Arrêt n°
du 14/12/2022
N° RG 21/01943
MLS/FJ
Formule exécutoire le :
à :
COUR D'APPEL DE REIMS
CHAMBRE SOCIALE
Arrêt du 14 décembre 2022
APPELANTE :
d'un jugement rendu le 28 septembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes de CHARLEVILLE-MEZIERES, section Activités Diverses (n° F 20/00038)
SARL ARDENNES SECURITE PRIVEE
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par la SCP MEDEAU-LARDAUX, avocats au barreau des ARDENNES
INTIMÉ :
Monsieur [W] [J]
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représenté par la SCP AUBERSON DESINGLY, avocats au barreau des ARDENNES
DÉBATS :
En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 octobre 2022, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller, et Madame Isabelle FALEUR, Conseiller, chargés du rapport, qui en ont rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 14 décembre 2022.
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
Madame Christine ROBERT-WARNET, président
Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller
Madame Isabelle FALEUR, conseiller
GREFFIER lors des débats :
Monsieur Francis JOLLY, greffier
ARRÊT :
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Christine ROBERT-WARNET, président, et Monsieur Francis JOLLY, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
Exposé des faits et de la procédure :
Monsieur [W] [J], embauché depuis le 15 janvier 2013 par la SARL ARDENNES SECURITE PRIVEE, par contrat à durée déterminée puis indéterminée, en qualité d'agent de sécurité à temps partiel, a démissionné le 3 décembre 2019, à effet au 31 décembre 2019.
Le 25 février 2020, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Charleville Mézières de demandes tendant à obtenir la requalification de sa démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse et le paiement de rappel de salaire, d'heures supplémentaires, d'indemnités de travail dissimulé et d'indemnité de rupture.
Par jugement contradictoire rendu le 28 septembre 2021 et notifié le 2 octobre 2021 à l'employeur, le conseil de prud'hommes :
a condamné l'employeur à payer au salarié les sommes suivantes :
. 8 820,00 euros de dommages et intérêts en réparation des préjudices nés du dépassement des amplitudes horaires, et du non-respect des battements entre services,
. 5 466,89 euros de rappel de salaires pour 2018,
. 4 284,00 euros de rappel de salaires pour 2019,
. 4 563,23 euros d'heures supplémentaires pour 2018,
. 456,32 euros de congés payés afférents,
. 1 571,14 euros d'heures supplémentaires pour 2019,
. 157,11 euros de congés payés afférents,
. 742,32 euros de prime d'ancienneté,
. 850,00 euros d'indemnité de l'article 700 du Code de procédure civile,
- a débouté le salarié du surplus,
- a débouté l'employeur de sa demande d'indemnité de l'article 700 du Code de procédure civile,
- a condamné l'employeur aux dépens.
Le 26 octobre 2021, l'employeur a fait appel du jugement en ce qu'il l'a condamné au paiement de diverses sommes et à prendre en charge les dépens.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 26 septembre 2022.
Exposé des prétentions et moyens des parties :
Par conclusions notifiées par voie électronique le 19 janvier 2022, l'appelant demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamné au paiement de diverses sommes, de débouter le salarié et à titre subsidiaire, de réduire les demandes. Il sollicite en tout état de cause la somme de 1 500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, l'appelant fait valoir que le salarié a travaillé selon la durée de travail convenue ; qu'il n'a pas porté à la connaissance de son employeur ses revendications salariales pendant le temps de la relation contractuelle car il travaillait conformément au temps de travail contractuel et que toutes ses heures travaillées étaient payées. Il soutient que la preuve des heures de travail impayées n'est pas rapportée, dès lors que le salarié se contente d'alléguer un nombre d'heures selon un décompte établi pour les besoins de la cause sans être étayé par des éléments extérieurs. Il fait valoir que les temps de repos étaient respectés. Subsidiairement, il critique la disproportion des demandes qu'il demande de réduire.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 31 mars 2022, l'intimé demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné l'employeur au paiement de diverses sommes et de l'infirmer en ce qu'il l'a débouté de certaines demandes. Formant appel incident, il demande à la cour :
- de condamner l'employeur à lui payer les sommes suivantes :
. 13 319,04 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices nés du licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. 3 309,94 euros d'indemnité légale de licenciement,
. 3 805,44 euros d'indemnité compensatrice de préavis,
. 380,54 euros de congés payés afférents,
. 9 281,94 euros d'indemnité de travail dissimulé,
. 2 000,00 euros d'indemnité de l'article 700 du Code de procédure civile,
de condamner sous astreinte l'employeur à lui remettre un solde de tout compte, un certificat de travail et une attestation POLE EMPLOI rectifiés.
Aux termes de ses écritures, il expose que sa démission a été provoquée par l'absence de réponse de l'employeur à ses revendications salariales. En effet, il soutient avoir travaillé dès janvier 2018 à temps complet et réclame paiement du minimum conventionnel pour un temps complet après requalification de son contrat de travail. Il prétend que les amplitudes journalières et hebdomadaires étaient fréquemment dépassées et que le temps de repos entre deux services a été moindre que celui prévu à la convention collective, ce qui porte atteinte à sa santé et à sa sécurité. Il soutient que l'employeur connaissait le nombre d'heures effectuées signant ainsi sa volonté dissimulatrice. Le salarié soutient que sa lettre de démission évoquait des manquements de l'employeur et était donc équivoque ; que la rupture est imputable aux manquements de l'employeur.
Motivation :
Au préalable, il sera noté que le salarié ne critique pas en appel le dispositif du jugement qui l'a débouté de sa demande de congés payés afférents à la prime d'ancienneté de sorte que le jugement sur ce point doit être confirmé.
Pour le surplus les demandes soumises à la cour relèvent soit de l'exécution, soit de la rupture du contrat de travail.
1- l'exécution du contrat de travail
* le rappel de salaires
C'est à raison que le conseil de prud'hommes a fait droit au principe de la demande dès lors qu'en application des dispositions de l'article L 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions des articles L 3171-2 alinéa 1 et L 3171-4 du code du travail. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
En l'état d'un décompte d'heures de travail suffisamment précis produit par le salarié, il appartient à l'employeur de justifier les horaires qu'il est en principe tenu de contrôler. Or, l'employeur ne produit aucune pièce de sorte que selon le décompte du salarié, le temps de travail a dépassé 151,67 heures mensuelles au mois de mars 2018. C'est à compter de cette date qu'il peut prétendre à un rappel de salaire correspondant à la différence entre le salaire conventionnel à temps complet et le salaire perçu à temps partiel.
Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a chiffré à 5 466,89 euros le montant du rappel de salaire pour l'année 2018 et à 546,68 euros les congés payés afférents. Le rappel de salaire pour 2018 sera fixé à 4 472,91 euros outre 447,29 euros les congés payés afférents.
Le jugement sera confirmé s'agissant du rappel de salaire et congés payés afférents pour 2019.
* les heures supplémentaires
En application des dispositions de l'article L 3171-4 précité, et considérant le décompte précis établi par le salarié et l'absence totale de pièces déposées par l'employeur, le jugement a pu pertinemment condamner l'employeur à paiement.
Toutefois, le décompte du salarié permet de chiffrer à 3 113,05 euros le montant des heures supplémentaires pour l'année 2018 et à 1 504,43 euros le montant des heures supplémentaires pour 2019 outre congés payés afférents.
Le jugement doit donc être infirmé au quantum sur ce point.
* la prime d'ancienneté
L'employeur qui a interjeté appel sur ce point, ne propose aucun moyen tendant à y faire obstacle. Pour ce même motif, le conseil de prud'hommes a, à raison, condamné l'employeur à paiement.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
* le travail dissimulé
C'est à tort que le conseil de prud'hommes a écarté la demande au motif d'une absence de preuve d'intentionnalité. Or, dans un échange de courriels avec l'employeur datant de novembre 2019, le salarié indique qu'il a plus de 400 heures « en banque » sans que cela ne fasse réagir l'employeur. Les messages qui suivent n'en font aucunement allusion. En décembre 2019, le salarié rappelle son décompte d'heures « en banque » sans que l'employeur ne réagisse, ni ne vienne en cours de procédure produire des pièces de nature à contredire ces éléments.
Il en ressort que l'employeur, qui établissait le planning de son salarié comme le démontre les échanges de courriels, connaissait parfaitement les heures de travail réalisées par son salarié et a omis volontairement de les rémunérer et de les déclarer.
Cette attitude caractérise l'intention dissimulatrice de sorte que le travail dissimulé est établi.
Le salarié peut donc prétendre au paiement de l'indemnité forfaitaire de l'article L 8223-1 du Code du travail, sur la base d'un salaire reconstitué (temps complet outre heures supplémentaires) de 1 731,00 euros. Il sera donc fait droit à sa demande de 9 281,94 euros.
* le dépassement des amplitudes et les battements entre services
L'employeur, sur qui repose la charge de la preuve, ne verse aux débats aucune pièce de sorte que le manquement est avéré. Toutefois, c'est au salarié de justifier d'un préjudice, ce qu'il ne fait pas. En effet, alors que celui-ci argue d'un préjudice touchant à sa santé et sa sécurité, il ne verse aux débats aucune pièce liée à son état de santé.
Par conséquent, il faut infirmer le jugement et débouter le salarié.
2 - la rupture du contrat de travail
En affirmant que la lettre de démission n'était pas équivoque et ne contenait aucun reproche à l'employeur, le conseil de prud'hommes a procédé par dénaturation de la pièce litigieuse.
En effet, dans sa lettre du 3 décembre 2019, le salarié indique qu'il démissionne pour des motifs liés à son planning, à l'absence d'un collègue dont il refuse de subir les conséquences en rappelant qu'il a toujours rempli ses obligations et qu'il lui reste 451,25 heures d'heures supplémentaires impayées. En outre, trois jours plus tôt, le salarié avait envoyé un courriel à son employeur en disant vouloir démissionner « vue la situation actuelle » alors qu'il avait rappelé le nombre d'heures impayées un mois plus tôt.
Au regard de ces éléments, il est manifeste que le salarié a démissionné en raison de ses conditions de travail et notamment de la dérive de son temps de travail et de l'absence de paiement des heures « en banque » que l'employeur s'obstinait à ignorer. La démission doit donc être imputable aux manquements de l'employeur et être requalifiée de prise d'acte, avec les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le salarié peut donc prétendre, sur la base d'un salaire reconstitué de 1 731,00 euros mensuel bruts :
- à une indemnité compensatrice de préavis soit la somme de 3 462,00 euros,
- à des congés payés afférents soit la somme de 346,20 euros,
- à une indemnité de licenciement, égale à 2 993,18 euros,
- à des dommages et intérêts en réparation des préjudices nés du licenciement sans cause réelle et sérieuse dans une fourchette comprise entre 1,5 mois et 7 mois de salaires, compte tenu de l'effectif employé par l'entreprise, inférieur à 11 salariés. En considérant l'ancienneté du salarié, son âge, son niveau de rémunération, et l'absence de justification de sa situation après la rupture du contrat de travail, la somme de 3 500,00 euros réparera entièrement les préjudices subis.
L'employeur sera condamné, sans astreinte, à remettre au salarié une attestation POLE EMPLOI, un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte rectifiés.
Succombant au sens de l'article 696 du Code de procédure civile, l'employeur sera condamné aux dépens et frais irrépétibles de première instance et d'appel, de sorte que le jugement sera confirmé sur ces points.
En appel, l'employeur sera débouté à ce titre et condamné à payer au salarié la somme de 2 000,00 euros.
Par ces motifs :
La cour statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement en ce qu'il a :
- condamné l'employeur à payer au salarié les sommes suivantes :
. 4 284,00 euros de rappel de salaires pour l'année 2019,
. 742,32 euros de prime d'ancienneté,
- débouté le salarié de sa demande en paiement de congés payés sur prime d'ancienneté,
- débouté l'employeur de sa demande d'indemnité de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné l'employeur aux dépens,
Infirme le surplus,
Statuant à nouveau dans la limite des chefs infirmés,
Déboute Monsieur [W] [J] de ses demandes de dommages et intérêts en réparation des préjudices nés du non-respect des amplitudes et des battements inter-services,
Requalifie la démission en prise d'acte de la rupture du contrat de travail avec les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Condamne la S.A.R.L. ARDENNES SECURITE PRIVEE à payer à Monsieur [W] [J] les sommes suivantes :
- 4 472,91 euros (quatre mille quatre cent soixante douze euros et quatre vingt onze centimes) de rappel de salaire à temps plein pour l'année 2018,
- 447,29 euros (quatre cent quarante sept euros et vingt neuf centimes) de congés payés afférents,
- 3 313,05 euros (trois mille trois cent treize euros et cinq centimes) de rappel d'heures supplémentaires pour l'année 2018,
- 331,30 euros (trois cent trente et un euros et trente centimes) au titre des congés payés afférents,
- 1 504,43 euros (mille cinq cent quatre euros et quarante trois centimes) de rappel d'heures supplémentaires pour l'année 2018,
- 150,44 euros (cent cinquante euros et quarante quatre centimes) au titre des congés payés afférents,
- 9 281,94 euros (neuf mille deux cent quatre vingt un euros et quatre vingt quatorze centimes) au titre de l'indemnité forfaitaire de travail dissimulé,
- 2 993,18 euros (deux mille neuf cent quatre vingt treize euros et dix huit centimes) au titre de l'indemnité légale de licenciement,
- 3 462,00 euros (trois mille quatre cent soixante deux euros) d'indemnité compensatrice de préavis,
- 346,20 euros (trois cent quarante six euros et vingt centimes) de congés payés afférents,
- 3 500,00 euros (trois mille cinq cents euros) de dommages et intérêts en réparation des préjudices nés du licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Y ajoutant,
Dit que les condamnations sont prononcées sous réserve d'y déduire le cas échéant, les charges sociales et salariales,
Condamne la S.A.R.L. ARDENNES SECURITE PRIVEE à remettre à Monsieur [W] [J] un certificat de travail, une attestation POLE EMPLOI et un reçu pour solde de tout compte rectifiés et conformes au présent arrêt,
Déboule la S.A.R.L. ARDENNES SECURITE PRIVEE de sa demande en remboursement de ses frais irrépétibles d'appel,
Condamne la S.A.R.L. ARDENNES SECURITE PRIVEE à payer à monsieur [W] [J] la somme de 2 000,00 euros (deux mille euros) en remboursement de ses frais irrépétibles d'appel,
Condamne la S.A.R.L. ARDENNES SECURITE PRIVEE aux dépens de l'instance d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT