Arrêt n°
du 8/02/2023
N° RG 22/00771
CRW/FJ
Formule exécutoire le :
à :
COUR D'APPEL DE REIMS
CHAMBRE SOCIALE
Arrêt du 8 février 2023
APPELANT :
d'un jugement rendu le 3 mars 2022 par le Conseil de Prud'hommes de REIMS, section Commerce (n° F 21/00176)
Monsieur [Y] [R]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par la SCP ROYAUX, avocats au barreau des ARDENNES
INTIMÉE :
SA ONYX EST
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par la SELAS S.P.R., avocats au barreau de REIMS
DÉBATS :
En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 décembre 2022, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Christine ROBERT-WARNET, président de chambre, et Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller, chargés du rapport, qui en ont rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 8 février 2023.
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
Madame Christine ROBERT-WARNET, président
Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller
Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller
GREFFIER lors des débats :
Monsieur Francis JOLLY, greffier
ARRÊT :
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller en remplacement du président régulièrement empêché, et Monsieur Francis JOLLY, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
[Y] [R] a été embauché selon contrat à durée indéterminée à effet du 11 juin 2001 par la société Onyx Est en qualité de conducteur de matériel de collecte, relevant de la catégorie ouvrier, position II, coefficient 110 de la convention collective des activités du déchet, applicable dans l'entreprise.
Dans le dernier état de la relation contractuelle, il percevait une rémunération brute moyenne sur les 12 derniers mois de 2680,78 euros.
Par lettre remise en main propre le 28 novembre 2018, [Y] [R] a été convoqué à un entretien préalable à son licenciement pour celui-ci se tenir le 6 décembre 2018, entretien auquel il s'est présenté assisté d'un représentant du personnel.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 21 décembre 2018, la société Onyx Est a notifié à [Y] [R] son licenciement, fondé sur une faute grave.
Contestant la légitimité de son licenciement, au regard du statut protecteur dont il aurait dû bénéficier du fait de sa candidature aux élections au Comité Social et Économique, [Y] [R] a saisi, par requête enregistrée au greffe le 8 avril 2021, le conseil de prud'hommes de Reims.
Aux termes de ses dernières conclusions, il prétendait à :
- l'illicéité du licenciement dont il a fait l'objet au regard de son statut de salarié protégé,
- l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement dont il a fait l'objet, à défaut de faute grave avérée,
- la condamnation, sous exécution provisoire, de son employeur au paiement des sommes suivantes :
. 5 361,56 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
. 536,15 euros à titre de congés payés afférents,
. 13'403,89 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,
. 32'169,36 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement illicite,
. 37'750,92 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,
. 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 3 mars 2022, le conseil de prud'hommes de Reims a débouté [Y] [R] en l'ensemble de ses demandes et l'a condamné à payer à la SA Onyx Est la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
[Y] [R] a interjeté appel de cette décision le 4 avril 2022.
Vu les conclusions transmises au greffe par RPVA le 1er juillet 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour plus ample informé des moyens de la partie appelante par lesquelles [Y] [R], renouvelant l'intégralité de son argumentation initiale et prétendant au bien-fondé de l'ensemble de ses demandes, sollicite l'infirmation du jugement qu'il critique pour renouveler celles qu'il avait initialement formées, pour les sommes alors sollicitées.
Sur la base d'attestations qu'il produit aux débats, [Y] [R] fait valoir que son employeur était parfaitement informé de son engagement syndical et de son intention de se présenter aux élections au Conseil Social et Économique, comme mentionné sur la liste des candidats adressée à son employeur le 18 décembre 2018 par le syndicat.
Il en conclut donc à la nullité du licenciement dont il a fait l'objet.
Sur le bien-fondé du licenciement, il fait valoir qu'aucun des griefs formés à son encontre n'est véritablement étayé et maintient que la véritable raison de son licenciement résulte de son engagement syndical et de sa volonté de se présenter sur une liste pour les prochaines élections.
Vu les conclusions transmises au greffe par RPVA le 29 septembre 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour plus ample informé des moyens de la partie intimée par lesquelles la SA Onyx Est sollicite la confirmation du jugement, le débouté de [Y] [R] en l'ensemble de ses demandes et sa condamnation à lui payer la somme de 3500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de son argumentation, l'employeur prétend que la candidature de [Y] [R] aux élections professionnelles résulte de la lettre de candidature datée du 18 décembre 2018, soit postérieure à la remise en main propre de sa convocation à un entretien préalable à son licenciement, tandis qu'il n'avait pas, avant cette date, connaissance de la candidature imminente de son salarié aux élections professionnelles, sans que ce dernier établisse le contraire.
Il en conclut que [Y] [R] revendique à tort le bénéfice du statut protecteur, au surplus pour une durée de 12 mois tandis qu'étant candidat, il pourrait seulement prétendre au paiement de son salaire jusqu'à la date officielle de sa candidature, soit jusqu'au 18 décembre 2018.
Subsidiairement, il ne pourrait prétendre au paiement d'une indemnité qu'à hauteur de 6 mois de salaire, à compter de l'envoi de la liste des candidats, sur le fondement des dispositions de l'article L2411 - 7 du code du travail.
Quant au bien-fondé du licenciement, la SA Onyx Est soutient que celui-ci repose sur une faute grave avérée telle que reprochée à son salarié.
Sur ce :
Sur la nullité du licenciement
[Y] [R] prétend à la nullité du licenciement dont il a fait l'objet, revendiquant la qualité de salarié protégé, qu'a violée son employeur.
En application des dispositions de l'article L.2411-7 du code du travail, la connaissance par l'employeur d'une candidature imminente du salarié à des élections professionnelle confère à celui-ci le bénéfice du statut protecteur, nécessitant l'autorisation de licenciement par l'inspecteur du travail
Il appartient au salarié de rapporter, par tout moyen, la preuve de cette connaissance.
En l'espèce, comme ont pu le constater les premiers juges, la convocation à l'entretien préalable, adressée à [Y] [R] le 28 novembre 2018 est antérieure à sa candidature aux élections du Comité Social et Economique intervenue le 18 décembre 2018.
À défaut pour [Y] [R] d'établir, par la production aux débats, y compris à hauteur d'appel, d'attestations suffisamment précises, notamment en termes de date, que son employeur, lors de l'engagement de la procédure de licenciement, avait connaissance de sa candidature imminente aux élections du Comité Social et Économique, les premiers juges l'ont, à bon droit, débouté en sa demande.
Le jugement mérite donc d'être confirmé de ce chef.
Sur le bien-fondé du licenciement
La faute grave, dont la charge de la preuve incombe à l'employeur, telle qu'énoncée dans la lettre de licenciement dont les termes fixent le cadre du litige soumis à l'appréciation des juges du fond se définit comme un fait ou un ensemble de faits, imputables au salarié, caractérisant de sa part un manquement tel aux obligations découlant de la relation de travail que son maintien dans l'entreprise, pendant la durée du préavis, s'avère impossible.
En l'espèce, la lettre de licenciement reproche à [Y] [R] un défaut de loyauté et de respect des consignes de travail. Elle énonce les griefs suivants :
- absence de tri des flux entrants dans le camion de collecte,
- 'fraude' dans la déclaration des temps de pause, heures de début et fin de service.
S'agissant du premier grief, il est reproché à [Y] [R] d'avoir mélangé les flux lors de la collecte chez un client, en violation des consignes de sa hiérarchie et exposant la société Onyx Est à des pénalités financières pour non respect des clauses contractuelles du client.
Selon la fiche de poste de 'conducteur de matériel de collecte', [Y] [R] avait notamment pour missions :
- d'assurer la collecte et la manutention des déchets chez le client en respectant les procédures et consignes,
- d'assurer la responsabilité de la bonne exécution de la prestation confiée,
- de se conformer aux règles de pesage,
- de garantir la bonne mise en oeuvre du cahier des charges afin d'assurer la facturation correspondante.
Au soutien de son argumentation, l'employeur produit aux débats un contrat conclu avec le lycée [5].
Toutefois, aucun autre élément produit aux débats ne permet de déterminer que le grief formé à l'encontre de [Y] [R] aurait été porté à la connaissance de l'employeur dans un délai permettant l'engagement de poursuites disciplinaires, dans les termes du code du travail.
Mais aussi, aucun élément ne permet à la cour de déterminer que les faits fautifs visent à sanctionner le comportement de [Y] [R] auprès de ce client, en l'absence d'un quelconque justificatif de leur mode de dénonciation.
Ce grief sera donc écarté.
S'agissant du second grief, l'employeur reproche à son salarié à la fois :
- de ne pas décompter ses temps de pause, engendrant une double rémunération,
- de ne pas respecter les pauses réglementaires imposées par la réglementation sur la durée de temps de conduite,
- de prendre, de façon répétée, de longues pauses d'une durée de une à deux heures sans les déclarer engendrant une rémunération d'heures non réalisées,
- d'enregistrer des heures de prises de poste avant le temps d'habillage et une pause-café, engendrant un différentiel récurrent de 20 minutes entre l'heure déclarée et la prise effective de poste.
L'employeur reproche en définitive à son salarié d'avoir volontairement communiqué un temps de travail inexact percevant ainsi une rémunération pour du temps de travail non effectif.
La société Onyx Est produit aux débats les attestations de deux salariés, responsables d'exploitation affirmant transmettre au service paie via un logiciel les heures inscrites par les salariés sur leurs feuilles de tournées.
Il est ainsi établi que le temps de travail de [Y] [R] était décompté à partir de ses feuilles de tournées.
A défaut de preuve contraire, celui-ci affirme vainement qu'il n'était pas toujours l'auteur des heures mentionnées sur ces feuilles et ce, alors que conformément à sa fiche de poste, il était tenu de 'compléter les différents documents rendant compte de son activité'.
La société Onyx Est n'établit pas l'absence de prise de pause par [Y] [R].
En revanche, elle établit au moyen d'une étude comparative des feuilles de tournées de [Y] [R] et de sa carte conducteur l'existence de nombreux temps de pause très longs et déclarés comme du temps de travail effectif et ce, depuis au moins le 19 juin 2018.
En outre, si comme le précise la société Onyx Est, [Y] [R] explique que pour certaines déclarations il ne s'agit pas de temps de pause mais de temps passé à des réparations, il n'explique pas pour autant le décalage, sur ces feuilles de tournées, entre les prises et fins de poste renseignées et les relevés de ses cartes conducteur.
[Y] [R] reconnaît par ailleurs l'activation injustifiée du mode travail de la carte conducteur le matin expliquant que 'depuis 2011, les chauffeurs démarraient leurs camions puis ils allaient se changer pour mettre leurs E.P.I, récupérer leurs plannings et se rejoignaient tous en salle de pose'.
Ces éléments établissent le comportement fautif de [Y] [R] qui a fait en sorte d'augmenter artificiellement le nombre d'heures de travail.
Le caractère répété de ses fausses déclarations de temps de travail, qui lui étaient systématiquement favorables, démontre une pratique délibérée de sa part.
Au-delà de la perte de confiance qui en résulte, la lettre de licenciement relève que cette attitude est d'autant plus intolérable qu'il occupait le rôle de chef d'équipe et qu'à ce titre, il se devait d'avoir un comportement exemplaire.
Cependant, compte tenu de l'ancienneté du salarié, de l'absence d'antécédent disciplinaire pendant plus de dix-sept années, le grief retenu ne présente pas un caractère de gravité suffisant pour justifier la rupture immédiate du contrat de travail.
Il convient par conséquent de requalifier en cause réelle et sérieuse le motif du licenciement, par voie de réformation du jugement déféré.
Aussi, la société Onyx Est sera condamnée à verser à [Y] [R] les sommes suivantes :
- 5.361,56 euros à titre d'indemnité de préavis,
- 536, 15 euros à titre de congés payés afférents,
- 13.403,89 euros à titre d'indemnité de licenciement.
En revanche, [Y] [R] sera débouté en sa demande en paiement de dommages-intérêts pour licenciement abusif
Il y a lieu de préciser que toute condamnation est prononcée sous déduction des éventuelles cotisations sociales salariales applicables.
Sur les frais irrépétibles
Compte tenu des termes de la présente décision, chaque partie étant partiellement déboutée de ses demandes dans le cadre de l'instance d'appel, il y a lieu, le jugement déféré étant infirmé de ce chef, de dire que chacune conservera à sa charge les frais irrépétibles qu'elle a pu exposer en première instance et à hauteur d'appel.
Par ces motifs :
La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Reims le 3 mars 2022 en ce qu'il a :
- dit que le licenciement de [Y] [R] repose sur une faute grave,
- déboute [Y] [R] de ses demandes en paiement de l'indemnité de préavis, des congés payés afférents et de l'indemnité de licenciement,
- condamné [Y] [R] au paiement d'une indemnité de 500 euros au titre des frais irrépétibles et aux dépens,
Le confirme pour le surplus,
Statuant à nouveau dans cette limite et, y ajoutant,
Requalifie en cause réelle et sérieuse le motif du licenciement de [Y] [R],
Condamne la SA Onyx Est à verser à [Y] [R] les sommes de :
- 5.361,56 euros à titre d'indemnité de préavis,
- 536,15 euros à titre de congés payés afférents,
- 13.403,89 euros à titre d'indemnité de licenciement,
Précise que toutes les condamnations sont prononcées sous réserve de déduire les cotisations salariales ou sociales éventuellement applicables,
Déboute les parties en leurs demandes respectives fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, s'agissant des frais exposés en première instance et à hauteur d'appel,
Condamne la SA Onyx Est aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT