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30/11/2022 | FRANCE | N°21/01470

France | France, Cour d'appel de Reims, Chambre sociale, 30 novembre 2022, 21/01470


Arrêt n°

du 30/11/2022





N° RG 21/01470





CRW/FJ









Formule exécutoire le :







à :



COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE SOCIALE

Arrêt du 30 novembre 2022





APPELANTE :

d'un jugement rendu le 28 juin 2021 par le Conseil de Prud'hommes de REIMS, section Activités Diverses (n° F 19/00396)



Madame [S] [D]

[Adresse 1]

[Localité 3]



Représentée par la SELARL G.R.M.A., avocats au barre

au de REIMS





INTIMÉE :



L'Association FAMILLES RURALES FEDERATION DEPARTEMENTALE DE LA MARNE

[Adresse 2]

[Localité 3]



Représentée par Me Christine SAUER-BOURGUET, avocat au barreau de REIMS

DÉBATS :



En audience publique, en...

Arrêt n°

du 30/11/2022

N° RG 21/01470

CRW/FJ

Formule exécutoire le :

à :

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE SOCIALE

Arrêt du 30 novembre 2022

APPELANTE :

d'un jugement rendu le 28 juin 2021 par le Conseil de Prud'hommes de REIMS, section Activités Diverses (n° F 19/00396)

Madame [S] [D]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par la SELARL G.R.M.A., avocats au barreau de REIMS

INTIMÉE :

L'Association FAMILLES RURALES FEDERATION DEPARTEMENTALE DE LA MARNE

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Christine SAUER-BOURGUET, avocat au barreau de REIMS

DÉBATS :

En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 5 septembre 2022, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller, et Madame Isabelle FALEUR, Conseiller, chargés du rapport, qui en ont rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 19 octobre 2022, prorogée au 30 novembre 2022.

COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :

Madame Christine ROBERT-WARNET, président

Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller

Madame Isabelle FALEUR, conseiller

GREFFIER lors des débats :

Monsieur Francis JOLLY, greffier

ARRÊT :

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Christine ROBERT-WARNET, président, et Monsieur Francis JOLLY, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

Mme [S] [D] a été embauchée à compter du 9 septembre 1991 par l'association Familles Rurales Fédération Départementale de la Marne (ci-après l'association Familles Rurales) dans le cadre d'un contrat emploi solidarité puis d'un contrat de qualification. La relation s'est ensuite poursuivie dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à compter du 9 juillet 1993, pour la salariée occuper la fonctiond'aide-comptable.

Mme [S] [D] a été placée en arrêt maladie à compter du 26 juillet 2013 à la suite d'un malaise survenu sur son lieu de travail et n'a jamais repris son travail.

Le 16 janvier 2014, le médecin du travail l'a déclarée« Inapte à la reprise de travail à son poste antérieur. Cette inaptitude est constatée au terme d'un seul examen médical en raison de l'existence d'un danger immédiat au sens prévu par l'article R4624-35 du code du travail.

L'origine de l'inaptitude, l'organisation du travail et la structure de l'établissement ne permettent pas de proposer des mesures individuelles de mutation ou d'aménagement de poste de travail. Madame [D] [S] pourrait exercer des tâches administratives dans un autre environnement professionnel »

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 11 février 2014, l'association Familles Rurales a convoqué Mme [S] [D] à un entretien préalable à un éventuel licenciement.

Par courrier du 17 février 2014, la salariée a indiqué à son employeur ne pas pouvoir se rendre à cet entretien compte tenu des lésions subies lors de l'accident de travail dont elle a été 'victime au bureau le 26 juillet 2013".

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 25 février 2014, l'association Familles Rurales a notifié à Mme [S] [D] son licenciement sur le fondement de son inaptitude médicalement constatée et de son impossibilité de la reclasser, après lui avoir précisé par courrier du 24 février 2014 l'origine non professionnelle de son inaptitude.

Par courrier du 18 mars 2014, la Caisse Primaire d'Assurance Maladie a transmis à l'association Familles Rurales une déclaration d'accident du travail établie par Mme [S] [D] relative aux événements du 26 juillet 2013, pris in fine en charge par cet organisme au titre de la législation sur les risques professionnels. Le caractère professionnel de l'accident a été confirmé par arrêt de la cour d'appel de Reims du 17 mai 2017.

Par requête enregistrée au greffe le 8 novembre 2018, Mme [S] [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Reims en contestation de la légitimité de son licenciement.

Aux termes de ses dernières conclusions, Mme [S] [D] prétendait à voir dire nul le licenciement dont elle a fait l'objet, faisant valoir que son inaptitude est directement liée au comportement de son employeur qui doit être qualifié de harcèlement moral, subsidiairement, dire que son employeur n'a pas satisfait à l'obligation de reclassement mise à sa charge.

Aux termes de ses dernières conclusions, elle sollicitait la condamnation, sous exécution provisoire, de l'association Familles Rurales au paiement des sommes suivantes :

à titre principal,

- 30.000 euros à titre de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de prévention du harcèlement moral,

- 30.000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral et de santé et défaut d'exécution de bonne foi du contrat de travail,

- 53.035,92 euros (soit 24 mois de salaire) à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

- 14.275.50 euros net de charges au titre de la différence entre l'indemnité légale doublée (27 166.18 euros) et l'indemnité qu'elle a perçue (12 890.56 euros),

- 4.419,66 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 441,96 euros à titre de congés payés afférents,

à titre subsidiaire,

- 14.275.50 euros net de charges au titre de la différence entre l'indemnité légale doublée (27 166.18 euros) et l'indemnité qu'elle a perçue(12 890.56 euros),

- 4.419,66 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 441,96 euros à titre de congés payés afférents,

en tout état de cause

- 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 28 juin 2021, le conseil de prud'hommes de Reims a :

- dit que toute action en réparation d'un quelconque préjudice moral ou équivalent dont Mme [S] [D] aurait été victime de la part de l'association Familles Rurales est prescrite depuis le 26 juillet 2018 ;

-dit que toute action portant sur la rupture du contrat de travail de Mme [S] [D] est prescrite depuis le 25 avril 2016 ;

- jugé Mme [S] [D] irrecevable et non fondée en ses demandes et prétentions, tant principales que subsidiaires, jugé toutes les demandes principales et subsidiaires sans objet ;

- condamné Mme [S] [D] à régler à l'association Familles Rurales la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme [S] [D] aux entiers dépens de l'instance.

Le 16 juillet 2021, Mme [S] [D] a interjeté appel.

Vu les conclusions transmises au greffe par RPVA le 1er avril 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour plus ample informé des moyens de la partie appelante par lesquelles Mme [S] [D], continuant de prétendre au bien-fondé de ses prétentions, sollicite l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions et renouvelle l'intégralité des demandes qu'elle avait initialement formées, pour les sommes alors sollicitées sauf à porter à la somme de 3.500 euros sa prétention fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle ajoute une demande tendant à voir juger, à titre subsidiaire, son licenciement sans cause réelle et sérieuse, prétendant à la condamnation, à ce titre, de l'association Familles Rurales au paiement de la somme de 53.035,92 euros.

Vu les conclusions transmises au greffe par RPVA le 30 mars 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour plus ample informé des prétentions de la partie intimée, par lesquelles l'association Familles Rurales sollicite la confirmation de la décision déférée, l'irrecevabilité de Mme [S] [D] en l'ensemble de ses demandes, subsidiairement son débouté et, en tout état de cause, sa condamnation au paiement d'une indemnité de 6.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur ce :

Sur la recevabilité des demandes présentées par l'association Familles Rurales

Mme [S] [D] soutient que la cour n'est saisie d'aucune prétention d'irrecevabilité de la part de l'association Familles Rurales dans la mesure où les demandes tendant à 'déclarer' ne sont pas des prétentions juridiques.

Toutefois, si les demandes de l'association Familles Rurales sont ainsi formulées, dans le dispositif de ses conclusions :

'Déclarer Mme [S] [D] prescrite en son action et en toutes ses demandes portant sur la rupture et l'exécution du contrat de travail;

Déclarer Mme [S] [D] irrecevable en ses demandes additionnelles portant sur la rupture du contrat de travail;

Déclarer Mme [S] [D] irrecevable en sa demande tendant à voir prononcer la nullité du licenciement;

Déclarer Mme [S] [D] irrecevable en ses demandes en paiement'

celle-ci sollicite également la confirmation du jugement qui a jugé Mme [S] [D] irrecevable en ses demandes après avoir dit prescrites toute action portant sur la rupture du contrat de travail et toute action en réparation d'un quelconque préjudice moral ou équivalent.

La cour est donc valablement saisie.

Mme [S] [D] soutient également que la cour n'est pas compétente pour statuer sur ces demandes, s'agissant de fins de non-recevoir tirées de la prescription. Elle prétend à la compétence exclusive du conseiller de la mise en état pour statuer sur les fins de non-recevoir.

Toutefois, dans un avis du 3 juin 2021, la Cour de cassation a précisé que seule la cour d'appel dispose, à l'exclusion du conseiller de la mise en état, du pouvoir d'infirmer ou d'annuler la décision frappée d'appel, revêtue, dès son prononcé, de l'autorité de la chose jugée et qu'en conséquence, elle ne peut connaître ni des fins de non-recevoir tranchées par le juge de la mise en état, ou par le tribunal, ni de celles qui, bien que n'ayant pas été tranchées en première instance, auraient pour conséquence, si elles étaient accueillies, de remettre en cause ce qui avait été jugé au fond par le premier juge.

En l'espèce, les fins de non-recevoir fondées sur la prescription ont été tranchées par le conseil de prud'hommes au fond.

Par conséquent, leur examen relève de la compétence de la cour, excluant qu'elles soient déclarées irrecevables.

Sur les demandes afférentes à l'exécution du contrat de travail

* Sur les dommages-intérêts pour violation de l'obligation de prévention du harcèlement moral

- la prescription

L'association Familles Rurales invoque la prescription de l'action en réparation d'un harcèlement moral, soutenant que selon le dossier médical de Mme [S] [D], celle-ci a évoqué avec le médecin du travail le 10 octobre 2013 des faits de harcèlement moral. Elle estime ainsi qu'à cette date, au plus tard, Mme [S] [D] avait connaissance des faits lui permettant d'engager une action prud'homale de sorte qu'en saisissant le conseil de prud'hommes le 8 novembre 2018, l'action est prescrite.

En application de l'article 2224 du code civil, l'action en réparation du préjudice résultant d'un harcèlement moral se prescrit par cinq ans à compter de la révélation du harcèlement, cette révélation étant constituée par la connaissance de tous les éléments permettant au salarié de s'estimer victime de harcèlement moral. Le délai de prescription commence ainsi à courir à compter du dernier acte de harcèlement présumé.

En l'espèce, Mme [S] [D] a été placée en arrêt maladie à compter du 26 juillet 2013 jusqu'à son licenciement pour inaptitude.

Pour prétendre à l'existence d'un harcèlement moral, elle invoque des agissements qui se seraient poursuivis pendant son arrêt de travail jusqu'à son licenciement dont le dernier acte serait son licenciement prononcé le 25 février 2014.

C'est donc à compter de cette date qu'elle a eu connaissance de tous les éléments lui permettant de s'estimer victime de harcèlement moral.

En conséquence, Mme [S] [D] avait jusqu'au 25 février 2019 pour saisir le conseil de prud'hommes.

Mme [S] [D] ayant saisi le conseil de prud'hommes le 8 novembre 2018, son action n'est pas prescrite.

Il appartient dès lors à la cour d'analyser l'ensemble des faits invoqués par la salariée permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral, quelle que soit la date de leur commission.

- le bien-fondé de la demande

Mme [S] [D] affirme avoir été victime de harcèlement moral, à compter de l'embauche, en février 2007, de la part de Mme [W], aide-comptable.

Il résulte de l'application des dispositions de l'article L 1152-1 du code du travail qu'aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il résulte de l'application des dispositions de l'article L 1154-1 du même code, en sa rédaction applicable à l'espèce, qu'il appartient au salarié, qui invoque avoir subi des faits de harcèlement moral d'établir la matérialité de faits précis et concordants constituant, selon lui, un harcèlement.

Lorsque ces faits sont établis, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, y compris les documents médicaux éventuellement produits, pris en leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Mme [S] [D] invoque les faits suivants :

- dénigrement de la part de sa collègue, Mme [W]

- inertie de la direction,

- retrait de tâches au profit de sa collègue, Mme [W],

- processus d'éviction et de mise à l'écart,

- sanction infligée pour dénonciation de faits de harcèlement,

- humiliation et reproches injustifiés de la part de la direction le 26 juillet 2013,

- absence de déclaration de l'accident du travail survenu le 26 juillet 2013,

- contestation du caractère professionnel de l'inaptitude et obligation de saisir le tribunal des affaires de sécurité sociale,

- offres de reclassement inadaptées.

A l'appui de ces affirmations, Mme [S] [D] verse aux débats :

- deux attestations de salariées témoignant d'un processus d'isolement à son égard de la part de la direction et de ses collègues de travail. Selon la première, Mme [S] [D] n'a pas été invitée à participer aux réunions dédiées à la prise en main d'un nouveau logiciel pour la comptabilité et la paye. Selon la seconde, ses collègues ne lui adressaient pas la parole et ne lui transmettaient pas directement les documents de travail.

- une lettre d'observation et des échanges de courrier entre Mme [S] [D] et la direction à la suite d'un incident survenu le 29 juin 2012;

- une attestation de l'infirmière de la structure relatant le malaise de Mme [S] [D] le 26 juillet 2013 survenu à la suite d'un entretien avec sa responsable hiérarchique et ayant nécessité l'intervention des pompiers;

- un courrier adressé à l'assurance maladie daté du 17 février 2014 dans lequel la salariée demandait la confirmation de la déclaration de son accident du travail par son employeur;

- un courrier du 17 février 2014 adressé à son employeur l'informant de l'impossibilité de se rendre à l'entretien préalable compte-tenu des lésions subies lors de l'accident du travail dont elle a été victime au bureau le 26 juillet 2013;

- une lettre recommandée de son employeur du 24 février 2014 précisant que l'inaptitude n'est pas d'origine professionnelle aux motifs que 'les difficultés que vous avez pu personnellement rencontrer ne ressortent pas d'un accident du travail et vos différents arrêts maladie ont toujours eu comme cadre la maladie';

- le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale et l'arrêt de la cour d'appel concernant le litige relatif à la prise en charge par l'assurance maladie de l'accident du 26 juillet 2013 au titre de la législation professionnelle;

- son dossier de la médecine du travail et ses arrêts de travail avec mention d'un syndrome anxio-dépressif.

Ces faits, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral.

Il incombe, à ce stade, à l'association Familles Rurales de prouver que ces faits ou que ses décisions sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

- C'est à juste titre que l'employeur souligne que le dénigrement de la part de Mme [W] invoqué n'est absolument pas établi. Au contraire, l'association Familles Rurales produit aux débats un mail adressé par cette dernière à Mme [S] [D] établissant un contact courtois.

En outre, Mme [S] [D] prétend à un harcèlement depuis l'arrivée de Mme [W] en février 2007. Or, cette dernière est entrée au service de l'association Familles Rurales le 28 janvier 2008 tel qu'établi par son contrat de travail. Il résulte également des écritures des parties, qu'à compter de 2010, à la suite d'une réorganisation et de la scission du service comptabilité- paye en deux services distincts Mme [S] [D] et sa collègue, Mme [W] ne faisaient plus partie du même service.

- L'employeur fait valoir que cette réorganisation a entraîné une évolution des missions des salariés dont celles de Mme [S] [D], indépendante de toute forme de harcèlement. Il explique que Mme [S] [D] a alors vu ses tâches recentrées vers des écritures comptables et que sa présence aux réunions sur le nouveau logiciel n'était pas nécessaire puisqu'elle quittait le service paie au profit du service comptabilité. Sur ce point, il fait observer, concernant l'attestation relative à ces réunions produite par la salariée, que le témoin a exercé ses fonctions jusqu'au 24 septembre 2010 et n'était pas au fait des modifications intervenues dans le cadre de la réorganisation.

- Par ailleurs, l'association Familles Rurales verse aux débats des attestations mettant en exergue un problème récurrent de comportement de la part de Mme [S] [D] à l'égard de ses collègues de travail avec notamment des emportements et des claquements de porte, qui s'est exacerbé avec la réorganisation. Des témoins évoquent des difficultés pour Mme [S] [D] à s'intégrer à la nouvelle organisation de travail ayant 'vite émis des frais au changement'. Ils décrivent un comportement négatif de sa part, une agressivité envers ses collègues, des réactions violentes et la qualifient d'incontrôlable lorsque quelque chose la perturbe.

- S'agissant des faits du 29 juin 2012, Mme [S] [D] explique être venue en aide à une collègue en pleurs et avoir reproché à la direction de ne pas remédier aux difficultés existantes. Selon la direction, Mme [S] [D] est intervenue de manière violente et agressive ce qui lui a valu un entretien et une lettre d'observation. Des échanges de courriers entre les parties s'en sont suivis. Le ton alors employé par Mme [S] [D] atteste d'une certaine agressivité de sa part, laquelle reconnaît d'ailleurs les propos qui lui sont reprochés que sont 'Vous attendez quoi pour bouger' Qu'on se tire une balle dans la tête'' Une commission du personnel s'est ensuite réunie, le 6 septembre 2012, avec l'audition de la salariée en pleurs. Cette dernière a fait part de son étonnement d'avoir été citée dans le courrier de Mme [S] [D] et a contesté avoir fait l'objet de harcèlement. Cette commission a confirmé les reproches du directeur adressés à Mme [S] [D] et a transformé, par courrier du 26 septembre 2012, la lettre d'observation en avertissement.

- S'agissant du malaise survenu le 26 juillet 2013, Mme [S] [D] affirme avoir subi une série de reproches et de critiques mais sans en apporter le moindre détail, ni en rapporter la teneur alors que l'employeur explique qu'elle a été reçue par sa responsable hiérarchique pour recueillir ses explications sur des tâches non effectuées. Cette dernière atteste du déroulé de l'entretien. Elle explique que Mme [S] [D] s'est emportée, ne l'écoutait plus, a quitté le bureau en claquant la porte et qu'une prise en charge par les pompiers a été nécessaire. D'autres salariés ont témoigné, lors des auditions menées dans le cadre de la contestation de la reconnaissance de l'accident du travail, de son état d'énervement et de l'impossibilité de la calmer à la suite de cet entretien.

Par ailleurs, les pièces médicales versées aux débats mentionnent que la salariée était affectée d'une dépression depuis janvier 2007, avec un suivi mensuel auprès d'un psychiatre, soit avant l'arrivée de Mme [W] au sein de l'association Familles Rurales.

La feuille de liaison du service hospitalier du 26 juillet 2013 évoque un suivi depuis 3 ou 4 ans pour syndrome anxio-dépressif, l'arrêt de son traitement anti-dépresseur depuis 5 mois en raison d'effets secondaires et l'absence de traitement 'en cours'.

Dans un courrier du 18 février 2014, le psychiatre de Mme [S] [D] a déclaré à l'un de ses confrères : ' Sa fragilité psychologique donne lieu à un suivi psychiatrique depuis 2007, son instabilité émotionnelle et sa dépressivité contribuant à pérenniser des difficultés relationnelles.'

- S'agissant des offres de reclassement, les textes législatifs donnent une priorité aux postes avec un salaire équivalent, mais n'interdit pas les offres portant sur un poste d'un niveau de qualification et de salaire moindre ou entraînant un passage à temps partiel.

Seules l'absence de déclaration d'accident du travail survenu le 26 juillet 2013 et par suite celle de reconnaissance du caractère professionnel de l'inaptitude sont établies mais celles-ci sont insuffisantes à caractériser un fait de harcèlement moral.

En tout état de cause, la saisine du tribunal des affaires de sécurité sociale ne peut être imputée à l'association Familles Rurales. Celle-ci fait suite à la non reconnaissance par la commission de recours amiable de l'assurance maladie du caractère professionnel de l'accident. L'association Familles Rurales n'était pas partie au litige, lequel concernait Mme [S] [D] et l'assurance maladie.

Dans ces conditions, il ne peut être retenu que le comportement de l'employeur a été constitutif d'un harcèlement moral.

En conséquence, en l'absence de harcèlement moral, Mme [S] [D] invoque vainement un manquement de son employeur à son obligation de prévention du harcèlement moral, en indemnisation duquel elle prétend à la condamnation de celui-ci au paiement de la somme de 30.000 euros à titre de dommages-intérêts.

Elle sera donc déboutée en ce chef de demande.

* Sur les dommages-intérêts pour préjudice moral et de santé et défaut d'exécution de bonne foi du contrat de travail

Mme [S] [D] réclame, sur le fondement de l'article 1240 nouveau du code civil, le versement de dommages-intérêts à hauteur de 30.000 euros en réparation du préjudice moral né du harcèlement moral dont elle prétend avoir fait l'objet.

Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Le harcèlement moral ayant été écarté, Mme [S] [D] ne justifie de l'existence d'aucun autre préjudice.

Elle doit donc être déboutée de sa demande.

Sur les demandes afférentes à la rupture du contrat de travail

* Sur la nullité du licenciement

A titre liminaire, la cour rappelle que la question de la recevabilité de la demande tendant à la nullité du licenciement a été tranchée par l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 11 mai 2022 et qu'il n'y a donc pas lieu de répondre à ce moyen, de nouveau soulevé dans les écritures au fond de l'intimée.

- la prescription

L'association Familles Rurales prétend à la prescription de la demande en nullité du licenciement et des demandes subséquentes.

Les demandes afférentes à la rupture du contrat de travail sont formées en application de L.1152-1 du code du travail, la salariée liant les agissements de harcèlement moral au licenciement dont elle demande la nullité.

Il apparaît donc, compte-tenu des précédents développements, que la demande en paiement de dommages- intérêts pour nullité du licenciement fondée sur des faits de harcèlement moral et les demandes subséquentes formées dans un délai de cinq ans après la notification du licenciement sont recevables.

* Sur le bien-fondé du licenciement

Dès lors que le harcèlement moral n'est pas établi, les règles de prescriptions relatives aux actions portant sur la rupture du contrat de travail s'appliquent.

Mme [S] [D] invoque vainement une interruption de la prescription en raison de la saisine du tribunal des affaires de sécurité sociale le 15 octobre 2014.

En effet, l'action introduite devant le tribunal des affaires de sécurité sociale avait pour objet la reconnaissance du caractère professionnel de l'accident survenu le 26 juillet 2013, alors que la saisine du conseil de prud'hommes a pour objet la contestation de son licenciement et diverses demandes tenant à l'exécution et à la rupture de son contrat de travail. Les deux actions engagées par Mme [S] [D] ne tendent pas à un seul et même but, de sorte que la première n'a pas interrompu le délai de prescription de l'action en contestation du bien-fondé du licenciement.

Ainsi, en application de l'article L. 1471-1 du code du travail, la demande de Mme [S] [D] formulée le 8 novembre 2018 pour un licenciement notifié le 25 février 2014 est prescrite.

La demande en paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse présentée par Mme [S] [D] est donc irrecevable.

Sur la demande en paiement de rappel de l'indemnité de licenciement et de l'indemnité de préavis

- la recevabilité

L'article 8 du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 relatif à la justice prud'homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail pris en application de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, a, en remplaçant les dispositions des articles R.1452-6 et R.1452-6 du code du travail, supprimé la règle de l'unicité de l'instance pour les procédures introduites à compter du 1er août 2016.

En l'espèce, il est constant que Mme [S] [D] a sollicité pour la première fois un complément d'indemnité de licenciement, fondé sur le doublement de l'indemnité légale en cas de licenciement pour inaptitude physique d'origine professionnelle ainsi que le paiement de l'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents, à l'occasion d'écritures déposées le 2 mars 2020.

L'association Familles Rurales soutient qu'eu égard à la suppression de la règle de l'unicité de l'instance, cette demande nouvelle est irrecevable comme n'ayant pas été présentée dès la saisine du conseil de prud'hommes.

Cependant, la suppression de la règle de l'unicité de l'instance prud'homale n'emporte pas interdiction pour un demandeur de former au cours d'une instance des demandes additionnelles dès lors qu'elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant par application de l'article 70 du code de procédure civile.

En l'occurrence, cette demande nouvelle formée par Mme [S] [D] devant le conseil de prud'hommes se rattache par un lien suffisant à ses prétentions initiales dans la mesure où elle a pour origine l'exécution ainsi que la rupture du contrat de travail conclu entre les parties. Elle est donc recevable par application de l'article 70 du code de procédure civile.

- la prescription

La demande à examiner est de nature salariale. Elle est régie par une prescription triennale en application des dispositions de l'article L.3245-1 du code du travail.

Le point de départ de ce délai de prescription de trois années est le paiement des droits de Mme [S] [D] soit le 13 octobre 2014. A cette date, une fiche de paie rectificative a été établie. (Pièce 8-12 de la salariée)

Par conséquent, en saisissant le conseil des prud'hommes, le 8 novembre 2018, la demande de Mme [S] [D] est prescrite.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

Compte tenu des termes de la présente décision, Mme [S] [D] sera condamnée à payer à l'association Familles Rurales une indemnité de 800 euros au titre des frais irrépétibles que celle-ci a exposés à hauteur d'appel, s'ajoutant à la somme à laquelle elle a été condamnée par les premiers juges, de ce chef.

En revanche, elle sera déboutée en ce même chef de demande.

Par ces motifs :

La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Reims le 28 juin 2021 sauf des chefs des frais irrépétibles et des dépens,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit l'association Familles Rurales Fédération Départementale de la Marne recevable en ses demandes,

Dit que la question de la recevabilité de la demande tendant à la nullité du licenciement a été tranchée par l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 11 mai 2022,

Dit recevables, comme non prescrites, les demandes en paiement de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de prévention du harcèlement moral, pour préjudice moral et de santé, pour défaut d'exécution de bonne foi du contrat de travail et pour licenciement nul,

Déboute Mme [S] [D] en ses demandes en paiement de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de prévention du harcèlement moral, pour préjudice moral et de santé, pour défaut d'exécution de bonne foi du contrat de travail et pour licenciement nul,

Dit irrecevable, comme prescrite, la demande en paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Dit irrecevables, comme prescrites, les demandes en paiement de la différence entre l'indemnité légale doublée et l'indemnité perçue par Mme [S] [D] ainsi que de l'indemnité compensatrice de préavis,

Condamne Mme [S] [D] à payer à l'association Familles Rurales Départementale de la Marne une indemnité de 800 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a exposés à hauteur d'appel,

Déboute Mme [S] [D] en sa demande en paiement fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [S] [D] aux dépens de l'instance d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Reims
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/01470
Date de la décision : 30/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-30;21.01470 ?
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