Arrêt n°
du 8/02/2023
N° RG 22/01151
MLS/FJ
Formule exécutoire le :
à :
COUR D'APPEL DE REIMS
CHAMBRE SOCIALE
Arrêt du 8 février 2023
APPELANTE :
d'un jugement rendu le 2 mai 2022 par le Tribunal paritaire des baux ruraux de CHALONS EN CHAMPAGNE (n° 21/00613)
Madame [N], [T], [L] [R] veuve [X]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Ingrid MILTAT, avocat au barreau de REIMS
INTIMÉ :
Monsieur [O] [R]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par la SELAS DEVARENNE ASSOCIES GRAND EST, avocats au barreau de REIMS
DÉBATS :
A l'audience publique du 12 décembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 8 février 2023, Madame Christine ROBERT-WARNET, président de chambre, et Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller, chargés d'instruire l'affaire, ont entendu les plaidoiries en application de l'article 945-1 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées, et en ont rendu compte à la cour dans son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
Madame Christine ROBERT-WARNET, président
Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller
Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller
GREFFIER lors des débats :
Monsieur Francis JOLLY, greffier
ARRÊT :
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller en remplacement du président régulièrement empêché, et Monsieur Francis JOLLY, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
Exposé des faits :
Selon acte authentique de donation-partage du 5 mai 1989, Madame [N] [R] a été attributaire d'une parcelle de terre située à [Localité 4] (51) lieu-dit «les gres » cadastrée section ZD n°[Cadastre 3] d'une contenance de 71 a 90 ca, louée selon bail verbal à Monsieur [O] [R].
Par acte extrajudiciaire du 7 février 2012, Madame [N] [R] a fait délivrer au preneur congé aux fins de reprise personnelle pour le 1er décembre 2013, congé que le preneur a contesté devant le tribunal paritaire des baux ruraux de Châlons en Champagne.
Par jugement du 26 août 2013, le tribunal a validé le congé.
Par arrêt du 24 septembre 2014, la cour d'appel de Reims a infirmé le jugement.
Par arrêt du 17 mars 2016, la cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel de Reims et renvoyé l'affaire devant la cour d'appel d'Amiens.
Par arrêt confirmatif du 7 juin 2018, la cour d'appel d'Amiens a définitivement validé le congé.
Après ordonnance de référé du 1er août 2018 ordonnant, sous astreinte, la libération de la parcelle et autorisant à défaut l'expulsion du preneur, la parcelle a été libérée le 23 août 2018.
Le 1er mars 2021, Madame [N] [R] a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Châlons-en-Champagne de demandes tendant à obtenir condamnation de Monsieur [O] [R] à lui payer les sommes suivantes :
- 57'287,00 euros au titre de la perte d'exploitation pour les années de 2014 à 2017,
- 2 533,80 euros de frais de remise en état,
- 2 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Monsieur [O] [R] a conclu à l'irrecevabilité et au rejet de la demande. À titre reconventionnel, il a demandé la condamnation de Madame [N] [R] à lui payer la somme de 33'720,00 euros et subsidiairement 17'500,00 euros avec intérêts de droit à compter du jugement. Dans tous les cas, il a demandé une somme de 2 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement contradictoire du 2 mai 2022 notifié à Madame [N] [R] le 16 juin 2022, le tribunal paritaire des baux ruraux :
- a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par Monsieur [O] [R], tirée de la prescription des demandes au titre de la perte d'exploitation des années 2014 et 2015,
- a débouté les parties de toutes leurs demandes,
- a dit que chacune des parties conserverait la charge de ses propres dépens.
Le 2 juin 2022, Madame [N] [R] a régulièrement interjeté appel du jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes et dit que chacune des parties conserverait ses propres dépens.
Prétentions et moyens :
Au terme de ses dernières écritures du 28 septembre 2022 soutenues à l'audience, l'appelante demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir et débouté Monsieur [O] [R] de ses demandes en laissant à ce dernier la charge de ses propres dépens.
Par infirmation du surplus, elle demande condamnation de l'intimé à lui payer les sommes initialement réclamées au titre de la perte d'exploitation, des frais de remise en état, outre 2 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, elle expose que sa demande principale est recevable dans la mesure où le délai de prescription a commencé à courir à compter du 7 juin 2018, date à laquelle a été rendu l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens.
