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29/11/2022 | FRANCE | N°21/02175

France | France, Cour d'appel de Reims, 1ere chambre sect.civile, 29 novembre 2022, 21/02175


ARRET N°

du 29 novembre 2022



R.G : N° RG 21/02175 - N° Portalis DBVQ-V-B7F-FC3U





[L]

[Z]





c/



[E]

S.A.S. KRONENBOURG



















Formule exécutoire le :

à :



la SCP BADRE HYONNE SENS-SALIS DENIS ROGER DAILLENCOURT



la SELARL RAFFIN ASSOCIES

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE-1° SECTION

ARRET DU 29 NOVEMBRE 2022



APPELANTS :

d'un jugement rendu le 23

novembre 2021 par le Tribunal de Commerce de REIMS



Monsieur [Y] [L]

[Adresse 3]

[Localité 4]



Représenté par Me Colette HYONNE de la SCP BADRE HYONNE SENS-SALIS DENIS ROGER DAILLENCOURT, avocat au barreau de REIMS



Madame [C] [Z] épouse [L]

[Adres...

ARRET N°

du 29 novembre 2022

R.G : N° RG 21/02175 - N° Portalis DBVQ-V-B7F-FC3U

[L]

[Z]

c/

[E]

S.A.S. KRONENBOURG

Formule exécutoire le :

à :

la SCP BADRE HYONNE SENS-SALIS DENIS ROGER DAILLENCOURT

la SELARL RAFFIN ASSOCIES

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE-1° SECTION

ARRET DU 29 NOVEMBRE 2022

APPELANTS :

d'un jugement rendu le 23 novembre 2021 par le Tribunal de Commerce de REIMS

Monsieur [Y] [L]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représenté par Me Colette HYONNE de la SCP BADRE HYONNE SENS-SALIS DENIS ROGER DAILLENCOURT, avocat au barreau de REIMS

Madame [C] [Z] épouse [L]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Colette HYONNE de la SCP BADRE HYONNE SENS-SALIS DENIS ROGER DAILLENCOURT, avocat au barreau de REIMS

INTIMES :

Maître [T] [M] Membre de la SCP A et [T] [E], Notaires Associes, agissant es qualité de séquestre.

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représenté par Me Eric RAFFIN de la SELARL RAFFIN ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS et ayant pour conseil Maître KUHN avocat au barreau de PARIS

S.A.S. KRONENBOURG

[Adresse 6]

[Localité 5]

Représentée par Me Albane DELACHAMBRE FERRER de la SELAS DEVARENNE ASSOCIES GRAND EST, avocat au barreau de REIMS et ayant pour conseil Maître LIESS-NUSSBAUMER avocat au barreau de STRASBOURG

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre

Madame Véronique MAUSSIRE, conseiller

Madame Florence MATHIEU, conseiller

GREFFIER :

Monsieur Nicolas MUFFAT-GENDET, greffier

DEBATS :

A l'audience publique du 17 octobre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 29 novembre 2022,

ARRET :

Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 29 novembre 2022 et signé par Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre, et Monsieur Nicolas MUFFAT-GENDET, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

M. [Y] [L] a cédé avec son épouse le fonds de commerce du bar-restaurant l'Ardennais par acte authentique régularisé le 19 mai 2011 en l'étude de Maître [E] notaire à [Localité 7].

Le prix convenu était de 95 000 euros et il a été réglé comptant le jour de la cession.

Ce fonds de commerce avait été acquis au moyen d'un prêt consenti par la banque CIC Est remboursable en 60 mensualités dont la société Sofid renommée Kroinvest (aujourd'hui Kronenbourg qui, par transmission universelle de patrimoine a absorbé Kroinvest) s'était porté caution solidaire par acte notarié du 19 février 2009.

Celle-ci a payé pour les débiteurs et elle a reçu une quittance subrogative le 27 juillet 2011.

Aux termes de l'acte de cession du fonds de commerce, Maître [E] a été désigné en qualité de séquestre avec pour mission que la somme de 95 000 euros demeure affectée à titre de gage et de nantissement au profit du cessionnaire pour lui garantir le rapport des mainlevées et radiations de toutes inscriptions, oppositions et autres empêchements quelconques.

