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14/12/2022 | FRANCE | N°21/02290

France | France, Cour d'appel de Reims, Chambre sociale, 14 décembre 2022, 21/02290


Arrêt n°

du 14/12/2022





N° RG 21/02290





MLS/FJ









Formule exécutoire le :







à :



COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE SOCIALE

Arrêt du 14 décembre 2022





APPELANTE :

d'un jugement rendu le 17 décembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes de TROYES, section Industrie (n° F 20/00030)



SAS CHEDEVILLE CHARCUTERIE DE PARIS

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 4]



Représentée par

la SCP DELVINCOURT - CAULIER-RICHARD - CASTELLO AVOCATS ASSOCIES, avocats au barreau de REIMS et par Me Julien DUFFOUR de l'AARPI 107 Université, avocat au barreau de PARIS





INTIMÉ :



Monsieur [R] [K]

[Adresse 2]

[Localité 1]



Représen...

Arrêt n°

du 14/12/2022

N° RG 21/02290

MLS/FJ

Formule exécutoire le :

à :

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE SOCIALE

Arrêt du 14 décembre 2022

APPELANTE :

d'un jugement rendu le 17 décembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes de TROYES, section Industrie (n° F 20/00030)

SAS CHEDEVILLE CHARCUTERIE DE PARIS

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par la SCP DELVINCOURT - CAULIER-RICHARD - CASTELLO AVOCATS ASSOCIES, avocats au barreau de REIMS et par Me Julien DUFFOUR de l'AARPI 107 Université, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉ :

Monsieur [R] [K]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représenté par la SCP PLOTTON-VANGHEESDAELE-FARINE-YERNAUX, avocats au barreau de l'AUBE

DÉBATS :

En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 octobre 2022, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller, et Madame Isabelle FALEUR, Conseiller, chargés du rapport, qui en ont rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 14 décembre 2022.

COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :

Madame Christine ROBERT-WARNET, président

Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller

Madame Isabelle FALEUR, conseiller

GREFFIER lors des débats :

Monsieur Francis JOLLY, greffier

ARRÊT :

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Christine ROBERT-WARNET, président, et Monsieur Francis JOLLY, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

Exposé des faits et de la procédure :

Monsieur [R] [K], embauché depuis le 7 septembre 1998, en qualité de responsable d'équipe de nettoyage, puis d'opérateur expéditions, par la société AT FRANCE, et appartenant au groupe POPY, a été détaché auprès de la société GJ SERVICES FROID.

Ayant refusé le transfert du contrat à la société CHEDEVILLE CHARCUTERIE DE PARIS, appartenant également au même groupe, sur un site basé à [Localité 4], le salarié a été licencié le 14 octobre 2019 par cette société pour motif personnel consécutif au refus de changement de ses conditions de travail.

Le 25 juin 2020, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Troyes de demandes tendant à :

- faire condamner la société CHEDEVILLE CHARCUTERIE DE PARIS, avec intérêts au taux légal à compter de la réception de la convocation en vue de la tentative de conciliation, à lui payer les sommes suivantes :

. 4 022,74 euros bruts d'indemnité compensatrice de préavis,

. 402,27 euros bruts de congés payés afférents,

. 906,38 euros bruts de complément d'indemnité compensatrice de congés payés,

. 2 000,00 euros d'indemnités pour non-respect de la procédure de consultation du comité social économique,

. 40 000,00 euros nets de CSG CRDS à titre de dommages-intérêts en réparation de préjudices nés du licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 2 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- faire condamner sous astreinte la société CHEDEVILLE CHARCUTERIE DE PARIS à établir un bulletin de paie au titre des condamnations à caractère salarial et à le lui adresser avec le règlement correspondant par lettre recommandée.

En réplique, la société CHEDEVILLE CHARCUTERIE DE PARIS conclut au débouté. À titre subsidiaire, pour le cas où il serait dit que le licenciement serait sans cause réelle et sérieuse, elle a demandé de limiter à 6 406,38 euros, soit trois mois de salaire, le plafond de l'indemnisation. Elle a sollicité 1 500,00 euros sur le fondement l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement contradictoire du 17 décembre 2021 notifié à l'employeur à une date indéterminée, le conseil de prud'hommes a :

- déclaré le salarié recevable et partiellement fondé en ses demandes,

- dit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse car reposant sur un motif économique,

- condamné la SAS CHEDEVILLE CHARCUTERIE DE PARIS à payer les sommes suivantes :

. 9 000,00 euros nets de CSG CRDS au titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 4 022,74 euros bruts d'indemnité compensatrice de préavis,

. 402,27 euros bruts de congés payés afférents,

. 906,38 euros bruts à titre de complément d'indemnité compensatrice de congés payés,

. 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté le salarié de sa demande au titre du non-respect de la procédure de consultation du comité social économique,

- mis les dépens à la charge de la société défenderesse,

- assorti les condamnations d'un intérêt au taux légal à compter de la saisine de la juridiction,

- condamné la société défenderesse sous astreinte à établir un bulletin de paie au titre des condamnations à caractère salarial prononcées.

Le 23 décembre 2021, la SAS CHEDEVILLE CHARCUTERIE DE PARIS a fait appel du jugement sauf en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande au titre du non-respect de la procédure de consultation du comité social économique.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 26 septembre 2022.

Exposé des prétentions et moyens des parties :

Par conclusions notifiées par voie électronique le 21 septembre 2022, l'appelante demande à la cour d'infirmer le jugement sauf en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande au titre du non-respect de la procédure de consultation du comité social économique, de débouter le salarié en l'ensemble de ses demandes. A titre subsidiaire, elle demande à la cour de limiter les éventuelles condamnations à des dommages-intérêts à la somme de 6 406,38 euros. En tout état de cause, elle demande à la cour de déclarer le salarié mal fondé en l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions plus amples ou contraires, et de le condamner à lui payer la somme de 2 500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, elle expose que le conseil de prud'hommes a qualifié à tort l'opération de ré-internalisation de l'activité de préparation et d'expédition de marchandises du groupe à l'origine de la modification du contrat de travail, en opération pour motif économique. En effet, elle explique qu'il s'agit d'une reprise d'activité entraînant un transfert les contrats de travail sur le fondement de l'article L 1224-1 du code du travail, de sorte que les licenciements n'ont pas de motif économique comme l'a déjà jugé la Cour de cassation. Elle fait observer que la DIRECCTE, qui a opéré un contrôle sur ce point, n'a pas fait d'observations. Elle soutient donc que le refus du salarié de rejoindre son poste justifie la rupture du contrat de travail sans préavis. Elle ajoute que le salarié a été rempli de ses droits au titre des congés payés. Elle conteste la demande d'indemnisation au titre de l'absence de consultation du comité social économique, en faisant valoir que celui-ci a été consulté sur le projet de réinternalisation, et n'avait pas à être consulté sur un licenciement économique inexistant. Elle critique la demande de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du licenciement abusif, en maintenant que le licenciement était fondé, en faisant observer que le préjudice n'est pas justifié et que le barème de l'article L 1235-3 doit, le cas échéant, s'appliquer.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 29 juillet 2022, l'intimé demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a condamné la société appelante au paiement de diverses sommes à l'exception des dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du licenciement abusif dont il demande infirmation. Formant appel incident sur ces points, il demande condamnation de l'appelante à lui payer la somme de 2 000,00 euros à titre d'indemnité pour non respect de la procédure de consultation du comité social économique, 34 496,00 euros de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre 2 500,00 euros sur le fondement l'article 700 du code de procédure civile, le tout avec intérêts au taux légal à compter du jour de la réception de la convocation en vue de la tentative de conciliation.

Au soutien de ses prétentions, il fait valoir que la réorganisation a été dictée par une volonté de réduction des charges de transport et présente par conséquent un caractère nécessairement économique, au sens où elle vise à améliorer la compétitivité. Il en déduit que le motif personnel de licenciement est infondé. Il fait observer qui n'a pas refusé le transfert de son contrat de travail, mais il a refusé le changement de son lieu de travail qui résulte de la réinternalisation, elle-même de nature économique. Il soutient que le repreneur qui rompt le contrat de travail du salarié transféré qui refuse la modification du contrat travail proposé pour un motif qui n'est pas inhérent à sa personne, doit se placer sur le terrain du licenciement économique et en déduit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse et que le comité social économique aurait dû être consulté sur cette question. Il argue de ce que la rupture du contrat de travail entraîne un préjudice nécessaire qu'il justifie d'ailleurs en exposant une situation de précarité faite de diverses missions d'intérim. Il sollicite l'indemnisation de son préjudice né de l'absence de consultation du comité social économique, en application de l'article L 1235-12 du code du travail. Il maintient n'avoir pas été rempli de ses droits en terme de congés payés et en sollicite le paiement.

Motivation :

1 - l'exécution du contrat de travail

C'est à raison que le conseil de prud'hommes a fait droit à la demande dans la mesure où il ne ressort pas des pièces du dossier que le salarié a été rempli de ses droits, contrairement à ce qu'affirme l'employeur.

Celui-ci souligne en effet que le salarié disposait de 18,32 jours de congés, que 14 jours ont été réglés en octobre 2019 et le résiduel avec le solde de tout compte.

Or, les 14 jours payés par l'employeur comme étant des congés payés correspondent à la période pendant laquelle le salarié a refusé de rejoindre son nouveau poste suite au refus du transfert, ce qui ne peut s'assimiler à une période de congé.

Contrairement à ce que soutient l'employeur la période de congé forcée ne remplit pas le salarié de ses droits de sorte que la demande, fondée, doit être accueillie par confirmation du jugement.

2 - la rupture du contrat de travail

Par une analyse juridique et factuelle pertinente, le conseil de prud'hommes a pu considérer que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse.

En effet, en cas de transfert de contrat de travail comme c'est le cas en l'espèce, le salarié est en droit de s'opposer aux modifications autres que le changement d'employeur de sorte que son refus ne peut être considéré comme fautif, sauf si la modification qu'il refuse est la conséquence nécessaire du transfert, faisant ainsi du transfert refusé une cause autonome de licenciement. Or, de la lettre de licenciement et des documents d'information du comité économique et social, il ressort que le transfert des activités à une entreprise basée à [Localité 4] est un choix de gestion, d'ailleurs non guidé par des difficultés économiques, mais par un souci de rentabilité.

Dès lors, le licenciement ne pouvait reposer sur le refus du salarié d'accepter une modification qu'il était en droit de refuser et être prononcé pour un motif personnel. Il devait être nécessairement envisagé sous l'angle du licenciement économique, à charge pour l'employeur d'en justifier la réalité en cas de contentieux, et à défaut, de supporter les conséquences in fine d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement doit être confirmé en ce qu'il a considéré le licenciement comme étant sans cause réelle et sérieuse. Il doit être néanmoins infirmé en ce qu'il a dit que le licenciement reposait sur une cause économique. En effet, il ne peut sans se contredire affirmer que le licenciement repose sur un motif économique, mais le considérer comme étant sans cause réelle et sérieuse,

Le salarié peut donc prétendre :

- à une indemnité compensatrice de préavis au quantum non discuté de sorte que le jugement sera confirmé,

- à des congés payés afférents, par confirmation du jugement,

- à des dommages et intérêts d'un montant compris entre 3 mois et 15,5 mois de salaire. Sur la base d'un salaire mensuel brut au quantum non discuté de 2 156,00 euros, c'est une indemnité comprise entre 6 468,00 euros et 33 418,00 euros qui peut être fixée. Compte tenu de l'ancienneté du salarié, de son âge, de sa situation de réemploi après la rupture, la somme de 20 000,00 euros est de nature à réparer intégralement les préjudices subis.

3 - les autres demandes

* dommages et intérêts en l'absence de saisine du comité social économique d'un projet de licenciement économique.

Le jugement doit être confirmé dans la mesure où l'employeur a saisi le comité social économique de son projet de réorganisation, sans qu'il ne soit justifié qu'il envisageait des licenciements collectifs qui auraient justifié une telle consultation. Au surplus, la demande ne peut aboutir faute pour le salarié de justifier d'un préjudice qui en découlerait, distinct de la rupture du contrat de travail.

* les intérêts moratoires

Le jugement a fixé le point de départ des intérêts de toutes les créances à la date de sa saisine, faisant ainsi application du pouvoir discrétionnaire qui lui est accordé par les dispositions des articles 1231-7 du code civil, de reporter le point de départ des intérêts moratoires attachés aux créances indemnitaires.

En l'absence de moyen sur ce point, et en application des dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code précité, il faut confirmer le jugement en le complétant, par la précision de la date de sa saisine valant mise en demeure, soit le 24 février 2020, date de réception de la lettre de convocation devant le bureau de conciliation.

* la remise d'un bulletin de paye conforme aux condamnations salariales

La décision du conseil de prud'hommes sur ce point doit être confirmée.

* l'application des dispositions de l'article L 1235-4 du Code du travail.

Les conditions s'avèrent réunies pour condamner l'employeur, en application de l'article L.1235-4 du code du travail, à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées au salarié, du jour de son licenciement jusqu'au jour de la décision judiciaire, dans la limite de six mois d'indemnités.

* les dépens et les frais irrépétibles

Succombant au sens de l'article 696 du Code de procédure civile, l'employeur doit être condamné aux dépens et frais irrépétibles de première instance par confirmation du jugement sur ces points.

En appel, il sera condamné aux dépens qui ne comprennent pas les frais d'exécution, sera débouté de ses demandes au titre des frais irrépétibles et sera condamné à ce titre à payer au salarié la somme de 2 500,00 euros.

Par ces motifs :

La cour publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement rendu le 17 décembre 2021 par le conseil de prud'hommes de Troyes en ce qu'il :

- a dit que le licenciement reposait sur un motif économique,

- a condamné l'employeur à payer au salarié la somme de 9 000,00 euros nets de CSG/CRDS à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices nés du licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Confirme le surplus,

Statuant à nouveau, dans la limite des chefs d'infirmation,

Condamne la société CHEDEVILLE CHARCUTERIE DE PARIS à payer à Monsieur [R] [K] la somme de 20 000,00 euros (vingt mille euros) à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices nés du licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

y ajoutant,

Dit que les condamnations sont prononcées sous réserve d'y déduire le cas échéant les charges sociales et salariales,

Dit que les intérêts courent à compter du 24 février 2020 jusqu'à parfait paiement ;

Ordonne le remboursement, par la société CHEDEVILLE CHARCUTERIE DE PARIS à Pôle Emploi, des indemnités de chômage servies au salarié, du jour de son licenciement jusqu'au jour de la présente décision, dans la limite de six mois d'indemnités ;

Condamne la société CHEDEVILLE CHARCUTERIE DE PARIS à payer à Monsieur [R] [K] la somme de 2 500,00 euros (deux mille cinq cents euros) en remboursement de ses frais irrépétibles d'appel,

Condamne la société CHEDEVILLE CHARCUTERIE DE PARIS aux dépens de l'instance d'appel qui ne comprennent pas les frais d'exécution.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Reims
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/02290
Date de la décision : 14/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-14;21.02290 ?
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