La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/12/2022 | FRANCE | N°21/02201

France | France, Cour d'appel de Reims, 1ere chambre sect.civile, 06 décembre 2022, 21/02201


ARRET N°

du 06 décembre 2022



N° RG 21/02201 - N° Portalis DBVQ-V-B7F-FC5C





S.A.R.L. [A]





c/



[Y]

S.A.R.L. LOCA BOURGEOIS LEVAGE

S.A. AXA FRANCE IARD



















Formule exécutoire le :

à :



la SELARL CABINET ROLLAND AVOCATS



la SELARL GS AVOCATS



la SCP DELVINCOURT - CAULIER-RICHARD - CASTELLO AVOCATS ASSOCIES

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE-1° SECTION

A

RRET DU 06 DECEMBRE 2022



APPELANTE :

d'un jugement rendu le 09 décembre 2021 par le Tribunal de Commerce de REIMS



S.A.R.L. [A]

[Adresse 2]

[Localité 7]



Représentée par Me David ROLLAND de la SELARL CABINET ROLLAND AVOCATS, avocat au barreau...

ARRET N°

du 06 décembre 2022

N° RG 21/02201 - N° Portalis DBVQ-V-B7F-FC5C

S.A.R.L. [A]

c/

[Y]

S.A.R.L. LOCA BOURGEOIS LEVAGE

S.A. AXA FRANCE IARD

Formule exécutoire le :

à :

la SELARL CABINET ROLLAND AVOCATS

la SELARL GS AVOCATS

la SCP DELVINCOURT - CAULIER-RICHARD - CASTELLO AVOCATS ASSOCIES

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE-1° SECTION

ARRET DU 06 DECEMBRE 2022

APPELANTE :

d'un jugement rendu le 09 décembre 2021 par le Tribunal de Commerce de REIMS

S.A.R.L. [A]

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représentée par Me David ROLLAND de la SELARL CABINET ROLLAND AVOCATS, avocat au barreau de REIMS

INTIMES :

Maître [I] [Y] ès qualité de commissaire à l'exécution du plan de la LOCA BOURGEOIS

[Adresse 8]

[Localité 5]

Représenté par Me Christophe GASSERT de la SELARL GS AVOCATS, avocat au barreau de REIMS

S.A.R.L. LOCA BOURGEOIS exerçant sous l'enseigne « GUILLOUART LEVAGE », société au capital de 22.867,35 €, immatriculée au RCS de REIMS, représentée par son représentant légal.

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Christophe GASSERT de la SELARL GS AVOCATS, avocat au barreau de REIMS

S.A. AXA FRANCE IARD au capital de 214 799 030 euros, immatriculée au RCS PARIS sous le numéro 722 057 460 , prise en la personne de ses Président et Directeur Général domiciliés de droit audit siège

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentée par Me Isabelle CASTELLO de la SCP DELVINCOURT - CAULIER-RICHARD - CASTELLO AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS, avocat postulant et Me Jérôme de Sentenac de la SCP TREAM, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre

Madame Véronique MAUSSIRE, conseillère

Madame Florence MATHIEU, conseillère

GREFFIER :

Monsieur Nicolas MUFFAT-GENDET, greffier lors des débats et Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffier lors du prononcé

DEBATS :

A l'audience publique du 24 octobre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 06 décembre 2022,

ARRET :

Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 06 décembre 2022 et signé par Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre, et Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffière, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

La SARL [K] [A], dont le siège social se trouve [Adresse 9] à [Localité 7] est une société spécialisée dans le domaine de la métallurgie.

Le 2 mai 2019, elle a fait l'acquisition auprès de l'entreprise LMO d'une machine à électro-érosion de découpage de précision pour un montant de 60 000 € ht.

Le transport a été assuré jusqu'au siège de la SARL [A] par les transports Seingier, le portage et l'installation de la machine dans les ateliers étant à la charge de l'acquéreur.

Par courriel en date du 22 juillet 2019, la SARL [A] a pris contact avec la société Loca Bourgeois, exerçant sous l'enseigne «'Guillouart Levage'», société spécialisée dans les travaux de manutention et de levage, afin que celle-ci procède au déchargement de la machine à électro-érosion et à sa mise en place dans les ateliers de la société [A].

Dans ce courriel, la SARL [A] a donné des précisions techniques sur la machine, notamment ses dimensions, et son poids de 3,850 tonnes.

Le 23 juillet 2019, la société Loca Bourgeois a fait une proposition commerciale à la SARL [A] pour un total de 1895 euros ht.

Le 2 août 2019, la société [A] a accepté la proposition commerciale et la date d'intervention a été fixée au 3 septembre 2019.

Le 3 septembre 2019, la société Loca Bourgeois s'est présentée avec une grue de levage et une équipe de trois manutentionnaires. Lors de l'opération de déchargement de la machine depuis le camion sur le site, une des deux barres permettant de la soulever a cassé, provoquant ainsi la chute de la machine, ce qui l'a gravement endommagée la rendant inutilisable.

La gérante de la SARL [A] a demandé à la société Loca Bourgeois de prendre en charge les dégâts occasionnés sur la machine lors du déchargement mais celle-ci ne l'a pas fait.

La SARL [A] a alors assigné en référés la société Loca Bourgeois, ses administrateurs judiciaires, son mandataire judiciaire et la société Transports Seingier aux fins d'obtenir une expertise judiciaire.

Il a été fait droit à cette demande et par ordonnance rendue le 12 février 2020, le président du tribunal de commerce de Reims a désigné Monsieur [C] [G] aux fins, notamment, de déterminer l'origine du sinistre et de donner un avis sur les responsabilités, sur l'état de la machine à électro-érosion sinistrée, sur les réparations nécessaires et leur coût, ainsi que pour évaluer les différents préjudices.

L'expert a déposé son rapport final le 1er octobre 2020.

La SARL [A] a alors saisi le tribunal de commerce de Reims afin que soit reconnue l'entière responsabilité de la société Loca Bourgeois dans la chute de la machine et de la condamner, ainsi que son assureur, à l'indemniser pour le préjudice subi réparti comme suit': 60 000 € ht pour l'achat de la machine outils à LMO, 947 € de transport, 1343 € ht au titre des travaux d'alimentation électrique effectués en prévision de l'installation de la machine, 1895 € ht au titre de l'intervention de la société Guillouart pour le déchargement et la mise en place de la machine, 227,67 € de coût du PV d'huissier établi le jour de l'accident, 2000 € ht au titre de l'enlèvement et du recyclage de la machine pour ferraille, 130 000 € ht au titre du préjudice de perte d'exploitation, 16 111 € ht au titre de l'embauche d'un salarié depuis le 2 septembre 2019 pour travailler sur cette machine, ainsi que 5000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En réponse, la société AXA et les sociétés Loca Bourgeois, Cardon et Bortolus et Me [I] [Y] ont demandé au tribunal de déclarer mal fondée l'action de la SARL [A], la responsabilité de la société Guillouart n'étant pas engagée, et subsidiairement d'effectuer un partage des responsabilités en tenant compte des manquements et fautes de la SARL [A], qui sont à l'origine du dommage et de limiter le montant de la réparation à la somme, en principal de 63 097,67 €.

Par décision du 9 novembre 2021, le tribunal de commerce de Reims, au visa des articles 1231-1 et suivants et 1709 du code civil, a ':

- reçu la société [A] en ses demandes, les a déclarées partiellement bien fondées,

- dit la responsabilité de la société [A] engagée dans la survenance de son propre dommage à hauteur de 30%, la responsabilite' de la société Loca Bourgeois l'étant pour le reste,

- dit n'y avoir lieu à condamnation de la société Loca Bourgeois qu'à supporter les dommages directs, par ailleurs déterminés par le rapport d'expertise judiciaire, pour la quote-part lui étant imputable,

- condamné solidairement la société Loca Bourgeois et son assureur AXA à payer à la société [A] la somme de 44 168,32 euros correspondant à la quote-part de responsabilite' de la société Loca Bourgeois dans le dommage subi,

- rejeté toutes les autres demandes, fins et prétentions des parties,

- condamné la société Loca Bourgeois et son assureur AXA à payer à la société [A] la somme de 3500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration reçue le 10 décembre 2021, la SARL [A] a formé appel de la décision rendue par le tribunal de commerce de Reims.

Le conseiller de la mise en état a proposé aux parties de procéder à une médiation.

Les intimés ont accepté d'entrer en voie de médiation.

L'appelante n'a pas répondu à cette proposition.

Par conclusions notifiées le 3 février 2022, la SARL [A] demande à la cour, au visa des articles 12 alinéa 2 du code de procédure civile, 1170 et 1231-1 du code civil, d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement.

Il est demandé à la cour statuant à nouveau de':

- dire et juger la SARL [A] recevable et bien fondée en toutes ses demandes, fins et prétentions,

- déclarer la société Loca Bourgeois entièrement responsable des conséquences dommageables de la chute de la machine à électro-érosion survenue le 3 septembre 2019 à l'occasion des opérations de manutention contractuelles confiéees à cette dernière,

En conséquence,

- condamner in solidum la société Loca Bourgeois et la SA AXA France Iard à verser à la SARL [A], en réparation du préjudice subi par celle-ci les sommes suivantes :

- 60 000 € ht au titre de l'achat de la machine outils à LMO,

- 947 € ht au titre du transport effectuée par la société de transport Seingier,

- 1 343 € ht au titre des travaux d'alimentation électrique effectués en prévision de l'installation de la machine,

- 1 895 € ht au titre de l'intervention de la société Loca Bourgeois pour le déchargement et la mise en place de la machine,

- 227,67 € ht correspondant au procès-verbal d'huissier établi le jour de l'accident,

- 2 000 € ht au titre de l'enlèvement et du recyclage de la machine pour ferraille,

- 130 000 € ht au titre du préjudice de perte d'exploitation,

- 16 111 € ht au titre de l'embauche d'un salarié depuis le 2 septembre 2019 pour travailler sur cette machine,

- condamner in solidum la société Loca Bourgeois et la SA AXA France Iard à verser à la SARL [A] une indemnité de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner in solidum la société Loca Bourgeois et la SA AXA France Iard aux entiers dépens,

- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir (sic).

Par conclusions notifiées le 26 avril 2022, la société Loca Bourgeois, et Me [I] [Y], ès- qualités de commissaire à l'exécution du plan de la société Loca Bourgeois, demandent à la cour d'infirmer partiellement le jugement en ce qu'il a condamné la société Loca Bourgeois à prendre en charge une partie du dommage à hauteur de 44 168,32€, outre 3500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens.

Statuant à nouveau, il est demandé à la cour de':

A titre principal':

- juger de l'absence de responsabilité de la société Loca Bourgeois en application des clauses exonératoires de responsabilité des CVG, du fait des fautes commises par la société [A] ayant contribué directement au dommage,

En conséquence,

- débouter la SARL [A] de l'intégralité de ses demandes et prétentions,

A titre subsidiaire,

- juger d'un partage de responsabilité dans les proportions qu'il plaira à la cour en tenant compte des nombreuses fautes déterminantes dans la survenance du dommage commises par la société [A],

- limiter la condamnation à la perte du matériel telle que chiffrée par l'expert judiciaire,

En tout état de cause,

- confirmer le jugement du tribunal de commerce en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire fondée sur la perte d'exploitation et sur les dépenses salariales,

- mettre hors de cause les organes de la procédure collective suite à l'adoption d'un plan de continuation,

- condamner la SARL [A] à payer à la société Loca Bourgeois la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner aux entiers dépens de référé, d'expertise et d'instance.

Par conclusions notifiées le 29 mars 2022, la compagnie AXA France Iard, formant appel incident, demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau, il est demandé à la cour de :

- débouter la SARL [A] de toutes ses demandes, fins et conclusions, l'action de cette dernière à l'encontre de la société AXA France Iard étant mal fondée, la responsabilité de son assuré Guillouart n'étant pas engagée,

Subsidiairement,

- confirmer le jugement en ce qu'il a effectué un partage de responsabilité, mais le rendre plus équilibreé à hauteur de 50 % en tenant compte des nombreux manquements et fautes de la société [A] qui sont directement à l'origine des dommages,

En tout état de cause,

- limiter le montant de la réparation à la somme, en principal, de 63 097,67 €, comme l'a fait, à bon droit, le tribunal,

- condamner la société [A] au paiement de la somme de 6 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Isabelle Castello, dans les conditions de l'article 699 du code de proce'dure civile.

MOTIFS DE LA DECISION':

La qualification du contrat':

Aux termes de l'article 1709 du code civil, le louage de choses est un contrat par lequel l'une des parties s'oblige à faire jouir l'autre d'une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s'oblige de lui payer.

La SARL [A] et la société AXA France s'opposent sur la qualification à donner au contrat, la première considérant que le contrat de location doit être requalifié en contrat d'entreprise, l'assureur de la société Loca Bourgeois considérant de son côté qu'il s'agit d'un contrat de location.

L'appelante soutient que le contrat de location conclu entre les parties doit être requalifié en contrat d'entreprise ordinaire, la prestation comportant non seulement la mise à disposition de la grue mais également celle de salariés disposant à ce titre d'une totale autonomie dans l'exécution de leur prestation, la société [A] n'ayant aucunement la maîtrise de l'exécution des opérations.

L'assureur lui oppose qu'il s'agit aux termes des conditions générales d'un contrat de location et que le personnel de la société Guillouart était placé sous la responsabilité du locataire qui avait la maîtrise des opérations ; qu'il y a au surplus bien eu accord des parties sur la qualification du contrat (bon pour accord sur la proposition commerciale).

Il ressort de la proposition commerciale acceptée le 21 août 2019 par la SARL [A] mais également des conditions générales qui y sont annexées et qui font corps avec elle qu'elle comporte les prestations suivantes':

* 1 grue de levage

* tôles acier

* matériel de manutention

* équipe de manutention

C'est par conséquent à juste titre que l'assureur de la société Loca Bourgeois soutient que le contrat consiste à titre principal à fournir une grue de levage ainsi qu'une équipe pour assurer le déchargement de la machine.

Par ailleurs, c'est à tort que la SARL [A] soutient qu'elle n'avait pas le pouvoir de direction à défaut de lien de subordination sur les salariés de la société Loca Bourgeois alors que les conditions générales mentionnent expressément qu'il s'agit d'un contrat de location et que la société Guillouart (Loca Bourgeois) met à disposition de la société [A] son matériel et ses salariés.

Il s'agit par conséquent d'un contrat classique, dénommé à juste titre contrat de location dont rien ne justifie qu'il soit requalifié en contrat d'entreprise.

L'inopposabilité de la clause limitative de responsabilité':

L'article 1170 du code civil dispose que toute clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite.

En l'espèce, il est constant que les conditions générales comportent une clause libellée comme suit': notre responsabilité ne peut, en aucun cas, être recherchée pour des dommages survenus aux marchandises levées par suite d'une déclaration ou d'indications erronées, manque d'instruction et de précision ou par le vice propre de la chose.

C'est à bon droit que l'appelante soutient que les stipulations des conditions générales de vente (CGV) de la société Loca Bourgeois tendant à exclure sa responsabilité du fait de ses préposés intervenant aux opérations de levage doivent être déclarées non écrites.

En effet, cette clause, insérée dans le paragraphe «'conditions préalables de location'» combinée à celle figurant dans le paragraphe «'responsabilités'» notre société ne pourra être tenue responsable des dommages résultant d'une erreur ou d'un défaut de conception des études réalisées par le locataire, d'un vice de l'objet manutentionné ou du matériel utilisé sur instruction du locataire'» a pour effet d'exonérer totalement hors cas de force majeure la société de toute responsabilité de quelque nature qu'elle soit, y compris en cas de faute personnelle, ce qui équivaut à priver de toute substance l'obligation de la société Loca Bourgeois, spécialiste du levage, dont les services ont été précisément sollicités pour une prestation à technicité importante, compte tenu du type de machine à transporter et dont la prestation de location comprend expressément la mise à disposition de matériel de manutention.