Elle soutient que dans la mesure où la contestation du congé n'a pas d'effet suspensif, elle est bien fondée à solliciter la condamnation de l'intimé à lui verser la part de récoltes non perçues entre la date d'effet du congé et la date à laquelle elle a récupéré la parcelle et que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que le preneur était légitime à se maintenir dans les lieux pendant la procédure contentieuse. Elle soutient qu'à partir de la délivrance du congé, le preneur qui se maintient dans les lieux à la faveur d'une contestation du congé ne peut être considéré comme un possesseur de bonne foi et doit restituer les fruits de la chose possédée conformément aux dispositions de l'article 549 du code civil. Elle conclut donc que la validation du congé lui donne droit à l'intégralité des de la récolte sur la période considérée, sous déduction du quart qu'elle a perçu au titre du métayage. Elle soutient que la parcelle de vigne qu'elle a récupérée a été détériorée obligeant le preneur à réparer. Elle demande à la cour de rejeter les demandes reconventionnelles en paiement de la vendange 2018 en rappelant que les dispositions de l'article 1777 alinéa premier in fine du Code civil accordent au preneur sortant la possibilité de procéder aux récoltes restant à faire, mais ne s'appliquent pas lorsque l'occupation des lieux se poursuit à la suite d'une décision de justice ordonnant l'expulsion.
Au terme de ses dernières écritures du 3 décembre 2022 soutenues à l'audience, Monsieur [O] [R] demande à la cour de déclarer irrecevable et mal fondé l'appel, de déclarer recevable et bien fondé son moyen de prescription, de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté l'appelante de ses demandes, de l'infirmer sur la fin de non-recevoir et les demandes reconventionnelles, de dire prescrites les demandes pour les années 2014 et 2015, et de faire droit à ses demandes initiales en sollicitant 3 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, il soutient que les demandes au titre de la perte d'exploitation pour les années 2014 et 2015 sont prescrites, puisque le délai de prescription a commencé à courir à compter du 1er décembre 2013, date d'effet du congé, puisque la contestation du congé n'a pas d'effet suspensif.
Sur le fond, pour les années 2016 et 2017, il fait observer qu'aucune faute ne peut lui être reprochée dans la mesure où la contestation du congé est un droit et que le preneur est en droit de se maintenir dans les lieux jusqu'à ce que le congé soit validé par une décision exécutoire ; que le jugement du 26 août 2013 a validé le congé sans exécution provisoire de sorte que l'appel formé contre cette décision a eu un effet suspensif. Il ajoute que la cassation a remis les parties en l'état où elles se trouvaient, c'est-à-dire en l'état du jugement non revêtu de l'exécution provisoire, de sorte qu'il avait le droit de se maintenir dans les lieux jusqu'à la décision de la cour d'appel d'Amiens.
Il fait observer que pendant ces années, la bailleresse a perçu sa part au titre du métayage. Il souligne que le quantum des sommes apparaît injustifié dans la mesure où la demande correspond en réalité à la rémunération de l'exploitant que l'appelante ne peut revendiquer alors qu'elle n'a pas apporté de main-d''uvre et qu'elle n'a pas exploité de sorte qu'elle n'a pas de préjudices.
Il prétend, au vu du rendement de la parcelle, l'avoir restituée en bon état en faisant observer que le constat établi par l'appelant ne peut suffire à apporter la preuve contraire, en l'absence d'état des lieux de sortie. Il prétend être bien fondé à réclamer sa part de la récolte 2018 correspondant au coût de l'exploitation qu'il a supporté et à sa juste rémunération.
À titre subsidiaire, il prétend réclamer remboursement du coût d'exploitation de la vigne qu'il dit justifier.
Motifs de la décision :
1 - sur la prescription des demandes au titre de la perte d'exploitation des années 2014 et 2015
Par des motifs pertinents que la cour adopte, le tribunal a écarté la fin de non recevoir, considérant à raison que le délai quinquennal de prescription n'a pu commencer à courir avant la décision définitive du 7 juin 2018, date à laquelle la bailleresse a eu connaissance des faits lui permettant d'exercer son action.
La saisine du 1er mars 2021 n'est donc pas tardive.
Le jugement sera confirmé sur la recevabilité.
2 - sur les demandes au titre des 'pertes d'exploitation'
C'est à tort que le tribunal paritaire des baux ruraux a rejeté la demande considérant que le preneur n'avait pas commis de faute en se maintenant dans les lieux le temps de la procédure judiciaire, en l'état d'un jugement de validation du congé non assorti de l'exécution provisoire et qui au demeurant, n'ordonnait pas la libération immédiate des terres.
En effet, la bailleresse n'exerce pas une action en responsabilité, mais réclame restitution des fruits de la chose louée, qu'elle prétend être siens depuis le 1er décembre 2013, les qualifiant de 'perte d'exploitation'.
Or, en conséquence de la validation du congé a effet au 1er décembre 2013, Monsieur [O] [R] a, à compter de cette date, occupé la parcelle sans titre puisque le contrat de bail a pris fin, faute de renouvellement.
Possesseur de mauvaise foi en raison du congé qui lui avait été délivré et qu'il a contesté, il doit restitution des fruits appartenant depuis cette date au propriétaire, en vertu des articles 548 et 549 du code civil, invoqués à raison par l'appelante, sous déduction des frais de labours, de semence et de travaux engagés pour la production de ces fruits.
Dès lors, il faut, par infirmation du jugement, faire droit à la demande dont le quantum tient compte des frais d'exploitation de la vigne selon les calculs faits par l'institut de fiscalité, d'audit et de comptabilité.
3 - Sur la réparation des dégradations
De manière pertinente, le tribunal a pu juger que le constat d'huissier établi par la bailleresse en fin de bail était insuffisant pour justifier de dégradations imputables au preneur, dès lors qu'aucune pièce du dossier ne vient établir l'état des vignes au début du bail.
Le jugement sera donc confirmé sur ce point.
4 - sur la part de récolte 2018 du preneur
Occupant sans droit ni titre depuis le 7 juin 2018 et exploitant à ses risques et périls, c'est à tort que le preneur sollicite sa part de récolte de l'année 2018, comme l'a jugé pertinemment le tribunal, dont le jugement sera confirmé sur ce point.
De plus, le possesseur de mauvaise foi ne peut prétendre aux fruits de la chose restituée comme il a été dit plus haut, sauf remboursement des frais de labours, de semence et de travaux engagés pour la production, qui faute de justification, ne peuvent être en l'espèce accordés.
5 - les autres demandes
L'appelante obtient gain de cause sur l'essentiel de sa demande de sorte que l'intimé doit être considéré comme succombant au sens de l'article 696 du code de procédure civile. Il doit donc supporter les frais irrépétibles et les dépens de première instance et d'appel. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Monsieur [O] [R] de ses demandes en ce titre et infirmé en ce qu'il a débouté Madame [N] [R] et en ce qu'il a laissé à chacune des parties la charge de ses dépens.
Débouté de ses demandes à ce titre, Monsieur [O] [R] sera condamné à payer à Madame [N] [R] la somme de 2 000,00 euros en remboursement de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.
Par ces motifs :
La cour statuant publiquement, par décision contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme le jugement rendu le 2 mai 2022 par le tribunal paritaire des baux ruraux de Châlons en Champagne en ce qu'il :
- a débouté Madame [N] [R] de sa demande au titre de la 'perte d'exploitation', et de sa demande d'indemnité de l'article 700 du Code de procédure civile,
- a laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens,
Confirme le surplus,
statuant à nouveau, dans la limite de l'infirmation,
Condamne Monsieur [O] [R] à payer à Madame [N] [R] veuve [X] la somme de 57 287,00 euros (cinquante sept mille deux cent quatre vingt sept euros) en restitution des fruits de l'exploitation entre 2014 et 2017,
y ajoutant,
Condamne Monsieur [O] [R] à payer à Madame [N] [R] veuve [X] la somme de 2 000,00 euros (deux mille euros) en remboursement de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel,
Condamne Monsieur [O] [R] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE CONSEILLER