ARRET N°
du 28 février 2023
N° RG 22/00691 - N° Portalis DBVQ-V-B7G-FE2M
S.A. GAN ASSURANCES
c/
S.A.S. LES GRAINS
Formule exécutoire le :
à :
COUR D'APPEL DE REIMS
CHAMBRE CIVILE-1° SECTION
ARRET DU 28 FEVRIER 2023
APPELANTE :
d'un jugement rendu le 08 mars 2022 par le Tribunal de Commerce de REIMS
S.A. GAN ASSURANCES
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Sihem METIDJI-TALBI de la SELARL ANTOINE & BMC ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS, avocat postulant et Me Matthieu PATRIMONIO de la SCP RAFFIN ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
INTIMEE :
S.A.S. LES GRAINS, prise en la personne de son président domicilié de droit audit siège
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Isabelle CASTELLO de la SCP DELVINCOURT - CAULIER-RICHARD - CASTELLO AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS, avocat postulant et Me Mathieu PERRYMOND du Cabinet PERRYMOND-PELLEQUER, avocat au barreau de TOULON, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :
Madame MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre, et Madame MAUSSIRE, conseillère, ont entendu les plaidoiries, les parties ne s'y étant pas opposées. Elles en ont rendu compte à la cour dans son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre
Madame Véronique MAUSSIRE, conseillère
Madame Florence MATHIEU, conseillère
GREFFIER :
Madame [L] [B]
DEBATS :
A l'audience publique du 17 janvier 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 28 février 2023,
ARRET :
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 28 février 2023 et signé par Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre, et Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
La SAS les Grains exploite sous l'enseigne «'Les Grains d'argent'» une activité d'hôtel-restaurant à [Localité 3].
Elle a souscrit auprès de la compagnie d'assurance GNA sous numéro 181215222 avec effet à compter du 1er janvier 2018 une assurance multirisque.
Le contrat est régi par les conditions générales référencées A340, la convention spéciale Stella annexe R (ci dessous dénommée annexe R) et par les dispositions particulières rédigées d'après les déclarations faites par le souscripteur et les renseignements qu'il a fournis.
La SAS les Grains a déclaré une activité d'hôtel avec restaurant code 8300 et a pris la garantie pertes financières pour les «' pertes d'exploitation'».
L'article 24 de l'annexe R intitulé «''Extension -pertes d'exploitation'», en paragraphe d)
«' Fermeture temporaire par décision administrative' précise dans ces termes et formes:
«'Au sens de la garantie pertes d'exploitation il faut également entendre par «'sinistre'» la fermeture temporaire de l'hôtel imposée par décision des autorités administratives (municipales ou préfectorales) mais exclusivement lorsqu'elle est motivée par la survenance effective dans l'hôtel des événements suivants: meurtre, suicide, maladie contagieuse, épidémie, intoxication alimentaire ou empoisonnement.'»
L'arrêté du 14 mars 2020 du Ministre de la Santé, publié au Journal officiel le 15 mars 2020, contient diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid 19, dont l'interdiction de recevoir du public opposée à certains établissements dont les restaurants et débits de boissons et ce jusqu'au 15 avril 2020 et cette interdiction a été reprise par les dispositions du décret du 23 mars 2020 puis du 14 avril 2020 qui l'a prorogée jusqu'au 11 mai 2020.
Le gérant considérant que ces mesures l'ont contraint a fermé totalement son établissement d'hôtel restaurant à compter du 15 mars 2020 jusqu'au 14 juin 2020, a effectué une déclaration de sinistre et a demandé à sa compagnie d'assurance le bénéfice de la garantie pertes d'exploitation.
Dans un courrier du 9 juin 2020, la société Gan assurances a refusé cette prise en charge au motif que l'hôtel n'avait pas été fermé à la suite de la découverte d'un cas de contamination Covid 19 dans l'établissement mais par mesures préventives imposées par le gouvernement.