Il avait également obligation de ne remettre la somme aux cédants que sur la justification qu'il n'existe aucune inscription grevant le fonds et qu'il ne soit survenu dans le délai légal aucune opposition au paiement du prix.

A la suite de la régularisation de cet acte et se prévalant du fait que le séquestre n'avait pas fait le nécessaire pour purger l'existence d'éventuelles oppositions, M. et Mme [L] ont assigné le 20 janvier 2020 en référé devant le tribunal de commerce de Reims Maître [E] tant à titre personnel qu'ès-qualités de séquestre aux fins de voir ordonner la mainlevée des oppositions formées sans titre et sans cause et ordonner au séquestre de remettre à M. et Mme [L] la somme de 94 658,68 euros déposée entre ses mains.

Par ordonnance du 17 juin 2020, le juge des référés a retenu l'existence d'une contestation sérieuse eu égard à la production par Maître [E] des diverses oppositions au paiement du prix reçues dans le délai légal (oppositions notamment des consorts [K], de la société Kronenbourg et du Trésor Public).

M. et Mme [L] ont alors délivré une assignation au fond aux mêmes fins.

Les demandes ont été contestées.

Par jugement rendu le 23 novembre 2021, le tribunal de commerce de Reims a :

- jugé que Maître [E] ès-qualités de séquestre avait manqué à son obligation de conseil et d'information auprès de M. et Mme [L],

- ordonné la levée du séquestre,

- condamné Maître [E] ès-qualités à payer aux époux [K] la somme de 27 425,04 euros,

- condamné Maître [E] ès-qualités à payer à la société Kronenbourg la somme de

23 788,02 euros,

- condamné Maître [E] ès-qualités à payer au Trésor Public la somme de 1293 euros,

- condamné Maître [E] ès-qualités à payer à M. et Mme [L] la somme de 45 152,62 euros,

- condamné Maître [E] ès-qualités à payer à M. et Mme [L] la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

- condamné Maître [E] ès-qualités à verser à M. et Mme [L] la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté toute autre demande.

Par déclaration reçue le 8 décembre 2021, M. et Mme [L] ont formé appel limité de ce jugement à l'encontre de Maître [E] intervenant en qualité de séquestre et de la société Kronenbourg.

Par déclaration reçue le 24 janvier 2022, un second appel a été formé par M. et Mme [L] à l'encontre des mêmes parties.

Les deux affaires ont été jointes.

Maître [E] ès-qualités avait également formé appel principal mais son appel a été déclaré caduc.

Par conclusions notifiées le 7 juillet 2022, M. et Mme [L] demandent à la cour de :

Vu les dispositions des articles L141-14, L141-15 et L141-16 du code de commerce,

Vu les pièces énumérées selon bordereau annexé aux présentes,

Vu le jugement du tribunal de commerce de Reims en date du 23 novembre 2021,

- déclarer Monsieur [Y] [L] et Madame [C] [Z] épouse [L] recevables et bien fondés en leur appel,

- déclarer Maître [T] [E], séquestre et la SAS Kronenbourg recevables en leurs appels principaux et incidents, les déclarer mal fondés,

En conséquence,

- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Reims en date du 23 novembre 2021 en

ses dispositions suivantes :

- recevoir Monsieur et Madame [L] en leur opposition, la déclarer partiellement

fondée,

- ordonner la levée du séquestre,

- condamner Maître [T] [E] ès-qualités de séquestre à payer à la société

Kronenbourg la somme de 23 788,02 € pour les causes sus énoncées,

- condamner Maître [T] [E] ès-qualités de séquestre à payer à Monsieur et

Madame [L] la somme de 45 152,62 € pour les causes sus énoncées,

- condamner Maître [T] [E] ès-qualités de séquestre à payer à Monsieur et

Madame [L] la somme de 3000 € en application des dispositions de l'article 700 du

code de procédure civile,

- rejeter toutes autres demandes, fins et conclusions des parties,

- le confirmer pour le surplus,

Statuant à nouveau dans la limite de cette infirmation,

- dire et juger Monsieur et Madame [L] recevables et bien fondés en leurs demandes,

- déclarer la SAS Kronenbourg irrecevable en ses demandes faute d'intérêt à agir,

- déclarer la SAS Kronnebourg irrecevable en ses demandes, son titre exécutoire étant prescrit,

- dire et juger l'opposition formulée par la société Kronenbourg venant aux droits de la SAS Kroinvest précédemment dénommée Sofid comme étant non fondée,

En conséquence,

- ordonner la main levée de l'intégralité de cette opposition,

- débouter Maître [T] [E], séquestre et la SAS Kronenbourg de l'ensemble de leurs demandes plus amples ou contraires,

- condamner Maître [T] [E] , ès-qualités de séquestre à payer à Monsieur [Y] [L] et à Madame [C] [Z] épouse [L] dans le délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et sous astreinte de 500 € par jour de retard passé ce délai, la cour se réservant le droit de liquider la dite astreinte, la première fois passé un délai d'un mois, la somme en principal de 66 281,96 €, augmentée des intérêts au taux de la Caisse des dépôts et consignations, courus depuis le 19 mai 2011 jusqu'au complet versement sur la somme de 95 000,00 € séquestrée, à défaut au taux d'intérêt légal depuis cette même date et sur cette même somme correspondant au montant du prix de vente séquestré entre ses mains dans le cadre de la vente du fonds de commerce du bar-restaurant à l'enseigne l'Ardennais, conclue par acte authentique devant Maître [T] [E], notaire à [Localité 7], le 19 mai 2011, sous déduction du montant de la créance du Trésor Public d'un montant de 1 293,00 € et de Messieurs [X] et [V] [K] d'un montant de 27 425,04 €,

- condamner en tant que de besoin la SAS Kronenbourg à restituer à Monsieur [Y] [L] et à Madame [C] [Z] épouse [L] ou à Maître [T] [E], séquestre, la somme de 23 788,02 € qui lui a été versée, dans le délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et sous astreinte de 500 € par jour de retard passé ce délai, la cour se réservant le droit de liquider la dite astreinte, la première fois passé un délai d'un mois, montant augmenté des intérêts au taux légal, courus depuis la date du versement par le séquestre jusqu'au complet versement,

- condamner in solidum Maître [T] [E] ès-qualités de séquestre et la société

Kronenbourg au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de

procédure civile d'un montant de 12 313,27 € au profit des époux [L],

- condamner Maître [T] [E] ès-qualités de séquestre et la société Kronenbourg aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Par conclusions notifiées le 15 juillet 2022, Maître [E] ès-qualités, formant appel incident, demande à la cour de :

Vu les dispositions de l'article 2224 du code civil,

Vu les dispositions de l'article L 721 ' 3 du code de commerce,

Vu les dispositions de l'article L 141-16 du code de commerce,

Vu les dispositions de l'article L 141-15 du code de commerce,

Vu les dispositions de l'article 1240 du code civil,

- voir réformer le jugement rendu le 23 novembre 2021 par le tribunal de commerce de Reims en ce qu'il a condamné Maître [T] [E] au paiement de la somme de 5000,00 € à titre de dommages et intérêts et à la somme de 3000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,

- voir ordonner aux époux [L] à mieux se pourvoir devant le tribunal judiciaire de Reims

pour voir statuer sur la responsabilité éventuelle de Maître [T] [E],

Vu les dispositions des articles 1756 et 1760 du code civil

- s'en rapporter sur le sort de la somme séquestrée entre les mains de la Selarl Mangin

Notaire associé à [Localité 7], successeur de Maître [T] [E], Notaire, à hauteur de la

somme de 30 678,03 €,

- voir condamner les époux [L] au paiement de la somme de quatre mille euros (4000,00 €)

au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel dont distraction au profit de Maître Eric Raffin.

Par conclusions notifiées le 31 mars 2022, la société Kronenbourg, formant appel incident, demande à la cour de :

Sur l'appel principal :

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné Maître [E] ès-qualités de séquestre, à payer à la société Kronenbourg la somme de 23 788,02 euros,

Sur l'appel incident,

- infirmer le jugement en ce qu'il :

* n'a pas assorti la condamnation prononcée au profit de Kronenbourg des intérêts au taux conventionnel majoré sollicité par la société Kronenbourg,

* a condamné Maître [E] ès-qualités à payer aux consorts [L] une somme de 42 152,62 euros,

Statuant à nouveau,

- condamner Maître [E] ès-qualités de séquestre à payer à la société Kronenbourg les intérêts conventionnels majorés calculés au taux de 11,30 % à compter du 27 juillet 2011 sur la somme de 23 788,02 euros jusqu'à la date de paiement de ladite somme,

- condamner Maître [E] ès-qualités à imputer lesdits intérêts sur les fonds dont il dispose et réduire à due concurrence du montant des intérêts ainsi mis en compte au profit de la société Kronenbourg la condamnation prononcée au profit des consorts [L],

- au besoin condamner M. et Mme [L] au surplus des sommes que Maître [E] n'aurait pas réglées à la société Kronenbourg après distribution du prix de vente du fonds de commerce,

- condamner M. [L] au paiement :

* d'une somme de 2500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance

* d'une somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la présente instance d'appel

* ainsi qu'en tous les frais et dépens de la procédure de première instance et d'appel.

MOTIFS DE LA DECISION :

1° Sur la compétence :

L'article 90 du code de procédure civile dispose qu'en matière d'appel d'un jugement statuant sur la compétence et sur le fond du litige, lorsque la cour infirme du chef de la compétence, elle statue néanmoins sur le fond du litige si la cour est juridiction d'appel relativement à la juridiction qu'elle estime compétente.

Maître [E] ès-qualités soutient que le tribunal de commerce n'avait aucune compétence pour connaître du litige dans la mesure où l'action des consorts [L] est une action en responsabilité de nature purement délictuelle qui est engagée à l'encontre d'un notaire, officier ministériel, institué séquestre.

Il en déduit que seul le tribunal judiciaire de Reims était compétent pour juger ce litige et qu'il convient par conséquent d'inviter les consorts [L] à mieux se pourvoir devant cette juridiction pour voir statuer sur la responsabilité éventuelle de Maître [E].

Les consorts [L] lui opposent que la demande de Maître [E] tendant à voir déclarer le tribunal de commerce incompétent au profit du tribunal judiciaire de Reims est irrecevable ou à défaut mal fondée, la première chambre civile étant compétente tant à l'égard des décisions rendues par les juridictions civiles qu'à l'égard des décisions rendues par les juridictions commerciales.

Le tribunal de commerce est une juridiction d'exception dont la compétence est limitée par les dispositions de l'article L 721-3 du code de commerce (hormis des dispositions annexes qui ne concernent pas le litige) aux contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre établissements de crédit, entre sociétés de financement ou entre eux ; aux contestations relatives aux sociétés commerciales ; à celles relatives aux actes de commerce entre toutes personnes.

Maître [E] n'est ni un commerçant et il ne peut pas faire d'actes de commerce.

Il agit dans le cadre de sa mission de rédacteur d'un acte de cession d'un fonds de commerce en qualité d'officier ministériel.

Les consorts [L] engagent une action tendant à l'allocation à leur profit de dommages et intérêts pour résistance abusive de Maître [E] qui s'analyse en une action en responsabilité civile professionnelle engagée à l'encontre d'un officier ministériel qui en cette même qualité a été désigné séquestre.

Seul le tribunal judiciaire de Reims avait vocation à connaître du litige à l'exclusion de toute autre juridiction.

La décision sera par conséquent infirmée en ce que le tribunal de commerce de Reims s'est déclaré compétent.

Néanmoins, par application de l'article susvisé, il n'y a pas lieu de renvoyer l'examen de l'affaire au tribunal judiciaire de Reims et il appartient à la cour de juger au fond ce litige.

2° Sur les fins de non-recevoir :

A. sur la prescription de l'action des consorts [L] soulevée par Maître [E] ès-qualités :

L'article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Le tribunal de commerce n'a pas répondu à cette fin de non-recevoir.

Maître [E] ès-qualités soutient que l'action est prescrite depuis le 19 mai 2016, soit cinq ans après la signature de l'acte de cession du 19 mai 2011, date à partir de laquelle les consorts [L] ont eu connaissance du dommage, peu important que toutes ses conséquences n'en soient pas encore apparues.

C'est à juste titre que les consorts [L] lui opposent que la mission de séquestre de Maître [E] à l'origine de leur action en responsabilité n'était pas achevée au moment où ils ont délivré leur assignation devant le juge des référés du tribunal de commerce de Reims, faute d'avoir libéré les fonds séquestrés.

La manifestation de leur dommage causé par l'inaction du séquestre dont se prévalent les consorts [L] pour engager sa responsabilité peut tout au plus se situer à la date de la première demande adressée à Maître [E] le 18 juillet 2017 par laquelle ils sollicitaient un décompte final ainsi que l'éventuel solde leur revenant sur le prix de cession en considération des oppositions au prix de vente qu'il avait reçues.

Il n'a jamais été répondu à cette demande ni d'ailleurs à celles qui ont été réitérées par la suite.

L'action devant le juge des référés, engagée le 20 janvier 2020 dans le délai de cinq ans, n'est par conséquent pas prescrite et elle est recevable.

B. sur l'irrecevabilité de l'action sur le fondement de l'article L 141-15 du code de commerce

soulevée par Maître [E] ès-qualités :

Le tribunal n'a pas répondu à cette fin de non-recevoir.

Maître [E] soutient que l'action engagée par les consorts [L] est irrecevable sur le fondement de cet article pour ne pas avoir mis en cause le cessionnaire.

L'action engagée par les consorts [L] n'est pas fondée sur l'article L 141-15 du code de commerce qui impose effectivement la mise en cause de l'acquéreur du fonds de commerce mais sur l'article L 141-16 qui dispose ainsi : si l'opposition a été faite sans titre et sans cause ou est nulle en la forme et s'il n'y a pas instance engagée au principal, le vendeur peut se pourvoir en référé devant le président du tribunal à l'effet d'obtenir l'autorisation de toucher son prix, malgré l'opposition.

L'action engagée par les consorts [L] vise à obtenir du tribunal qu'il déclare sans titre et sans cause certaines des oppositions qui ont été formées sur le prix de vente à l'exception de celles dont le bien fondé n'est pas contesté et qui doivent par conséquent être payées.

L'action est par conséquent recevable sur ce fondement juridique qui n'impose pas, au contraire

de l'article L 141-15, la présence aux débats de l'acquéreur du fonds de commerce.

C. sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande de la société Kronenbourg

soulevée par les consorts [L] :

L'article 122 du code de procédure civile dispose que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Aux termes de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

A l'appui de cette fin de non-recevoir à laquelle le tribunal n'a pas répondu, les consorts [L] soutiennent que la société Kronenbourg est irrecevable à agir en raison de la prescription de son opposition formée le 25 juillet 2011 sur le prix de cession du fonds de commerce à défaut de justification d'un titre exécutoire valable; qu'étant subrogée dans les droits du CIC, prêteur initial, il s'agit des droits issus du prêt par acte authentique de 2009 dont l'effet exécutoire a pris fin en 2014, la prescription d'un acte notarié revêtu de la formule exécutoire étant déterminée par la nature de la créance, soit en l'espèce cinq ans ; que même si la prescription était de 10 ans à compter de 2009, la demande serait également prescrite car aucun acte d'exécution valant demande en justice au sens de l'article 2241 du code civil n'est venu l'interrompre.

Ils considèrent par ailleurs qu'ils n'ont jamais reconnu devoir à la société Kronenbourg la somme objet de l'opposition.

La société Kronenbourg (ex Sovid Kroinvest) lui oppose qu'elle a été valablement subrogée par le CIC Est dans l'ensemble des droits et obligations à l'égard de M. [L] nées de l'exécution du contrat de prêt conclu par acte authentique le 19 février 2009 ; que sa créance est née de la quittance subrogatoire qui lui a été délivrée le 27 juillet 2011 ; que le délai de prescription a commencé à courir à compter de cette date ; qu'elle a veillé à entreprendre diverses mesures d'exécution en 2015 et 2019, soit dans le délai de cinq ans qui a commencé à courir le 27 juillet 2011, mesures qui ont interrompu à de mutiples reprises le délai de prescription ; que par ailleurs, les consorts [L], par l'intermédiaire de Maître [E], ont toujours reconnu rester devoir à la société Kronenbourg la créance dont elle réclamait le paiement.

En matière d'actes notariés revêtus de la formule exécutoire, la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance et la circonstance que celle-ci soit constatée par un acte authentique revêtu de la formule exécutoire n'a pas pour effet de modifier cette durée (cass, ch.mixte 26 mai 2006 n° 03-16.800 P).

Il en ressort que l'acte authentique revêtu de la formule exécutoire n'obéit pas à la prescription de dix ans du titre exécutoire constitué par une décision de l'ordre judiciaire ou administratif mais à celle de la créance qu'elle constate.

L'acte en cause est un prêt professionnel accordé à M. [L] pour lequel la Sovid s'est engagée en qualité de caution par acte authentique du 19 février 2009.

S'agissant d'un prêt professionnel, la prescription est quinquennale.

Il n'est pas contesté que la caution qui a payé pour le compte de M. [L], n'a pas fait valoir en justice ses droits vis-à-vis du débiteur principal et qu'elle ne détient donc pas de titre exécutoire à l'encontre de ce dernier.

La société Kronenbourg, qui vient aux droits de la société Kroinvest par absorption de son patrimoine, elle-même étant venue aux droits de la Sovid qui a cautionné le prêt de M. [L], est subrogée par la quittance subrogative du 27 juillet 2011 dans les droits du créancier prêteur, la banque CIC Est.

Elle exerce donc les mêmes droits et les mêmes actions qui se prescrivent dans le même délai que celui du créancier initial.

Il résulte en effet des dispositions combinées des articles 2224 et 2306 (ancien) du code civil que la caution qui est subrogée dans les droits du créancier ne dispose que des actions bénéficiant à celui-ci, de sorte que son action en paiement contre le débiteur est soumise à la prescription applicable à l'action dont disposait le créancier et commence à courir du jour où ce dernier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer (cass com 5 mai 2021

n° 19-14.486 P).

Aux termes de la quittance subrogative (pièce n° 2 de la société Kronenbourg), le premier impayé du débiteur principal se situe au 20 juin 2009, date à laquelle la banque CIC Est a eu connaissance de la défaillance de M. [L] et où elle pouvait suivant les stipulations contractuelles exiger la totalité des sommes dues au titre du prêt du fait de la déchéance du terme.

La prescription a par conséquent commencé à courir pour la banque CIC Est mais également pour la société Kronenbourg à compter de cette date.

Il en ressort que la société Kronenbourg ne peut se prévaloir de sa quittance subrogative du 27 juillet 2011 pour considérer que le délai de prescription est décalé et qu'il commence à courir à compter de cette date.

Les actes interruptifs de prescription :

Aux termes de l'article 2241 du code civil, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription.

Il a été précédemment jugé que la quittance subrogative délivrée à la caution ne pouvait avoir aucun effet juridique sur le point de départ de la prescription et elle n'en a pas davantage sur un quelconque effet interruptif de prescription, n'étant pas une demande en justice.

L'opposition au prix du prix de cession d'un fonds de commerce pratiquée le 25 juillet 2011 par la société Kroinvest ne peut être assimilée à une saisie valant demande en justice et n'a donc pas non plus d'effet interruptif (cass civ 2è 16 décembre 2010 n° 09-70.735 P).

Il n'existe par la suite plus d'actes interruptifs de prescription, le premier acte d'exécution sous forme de saisie-attribution pratiqué par la société Kroinvest (Kronenbourg) datant du 14 avril 2015, soit alors que la prescription était déjà acquise de sorte qu'il ne peut, pas plus que les suivants, faire revivre une action qui est éteinte.

La société Kronenbourg ne peut davantage sur le fondement de l'article 2240 du code civil se prévaloir d'une reconnaissance par M. [L] de son droit, reconnaissance qui serait interruptive de prescription.

En effet, comme le relèvent à juste titre les consorts [L], le courrier du 23 mai 2013 par lequel Maître [E] indique à la société Kroinvest que sa créance sera intégralement désintéressée ne peut leur être opposé, Maître [E] agissant en qualité de séquestre et non en qualité de représentant des parties à l'acte.

Aucune reconnaissance de la créance de la société Kronenbourg émanant personnellement des consorts [L] n'est produite par la suite et encore moins un accord de leur part pour procéder à une répartition entre tous les créanciers opposants dont la liste a d'ailleurs vainement été sollicitée de Maître [E] qui ne leur a jamais répondu.

Plus aucun acte susceptible d'interrompre la prescription n'a ensuite été réalisé pour une prescription qui était donc acquise au 20 juin 2014.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que la demande de la société Kronenbourg est prescrite.

La décision sera infirmée de ce chef et la mainlevée de l'opposition sera ordonnée.

Le paiement du prix de vente par le séquestre :

Compte tenu des développements opérés, Maître [E], ès-qualités de séquestre, doit être condamné à payer à M. et Mme [L] le solde du prix de vente soit : 95 000 - 1293 (opposition du Trésor Public) - 27 425,04 euros, soit 66 281,96 euros qui produira intérêts au taux de la Caisse des dépôts et consignations (article L 518-23 du code monétaire et financier et arrêté du 28 juin 2021 fixant le taux et les modalités de calcul de la rémunération des sommes versées par les notaires sur les comptes de dépôts obligatoires ouverts à la Caisse des dépôts et consignations), courus sur la somme de 95 000 euros et ce depuis le 19 mai 2011, date de versement du prix.

Il n'y a pas lieu de prévoir une astreinte pour l'exécution d'une décision concernant un officier ministériel certainement à même d'exécuter spontanément une décision de justice.

Il convient par ailleurs de rappeler que le présent arrêt vaut titre de restitution des sommes versées à la société Kronenbourg (23 788,02 euros) en vertu de l'exécution provisoire attachée à la décision de première instance.

Les dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée de Maître [E] ès-qualités de séquestre :

L'article 1231-6 du code civil dispose que le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l'intérêt moratoire.

La faute du séquestre est avérée.

En effet, les consorts [L] n'ont eu de cesse depuis 2017 de questionner Maître [E] sur le solde du prix de vente qui devait leur revenir (courrier du 18 juillet 2017 ; courrier par LRAR du 1er février 2019 ; courrier adressé à la chambre départementale des notaires le 21 mars 2019 réitéré le 10 juillet 2019 ; relance de la chambre à Maître [E] le 27 août 2019 ; nouvelle mise en demeure adressée à Maître [E] le 19 décembre 2019 dont il a accusé réception le lendemain, restée là encore sans réponse).

Ce silence est fautif dans la mesure où Maitre [E] ès-qualités de séquestre ne pouvait ignorer que dans le cadre de sa mission, il ne lui incombait pas seulement de dresser la liste des oppositions reçues mais également de les soumettre aux cédants du fonds de commerce afin de valider ou non le paiement, ce qu'il n'a pas fait.

Le séquestre ne peut sérieusement soutenir que les consorts [L] n'auraient subi aucun préjudice car ils étaient débiteurs lors de la cession du fonds de commerce de la somme de 170 600, 99 euros, qu'ils ont attendu près de 8 ans pour initier une procédure, qu'ils ont plutôt tiré un bénéfice du fait que certains créanciers ont perdu leur recours et qu'ils se sont vus octroyer au final une somme de 42 152, 62 euros au titre du solde du prix de vente.

Comme le relèvent à juste titre les consorts [L], il est faux de prétendre que le temps a joué en leur faveur car il est impossible de savoir si les multiples oppositions formulées étaient toutes fondées en leur principe, étant précisé que seuls les créanciers munis d'un titre ou prétendu tel se sont manifestés.

En tout état de cause, il apparaît que c'est l'assignation en référé délivrée le 20 janvier 2020 à Maître [E] à l'initiative des consorts [L] qui a pu enfin permettre à ceux-ci de connaître l'état exact des oppositions au prix de vente reçues en sa qualité de séquestre, Maître [E] n'ayant pas daigné leur apporter des informations sur ce point.

Leur préjudice est ainsi constitué par la nécessité d'engager une action en justice avec les frais et tracas y afférents du fait de l'inaction du séquestre.

Maître [E] ès-qualités sera condamné à payer aux consors [L] la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts.

L'article 700 du code de procédure civile :

La décision sera infirmée.

L'équité commande qu'il soit alloué aux consorts [L] au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel la somme de 8000 euros au paiement de laquelle Maître [E] ès-qualités et la société Kronenbourg seront condamnés in solidum.

Les autres parties seront déboutées de leur demande à ce titre.

Les dépens :

La décision sera infirmée.

Maître [E] ès-qualités et la société Kronenbourg seront condamnés in solidum aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement et par arrêt contradictoire ;

Infirme le jugement rendu le 23 novembre 2021 par le tribunal de commerce de Reims.

Statuant à nouveau ;

Sur la compétence :

Dit que le tribunal judiciaire de Reims est seul compétent pour connaître du litige.

Dit qu'en application de l'article 90 du code de procédure civile, la cour d'appel doit statuer sur le litige.

Sur les fins de non-recevoir :

Déclare recevable l'action engagée par M. [Y] [L] et Mme [C] [Z] épouse [L] à l'encontre de Maître [E] ès-qualités de séquestre.

Déclare irrecevable comme étant prescrite la demande formée par la société Kronenbourg à l'encontre de M. [Y] [L] et Mme [C] [Z] épouse [L] résultant de l'opposition au prix de vente du fonds de commerce pratiquée le 25 juillet 2011 et ordonne en conséquence la mainlevée de cette opposition.

Sur le fond :

Condamne Maître [E], ès-qualités de séquestre, à payer à M. [Y] [L] et Mme [C] [Z] épouse [L] le solde du prix de la vente du fonds de commerce, soit la somme de

66 281,96 euros avec intérêts au taux de la Caisse des dépôts et consignations (article L 518-23 du code monétaire et financier et arrêté du 28 juin 2021 fixant le taux et les modalités de calcul de la rémunération des sommes versées par les notaires sur les comptes de dépôts obligatoires ouverts à la Caisse des dépôts et consignations), courus sur la somme de 95 000 euros et ce depuis le 19 mai 2011, date de versement du prix.

Dit n'y avoir lieu de prévoir une astreinte pour l'exécution de la décision.

Rappelle que le présent arrêt vaut titre de restitution des sommes versées à la société Kronenbourg (23 788,02 euros) au titre de l'exécution provisoire.

Déboute les parties de leurs autres demandes.

Condamne Maître [E], ès-qualités de séquestre, à payer à M. [Y] [L] et Mme [C] [Z] épouse [L] la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée.

Condamne in solidum Maître [E] ès-qualités et la société Kronenbourg à payer à M. [Y] [L] et Mme [C] [Z] épouse [L] la somme de 8000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Déboute les autres parties de leur demande à ce titre.

Condamne in solidum Maître [E] ès-qualités et la société Kronenbourg aux dépens de première instance et d'appel.

Le greffier La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Reims
Formation : 1ere chambre sect.civile
Numéro d'arrêt : 21/02175
Date de la décision : 29/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-29;21.02175 ?
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