recevoir aucune visite de membres de sa famille ceux-ci résidant à l'étranger ;

- les conditions dégradées de détention à la maison d'arrêt de [Localité 8], la détention pendant la période de COVID 19 et le taux de surpopulation carcérale ;

Il n'est pas contestable que M. [L] n'avait jamais été incarcéré, comme en atteste la fiche pénale produite aux débats.

En ce qui concerne la séparation avec sa femme et sa fille, il convient de relever que celle-ci est liée à la nature des faits reprochés et non à la seule détention provisoire, comme en atteste le fait que les liens n'ont pu être repris dès la libération au vu du contrôle judiciaire prononcé.

En ce qui concerne les membres de la famille, il apparait que des liens téléphoniques ont pu être maintenus et il n'est pas rapporté que M. [L] entretenait avec tous des liens de grande proximité, alors même que nombre d'entre eux résidaient à l'étranger.

Enfin, en ce qui concerne les conditions de détention, il ne peut pas être contesté que la maison d'arrêt de [Localité 8] est une des plus anciennes de [Localité 8] et que même si les éléments produits sont anciens, les conditions de détention n'y sont pas optimales. Par ailleurs, la situation très particulière, née de la crise du COVID 19, est à prendre en considération.

Néanmoins, l'indemnisation sollicitée au titre du préjudice moral excède largement la jurisprudence en la matière.

Au vu de ces éléments, l'indemnisation du préjudice moral, pour 151 jours de détention, s'évalue à la somme 15 000 euros.

En ce qui concerne le préjudice matériel,

Sur la perte de revenus,

De jurisprudence constante, la perte de chance de percevoir des revenus ne peut être indemnisée que si elle présente un caractère sérieux qui s'apprécie en tenant compte d'un faisceau d'indices, notamment la qualification, le passé professionnel de l'intéressé et sa capacité à retrouver un emploi après la détention. Lorsque la perte est hypothétique, elle ne peut donner lieu à indemnisation.

En l'espèce, il est rapporté que M. [L] travaillait avant son incarcération et a repris son activité dès sa libération.

L'indemnisation de la perte de revenus n'est dès lors pas contestable. En revanche de jurisprudence constante, l'indemnisation se fonde sur le salaire net qui aurait dû être perçu, soit en l'occurrence, selon les propres calculs de l'intéressé la somme de 1 186,58 euros par mois.

Au vu de ces éléments, il convient d'allouer à M. [L] la somme de 5 932,90 euros

Sur les frais d'avocat,

Le remboursement des frais engagés au titre de la défense, notamment les honoraires versés à un avocat est possible, à condition que ceux-ci concernent des prestations directement liées à la privation de liberté et sur la base de factures précises permettant de détailler et individualiser les prestations en lien exclusif avec le contentieux de la liberté.

En l'espèce, M. [L] sollicite la somme de 3 600 euros et produit deux factures du 17 décembre 2019 et du 3 avril 2020 pour un montant global de 7 200 euros.

Ces factures sont générales et ne permettent pas d'identifier le coût de chacune des prestations en lien avec la détention de M. [L].

De jurisprudence constante, il n'appartient pas au premier président d'apprécier, faute de facture circonstanciée, ce qui relève de la défense au fond et des frais engagés pour le seul contentieux de la détention.

Il convient dès lors de rejeter la demande de M. [L] à ce titre.

Sur la demande présentée en application de l'article 700 du code de procédure civile

Il est équitable d'allouer à M. [L] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et contradictoirement,

Allouons à M. [R] [L] une indemnité de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral,

Allouons à M. [R] [L] une indemnité de 5 932,90 euros en réparation de son préjudice matériel liée à la perte de revenus,

Déboutons M. [R] [L] de sa demande de réparation du préjudice matériel en lien avec ses frais d'avocat,

Allouons à M. [R] [L] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Laissons les dépens à la charge du trésor public.

Ainsi fait, jugé et prononcé par M. Christophe REGNARD, premier président de la cour d'appel de Reims, le 14 mars 2024, en présence de Madame la Procureure générale et du greffier.

Le greffier Le premier président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Reims
Formation : Chambre premier président
Numéro d'arrêt : 23/00105
Date de la décision : 14/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-14;23.00105 ?
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