Par exploit d'huissier en date du 19 octobre 2020, la société Les Grains a assigné son assureur devant le tribunal de commerce de Reims aux fins de dire et juger que la compagnie Gan assurances doit garantir la perte d'exploitation subie résultant de la fermeture administrative temporaire du fait de la survenance de l'épidémie de COVID 19, outre d'obtenir la désignation d'un expert avant dire droit pour évaluer le préjudice et une provision de 200.000€.
Elle a réclamé la mise en 'uvre de cette même garantie pour couvrir les pertes résultant de l'application du second décret pris par le ministre le 29 octobre 2020 posant une nouvelle interdiction de recevoir du public pour les restaurants et débits de boissons.
Par jugement en date du 8 mars 2022, le tribunal de commerce de Reims a jugé que les conditions d'indemnisation du contrat d'assurance signé entre les parties sont réunies.
En conséquence a :
- Condamné la compagnie Gan assurances à indemniser la société Les Grains aux titres des garanties pertes d'exploitation sur les deux périodes de fermeture administratives;
- Dit que l'indemnité perte d'exploitation ne pourra excéder 3 mois par période de fermeture administrative tel que prévu au contrat d'assurance;
- Désigné Monsieur [J] [F], expert près de la cour d'appel de Reims pour effectuer la mission développée;
- Condamné la compagnie Gan assurances à verser à la SAS Les Grains la somme de 100.000€ à titre de provision à valoir sur l'indemnisation définitive;
- Condamné la compagnie Gan assurances à verser à la SAS Les Grains la somme de 5.000€ au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont frais de greffe pour 69.59 € dont TVA pour 11,60 €.
Le tribunal a estimé que l'établissement se situe en France, pays touché par l'épidémie de sorte qu'il n'est pas contestable que le critère de survenance effective dans celui-ci de l'un des événements visés est rempli, ce critère devant s'interpréter dans l'intérêt de l'assuré'; que néanmoins la garantie ne couvrait pas l'activité hôtellerie qui n'était pas touchée par les mesures administratives et que donc l'indemnisation des pertes ne devait couvrir que l'activité restauration et dans la limite contractuelle de 3 mois d'exploitation par sinistre.
Par déclaration en date du 17 mars 2022, la SA Gan assurances a interjeté appel.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 22 novembre 2022, la SA Gan assurances, appelante, demande à la cour, à titre principal, d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a considéré que l'activité d'hôtellerie de la société Les Grains D'argent ne peut faire l'objet d'une indemnité pour perte d'exploitation.
Il est demandé à la cour statuant à nouveau de':
- Débouter la société Les Grains D'argent de l'intégralité de ses demandes;
- Condamner la société Les Grains D'argent à payer à la société Gan assurances la somme de 6.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;
- La condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel, comprenant les frais d'expertise.
A titre très subsidiaire':
- Réformer le jugement déféré en ce qu'il a alloué une provision de 100.000 € sans justificatif probant et en l'absence de reprise de l'activité;
Statuant à nouveau':
- Débouter la société Les Grains D'argent de toute demande concernant les pertes subies par le restaurant du fait de l'arrêt d'activité à compter de l'été 2021, conformément aux dispositions contractuelles;
- Condamner la société Les Grains D'argent à payer à la société Gan assurances la somme de 6.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;
- La condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel, comprenant les frais d'expertise.
Le concluant rappelle que pour bénéficier de la garantie perte d'exploitation il faut que ':
- l'établissement ait été fermé par décision administrative municipale ou préfectorale,
- que cette fermeture soit ordonnée en raison d'un des événements listés,
- et que cet événement soit survenu effectivement dans l'établissement,
- et que le jugement a dénaturé le contrat en retenant une indemnisation possible':
(a) alors que le contrat d'assurance couvre exclusivement un hôtel avec restaurant et non pas deux restaurants distincts de l'hôtel et que cette entité n'a pas fermé même temporairement'puisque les hôtels n'étaient pas concernés par les arrêtés ministériels du 15 mars 2020 et du 29 octobre 2020 et pouvaient continuer à recevoir du public dont pour des séminaires en tant qu'activités professionnelles privées et poursuivre l'activité restauration en room service'; que seule l'interdiction d'accueillir des clients dans la salle du restaurant est posée,
(b) alors que la cause de fermeture ne trouve pas sa survenance dans l'établissement et qu'il aurait fallu que l'épidémie survienne dans l'hôtel'; que sur ce point la clause contractuelle est claire et pas sujette à interprétation'; qu'aussi le fait que l'hôtel se situe en France, pays touché par l'épidémie qui est la cause des restrictions est nationale'et pas interne à l'établissement.
Il conteste le montant de la provision qui a été évaluée à 100.000€ sans justificatif probant et sans distinction entre les comptes du restaurant et de l'hôtel sans aucune pièce permettant d'évaluer la perte de marge réelle, les économies réalisées sur les charges, et les aides perçues, sans tenir aucun compte des facteurs extérieurs, conformément aux dispositions contractuelles.
A titre très subsidiaire, si la cour retenait que le restaurant Les Grains D'argent constitue un établissement distinct de l'hôtel dont les pertes sont indemnisables, le concluant invoque l'article 4 de l'annexe PE s'agissant du second sinistre puisqu'il précise qu'aucune indemnité ne sera due si l'entreprise garantie n'est pas remise en activité après le sinistre, ce qui est le cas puisqu'à compter de l'été 2020, le restaurant a cessé toute exploitation et que tout le personnel a été licencié sur choix personnel du gérant.
Enfin, en réponse à l'intimé, sur la validité de la clause 24 D, le concluant rappelle que cette clause n'étant pas une clause d'exclusion, aucune circonstance particulière de réalisation du risque n'est mentionnée. La seule condition est que les événements soient survenus dans l'établissement, ces exigences sont générales et précises. C'est une condition de garantie et non une exclusion. Les événements garantis sont ceux qui remplissent les conditions.
En réponse à l'allégation selon laquelle les conditions posées par la clause videraient la garantie de sa substance, le concluant se prévaut du fait que obligation du Gan est de couvrir les conséquences dommageables de sinistres survenus dans les locaux de l'assuré. Le risque épidémique n'est pas garanti. C'est le risque de fermeture administrative qui l'est.
Le contrat Gan, à l'inverse d'AXA couvre quand même si l'épidémie s'est propagée dans d'autres établissements, mais ne le ferait que dans le cas où un cas serait présent dans l'établissement assuré.
Enfin, la clause 24c) n'est pas mobilisable dès lors qu'elle n'est applicable qu'en cas d'incendie ou d'explosion d'un risque voisin. L'explosion d'une maladie épidémique comme le Covid ne peut pas entrer dans risque voisin.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 15 septembre 2022, la SAS Les Grains D'argent, intimée, demande à la cour':
A titre principal, confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 08.03.2022 par le Tribunal de Commerce de Reims sous le n° de Rôle 2021001448;
En cas de réformation,
A titre subsidiaire, statuant à nouveau':
- Juger que la compagnie Gan assurances doit garantir la perte d'exploitation subie par la SAS Les Grains résultant des conséquences de l'interruption de l'activité par suite de la réalisation d'un risque voisin empêchant totalement l'accès des lieux ou s'exerce l'assurance;
En conséquence, compte tenu de l'obligation de la compagnie Gan assurances de garantir la perte d'exploitation, Avant- dire droit sur le préjudice:
-Désigner tel expert qu'il plaira au tribunal aux fins de procéder à l'expertise comptable du chiffrage des préjudices subis par la SAS les grains avec mission habituelle et notamment :
-Après avoir convoqué les parties, solliciter la communication des pièces utiles à sa mission,
- Dresser un état comptable de la situation et calculer la perte de chiffre d'affaire et de marge brute, par activité (hôtellerie, restaurants et location de salles) sur les deux périodes considérées par les confinements et les interdictions de recevoir du public faites aux établissements de la SAS Les Grains afin que la juridiction saisie soit en mesure de procéder à l'allocation de l'indemnité contractuellement garantie,
- Du tout, dresser rapport dans le délai indiqué par l'ordonnance;
- Juger que les frais d'expertise seront mis à la charge de la compagnie Gan assurances,
- Ordonner et au besoin condamner la compagnie Gan assurances à verser à la SAS Les Grains une provision d'un montant de 100.000,00€ à valoir en réparation de ses entiers préjudices financiers ;
A titre infiniment subsidiaire':
- Juger qu'en absence d'exclusion formelle et limitée, la compagnie Gan assurances doit garantir la perte d'exploitation résultant des pertes et dommages subis par la SAS Les Grains occasionnés par le risque épidémique pouvant entrer dans le cadre de la définition du « cas fortuit » ;
En conséquence, compte tenu de l'obligation de la compagnie Gan assurances de garantir la perte d'exploitation, Avant- dire droit sur le préjudice,
- Désigner tel expert qu'il plaira au Tribunal aux fins de procéder à l'expertise comptable du chiffrage des préjudices subis par la SAS les grains avec mission habituelle et notamment :
- Après avoir convoqué les parties, solliciter la communication des pièces utiles à sa mission,
- Dresser un état comptable de la situation et calculer la perte de chiffre d'affaire et de marge brute, par activité (hôtellerie, restaurants et location de salles) sur les deux périodes considérées par les confinements et les interdictions de recevoir du public faites aux établissements de la SAS Les Grains afin que la juridiction saisie soit en mesure de procéder à l'allocation de l'indemnité contractuellement garantie,
- Du tout dresser rapport dans le délai indiqué par l'ordonnance,
- Juger que les frais d'expertise seront mis à la charge de la compagnie Gan assurances ;
- Ordonner et au besoin condamner la compagnie Gan assurances à verser à la SAS Les Grains une provision d'un montant de 100.000,00€ à valoir en réparation de ses entiers préjudices financiers ;
En toutes hypothèses, statuant à nouveau :
- Débouter la compagnie Gan de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
- Condamner la compagnie Gan assurances à payer à SAS Les Grains la somme de 10000,00€ au titre des frais irrépétibles par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
- Condamner la compagnie Gan assurances aux entiers dépens.
La concluante sollicite la confirmation du jugement et en conséquence l'application de la garantie «'pertes d'exploitation'» alors que les deux restaurants et l'hôtel qu'elle exploitait, ont été fermés totalement durant l'épidémie du 16/03/20 au 14/06/20.
Elle précise que les conditions d'application sont réunies'soit:
(1) Décision prise par une autorité administrative': la fermeture temporaire de l'établissement est liée à un arrêté ministériel du ministre de la santé, conséquence d'une épidémie, circonstance prévue par les dispositions particulières du contrat d'assurance.
(2) Activité concernée': la concluante rappelle que son activité ne concernait pas uniquement un hôtel (29 chambres), mais également deux restaurants, avec service en salle, indépendants de l'hôtel (un gastronomique et une brasserie) pour un total de 80 couverts et la location de salle pour des séminaires. Les restaurants ont été contraints de fermer, alors même que c'était une activité principale, autonome et distincte de l'activité hôtelière. L'activité de restauration étant distincte, elle était bien impactée par l'arrêté ministériel. La concluante rappelle que le restaurant lui rapporte la plus grosse part de son chiffre d'affaire, puisqu'ils étaient ouverts aux non clients de l'hôtel. Aucun room service n'était proposé. Selon la concluante la question de la fermeture totale ou partielle est indifférente. Il y a eu une fermeture totale des restaurants et salle de séminaire.
(3) L'événement assuré': la survenance effective de l'épidémie': La France fait partie des pays touchés par l'épidémie de COVID 19. L'ensemble du territoire étant concerné, la concluante aussi, l'épidémie étant présente en tout lieu et touchait toute la population. C'est le risque et l'effet de propagation de la maladie contagieuse qui caractérise la survenance effective de l'épidémie ; mesure prise pour éviter la propagation de l'épidémie. La survenance effective de l'épidémie est caractérisée par sa définition même, comme maladie gravement contagieuse en un lieu donné, pendant une période donnée. Si la survenance effective n'était pas retenue par cette définition, alors la clause 24d serait une clause abusive comme étant vidée de sa substance.
La concluante rappelle la nécessité d'une expertise comptable pour le chiffrage du préjudice sur les périodes de fermeture administrative (du 14 mars au 15 juin 2020 et du 30 octobre 2020 au 9 juin 2021). Elle affirme avoir fourni tous les documents nécessaires pour le calcul de la provision.
S'agissant du second sinistre, la SAS Les Grains demande à ce que la garantie soit maintenue, même en cas de non reprise de l'activité parce qu'elle a été contrainte de fermer ses restaurants en conséquence de la fermeture administrative et de la pandémie, qui est un élément indépendant de sa volonté et qui a engendré des difficultés de trésorerie, notamment à cause de prêts bancaires engagés pour les travaux des restaurants.
Il résulte des dispositions contractuelles que si la cessation d'activité est imputable à un événement indépendant de la volonté de l'assuré se révélant postérieurement au sinistre, la garantie est acquise en compensation des dépenses assurées qui auront été exposées jusqu'au moment où l'assuré aura eu connaissance de l'impossibilité de poursuivre son activité.
En cas de réformation du jugement,
L'article 24 c) sera appliqué': sur le fondement de la garantie pertes d'exploitation résultant de l'impossibilité d'accès à l'hôtel restaurant exploité. La concluante estime que cette clause, faute de clarté doit être interprété en faveur de l'assuré, le covid 19 peut être assimilé au risque voisin.
Dans ces conditions, en absence d'exclusion formelle et limitée, il y a donc lieu de mettre à la charge de la compagnie GAN les pertes et dommages subis par la requérante occasionnés par le risque épidémique pouvant entrer dans le cadre de la définition du « cas fortuit ».
En tout état de cause, une expertise avant dire droit est demandée et d'accorder une provision
L'ordonnance de cloture a été prononcée le 13 décembre 2022.
MOTIFS
Sur les conditions de la garantie perte d'exploitation souscrite par la SAS Les Grains
La SAS les Grains a souscrit auprès de la SAS GAN Assurances un contrat d'assurance multirisques des hôtels et hôtels restaurants.
Il est constant que ce contrat est régi par les dispositions générales, les conventions spéciales afférentes à chaque garantie, et, concernant les pertes d'exploitation par les annexes R et PE.
L'annexe R définit à l'article 24 des conditions spéciales, les conditions de la garantie perte d'exploitation dont le bénéfice est réclamé par la SAS les Grains et est ainsi rédigée':
'au sens de la garantie perte d'exploitation il faut également entendre par «'sinistre'», la fermeture temporaire de l'hôtel imposée par décision des autorités administratives (municipales ou préfectorales) mais exclusivement lorsqu'elle est motivée par la seule survenance effectives dans l'hôtel des événements suivants : meurtre, suicide, maladie contagieuse, épidémie, intoxication alimentaire ou empoisonnement'.
La SAS GAN Assurances refuse à la SAS Les Grains le bénéfice de cette garantie notamment au motif que les mesures gouvernementales prises par arrêtés des 14 et 15 mars 2020 invoquées par l'assuré, ont été prises sans rapport avec la survenance effective d'une épidémie de Covid 19 au sein de l'établissement.
La SAS les Grains répond que dans le contexte de l'épidémie du Covid 19, aucun lieu n'a été épargné par la propagation rapide de cette maladie contagieuse qui a atteint en même temps, sur tout le territoire, un grand nombre d'individus'; que ce contexte est inconciliable avec la possibilité qu'un seul établissement soit affecté ou qu'un établissement ne soit pas affecté'et qu'une telle interprétation aurait pour conséquence de rendre inassurable le risque résultant de l'épidémie de Covid 19 et viderait de sa substance la clause 24(d) pour en faire une clause abusive.
Mais il est observé que la clause ne prive pas l'assuré du bénéfice de la garantie des risques en considération de circonstances particulières mais pose une condition de garantie en ce qu'elle suppose la survenance dans l'établissement de l'un des événements visés dont une épidémie.
Il ne s'agit donc pas d'une clause d'exclusion de garantie mais une clause posant la condition de mise en 'uvre de la garantie.
Dans tous les cas sur le fondement de l'article L113-1 du code des assurances, pour être formelle et limitée, une clause d'exclusion doit se référer à des faits, circonstances ou obligations définis avec précision, de telle sorte que l'assuré puisse connaître exactement l'étendue de sa garantie et ne pas être sujette à interprétation en ce qui concerne son champ d'application.
En outre, la ou les exclusions invoquées ne doivent pas conduire à vider la garantie de sa substance.
Or en l'espèce, il apparaît que la référence à la survenance effective d'un des évènements cités est indiquée en gras, utilise des termes d'usage courant aisément compréhensibles, et se réfèrent à des faits et circonstances précis.
Ainsi la précision «'exclusivement lorsqu'elle est motivée par la seule survenance effective dans l'établissement'» de l'un des événements énumérés, signifie bien que la garantie n'est acquise que si la décision de fermeture est en lien de causalité avec un événement constaté dans l'établissement.
L'exclusion qui résulterait de la clause litigieuse est donc formelle.
S'agissant de son caractère limité, il faut constater que le contrat, s'il ne garantit pas les conséquences de la pandémie, risque inédit dans son ampleur et son intensité qui a pu ne pas entrer dans les prévisions des parties, n'en est pas pour autant vidé de sa substance.
En effet, l'extension de garantie ne vise pas que le risque de fermeture administrative motivée par une épidémie, mais aussi le risque de fermeture qui résulterait d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide ou d'une intoxication ainsi que le risque d'une fermeture administrative conséquence d'une épidémie constatée au seul sein de l'établissement.
Et ce risque existe puisque notamment en application de l'article L3131-1 du code de la santé l'autorité administrative peut prendre des mesures individuelles en cas de menaces sanitaires graves appelant des mesures d'urgenceet ordonner la fermeture d'un établissement en raison d'affections (salmonellose, listériose, fièvre typhoïde, grippe aviaire) qui, pour toucher un nombre de sujets plus restreint que celui qu'implique la définition d'une épidémie, sont tout de même qualifiées par leurs auteurs d'épidémies.
Ainsi, la constatation est faite que la condition qu'une épidémie survienne au sein de l'établissement et puisse justifier la mesure administrative de fermeture de celui-ci, n'aboutit pas à vider la clause de sa substance.
Aussi quelque soit la qualification de la clause, condition de garantie, ou exclusion de garantie, elle impose dans tous les cas à l'assuré de démontrer que les mesures gouvernementales à la suite desquelles il a fermé son établissement ont été prises en raison d'une épidémie survenue dans son établissement.
Pour ce faire, la SAS Les Grains développe que si l'hôtel( 29 chambres) avait la possibilité de rester ouvert car non concerné par les mesures gouvernementales, en revanche celles-ci l'ont contrainte à cesser l'activité de ses 2 restaurants (80 couverts) l'un gastronomique, l'autre de brasserie, outre son activité de location de salle pour l'organisation de séminaires à qui interdiction de recevoir du public était faite'; que ces activités étaient autonomes distinctes et pas secondaires et accessoires à son activité d'hôtellerie en ce que les clients pouvaient profiter des restaurants sans fréquenter l'hôtel et que les clients de l'hôtel n'étaient pas en pension.
