Arrêt n°
du 29/03/2023
N° RG 22/00497
MLS/FJ
Formule exécutoire le :
à :
COUR D'APPEL DE REIMS
CHAMBRE SOCIALE
Arrêt du 29 mars 2023
APPELANT :
d'un jugement rendu le 22 février 2022 par le Conseil de Prud'hommes de REIMS, section Industrie (n° F 20/00535)
Monsieur [C] [T]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représenté par la SELARL G.R.M.A., avocats au barreau de REIMS
INTIMÉE :
SAS CHAMPAGNE LAURENT PERRIER
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par la SARL BELLEC & ASSOCIES, avocats au barreau de REIMS
DÉBATS :
En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 8 février 2023, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller faisant fonction de président, et Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller, chargés du rapport, qui en ont rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 29 mars 2023.
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller faisant fonction de président
Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller
Madame Isabelle FALEUR, conseiller
GREFFIER lors des débats :
Monsieur Francis JOLLY, greffier
ARRÊT :
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller faisant fonction de président, et Monsieur Francis JOLLY, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
Monsieur [C] [T] a été embauché à compter du 13 mai 2006, par la S.A.S. Champagne Laurent Perrier dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée en qualité de caviste polyvalent.
Le 13 novembre 2019, il a été licencié pour faute grave.
Le 16 octobre 2020, il a saisi le conseil de prud'hommes de Reims de demandes tendant à :
- faire juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- faire condamner l'employeur à lui payer les sommes suivantes :
. 29 562,00 euros à titre de dommages- intérêts en réparation des préjudices nés du licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. 14 046,66 euros à titre d'indemnité de licenciement,
. 4 548,00 euros à titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
. 457,80 euros à titre des congés payés afférents,
. 1 802,92 euros à titre de rappel de salaires retenus pendant la mise à pied conservatoire,
. 180,29 euros à titre de congés payés afférents,
. 10 000,00 euros à titre de dommages- intérêts en réparation du préjudice né de la violation de l'obligation d'adaptation,
. 15 000,00 euros à titre de dommages- intérêts en réparation du préjudice moral,
. 2 500,00 euros à titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- faire ordonner sous astreinte la remise des documents de fin de contrat rectifiés et la régularisation de sa situation auprès des organismes sociaux.
En réplique, l'employeur a conclu au débouté et à la condamnation du salarié à lui payer la somme de 2 500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 22 février 2022, le conseil de prud'hommes a débouté les parties de toutes leurs demandes et condamné Monsieur [C] [T] aux dépens.
Le 2 mars 2022, Monsieur [C] [T] a fait appel du jugement en toutes ses dispositions.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 19 septembre 2022.
Exposé des prétentions et moyens des parties :
Par conclusions notifiées par voie électronique 13 mai 2022, auxquelles il sera renvoyé pour plus ample exposé, l'appelant demande à la cour par infirmation du jugement de faire droit à ses demandes initiales et de condamner l'intimée à lui payer la somme de 3 500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, l'appelant fait valoir que les griefs reprochés sont prescrits, imprécis et non circonstanciés. Il soutient que le jugement entrepris est contra legem en ce qu'il a fait peser la charge de la preuve sur lui et a considéré que la lettre de licenciement valait « déclaration en écritures de la SAS CHAMPAGNE LAURENT PERRIER ».
Sur l'indemnisation, il fait valoir qu'il a subi une perte de revenus très importante, qu'il ne parvient plus à payer la pension alimentaire obligeant son ex-compagne à effectuer une demande en paiement direct entre les mains de Pôle emploi et que compte tenu de sa situation et de ses recherches infructueuses d'emploi, il a été contraint de se rapprocher de sa famille dans le Sud de la France pour créer une entreprise qui ne lui permet pas encore de se verser une rémunération.
Sur l'obligation d'adaptation, il affirme n'avoir bénéficié que d'une seule formation en quinze ans d'activité malgré de nombreuses demandes de sa part et ce grâce à l'intervention des syndicats. Il précise en outre qu'il s'agit du premier module de la formation de conducteur de ligne et que l'employeur lui a refusé le bénéfice du second module limitant ainsi son employabilité.
Sur le préjudice moral, il affirme avoir été choqué par les faits reprochés dans la lettre de licenciement (mauvaise exécution du travail, violence et agressivité) et par les circonstances ayant entouré celui-ci arguant du caractère soudain, vexatoire et brutal de la procédure.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 12 juillet 2022, auxquelles il sera renvoyé pour plus ample exposé, l'intimée demande à la cour de confirmer le jugement, de débouter le salarié et de le condamner aux dépens.