Il y a donc lieu de déclarer cette clause non écrite.

Les responsabilités':

Aux termes de l'article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

La faute du locataire, lorsqu'elle revêt une certaine gravité, exonère, totalement ou partiellement en fonction de son influence causale, le loueur de sa propre responsabilité.

La SARL [A] soutient':

- que la responsabilité de la société Loca Bourgeois est exclusive dans la mesure où, aux termes du bon de commande, la manutention et le déchargement de la machine avant mise en place dans l'atelier de la société [A], incombaient à la société Loca Bourgeois, spécialiste du levage industriel, la société [A] n'ayant la charge que de la mise à disposition d'un chariot élévateur,

- que la société Loca Bourgeois est tenue d'une obligation de résultat et que sa responsabilité exclusive dans la survenance du dommage doit être retenue, étant précisé qu'elle aurait dû venir avec du matériel de manutention nécessaire à l'opération de levage (ce qui était compris dans le bon de commande), soit des barres d'ancrage permettant le passage des élingues (il s'agit d'accessoires de levage de type chaînes terminés par un crochet) ; que le conducteur du camion, M. [F], relate dans son attestation qu'il avait signalé à un des responsables élingueurs qu'une des deux barres pliait mais que la manoeuvre a néanmoins continué ; que l'absence de réaction de ce dernier constitue bien une faute de nature à engager la responsabilité exclusive de la société Loca Bourgeois,

- qu'il appartenait, en tout état de cause, à cette société de se documenter sur la nature de l'engin à transporter ainsi que sur les possibilités d'ancrage afin de définir le mode de levage le plus adapté.

La société Loca Bourgeois et Maître [Y] lui opposent que la cour doit apprécier souverainement les fautes importantes commises par la société [A] permettant d'exonérer partiellement la société Loca Bourgeois de sa responsabilité.

De son côté, l'assureur de la société Loca Bourgeois soutient que la société [A] est entièrement responsable des opérations et quelle que soit la qualification juridique donnée au contrat, qu'elle se devait aux termes du contrat de donner par écrit toutes précisions sur les caractéristiques et capacités du matériel souhaité, la nature et le poids de la marchandise, l'emplacement et l'utilisation des points d'ancrage, ce qu'elle n'a pas fait, étant précisé au surplus que le vendeur de la machine avait indiqué à Mme [A] bien avant qu'elle ne consulte la société Guillouart que le déchargement devait impérativement se faire au moyen d'un chariot élévateur (pièces 5 et 5 bis de la société [A]) ; qu'au surplus, Mme [A] a refusé de fournir deux barres de levage adaptées à l'opération et qu'elle leur a fourni une deuxième barre en fonte provenant d'un vieux stock qui était inappropriée.

A titre subsidiaire, la société Axa France Iard estime qu'un partage de responsabilité doit être opéré mais à raison de 50/50 et non de 30/70 comme l'a fait le tribunal.

Il ressort des pièces versées aux débats et plus particulièrement de la pièce D5 annexée au rapport d'expertise de M. [G], que la machine sinistrée devait, aux termes d'un mail adressé par le constructeur, LMO, à la SARL [A] le 9 juillet 2019, impérativement être déchargée par celle-ci au moyen d'un chariot élévateur.

Si les données techniques fournies par le constructeur sont plus nuancées puisqu'elles recommandent un levage au chariot élévateur mais qu'elles laissent néanmoins la possibilité de lever la machine au moyen d'une grue, c'est à la condition que les barres de levage soient adaptées en diamètre et en matériau pour permettre un transport sans risques de la marchandise.

La SARL [A] ne justifie pas avoir fourni à la société Loca Bourgeois l'ensemble des instructions du constructeur comme les conditions générales de location qu'elle a acceptées lui imposaient de le faire.

Ainsi que le relève le rapport d'expertise dont la cour s'appropriera les termes, si la manutention par chariot élévateur aurait été délicate compte tenu de la configuration relativement accidentée du terrain de déchargement et s'il est probable qu'une manutention au moyen d'une grue aurait été néanmoins conservée, la vigilance de la société Loca Bourgeois en possession des instructions du constructeur ou à tout le moins des caractéristiques particulières de cette machine à électro-érosion et des conditions dans lesquelles elle devait être transportée aurait été attirée sur les difficultés spécifiques d'un levage de la machine par grue et des contraintes y afférentes.

En omettant de donner les informations au loueur du matériel, la locataire a commis une faute aggravée par le fait qu'elle a fourni au loueur en urgence une barre en fonte provenant d'un vieux stock qui était inadaptée pour une pièce de levage en raison d'un diamètre trop faible et d'un matériau inapproprié, élément qui est la cause exclusive de la chute de la machine et ce alors que la SARL [A] est spécialisée dans le domaine de la métallurgie.

De son côté, la société Loca Bourgeois ne peut opposer à son cocontractant le fait que le matériel et les salariés étaient mis à disposition de la SARL [A] qui en avaient la charge et la responsabilité exclusives.

Elle est en effet un professionnel du levage, elle a réalisé cette opération sans s'assurer de la conformité des barres mises à sa disposition et utilisées par elle et ce, sans validation technique, obligation qui lui incombait et dont elle ne peut s'exonérer au motif qu'elle a agi sous les ordres de la SARL [A].

Par ailleurs, il ressort de l'attestation établie le 16 juin 2020 par M. [Z] [F], chauffeur de la société Seingier ayant assuré le transport de la machine chez le client (attestation qui est annexée au rapport d'expertise en pièce E2) que celui-ci a signalé lors des opérations de levage qu'une des deux barres pliait mais que l'un des élingueurs de la société Loca Bourgeois lui avait répondu que ce n'était «'pas trop grave'» et qu'ils avaient continué à lever et à faire pivoter la machine mais qu'elle était finalement tombée.

Cette attestation ne peut être soupçonnée de partialité puisque l'attestant est extérieur à l'opération litigieuse.

La faute personnelle de la société Loca Bourgeois précédemment mise en exergue a été par conséquent aggravée par le fait que le levage n'a pas été interrompu à un moment où il pouvait encore l'être et ce alors qu'une alerte avait été donnée.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments et des fautes respectivement commises par chacune des parties, un partage de responsabilité doit s'opérer par moitié.

La décision sera infirmée de ce chef.

Les préjudices':

La SARL [A] sollicite l'indemnisation de son préjudice matériel constitué d'une part de la perte économique directe liée à la destruction de la machine (66 440,67 euros ht) à laquelle s'ajoute le préjudice résultant du coût généré par l'emploi d'un salarié qui devait spécialement être affecté à l'utilisation de cette machine (16 111 euros ht) et qu'elle doit d'autre part être indemnisée de son préjudice immatériel causé par la perte d'exploitation, qui n'est pas expressément exclue dans les conditions générales de vente contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, soit 130 000 euros ht et a minima 43 200 euros, montant retenu par le propre expert mandaté par AXA.

La société Loca Bourgeois et son assureur lui opposent que l'indemnisation doit être limitée au préjudice matériel tel que fixé par l'expert, le préjudice d'exploitation et le préjudice résultant de l'emploi d'un salarié, au demeurant non justifiés, étant exclus de toute indemnisation aux termes du contrat.

- les préjudices matériels':

* la perte économique':

Il ressort de l'expertise que la machine est inutilisable et qu'elle doit être remplacée.

M.[G] chiffre le préjudice matériel en considérant que les frais d'enlèvement et de recyclage de la machine à envoyer à la ferraille sont inexistants (2000 euros ht sont réclamés à ce titre non justifiés par un devis).

Il est réclamé par ailleurs des frais relatifs aux travaux d'alimentation électrique préalables à l'installation de la machine, et ce pour un coût de 1343 euros ht alors que ces frais justifiés par une facture du 3 juillet 2019 ont déjà été engagés et qu'ils n'auront donc plus à l'être lorsque la machine de remplacement sera installée.

Ces deux demandes indemnitaires seront donc rejetées.

* le coût du salarié':

Si la SARL [A] justifie par la production du contrat de travail à durée déterminée de M. [P] [D] qu'elle a procédé à son embauche du 2 septembre 2019 au 20 décembre 2019, il n'est pas établi de lien de causalité avec l'arrivée prévue de la machine à électro-érosion puisqu'il est indiqué dans ce contrat que l'intéressé est engagé pour faire face à un surcroît d'activité, aucune autre pièce ne démontrant qu'il devait être spécifiquement et exclusivement affecté à ce poste.

L'appelante sera déboutée de sa demande indemnitaire à ce titre.

Le préjudice matériel subi par la SARL [A] s'établit donc comme suit':

rachat d'une machine': 60 000,00 euros

transports Seingier': 947,00 euros

levage Guillouart': 1 895,00 euros

frais d'huissier': 227,67 euros

soit au total la somme de 63 069,67 euros.

Compte tenu du partage de responsabilité précédemment opéré (50 % chacun), la décision sera infirmée et la société Loca Bourgeois et la société Axa France Iard, seront condamnées in solidum à payer à la SARL [A] la somme de 31 534,84 euros au titre du préjudice matériel.

- le préjudice immatériel':

Aux termes de l'article 1231-3 du code civil, le débiteur n'est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qui pouvaient être prévus lors de la conclusion du contrat, sauf lorsque l'inexécution est due à une faute lourde ou dolosive.

Le dommage immatériel se définit comme un préjudice pécuniaire causé par la survenance d'un dommage matériel (en l'espèce, la destruction de la machine).

Il ressort expressément des conditions générales de location acceptées par la SARL [A] que la société Loca Bourgeois ne peut en aucune façon être tenue pour responsable des éventuels dommages immatériels et notamment des pertes d'exploitation quelle qu'en soit l'origine (paragraphe responsabilités) et que la responsabilité de la société, toutes causes confondues, est limitée contractuellement à la somme de 230 000 euros par opération ou événement pour les dommages matériels (paragraphe assurances).

Le dommage immatériel sollicité tenant à la perte d'exploitation n'est donc pas indemnisable.

La SARL [A] sera déboutée de sa demande indemnitaire au titre du préjudice immatériel.

L'article 700 du code de procédure civile':

La décision sera infirmée.

En équité, chaque partie conservera à sa charge les frais irrépétibles qu'elle a engagés.

Les dépens':

La société Loca Bourgeois et la société Axa France Iard, in fine débitrices, seront condamnées in solidum aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS':

Statuant publiquement et par arrêt contradictoire';

Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 9 novembre 2021 par le tribunal de commerce de Reims.

Statuant à nouveau';

Déboute la SARL [A] de sa demande aux fins de requalification du contrat de location souscrit avec la société Loca Bourgeois exerçant sous l'enseigne «'Guillouart Levage'» en contrat d'entreprise,

Déclare non écrite la clause ainsi libellée des conditions générales de location ': «'notre société ne pourra être tenue responsable des dommages résultant d'une erreur ou d'un défaut de conception des études réalisées par le locataire, d'un vice de l'objet manutentionné ou du matériel utilisé sur instruction du locataire'»,

Dit que la SARL [A] et la société Loca Bourgeois ont commis toutes deux des fautes à l'origine directe des dommages subis et que leur responsabilité respective est engagée pour moitié chacune,

Compte tenu du partage de responsabilité ainsi opéré (50 % chacune), condamne in solidum la société Loca Bourgeois et son assureur, la société Axa France Iard, à payer à la SARL [A] la somme de 31 534,84 euros au titre du préjudice matériel,

Déboute la SARL [A] de sa demande indemnitaire au titre du préjudice immatériel,

Déboute les parties de leur demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne in solidum la société Loca Bourgeois et la société Axa France Iard, aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Reims
Formation : 1ere chambre sect.civile
Numéro d'arrêt : 21/02201
Date de la décision : 06/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-06;21.02201 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award