Mais même en retenant que l'activité restauration était interdite par l'effet des mesures administratives et que cette activité était assurée par la société GAN, ce que conteste la compagnie d'assurance qui développe que l'activité principale d'hôtellerie était seule assurée et n'était pas interdite, il n'en reste pas moins qu'il ne s'agit pas, en application de l'article 24 précité, d'établir la survenance effective d'une épidémie sur le territoire national mais la survenance effective d'une épidémie dans l'hôtel ou le restaurant ayant motivé les mesures administratives qui ont entraîné la fermeture de l'établissement.
Cette preuve n'est pas apportée par la SAS Les Grains, alors que de manière générale tous les établissements de restauration sur le territoire national ont subi cette interdiction au motif préventif, énoncé dans les arrêtés successifs, de lutte contre la propagation du virus et pas de constatation d'une épidémie en leur sein.
D'ailleurs, de la même manière par ces mesures, la population a été confinée sans que tous ses membres ne soient contaminés.
En conséquence, la SAS Les Grains ne démontre pas que les mesures gouvernementales ont été motivées par la survenance effective dans son hôtel d'une épidémie et qu'elle est fondée à réclamer à la compagnie le bénéfice de la garantie pertes d'exploitation sur ce fondement.
Le jugement du tribunal de commerce est infirmé en ce qu'il juge du contraire.
Sur la garantie résultant de l'absence de clause d'exclusion formelle et limitée.
L'article L113-1 al1 du code des assurances précité pose que les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police.
La SAS les Grains soutient qu'elle a subi des pertes du fait d'une fermeture administrative reposant sur un risque épidémique pouvant entrer dans le cadre de la définition du «'cas fortuit'»'; qu'en effet il s'agit d'un événement qui trouve sa source dans un pays étranger (la Chine) où la pandémie est apparue, postérieurement à la signature du contrat d'assurance du 1er janvier 2019 (date de l'avenant) qu'il lui est totalement étranger et sans rapport avec lui de sorte que son caractère extérieur est établi'; qu'en outre aucun signe avant coureur n'était visible de sorte que ce risque était imprévisible.
Mais il faut préalablement qu'elle justifie que la clause dont elle réclame l'application au motif qu'elle ne serait pas formelle et limitée et permettrait d'assurer les risques fortuits, est une clause d'exclusion.
Or les conditions particulières du contrat «'synthèse des garanties'» montrent que la SAS Les Grains a souscrit une assurance pour les «'dommages aux biens': incendie, dégâts des eaux...'» et pour les«'pertes financières': perte de valeur vénale et pertes d'exploitation'».
Et l'annexe R prévoit au chapitre B «'extension automatique'», dans des articles distincts, les événements bénéficiant de cette extension en les clôturant, dans un encart et en caractère gras, en précisant ce qui dans l'événement décrit «'n'est pas pris en charge'».
Ainsi ce chapitre distingue clairement la condition de la garantie, de l'exclusion de celle-ci.
Notamment dans ce chapitre B, s'agissant plus spécifiquement de «'l'extension pertes d'exploitation'» l'article 24 vise limitativement les sinistres ouvrant droit à la garantie (réinstallation dans un autre lieu- indemnité de licenciement- impossibilité d'accès- fermeture temporaire par décision administrative- dégât des eaux- accidents d'ordre électrique'.
Et plus particulière pour la fermeture temporaire de l'hôtel imposée par décision des autorités administratives (municipales ou préfectorales), il dit que la garantie est acquise exclusivement lorsqu'elle est motivée par la seule survenance effective dans l'hôtel des événements suivants: meurtre, suicide, maladie contagieuse, épidémie, intoxication alimentaire ou empoisonnement.