Au soutien de ses prétentions, elle expose que le licenciement est fondé sur le refus de Monsieur [C] [T] d'exécuter correctement et normalement son travail et sur son incitation à la rébellion contre la hiérarchie et le cas échéant à l'utilisation de menaces à l'encontre du personnel réfractaire. Elle considère que la faute grave était d'autant plus caractérisée que Monsieur [C] [T] était coutumier de ce genre de faits.
Sur l'indemnisation, elle demande l'application du barème légal d'indemnisation en l'état de la jurisprudence récente de la cour de cassation. Elle conteste la notion de contrainte de déménagement et soutient au contraire que Monsieur [C] [T] a mené à terme son projet de s'installer dans le sud de la France pour ouvrir une pizzeria. Elle fait observer qu'il ne justifie pas du préjudice qu'il allègue et que les difficultés de paiement de la pension alimentaire ne sont pas liées à la perte de son emploi puisqu'il ne s'acquittait déjà pas de son obligation antérieurement au licenciement, une saisie sur rémunération étant déjà effective.
Sur l'obligation d'adaptation, elle conteste un manquement de sa part faisant valoir qu'elle n'est pas tenue d'accepter toutes les demandes de formation et que l'accomplissement du premier module de formation de conducteur de ligne n'impliquait pas automatiquement la réalisation du second. Elle ajoute que Monsieur [C] [T] ne démontre pas que l'absence de cette formation a eu un impact ses recherches d'emploi.
Sur le préjudice moral, elle fait valoir que l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse indemnise déjà le préjudice résultant de la perte d'emploi et ajoute qu'elle n'a fait que se conformer aux dispositions du code du travail et de la jurisprudence dans l'application de la procédure de licenciement.
Motifs de la décision :
La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, reproche au salarié un refus d'exécuter normalement son travail, une incitation de ses collègues à l'insubordination, une violence verbale, un chantage, une intimidation, une agressivité et des menaces envers ses collègues. Seule l'allégation de menaces datant de septembre et d'octobre 2019 reste dans les limites de la prescription de deux mois antérieurement à la convocation à l'entretien préalable. Tous les autres faits ne sont pas datés, et ne peuvent l'être au vu de l'absence de pièces au dossier de l'employeur, sauf les faits d'agressivité qui sont datés de juillet 2019 dans la lettre de licenciement, soit hors du délai de prescription.
Le conseil de prud'hommes, sans égard pour la question de la prescription, a écarté à tort les demandes du salarié en contestation de son licenciement, en tenant pour acquis les allégations contenues dans la lettre de licenciement, alors que l'employeur, qui supporte la charge de la preuve, ne verse au débat aucune pièce justificative des faits qu'il allègue à l'encontre du salarié.
A l'inverse, le salarié produit à son dossier diverses attestations de collègues qui affirment qu'il avait un comportement adapté, courtois, dénué d'agressivité et de violence ou d'incitation à l'insubordination.
En retenant que le salarié n'apportait pas d'éléments de nature à étayer sa défense, le conseil de prud'hommes a renversé la charge de la preuve et n'a manifestement pas examiné les pièces produites par le salarié et qui contredisent les allégations de l'employeur.
Faute de justifier des griefs faits au salarié dans la lettre de licenciement, la rupture du contrat de travail ne peut être considérée comme reposant sur une cause réelle et sérieuse.
Par infirmation du jugement, il faut faire droit à la demande du salarié au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, de rappel de salaire pendant la période de mise à pied conservatoire et l'indemnité de licenciement aux quantum non discutés.
Le salarié a également droit à des dommages et intérêts en réparation de préjudices matériels et moraux nés du licenciement abusif du contrat de travail.
Compte tenu de l'ancienneté du salarié de l'effectif de l'entreprise dont il n'est pas soutenu qui fût inférieur à 11, l'indemnité doit être comprise entre 3 et 11,5 mois de salaire.
Considérant l'âge du salarié, son ancienneté, son niveau de salaire (2 274,00 euros bruts annuels) sa situation après la rupture du contrat de travail, le stress lié à la rupture attesté par un certificat médical, la somme de 25'000,00 euros est de nature à réparer entièrement les préjudices subis.
Pour ce qui concerne les dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du licenciement brutal et vexatoire, force est de constater que le salarié a été accusé sans preuve de divers comportements nuisibles à l'écart de ses collègues, que ceux-ci réfutent expressément par diverses attestations produites au dossier, alors même que deux ans plus tôt le salarié avait reçu les félicitations pour sa contribution à la réussite de l'entreprise. Le licenciement apparaît par conséquent brutal et vexatoire, de sorte que le préjudice moral qui en résulte, et qui est attesté par un certificat médical, doit être réparé par l'allocation d'une somme de 1 000,00 euros.
Le conseil de prud'hommes a rejeté la demande sans motivation de sorte qu'il doit être considéré comme ayant omis de statuer sur ce point. Il convient de faire droit à la demande du salarié dans cette limite.
Le conseil de prud'hommes, pour les mêmes motifs, a également omis de statuer sur la demande de dommages et intérêts en réparation des préjudices nés du manquement à l'obligation d'adaptation. Il ne ressort pas des pièces du dossier de l'employeur, qui a la charge de la preuve, qu'en 13 années d'activité, le salarié ait reçu une formation.
Toutefois le salarié n'apporte pas la preuve du préjudice subséquent, étant observé que l'absence de réemploi après la rupture du contrat travail n'est pas suffisant pour faire la preuve d'un préjudice en lien avec le manquement de l'employeur, d'autant que le salarié a développé dans le sud de la France une activité privée étrangère à l'activité salariée anciennement occupée. Le salarié doit donc être débouté de sa demande.
Le licenciement étant sans cause réelle et sérieuse concernant le salarié de plus de deux ans d'ancienneté dans une entreprise de plus de 11 salariés, les conditions s'avèrent réunies pour condamner l'employeur, en application de l'article L.1235-4 du code du travail, à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées au salarié, du jour de son licenciement jusqu'au jour de la décision judiciaire, dans la limite de six mois d'indemnités.
L'employeur sera condamné, sans astreinte à remettre au salarié un bulletin de salaire, une attestation Pole emploi et un certificat de travail conforme au présent arrêt.
Il sera également condamné sans astreinte à régulariser la situation du salarié auprès des organismes sociaux.
Succombant au sens de l'article 696 du code de procédure civile, l'employeur doit supporter les dépens et les frais irrépétibles de première instance par infirmation du jugement, sauf en ce qu'il a débouté l'employeur de ses demandes à ce titre.
Débouté de ses demandes à ce titre, l'employeur sera condamné à payer au salarié la somme de 3500,00 euros en remboursement de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.
Par ces motifs :
La cour, statuant publiquement contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement rendu le 22 février 2022 par le conseil de prud'hommes de Reims en ce qu'il a débouté l'employeur de sa demande reconventionnelle en remboursement de ses frais irrépétibles d'appel,
Infirme le surplus du jugement en ses dispositions soumises à la cour,
Statuant à nouveau, dans limite de l'infirmation, et y ajoutant,
Déboute Monsieur [C] [T] de sa demande de dommages et intérêts en réparation des préjudices nés du manquement de l'employeur à son obligation d'adaptation,
Condamne la société CHAMPAGNE LAURENT-PERRIER à payer à Monsieur [C] [T] les sommes suivantes :
- 4 548,00 euros (quatre mille cinq cent quarante huit euros) d'indemnité compensatrice de préavis,
- 454,80 euros (quatre cent cinquante quatre euros et quatre vingt centimes) de congés payés afférents,
-14'046,66 euros (quatorze mille quarante six euros et soixante six centimes) d'indemnité de licenciement,
-1 802,92 euros (mille huit cent deux euros et quatre vingt douze centimes) de rappel de salaire retenu pendant la mise à pied conservatoire,
- 180,29 euros (cent quatre vingt euros et vingt neuf centimes) de congés payés afférents,
- 25'000,00 euros (vingt cinq mille euros) de dommages et intérêts en réparation des préjudices nés du licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 1 000,00 euros (mille euros) en réparation des préjudices nés du licenciement brutal et vexatoire,
Dit que les condamnations sont prononcées sous réserve d'y déduire le cas échéant, les charges sociales et salariales,
Ordonne la remise par l'employeur au salarié d'un bulletin de salaire, de l'attestation Pole emploi et du certificat de travail conformes au présent arrêt,
Ordonne la régularisation par l'employeur de la situation du salarié auprès des organismes sociaux,
Ordonne le remboursement, par la société CHAMPAGNE LAURENT-PERRIER à Pôle Emploi, des indemnités de chômage servies au salarié du jour de son licenciement jusqu'au jour de la présente décision, dans la limite de six mois d'indemnités ;
Déboute la société CHAMPAGNE LAURENT-PERRIER de sa demande en remboursement de ses frais irrépétibles d'appel,
Condamne la société CHAMPAGNE LAURENT-PERRIER à payer à Monsieur [C] [T] la somme de 3 500,00 euros (trois mille cinq cents euros) en remboursement de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel,
Condamne la société CHAMPAGNE LAURENT-PERRIER aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE CONSEILLER