ORDONNANCE N° 4
DOSSIER N° RG 22/00052
N° Portalis DBVQ-V-B7G-FIGR-16
[G] [C]
c/
SAS AMENAGEMENT ESPACE SERVICES
Expédition certifiée conforme revêtue de la formule exécutoire
délivrée le
à
- SELARL PELLETIER ASSOCIES
-Me Anne-laure SEURAT
L'AN DEUX MIL VINGT TROIS,
Et le dix-huit janvier,
A l'audience des référés de la cour d'appel de REIMS, où était présent et siégeait M.Benoît PETY, président de chambre, faisant fonction de premier président, spécialement désigné par ordonnance en date du 7 décembre 2022, assisté de Mme Jocelyne DRAPIER, greffier,
Vu l'assignation donnée par la SAS Acthuiss Grand Est, huissiers de justice associés à la résidence de [Adresse 7], ayant son siège social à [Adresse 5], en date du 2 décembre 2022,
A la requête de :
M. [G] [C], né le 28 décembre 1987, à [Localité 3] (OISE), de nationalité française, demeurant [Adresse 1],
DEMANDEUR,
représenté par Me Carole DEWILDE, avocat au barreau de REIMS (SELARL PELLETIER ASSOCIES),
à
la SAS AMENAGEMENT ESPACE SERVICES (SAS AES), exerçant sous l'enseigne IXINA, société par actions simplifiée au capital de 50 000 euros, inscrite au registre du commerce et des sociétés de REIMS sous le numéro 483.532.941 et sous le numéro SIRET 48353294100034, ayant son siège social [Adresse 2]), prise en la personne de son représentant légal, domicilié de droit audit siège,
DEFENDERESSE,
représentée par Me Anne-Laure SEURAT, avocat au barreau de REIMS,
d'avoir à comparaître le mercredi 14 décembre 2022, devant le premier président statuant en matière de référé.
L'affaire a fait l'objet d'un renvoi à l'audience du mercredi 11 janvier 2023.
A l'audience du mercredi 11 janvier 2023, M. Benoît PETY, président de chambre, a entendu les conseils des parties en leurs conclusions et explications, assisté de Mme Jocelyne DRAPIER, greffier, puis l'affaire a été mise en délibéré au mercredi 18 janvier 2023,
Et ce jour, 18 janvier 2023, a été rendue l'ordonnance suivante par mise à disposition au greffe du service des référés, les parties en ayant
été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile :
Exposé du litige, de la procédure et des prétentions des parties :
Le 27 mai 2019, M. [G] [C] a réintégré le magasin de [Localité 6] de la société Ixina, dénommée désormais la SAS Aménagement-Espaces-Services (AES), spécialisée dans l'aménagement de cuisines, suivant contrat de travail à durée indéterminée comprenant une clause de non-concurrence.
Le 31 janvier 2022, M. [C] a notifié à l'employeur sa décision de démissionner de son poste sous réserve du préavis de deux mois.
La société AES apprenait que M. [C] occupait depuis le 1er avril 2022 un poste de concepteur-vendeur au sein de la société Izace sous l'enseigne Schmidt à [Localité 4], soit à 7 kilomètres du magasin Ixina de [Localité 6].
La société AES rappelait à M. [C], par courrier recommandé avec accusé de réception, le contenu de la clause de non-concurrence.
La société AES a fait convoquer M. [C] devant le conseil de prud'hommes de Reims en formation de référé pour voir cesser toutes les activités de l'intéressé en concurrence directe avec elle, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la première mise en demeure, condamner M. [C] à lui verser 3 000 euros à titre provisionnel à valoir sur l'indemnisation de son préjudice, outre 1 500 euros d'indemnité de procédure et les dépens.
M. [C] a conclu au débouté et sollicité le versement par la société AES d'une indemnité de procédure de 1 800 euros.
Par ordonnance de référé du 18 octobre 2022, le conseil de prud'hommes de Reims a condamné M. [C] à payer à la société AES Ixina la somme de 3 000 euros en indemnisation du préjudice subi pour violation de la clause de non-concurrence, s'est dit incompétent pour statuer sur le chef de cessation de toute activité concurrentielle, dit que chaque partie conserverait la charge de ses frais et dépens et débouté les parties du surplus de leurs demandes.
M. [C] a interjeté appel de cette ordonnance par déclaration du 1er décembre 2022, son recours portant sur l'entier dispositif de la décision déférée.
Par acte d'huissier du 2 décembre 2022, M. [C] a fait assigner la société AES devant le premier président de la cour d'appel de Reims, au visa des articles 517-1, 514-3, 517 à 522 du code de procédure civile, aux fins de voir :
- dire que l'exécution provisoire a pour lui des conséquences manifestement excessives,
- en conséquence, suspendre l'exécution provisoire dans l'attente de l'arrêt,
- condamner la société AES à lui verser une indemnité de procédure de 600 euros.
A l'audience du 11 janvier 2023, M. [C], représenté par son conseil, reprend les termes de son assignation, s'opposant par ailleurs à l'intégralité des demandes de la société AES.
M. [C] énonce d'abord que le défaut de sa part de toute observation devant le conseil de prud'hommes sur l'exécution provisoire est sans emport puisque celle-ci est de droit, s'agissant d'une ordonnance de référé.
Il expose que les chances de réformation de l'ordonnance dont appel sont sérieuses car la clause de non-concurrence qui apparaît dans l'exemplaire de contrat de travail qu'il a en son temps conclu avec la société AES ne mentionne aucunement la Marne. Si la société AES dispose d'un exemplaire le mentionnant, il y a là une contestation sérieuse puisque l'examen de la demande d'AES supposait obligatoirement une appréciation portant sur l'existence des droits invoqués.
M. [C] ajoute que l'exécution de l'ordonnance dont appel engendrerait pour lui des conséquences manifestement excessives. La somme de 3 000 euros représente deux mois de salaire puisque sa rémunération de base mensuelle est de 1 678,99 euros. Il est père de deux enfants. Ses charges domestiques ne cessent de croître. Il s'oppose à l'audience à toute radiation de l'affaire au fond.
* * * *
La société AES pour sa part demande au premier président de la cour de Reims de :
- débouter M. [C] de sa demande de suspension de l'exécution provisoire,
- à titre reconventionnel, prononcer la radiation de l'affaire dans l'attente de l'exécution par M. [C] de la décision dont appel,
- condamner M. [C] à lui verser la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La personne morale défenderesse expose qu'aucune mention sur l'exécution provisoire ne ressort des écritures de M. [C] devant le conseil de prud'hommes de Reims de sorte qu'il ne peut faire état de conséquences manifestement excessives que du chef de circonstances qui se sont révélées postérieurement à la décision dont appel.
En outre, aucun moyen sérieux de réformation de la décision dont appel n'est démontré dans la mesure où la société AES détient bien le contrat de travail de M. [C] mentionnant la Marne comme département objet de la clause de non-concurrence, ce contrat ayant été établi en deux exemplaires et portant la signature de [G] [C], signature que ce dernier n'a pas contestée.
Enfin, les circonstances manifestement excessives liées à l'exécution provisoire invoquées par M. [C] sont antérieures à la décision querellée et ne peuvent donc pas démontrer une situation financière complexe postérieure. La radiation de l'affaire au fond est justifiée dans l'attente de l'exécution par M. [C] de cette décision.
* * * *
Motifs de la décision :
Attendu que l'article 514-3 du code de procédure civile énonce qu'en cas d'appel, le premier président peut être saisi afin d'arrêter l'exécution provisoire de la décision lorsqu'il existe un moyen sérieux d'annulation ou de réformation et que l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives.
La demande de la partie qui a comparu en première instance sans faire valoir d'observations sur l'exécution provisoire n'est recevable que si, outre l'existence d'un moyen sérieux d'annulation ou de réformation, l'exécution provisoire risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives qui se sont révélées postérieurement à la décision de première instance.
[---];
Attendu que l'objet de l'appel par M. [C] de l'ordonnance du conseil de prud'hommes de Reims porte sur la somme indemnitaire provisionnelle de 3 000 euros mise à sa charge en faveur de la SAS AES, l'appelant faisant valoir que la clause de non-concurrence mentionnée dans son exemplaire de contrat de travail ne porte pas sur le département de la Marne de sorte qu'il n'est pas en faute en travaillant pour le compte d'un cuisiniste à Cormontreuil ;
Que la société AES produit son exemplaire de contrat conclu avec M. [C], document qui vise explicitement le département de la Marne au titre de la clause de non-concurrence ;
Que ces deux exemplaires de contrat de travail, tous deux datés du 27 mai 2019, portent notamment la signature de M. [C], la difficulté qui consiste à déterminer lequel de ces contrats doit l'emporter sur l'autre apparaissant suffisamment sérieuse pour considérer que se posait au conseil de prud'hommes de Reims la question de savoir si le litige qui lui était soumis relevait bien du référé, et partant la demande provisionnelle formée par la société AES ;
Qu'il est ainsi utilement fait état par M. [C] de l'existence d'un moyen sérieux de réformation de la décision déférée à la chambre sociale de la cour au sens de l'article 514-3 alinéa 1 ;
Attendu, sur les conséquences manifestement excessives de la mise en oeuvre de l'exécution provisoire, qu'il est constant que si M. [C] n'a pas développé devant le conseil de prud'hommes de Reims d'observations sur l'exécution provisoire attachée à l'ordonnance de référé, cette constatation est cependant sans portée véritable dès lors que le premier juge ne pouvait, en matière de référé, écarter l'exécution provisoire (article 514-1 du code de procédure civile) ;
Que M. [C], entré au service de l'entreprise Izace le 6 avril 2022, démontre percecoir un salaire net imposable (avant prélèvement à la source) de 1 879 euros en moyenne par mois (selon cumul imposable de sa feuille de paie d'octobre 2022), l'intéressé, qui a deux jeunes enfants de son mariage avec Mme [X] [P], justifiant du prononcé du divorce par consentement mutuel courant octobre 2022, du versement d'un loyer mensuel pour son logement de 629,04 euros, de sa participation aux frais scolaires et de cantine des enfants communs inscrits dans un établissement privé, enfin de factures énergétiques de 115 euros par mois au seul titre de la fourniture d'électricité ;
Qu'il n'est pas sérieusement discutable, au vu de ces données, que la somme de 3 000 euros de dommages et intérêts arrêtée à titre provisionnel par le conseil de prud'hommes de Reims constitue pour M. [C] une somme très importante équivalant environ à deux fois son traitement mensuel net à payer, ce qui n'est pas négligeable ;
Que, sans autre indication sur les avoirs financiers dont pourrait disposer le débiteur de cette provision, ce que la SAS AES en toute hypothèse n'oppose pas à M. [C], il importe de considérer que l'exécution provisoire qui s'attache à la décision dont appel est de nature à engendrer pour ce dernier des désordres pécuniaires importants et de déséquilibrer son budget, ce qui engendrerait des conséquences manifestement excessives au sens de l'article 514-3 précité ;
Qu'il y a donc lieu d'arrêter l'exécution provisoire assortissant de droit l'ordonnance prud'homale combattue ;
Attendu que ce constat de conséquences manifestement excessives attaché à l'exécution provisoire de la décision dont appel conduit à rejeter la demande de radiation de l'affaire au fond comme sollicitée à titre reconventionnel par la SAS AES sur le fondement de l'article 524 alinéa 1 du code de procédure civile ;
Attendu que le sens de la présente ordonnance conduit à laisser à la charge de la SAS AES les entiers dépens, l'équité commandant d'arrêter en faveur de M. [C] une indemnité de procédure de 500 euros ;
* * * *
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement et contradictoirement,
- arrêtons l'exécution provisoire assortissant de droit l'ordonnance de référé prononcée le 18 octobre 2022 par le conseil de prud'hommes de Reims dans le litige opposant M. [G] [C] à la SAS Aménagements-Espaces-Services (AES) ;
- rejetons la demande de radiation du rôle de la cour du dossier pendant devant la chambre sociale ensuite de l'appel interjeté par M. [G] [C] de l'ordonnance du conseil de prud'hommes de Reims en date du 18 octobre 2022 ;
- condamnons la SAS AES aux entiers dépens ainsi qu'à verser à M. [G] [C] une indemnité de 500 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile ;
- déboutons la SAS AES de sa propre demande d'indemnité de procédure.
Le greffier, Le président de chambre délégué,