Elle pose donc que le risque est couvert «'lorsqu'elle (la décision) est motivée..'», ce qui la différencie d'une clause qui dirait que le risque est couvert «'sauf'»'.
Et à la différence d'autres risques développés au chapitre B, aucun encart en caractère gras ne clôture cet article 24 pour prévoir des cas d'exclusion du risque de fermeture administrative motivée par la survenance dans l'hôtel dans des événements énumérés.
Il faut en déduire que l'article 24 pose des exigences claires générales et précises du risque garanti «'survenance effective dans l'hôtel de l'un des évènements visés'» mais ne prévoit pas d'exclusion tenant par exemple à l'origine de l'épidémie, son ampleur, le fait qu'elle se soit déclaré également dans d'autres établissements.
La clause qui pose que l'épidémie doit survenir dans l'établissement constitue donc bien une condition de la garantie et pas une exclusion de cette garantie.
Il appartient en conséquence à l'assuré de démontrer qu'elle est remplie.
En conséquence et à défaut de montrer que l'établissement a fermé des suites de mesures administratives justifiées par un cas d'épidémie en son sein, la SAS es Grains ne peut réclamer le bénéfice de cette garantie.
Aussi, ce moyen ne saurait pas plus fonder la demande en garantie de la SAS les Grains.
Sur la garantie en application de l'article 24, c
La SAS les Grains se prévaut par ailleurs à titre subsidiaire, de la garantie «'impossibilité d'accès «' posée au ( c ) de l'article 24 précité ainsi rédigée':
«'la garantie est étendue aux conséquences de l'interruption ou de la réduction de l'activité de l'hôtel par suite d'incendie ou d'explosion d'un risque voisin empêchant totalement ou partiellement l'accès des lieux où s'exerce l'assurance'».
Elle estime que compte tenu du manque de clarté dans la rédaction de cette clause, celle-ci doit s'interpréter en sa faveur.
Elle en déduit qu'elle doit s'entendre en l'espèce comme permettant d'assimiler au «'risque voisin'» le risque d'un virus létal tel que le Covid 19 au caractère pathogène et extrêmement contagieux qui a empêché totalement l'accès à l'hôtel restaurant et a entraîné l'interruption totale de son activité.
Mais le terme «'risque voisin'» n'est pas séparé des autres termes par une virgule et constitue un tout avec l'incendie ou l'explosion de sorte qu'il doit s'agir d'un risque voisin de ces deux derniers.
La SAS Les Grains soutient alors qu'il s'agit bien d'une «'explosion'» de la maladie épidémique.
Mais l'explosion dans l'ensemble du contrat, et énoncée à plusieurs reprises dans les conditions générales, est toujours entendue dans son sens littéral et pas figuré de sorte que la qualification «'d'explosive'» de sa propagation ne peut permettre d'oublier qu'il s'agit d'un virus qui s'est propagé et pas d'une explosion.
Aussi l'interprétation in favorem dont entend se prévaloir la SAS Les Grains et qui n'est pas, comme elle l'écrit «'tout naturellement celle qui permet de lui accorder la garantie d'assurance'» mais seulement celle qui lui est la plus favorable, ne permet que d'interpréter largement le risque voisin (incendie, foudre, implosion, choc, chute...) mais pas de l'étendre à un risque sans lien avec une explosion matérielle.
Aussi les causes à la suite desquelles l'établissement a été fermé étant sans rapport avec une explosion matérielle ou un événement similaire, la garantie offerte par l'article 24c n'est pas mobilisable.
En conséquence ajoutant au jugement de première instance, la cour déboute la société de sa demande en garantie de son risque perte d'exploitation sur le fondement de la clause 24,c.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement du tribunal de commerce de Reims en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et ajoutant,
Déboute la SAS les Grains de sa demande d'indemnisation du préjudice «'pertes d'exploitation'»,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne La SAS Les Grains aux dépens.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE