Arrêt n°
du 11/01/2023
N° RG 21/02244
IF/FJ
Formule exécutoire le :
à :
COUR D'APPEL DE REIMS
CHAMBRE SOCIALE
Arrêt du 11 janvier 2023
APPELANTE :
d'un jugement rendu le 23 novembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes de CHARLEVILLE MEZIERES, section Commerce (n° F 20/00050)
SAS SOCIETE D'EXPLOITATION [P] FILS
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par la SCP DELGENES JUSTINE DELGENES, avocats au barreau des ARDENNES
INTIMÉ :
Monsieur [O] [T]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représenté par la SCP MEDEAU-LARDAUX, avocats au barreau des ARDENNES
DÉBATS :
En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 3 octobre 2022, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Christine ROBERT-WARNET, président de chambre, et Madame Isabelle FALEUR, conseiller, chargés du rapport, qui en ont rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 23 novembre 2022, prorogée au 11 janvier 2023.
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
Madame Christine ROBERT-WARNET, président
Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller
Madame Isabelle FALEUR, conseiller
GREFFIER lors des débats :
Monsieur Francis JOLLY, greffier
ARRÊT :
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Christine ROBERT-WARNET, président, et Madame Maureen LANGLET, greffier placé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
Faits et procédure,
Monsieur [O] [T] a été embauché à compter du 2 janvier 2017 en qualité d'aide marbrier par la SAS SOCIETE D'EXPLOITATION [P] FILS en contrat à durée indéterminée à temps complet. En dernier lieu, il occupait le poste de marbrier.
La convention collective applicable à l'entreprise est celle des carrières et matériaux.
Par lettre recommandée en date du 2 juillet 2019, il a été convoqué à un entretien préalable à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement, devant se tenir le 12 juillet 2019 à 9 heures.
Par courrier remis en main propre contre décharge en date du 8 juillet 2019, il lui a été notifié une mise à pied conservatoire à compter du jour même.
Monsieur [O] [T] a été licencié pour faute grave par lettre recommandée en date du 18 juillet 2019 pour les motifs suivants :
- propos insultants et outrageants à l'égard du responsable d'équipe Monsieur [U] [L] en dehors de toute provocation ou exigence illégitime de ce dernier, le 1er juillet 2019,
- erreur dans les gravures sur des stèles pour les familles [K] et [M], pose d'un placage cassé le 11 juin 2019, avec des conséquences graves pour l'entreprise en raison du surcoût pour remédier aux erreurs et du mécontentement des clients,
- Non-respect des horaires de travail de manière régulière,
- apport d'alcool sur son lieu de travail.
Le 3 mars 2020, Monsieur [O] [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières aux fins de voir déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'obtenir diverses indemnités et dommages et intérêts pour licenciement.
Au terme de ses dernières conclusions, Monsieur [O] [T] a demandé au conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières :
- de le déclarer recevable et bien-fondé en ses demandes,
- de condamner la SAS SOCIETE D'EXPLOITATION [P] FILS à lui payer les sommes suivantes :
*34'500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
*5 729,56 euros à titre d'indemnité de préavis outre 572,95 euros de congés payés afférents,
*1 790,48 euros à titre d'indemnité de licenciement,
*1 170,03 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire outre 117 euros de congés payés afférents,
*5 000 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral,
*5 000 euros de dommages et intérêts pour préjudice financier,
*5 000 euros de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de formation,
*2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- de prononcer l'exécution provisoire sur la totalité du jugement.
Au terme de ses dernières conclusions, la SAS SOCIETE D'EXPLOITATION [P] FILS a demandé au conseil de prud'hommes de juger que le licenciement de Monsieur [O] [T] était fondé sur une faute grave et de le débouter de toutes ses demandes d'indemnités et de dommages et intérêts. ' titre subsidiaire, elle a sollicité qu'il soit débouté de ses demandes de dommages et intérêts pour préjudice moral, préjudice financier et non-respect de l'obligation de formation.
Par jugement en date du 23 novembre 2021, le conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières a :
- déclaré les demandes de Monsieur [O] [T] partiellement recevables et fondées,
- requalifié le licenciement pour faute grave en un licenciement pour faute simple,
- condamné la SAS SOCIETE D'EXPLOITATION [P] FILS à payer à Monsieur [O] [T] les sommes suivantes :
*5 729,56 euros au titre de l'indemnité de préavis outre 572,95 euros de congés payés afférents,
*1 784,37 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,
*1 170,03 euros à titre de rappel de salaire sur annulation de mise à pied outre 117 euros de congés payés afférents,
*900 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté Monsieur [O] [T] de sa demande de requalification de son licenciement en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- débouté Monsieur [O] [T] de ses autres demandes,
- condamné la SAS SOCIETE D'EXPLOITATION [P] FILS aux entiers dépens,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la décision hormis pour les indemnités allouées au titre des créances salariales.
