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10/01/2023 | FRANCE | N°22/00143

France | France, Cour d'appel de Reims, 1ère chambre section inst, 10 janvier 2023, 22/00143


R.G. : N° RG 22/00143 - N° Portalis DBVQ-V-B7G-FDUJ

ARRÊT N°

du : 10 janvier 2023





AL



























Formule exécutoire le :

à :



Me Anne BAUDIER









COUR D'APPEL DE REIMS

1ère CHAMBRE CIVILE - SECTION INSTANCE



ARRÊT DU 10 JANVIER 2023





APPELANTS :

d'un jugement rendu le 06 décembre 2021 par le Juge des contentieux de la protection de Troyes (RG 21/

00931)



Madame [A] [T] [D] [F]

[Adresse 5]

[Localité 2]



Représentée par Me Anne BAUDIER, avocat au barreau de l'AUBE



Monsieur [J] [N] [Y] [P]

[Adresse 5]

[Localité 2]



Représenté par Me Anne BAUDIER, avocat au barreau de l'AUBE



INTIMÉ :



Mon...

R.G. : N° RG 22/00143 - N° Portalis DBVQ-V-B7G-FDUJ

ARRÊT N°

du : 10 janvier 2023

AL

Formule exécutoire le :

à :

Me Anne BAUDIER

COUR D'APPEL DE REIMS

1ère CHAMBRE CIVILE - SECTION INSTANCE

ARRÊT DU 10 JANVIER 2023

APPELANTS :

d'un jugement rendu le 06 décembre 2021 par le Juge des contentieux de la protection de Troyes (RG 21/00931)

Madame [A] [T] [D] [F]

[Adresse 5]

[Localité 2]

Représentée par Me Anne BAUDIER, avocat au barreau de l'AUBE

Monsieur [J] [N] [Y] [P]

[Adresse 5]

[Localité 2]

Représenté par Me Anne BAUDIER, avocat au barreau de l'AUBE

INTIMÉ :

Monsieur [I] [K]

[Adresse 3]

[Adresse 6]

[Localité 1]

N'ayant pas constitué avocat

DÉBATS :

A l'audience publique du 22 novembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 10 janvier 2023, sans opposition de la part des conseils des parties et en application de l'article 805 du code de procédure civile, Mme Anne LEFEVRE, conseiller, a entendu les conseils des parties en leurs conclusions et explications, puis ce magistrat en a rendu compte à la cour dans son délibéré

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. Benoît PETY, président de chambre

Mme Anne LEFEVRE, conseiller

Mme Christel MAGNARD, conseiller

GREFFIER D'AUDIENCE :

Madame Lucie NICLOT, greffier

ARRÊT :

Par défaut, prononcé publiquement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par M. PETY, Président de chambre, et par Madame NICLOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

Par acte sous seing privé du 1er avril 2018, M. [I] [K] a donné à bail à Mme [A] [F] et M. [J] [P] des locaux à usage d'habitation sis [Adresse 4] (Aube), moyennant un loyer mensuel initial de 550 euros.

Un commandement de payer visant la clause résolutoire a été délivré aux locataires le 29 juin 2018, pour obtenir paiement d'une somme de 1 100 euros en principal.

Le 22 février 2019, M. [K] a fait assigner Mme [F] et M. [P] devant le tribunal d'instance de Troyes en audience des référés, en constat de la résiliation du bail, expulsion, paiement solidaire de la dette locative de 6 050 euros, somme à parfaire, d'une indemnité d'occupation et d'une indemnité de 400 euros pour frais irrépétibles.

Dans le cadre d'une procédure distincte, une expertise judiciaire a été organisée par ordonnance de référé du 18 février 2019.

Par ordonnance de référé du 23 juillet 2019, le juge s'est déclaré incompétent pour connaître de la demande de M. [K], en raison d'une contestation sérieuse, et l'a condamné à payer une somme de 100 euros aux locataires sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le rapport d'expertise judiciaire a été déposé le 13 novembre 2019, constatant des non-conformités des travaux aux règles de l'art, des critères d'indécence (absence de chauffage central, de ventilation, de garde-corps aux fenêtres, risques de chutes et de heurts au niveau de la tête), des travaux non finis, des travaux non appropriés à la configuration du logement. L'expert a demandé expressément aux locataires de ne plus se servir du poêle à bois, dont l'installation n'est pas conforme aux règles de l'art et crée un risque important d'incendie.

Le 7 juillet 2020, M. [K] a fait assigner Mme [F] et M. [P] devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Troyes en résolution du bail pour défaut de paiement des loyers et non régularisation d'une assurance habitation, expulsion, condamnation solidaire au paiement d'un arriéré de loyers de 14 300 euros jusqu'en juin 2020 et d'une indemnité d'occupation jusqu'à libération des lieux. Il a sollicité leur condamnation solidaire au paiement des dépens, de dommages et intérêts pour résistance abusive, d'une indemnité pour frais irrépétibles.

Lors de l'audience du 1er octobre 2021, M. [K] a précisé que les locataires avaient quitté les lieux en septembre 2019, mais restitué les clés en septembre 2020, et que sa créance atteignait 15 950 euros. Mme [F] et M. [P] se sont opposés aux prétentions adverses et ont demandé l'indemnisation de leur préjudice de jouissance pour 16 500 euros, de leur préjudice moral pour 5 000 euros et de leurs frais de procédure pour 1 500 euros.

Le jugement du 6 décembre 2021 a condamné solidairement Mme [F] et M. [P] à payer à M. [K] la somme de 15 950 euros correspondant aux loyers et indemnités d'occupation du mois de mai 2018 à septembre 2020, avec intérêts au taux légal à compter du jugement, ainsi qu'une somme de 150 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en sus des dépens comprenant le coût du commandement de payer, toutes les autres demandes étant rejetées.

Le juge des contentieux de la protection a considéré que les locataires avaient décidé d'emménager en toute connaissance de cause, que l'expertise amiable n'était pas contradictoire, que Mme [F] et M. [P], tout en soulevant l'indécence du logement, étaient restés dans les lieux sans payer le loyer et n'avaient restitué les clés des locaux que le 21 septembre 2020, soit 10 mois après leur départ. S'agissant des dommages et intérêts réclamés, le juge des contentieux de la protection a retenu, notamment : 'il semble bien que M. [K] s'était engagé à poser des garde-corps, mais n'a pu entrer dans le logement', s'étonnant de ce que les locataires se soient maintenus dans des locaux non conformes, voire indécents.

Le 18 janvier 2021, Mme [F] et M. [P] ont fait appel des dispositions les condamnant au paiement de loyers et indemnités d'occupation, au paiement d'une indemnité pour frais irrépétibles et aux dépens et les déboutant de leurs demandes.

Par conclusions du 8 mars 2022, ils demandent à la cour d'infirmer le jugement afin de :

- débouter M. [K] de sa demande en paiement de loyers et indemnités d'occupation,

- subsidiairement, de le condamner à leur payer une somme de 16 500 euros en indemnisation de leur préjudice de jouissance,

- en tout état de cause, de le condamner au paiement d'une somme de 5 000 euros en réparation de leur préjudice moral,

- de le condamner aux dépens de première instance, d'expertise et d'appel,

- de le condamner au paiement d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [F] et M. [P] ont fait signifier à M. [K] leur déclaration d'appel et leurs conclusions par acte remis à domicile le 7 mars 2022. Il n'a pas constitué avocat, de sorte que le présent arrêt est rendu par défaut.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 8 novembre 2022.

Motifs de la décision :

Sur les demandes en paiement de loyers et indemnités d'occupation :

L'article 1728 du code civil dispose que 'Le preneur est tenu de deux obligations principales :

1° d'user de la chose louée raisonnablement, et suivant la destination qui lui a été donnée par le bail, ou suivant celle présumée d'après les circonstances, à défaut de convention ;

2° de payer le prix du bail aux termes convenus.'

Il est constant que le preneur ne saurait invoquer l'exception d'inexécution du bailleur dans son obligation de délivrance d'un logement décent pour être exonéré de son obligation de paiement du loyer, en l'absence d'impossibilité totale d'utiliser les lieux loués, le paiement du loyer étant fondé sur la mise à disposition du logement et non sur sa jouissance (cour d'appel de Douai, 3 juin 2004).

Le rapport d'expertise judiciaire du 13 novembre 2019 constate, notamment :

au rez-de-chaussée,

- le manque de hauteur (1,67 m) de la plâtrerie du plafond de l'escalier, avec risque important de heurter sa tête,

- la ventilation mécanique contrôlée inopérante de la cuisine/séjour,

- l'absence d'évacuation des airs de cuisson, faute de hotte aspirante,

- l'absence d'évier,

- l'absence de garde-corps ou autre dispositif évitant le risque de défenestration,

- l'installation d'un poêle à bois en semi encastré, non suffisamment écarté des parois de plâtrerie (risque important d'incendie), dont le conduit de fumée n'est pas suffisamment éloigné de la paroi du mur (6 cm au lieu de 37,5 cm minimum), sans protection complémentaire murale incombustible,

- l'absence de ventilation mécanique contrôlée et de détecteur de fumée dans le logement,

- ledit poêle constitue le seul chauffage de la maison, à part un radiateur sèche-serviette électrique dans la salle de bain,

- le verrouillage de la porte des WC inversé et impraticable,

- la cuvette des toilettes fissurée sur toute la largeur,

à l'étage,

- aucun radiateur dans les chambres, ni sur le palier,

- dans chaque chambre, fenêtre non équipée de garde-corps ou autre dispositif évitant un risque de défenestration,

- dans chaque chambre, l'espace haut servant de rangement n'est pas équipé de retenue de charge, et il est insuffisamment haut pour être qualifié de mezzanine,

- la jonction entre parquet de la chambre et palier sans barre de seuil, les coupes des lames de parquet étant non jointives, ce qui présente un risque de se blesser les pieds,

- les poignées des portes sont absentes,

- la ventilation mécanique contrôlée de la salle de bain est inopérante,

- le verrouillage de la porte est inversé et impraticable,

- l'étanchéité périphérique entre la faïence et la baignoire est absente,

- une absence d'étanchéité entre les alimentations du mitigeur mécanique bain/douche et la faïence de la baignoire,

- les lames du parquet du palier sont plus hautes que la dernière marche de l'escalier, créant une butée et un risque de chute, ainsi qu'un risque de se blesser les pieds,

à l'extérieur,

- la façade présente quatre trous circulaires béants d'un diamètre moyen de 10 cm (les locataires les ont obstrués sommairement pour limiter la déperdition de chaleur, la venue d'animaux et la pénétration d'eau pluviale),

- M. [K] a installé une boîte-à-lettres commune à tous les locataires et à lui-même, non normalisée, qui ne permet pas la dépose des courriers et colis postaux.

L'expert observe que les constructeurs n'ont pas respecté les règles de l'art, ni fini leurs travaux, lesquels ne sont pas appropriés à la configuration du logement. Il considère que l'absence de chauffage central, l'absence de ventilation, l'absence de garde-corps aux fenêtres, les risques de chute et de heurt au niveau de la tête sont des critères d'indécence du logement et il liste les travaux propres à remédier aux désordres, pour un total de 17 350 euros HT.

Les locataires ont occupé ce logement d'avril 2018 à novembre 2019. Ils justifient par plusieurs attestations de ce que leurs voisins les ont momentanément alimentés en électricité, grâce à des rallonges passées dans l'encadrure des fenêtres, lorsque le compteur de chantier auquel leur installation était rattachée a été repris par ENEDIS ; un compteur EDF a ensuite été installé en juillet 2018.

Cependant, Mme [F] et M. [P], n'étant pas dans une stricte impossibilité d'occuper les lieux, ils étaient tenus de régler leurs loyers, sauf à agir en justice pour obliger leur bailleur à procéder aux travaux, obtenir des dommages et intérêts ou faire réduire le montant du loyer ou encore en suspendre le paiement.

Le jugement doit dès lors être confirmé en ce qu'il les condamne solidairement à payer à ce titre à M. [K] la somme de 15 950 euros, correspondant à 29 mois d'occupation, de mai 2018 à septembre 2020 (restitution des clés) moyennant 550 euros par mois.

Sur les demandes en dommages et intérêts des locataires :

L'article 1719 du code civil dispose : 'Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière :

1° de délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque des locaux loués à usage d'habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l'expulsion de l'occupant ;

2° d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée ;

3° d'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ;

4° d'assurer également la permanence et la qualité des plantations.'

Selon l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989, 'le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé et doté des éléments le rendant conforme à l'usage d'habitation'.

Cette obligation d'ordre public doit être respectée lors de la mise à disposition du logement, puis tout au long du bail. La charge de la preuve de ce que le logement peut être habité dans des conditions normales incombe au bailleur.

Mme [F] et M. [P] démontrent que les locaux loués étaient affectés par l'absence de chauffage central, l'absence de ventilation, l'absence de garde-corps aux fenêtres, des risques de chute et de heurt au niveau de la tête, et ne correspondaient pas, de ce fait, à un logement décent.

Ils les ont occupés avec leur jeune fils, âgé de 7 ans en juillet 2018 selon le courrier adressé par le maire du [Localité 7] à l'Agence régionale de santé de [Localité 1], malgré les dangers présentés. En outre, ils y ont vécu quelques mois sans électricité, et sans pouvoir recevoir tout leur courrier, faute de boîte-aux-lettres normalisée.

Les documents médicaux produits concernant Mme [F] intéressent les suites d'une chute de cheval et ne renseignent donc pas sur l'impact physique de l'habitation d'un logement présentant des critères d'indécence. Il est certain que la famille a habité les lieux litigieux d'avril 2018 à novembre 2019, subissant deux déménagements rapprochés dans le temps. Les appelants déclarent avoir tardé à restituer les clés en raison d'un comportement insultant et injurieux de M. [K], mais ils n'en justifient pas. Ils ont, en tout état de cause, dû supporter les tracas de plusieurs procédures judiciaires.

Les éléments exposés permettent d'apprécier à la somme de 8 000 euros le préjudice de jouissance et le préjudice moral souffert par Mme [F] et M. [P]. La décision querellée est réformée de ces chefs.

Sur les dépens et frais irrépétibles :

Le sens du présent arrêt autorise à laisser à chaque partie la charge de ses dépens de première instance et d'appel, le jugement étant réformé sur ce point.

Il est noté que l'expertise judiciaire a été ordonnée dans le cadre d'une autre instance que celle concernée par la présente procédure, de sorte qu'il n'appartient pas à la cour de statuer sur les frais de cette expertise.

L'équité commande de débouter les parties de leurs prétentions sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, qu'il s'agisse des frais irrépétibles de première instance ou d'appel.

Par ces motifs,

La cour,

Confirme le jugement du juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Troyes du 6 décembre 2021 en ce qu'il condamne solidairement Mme [F] et M. [P] à payer à M. [K] la somme de 15 950 euros au titre des loyers et indemnités d'occupation dus de mai 2018 à septembre 2020, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,

Infirme le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau, dans les limites de l'appel,

Condamne M. [K] à payer à Mme [F] et M. [P] une somme de 8 000 euros en indemnisation du préjudice de jouissance et du préjudice moral résultant de l'occupation d'un logement indécent,

Déboute M. [K] de sa demande au titre des frais irrépétibles exposés en première instance,

Déboute Mme [F] et M. [P] de leur demande au titre des frais irrépétibles exposés en appel,

Laisse à chaque partie la charge de ses dépens de première instance et d'appel,

Dit que la cour n'a pas à statuer sur les frais de l'expertise ordonnée dans le cadre d'une procédure distincte.

Le Greffier le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Reims
Formation : 1ère chambre section inst
Numéro d'arrêt : 22/00143
Date de la décision : 10/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-10;22.00143 ?
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