Le 16 décembre 2021, la SAS SOCIETE D'EXPLOITATION [P] FILS a régulièrement interjeté appel du jugement du 23 novembre 2021.
L'appel a été enrôlé sous le n° de procédure 21/02244.
Le 17 décembre 2021, Monsieur [O] [T] a également interjeté appel du jugement de première instance.
L'appel a été enrôlé sous le n° 21/02252.
Prétentions et moyens,
Au terme de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 3 mars 2022, auxquelles il est renvoyé pour un exposé détaillé de ses moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, la SAS SOCIETE D'EXPLOITATION [P] FILS demande à la cour d'appel :
- de la déclarer recevable et bien fondée en son appel.
- d'infirmer le jugement du Conseil des Prud'hommes de CHARLEVILLE - MEZIERES du 23 novembre 2021 en ce que :
* il a requalifié le licenciement de Monsieur [O] [T] prononcé pour faute grave en licenciement pour faute simple,
* il a condamné la SAS SOCIETE D'EXPLOITATION [P] FILS à payer à Monsieur [O] [T] le sommes suivantes :
. Rappel de salaire sur mise à pied conservatoire : 170,03 euros
. Indemnité compensatrice de congés payés sur ce rappel : 117 euros
. Indemnité compensatrice de préavis : 5 729,56 euros
. Indemnité compensatrice de congés payés sur préavis : 572,95 euros
. Indemnité de licenciement : 1 784,37 euros
. Indemnité de l'article 700 du code de procédure civile : 2 000 euros
*il l'a condamnée aux dépens de l'instance,
*il l'a déboutée de sa demande de condamnation de Monsieur [O] [T] à lui payer la somme de 1800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
* il a ordonné l'exécution provisoire concernant les indemnités allouées au titre des créances salariales.
- de confirmer le jugement du Conseil des Prud'hommes de CHARLEVILLE - MEZIERES, du 23 novembre 2021 en l'ensemble de ses autres dispositions.
Statuant à nouveau,
- de débouter Monsieur [O] [T] de ses demandes de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire, d'indemnité compensatrice de congés payés sur ce rappel, d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis, d'indemnité de licenciement, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages et intérêts pour préjudice moral et de dommages et intérêts pour préjudice financier.
Subsidiairement, en tout état de cause
- de débouter Monsieur [O] [T] de ses demandes de dommages et intérêts pour préjudice moral et dommages et intérêts pour préjudice financier en l'absence de préjudices prouvés quant à leurs montants,
- de débouter Monsieur [O] [T] de sa demande de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de formation durant l'exécution du contrat de travail.
Subsidiairement, en tout état de cause
- de débouter Monsieur [O] [T] de sa demande de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de formation durant l'exécution du contrat de travail en l'absence de préjudice prouvé quant à son montant,
- de débouter Monsieur [O] [T] de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner Monsieur [O] [T] à lui payer une somme de 1800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner Monsieur [O] [T] aux entiers dépens de l'instance.
La SAS SOCIETE D'EXPLOITATION [P] FILS soutient que la mise à pied à titre conservatoire, qui a été prononcée postérieurement à la convocation à l'entretien préalable au licenciement ne peut être considérée comme une deuxième sanction disciplinaire qui priverait le licenciement de cause réelle et sérieuse en application de la règle selon laquelle les mêmes faits ne peuvent être sanctionnés deux fois. Elle expose que les fautes qu'elle reproche à Monsieur [O] [T] justifient son licenciement pour faute grave et qu'elle a respecté l'obligation de formation durant l'exécution du contrat de travail dès lors que le salarié a bénéficié d'une formation à la découpe de stencils de sablage le 15 février 2019.
Elle affirme qu'il n'y pas lieu d'écarter le barème des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui est conforme aux engagements internationaux de la France.
Au terme de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 5 mai 2022 auxquelles il est renvoyé pour un exposé détaillé de ses moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, Monsieur [O] [T] demande à la cour d'appel :
- de déclarer recevable mais non fondé l'appel interjeté par la SAS SOCIETE D'EXPLOITATION [P] FILS à l'encontre du jugement du conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières du 23 novembre 2021,
- de le déclarer recevable et bien fondé en son appel incident,
y faisant droit,
- d'infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières en ce qu'il a requalifié le licenciement pour faute grave en un licenciement pour faute simple et l'a débouté de ses demandes au titre du préjudice moral, préjudice financier et non-respect de l'obligation de formation,
- de confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Reims en ce qu'il a condamné la SAS SOCIETE D'EXPLOITATION [P] FILS à lui payer les sommes suivantes :
*5 729,56 euros au titre de l'indemnité de préavis outre 572,95 euros de congés payés afférents,
*1 784,37 euros à titre d'indemnité de licenciement,
*1 170,03 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire outre 117 euros de congés payés afférents,
*900 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau,
- de condamner la SAS SOCIETE D'EXPLOITATION [P] FILS à lui payer :
* 34'500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,
* 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice financier,
* 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de formation,
* 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner la SAS SOCIETE D'EXPLOITATION [P] FILS aux entiers dépens.
Monsieur [O] [T] fait valoir qu'une mise à pied conservatoire à défaut d'être concomitante doit être immédiatement suivie par l'engagement d'une procédure de licenciement pour faute grave ou faute lourde, qu'elle doit être antérieure à la mise en place de la procédure de licenciement et qu'à défaut, elle a la nature d'une sanction disciplinaire à part entière empêchant l'employeur de sanctionner les mêmes faits par un licenciement, en vertu du principe non bis in idem, qu'en l'espèce il ne s'est vu notifier une mise à pied que six jours après l'envoi de la lettre le convoquant à un entretien préalable.
Il conteste les griefs de son employeur et ajoute que ce dernier n'en rapporte pas la preuve.
Il fait valoir que le barème plafonnant l'indemnisation du préjudice lié à un licenciement sans cause réelle et sérieuse est contraire au droit international et demande à la cour d'évaluer son préjudice 'in concreto'.
Il soutient qu'il n'a bénéficié d'aucune formation de la part de son employeur pendant la relation contractuelle.
Il a été fait injonction aux parties de rencontrer un médiateur le 25 février 2022.
Les ordonnances de clôture dans les deux dossiers sont intervenues le 5 septembre 2022.
Motifs :
En application de l'article 367 du code de procédure civile, il convient d'ordonner la jonction des procédures enrôlées sous les numéros 21/02244 et 21/02252.
Sur le caractère conservatoire de la mise à pied du 08 juillet 2019 :
Il résulte de l'article L.1331-1 du code du travail qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à double sanction.
La qualification de mise à pied à titre conservatoire est liée à la mise en 'uvre concomitante de la procédure disciplinaire.
La mise à pied prononcée par l'employeur, dans l'attente de sa décision dans la procédure de licenciement engagée dans le même temps, a un caractère conservatoire (Cass. soc., 18 mars 2009, n° 07-44.185).
La mise à pied, prise à l'issue de l'entretien préalable, qualifiée de conservatoire par l'employeur et notifiée en faisant référence à la procédure de licenciement disciplinaire en cours, présente un caractère conservatoire (Cass. soc., 4 Mars 2015, n° 13-23.228)
En l'espèce, Monsieur [O] [T] a été convoqué, par courrier recommandé en date du 2 juillet 2019, à un entretien préalable devant se tenir le 12 juillet 2019 à neuf heures.
Dans le courrier de convocation, l'employeur indique expressément qu'il envisage de prendre une sanction disciplinaire à son encontre et n'exclut pas l'éventualité d'un licenciement.
Le courrier de mise à pied à titre conservatoire en date du 8 juillet 2019, mentionne comme objet 'mise à pied à titre conservatoire'. Il est ainsi rédigé : 'par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 2 juillet 2019, nous vous avons convoqué à un entretien préalable fixé le 12 juillet 2019 à neuf heures dans la mesure où nous envisageons de prendre une sanction disciplinaire à votre encontre et n'excluons pas l'éventualité d'un licenciement.
Dans ce cadre, compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, nous avons décidé de procéder à une mise à pied conservatoire à compter de ce jour. Nous vous demandons donc de ne plus vous présenter à votre travail jusqu'à la notification de notre décision'.
La mise à pied de Monsieur [O] [T] est concomitante à la mise en 'uvre de la procédure de licenciement pour faute grave, peu important qu'elle soit intervenue postérieurement à la convocation à l'entretien préalable et avant la tenue dudit entretien.
Elle a par ailleurs été prononcée jusqu'à la notification de la décision de l'employeur, ce qui démontre de plus fort qu'elle est liée à la procédure en cours.
Elle a donc la nature d'une mise à pied à titre conservatoire et non d'une mise à pied disciplinaire.
Le courrier de mise à pied à titre conservatoire a été signé par Monsieur [H] [P], qui est directeur général délégué de la SAS SOCIETE D'EXPLOITATION [P] FILS ainsi que l'établissent les extraits Kbis en date des 21 décembre 2018 et 15 décembre 2019.
Monsieur [H] [P] avait donc qualité pour signer ce courrier.
Monsieur [O] [T] affirme que Monsieur [H] [P] était sous bracelet électronique et produit un article de la presse locale. Outre que cet article ne permet pas de déterminer les dates de port du bracelet électronique, une telle mesure n'est nullement incompatible avec l'exercice quotidien d'une profession.
Sur la faute grave
La faute grave est celle qui résulte d'un fait, ou d'un ensemble de faits, imputable au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
Il résulte des dispositions combinées des articles L.1232-1, L.1232-6, L.1234-1 et L.1235-1 du code du travail que devant le juge, saisi d'un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l'employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d'une part d'établir l'exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d'autre part de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l'entreprise.
La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige en vertu de l'article L. 1232-6 du code du travail est ainsi rédigée :
' (...) Contre toute attente, le 1er juillet 2019, vous avez tenu des propos insultants et outrageants à l'égard du responsable d'équipe, Monsieur [U] [L], ce en dehors de toute provocation ou exigence illégitime de ce dernier.
A cet égard, vous avez reconnu que votre comportement était inacceptable en lui présentant des excuses a posteriori. Toutefois un tel comportement agressif ne peut être accepté et toléré, vos excuses d'ordre personnel ne peuvent pas légitimer la violence de vos propos et votre agressivité régulière.
En outre, nous avons constaté et déploré que vous n'accomplissiez pas vos fonctions avec sérieux et professionnalisme. En effet, vous vous êtes trompé dans les gravures sur des stèles (cf pour les familles [K] et [M]), vous avez posé un placage alors qu'il était cassé le 11 juin 2019.
Vous ne pouvez ignorer que ces erreurs manifestes ont des conséquences dramatiques en ce qu'elles exigent le polissage des stèles, à cet effet elles ont du être envoyées chez un granitier dans les Vosges, une nouvelle gravure des stèles, en termes de coût, d'organisation du travail des membres de la société mais également vis-à-vis des familles des défunts. Les clients sont extrêmement mécontents et déstabilisés en ces moments de deuil. Il vous incombe d'être extrêmement rigoureux et attentif afin de fournir un travail de qualité. Il est difficilement acceptable pour un client qu'il y ait des erreurs matérielles sur les gravures des stèles ou sur la finition des monuments funéraires.
Par ailleurs, malgré les rappels ou mises en garde, vous ne respectez pas vos horaires de travail de manière régulière. Comme évoqué il ne s'agit pas de simples retards qui entraîneraient un simple décalage de votre temps de travail dans la mesure où vos retards ont des conséquences sur le travail des autres membres de votre équipe qui ne peuvent débuter leur fonction de manière efficace et travailler dans de bonnes conditions.
Enfin vous avez, sans autorisation, apporté de l'alcool sur votre lieu de travail.
Tous ces manquements portent une atteinte très sérieuse au bon fonctionnement de la société sans oublier son image et sa réputation vis-à-vis de la clientèle.
Nous considérons en conséquence que les manquements rappelés ci avant démontrent un comportement général qui porte atteinte très sérieusement aux intérêts de la société et met en péril son bon fonctionnement. Nous considérons que ces faits constituent une faute grave rendant impossible votre manque maintien, même temporaire dans la société (...)'
La SAS SOCIETE D'EXPLOITATION [P] FILS reproche à Monsieur [O] [T] de s'être trompé dans les gravures des textes de deux stèles et produit une facture des Etablissements DIDIER LAURENT en date du 30 avril 2019 faisant mention de deux stèles à repolir.
Toutefois, cette seule facture n'établit ni la matérialité de l'erreur ni son imputabilité à Monsieur [O] [T].
La SAS SOCIETE D'EXPLOITATION [P] FILS reproche à Monsieur [O] [T] la pose d'une plinthe en granit cassée, sur une concession funéraire, le 11 juin 2019.
Elle produit une attestation de Monsieur [U] [L], responsable adjoint de la marbrerie. Il témoigne des propos rapportés par Monsieur [E] qui intervenait avec Monsieur [O] [T] pour poser la plinthe sur la concession funéraire [B] au cimetière de [Localité 4], propos selon lesquels Monsieur [O] [T] a volontairement posé la plinthe qu'il venait de casser en disant que ce ne serait pas visible.
Cette attestation qui émane du supérieur hiérarchique de Monsieur [O] [T], dont l'objectivité et l'impartialité ne sont pas garanties, n'est pas corroborée par d'autres justificatifs.
Ce grief de la SAS SOCIETE D'EXPLOITATION [P] FILS est donc insuffisamment établi.
La preuve de l'absence de respect des horaires de travail par le salarié n'est pas établie, étant par ailleurs souligné que la lettre de licenciement ne précise pas les dates des retards reprochés à Monsieur [O] [T]. La seule production d'un tableau comportant les horaires des salariés du lundi 3 au mardi 11, sans précision du mois, et sur lequel figure une annotation manuscrite d'horaire faite par une personne indéterminée ne peut suffire à établir ce grief.
La SAS SOCIETE D'EXPLOITATION [P] FILS reproche à Monsieur [O] [T] d'avoir apporté de l'alcool sur son lieu de travail.
Elle produit aux débats
- une photo sur laquelle on aperçoit deux hommes tenant une canette de tequila sans qu'il soit possible de déterminer le temps et le lieu de prise de la photo et l'identité de ces personnes.
- une photographie de quatre bouteilles d'alcool sur une table, sans qu'il soit davantage possible de déterminer le temps et le lieu de prise de la photographie
- une attestation de Monsieur [F] [J], aide marbrier, en date du 12 février 2021 qui certifie avoir vu Monsieur [O] [T] consommer de l'alcool sur le lieu de travail à plusieurs reprises (cimetière, atelier) et être alcoolisé au volant du véhicule de l'entreprise
Monsieur [O] [T] produit aux débats une attestation de Monsieur [R] [Y], marbrier, en date du 2 décembre 2020 qui certifie qu'il était ouvrier de la SAS SOCIETE D'EXPLOITATION [P] FILS du 19 avril 1982 au 25 novembre 2020, qu'il a travaillé avec Monsieur [O] [T] et qu'il ne l'a jamais vu ivre ou consommer de l'alcool sur les lieux de travail.
Les photographies n'apportent aucun élément et les attestations produites par l'employeur et le salarié se contredisent.
Dans ces conditions le grief n'apparaît pas caractérisé.
La SAS SOCIETE D'EXPLOITATION [P] FILS reproche à Monsieur [O] [T] d'avoir tenu, par sms des propos insultants et outrageants à l'égard du responsable d'équipe, Monsieur [U] [L].
Elle produit aux débats une capture d'écran des échanges de sms qui établit ces propos comme suit :
- 30 juin à 15h53, de [U] [L] : 'salut [O], demain on commence à 7 heures pour finir à 17 heures, enterrement matin et aprem.. On verra pour le reste de la semaine. Bon dimanche.'
- 30 juin à 18h55 de [O] [T] : 'vas y qu'est-ce que tu me casses les couilles avec le boulot. J'suis p t être pas là demain'
- 30 juin à 19 heures de [U] [L] 'bonjour déjà :) préviens [V]'
- 30 juin à 23h57 de [O] [T] 'préviens la toi'
- 1er juillet à 00h15 de [O] [T] 'je t'ai prévenu vendredi alors assure ou j'appelle [A] après c'est mes frères et ça va piquer'
- 1er juillet à 00h18 de [O] [T] 'tu encourages que les feignants tu vas te démerder'
- 1er juillet à 00h21 de [O] [T] ' Tu dors déjà'
- 1er juillet à 00h22 de [O] [T] 'pu la merde'
- 1er juillet à 00h24 de [O] [T] 'arrête de m'envoyer des messages et me demandes plus rien'
S'il est exact que Monsieur [U] [L] a adressé un sms à Monsieur [O] [T] un dimanche, ce sms, parfaitement correct, ne nécessitait aucune réponse ni aucun travail de la part de Monsieur [O] [T] et n'appelait pas les réponses grossières qu'il a adressées à son supérieur.
Même proférés en dehors du temps de travail et à l'extérieur des locaux de l'entreprise, ces propos grossiers et outrageants se rattachent à la vie professionnelle.
Ils sont constitutifs d'une faute grave en ce qu'ils manifestent un manque de respect de Monsieur [O] [T] à l'égard de Monsieur [U] [L], son supérieur hiérarchique.
Le licenciement pour faute grave est donc fondé et il y a lieu d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières en ce qu'il a requalifié le licenciement de Monsieur [O] [T] pour faute grave en un licenciement pour faute simple.
Il résulte des articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis, ni à une indemnité de licenciement.
Lorsque la faute grave est caractérisée, le salarié n'est pas fondé à réclamer le paiement du salaire dû pendant la période de mise à pied. (Cass. soc., 16 mai 2018, n° 17-11.202)
Il y a donc lieu d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières en ce qu'il a condamné la SAS SOCIETE D'EXPLOITATION [P] FILS à payer à Monsieur [O] [T] les sommes suivantes :
- 5 729,56 euros au titre de l'indemnité de préavis,
- 572,95 euros au titre des congés payés sur indemnité de préavis,
- 1 784,37 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,
- 1 170,03 euros à titre de rappel de salaire sur annulation de mise à pied,
- 117 euros au titre des congés payés sur rappel de salaire,
Sur les dommages et intérêts pour préjudice moral et préjudice financier et le non-respect de l'obligation de formation :
Contrairement à ce qu'affirme Monsieur [O] [T], la rupture du contrat de travail n'est ni brutale ni vexatoire dès lors qu'elle est fondée sur une faute grave, étant par ailleurs rappelé que le 5 mars 2019, il a fait l'objet d'un avertissement faute de s'être présenté à son poste de travail les 15 et 22 février et 4 mars 2019.
En vertu de l'article L.6321-1 du code du travail, l'employeur a l'obligation d'assurer l'adaptation des salariés à leur poste de travail et de veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations.
En l'espèce, pendant les deux ans et demi qu'a duré la relation de travail, Monsieur [O] [T] a bénéficié d'une formation à la découpe de stencils de sablage le 15 février 2019.
Le jugement du conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières sera donc confirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral, préjudice financier et manquement à l'obligation de formation.
Sur l'exécution provisoire, les frais irrépétibles et les dépens :
Le jugement de première instance sera infirmé en ce qu'il a condamné la SAS SOCIETE D'EXPLOITATION [P] FILS à payer à Monsieur [O] [T] la somme de 900 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en ce qu'il a condamné la SAS SOCIETE D'EXPLOITATION [P] FILS aux entiers dépens.
Partie qui succombe en appel, Monsieur [O] [T] est débouté de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et il est condamné à payer à la SAS SOCIETE D'EXPLOITATION [P] FILS une somme de 1000 euros au titre des frais irrépétibles.
Monsieur [O] [T] est condamné aux entiers dépens de la procédure de première instance et de la procédure d'appel.
Par ces motifs,
La cour, statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
Ordonne la jonction des procédures enrôlées sous les numéros 21/02244 et 21/02252 ;
Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières en date du 23 novembre 2021 en ce qu'il a :
- requalifié le licenciement pour faute grave en un licenciement pour faute simple
- condamné la SAS SOCIETE D'EXPLOITATION [P] FILS à payer à Monsieur [O] [T] les sommes suivantes :
*5 729,56 euros au titre de l'indemnité de préavis,
* 572,95 euros au titre des congés payés sur indemnité de préavis,
* 1 784,37 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,
* 1 170,03 euros à titre de rappel de salaire sur annulation de mise à pied,
* 117 euros à titre de congés payés sur rappel de salaire,
* 900 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SAS SOCIETE D'EXPLOITATION [P] FILS aux dépens ;
Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières en date du 23 novembre 2021 en ce qu'il a débouté Monsieur [O] [T] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral, préjudice financier et manquement à l'obligation de formation ;
Statuant à nouveau,
Dit que le licenciement de Monsieur [O] [T] est fondé sur une faute grave ;
Deboute Monsieur [O] [T] de ses demandes d'indemnité de préavis et de congés payés sur indemnité de préavis, d'indemnité légale de licenciement, de rappel de salaire sur annulation de mise à pied et de congés payés afférents ;
Y ajoutant,
Condamne Monsieur [O] [T] à payer à la SAS SOCIETE D'EXPLOITATION [P] FILS la somme de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Monsieur [O] [T] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PR''SIDENT