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08/11/2022 | FRANCE | N°21/02139

France | France, Cour d'appel de Reims, 1ère chambre section inst, 08 novembre 2022, 21/02139


R.G. : N° RG 21/02139 - N° Portalis DBVQ-V-B7F-FCZE

ARRÊT N°

du : 08 novembre 2022





AL



























Formule exécutoire le :

à :



Me Cédric ESTEVEZ



Me Pascal GUILLAUME







COUR D'APPEL DE REIMS

1ère CHAMBRE CIVILE - SECTION INSTANCE



ARRÊT DU 08 NOVEMBRE 2022





APPELANTS :

d'un jugement rendu le 15 octobre 2021 par le Juge des contentieux de l

a protection de Troyes (RG 21/00695)



Monsieur [C] [O]

[Adresse 2]

[Localité 5]



Représenté par Me Cédric ESTEVEZ, avocat au barreau de l'AUBE



Madame [E] [Z]

[Adresse 2]

[Localité 5]



(Aide juridictionnelle totale par décision du 29 septembre 2022, du b...

R.G. : N° RG 21/02139 - N° Portalis DBVQ-V-B7F-FCZE

ARRÊT N°

du : 08 novembre 2022

AL

Formule exécutoire le :

à :

Me Cédric ESTEVEZ

Me Pascal GUILLAUME

COUR D'APPEL DE REIMS

1ère CHAMBRE CIVILE - SECTION INSTANCE

ARRÊT DU 08 NOVEMBRE 2022

APPELANTS :

d'un jugement rendu le 15 octobre 2021 par le Juge des contentieux de la protection de Troyes (RG 21/00695)

Monsieur [C] [O]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représenté par Me Cédric ESTEVEZ, avocat au barreau de l'AUBE

Madame [E] [Z]

[Adresse 2]

[Localité 5]

(Aide juridictionnelle totale par décision du 29 septembre 2022, du bureau d'aide judicitionnelle de REIMS N°2022/001818)

Représentée par Me Cédric ESTEVEZ, avocat au barreau de l'AUBE

INTIMÉS :

Monsieur [W] [K]

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représenté par Me Pascal GUILLAUME, avocat au barreau de REIMS, et Me Xavier HONNET, avocat au barreau de l'AUBE

Madame [Y] [S] épouse [K]

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me Pascal GUILLAUME, avocat au barreau de REIMS, et Me Xavier HONNET, avocat au barreau de l'AUBE

DÉBATS :

A l'audience publique du 27 septembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 08 novembre 2022, sans opposition de la part des conseils des parties et en application de l'article 805 du code de procédure civile, Madame Anne LEFEVRE, conseiller, a entendu les conseils des parties en leurs conclusions et explications, puis ce magistrat en a rendu compte à la cour dans son délibéré

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. Benoît PETY, président de chambre

Mme Anne LEFEVRE, conseiller

Mme Christel MAGNARD, conseiller

GREFFIER D'AUDIENCE :

Madame Lucie NICLOT, greffier

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par M. PETY, Président de chambre, et par Madame NICLOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

Par acte sous seing privé du 23 juin 2016, M. [W] [K] et Mme [Y] [S], son épouse, ont donné à bail à M. [C] [O] et Mme [E] [Z] une maison à usage d'habitation sise [Adresse 2], moyennant un loyer mensuel de 750 euros, ce pour trois années reconductibles par périodes de trois ans par tacite reconduction à compter du 1er juillet 2016.

Le 18 décembre 2018, M. et Mme [K] ont fait délivrer par huissier à M. [O] et Mme [Z] un congé pour reprise donné pour le 30 juin 2019, avec offre de se porter acquéreurs au prix de 155 000 euros ou de libérer les lieux pour cette date après avoir satisfait à toutes les obligations du locataire sortant.

M. [O] et Mme [Z] ne se sont pas portés acquéreurs et n'ont pas libéré les lieux, malgré sommation du 16 juillet 2019.

Le 9 octobre 2020, M. et Mme [K] ont fait assigner M. [O] et Mme [Z] devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Troyes en validation du congé, expulsion, paiement d'une indemnité d'occupation égale au double du dernier loyer, soit 1 500 euros par mois, et d'une indemnité de 1 500 euros pour frais irrépétibles, en sus des dépens.

Lors de l'audience du 2 juillet 2021, M. et Mme [K] ont maintenu leurs demandes, sauf à solliciter 2 500 euros au titre des frais irrépétibles. M. [O] et Mme [Z] ont opposé la nullité du congé pour défaut de mention des conditions de vente et ont estimé la maison à environ 86 000 euros en raison des travaux de réfection à réaliser. Ils ont demandé le débouté de l'ensemble des prétentions adverses et la condamnation des bailleurs au paiement des sommes de 10 000 euros en réparation de leur préjudice de jouissance, pour absence de caractère décent du logement, et de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles.

Le jugement du 15 octobre 2021, assorti de l'exécution provisoire, a :

- prononcé la validation du congé donné à effet au 30 juin 2019 et la résiliation du bail,

- dit M. [O] et Mme [Z] occupants sans droit ni titre,

- ordonné, à défaut de libération spontanée des lieux, leur expulsion, au besoin avec l'assistance de la force publique, avec séquestration des meubles dans un garde-meuble aux frais, risques et périls de M. [O] et Mme [Z],

- fixé l'indemnité d'occupation mensuelle à 750 euros, provision sur charges comprise, avec même réévaluation que le loyer si le bail n'avait pas été résilié,

- condamné solidairement M. [O] et Mme [Z] au paiement de cette indemnité d'occupation jusqu'à libération effective des lieux,

- condamné in solidum M. [O] et Mme [Z] au paiement d'une somme de 150 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné in solidum les mêmes aux dépens comprenant le coût du congé et de la sommation,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Le 26 novembre 2021, M. [O] et Mme [Z] ont fait appel de cette décision en toutes ses dispositions.

Par conclusions du 8 juillet 2022, M. [O] et Mme [Z] demandent à la cour d'infirmer le jugement afin de :

- enjoindre aux époux [K] de produire aux débats les factures d'acquisition de la chaudière et du système de chauffage et plomberie concernant le logement,

- enjoindre aux époux [K] de produire le rapport d'expertise par eux sollicité auprès du Cabinet [T] (missionné par l'assureur de M. et Mme [K] suite à une inondation du 25 janvier 2018), ainsi que les diagnostics initiaux,

- ordonner aux époux [K] de remettre à M. [O] et Mme [Z], sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir, l'ensemble des quittances de loyers,

- prononcer la nullité du congé pour vente du 18 décembre 2018,

- juger que M. et Mme [K] ont manqué à leur obligation de délivrer aux locataires un logement décent,

- réduire à de plus justes proportions, compte tenu de l'indécence du logement, le montant du loyer et/ou de l'indemnité d'occupation, et ce à compter de la signature du bail,

- condamner M. et Mme [K] à payer à M. [O] et Mme [Z] une somme de 10 000 euros toutes causes de préjudices confondues, à savoir réduction du loyer au titre de la perte de jouissance et préjudices moral et matériel,

- débouter les époux [K] de toutes autres demandes,

- les condamner à payer à M. [O] et Mme [Z] une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner aux dépens, y compris ceux de première instance et de référé, comprenant les frais d'expertise.

Selon écritures du 2 septembre 2022, M. et Mme [K] concluent à :

- l'irrecevabilité, par application de l'article 564 du code de procédure civile, des demandes nouvelles de M. [O] et Mme [Z],

- la confirmation du jugement en toutes ses dispositions,

- la condamnation de M. [O] et Mme [Z] au paiement d'une indemnité supplémentaire de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamnation de M. [O] et Mme [Z] aux dépens comprenant le coût du congé et de la sommation.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 6 septembre 2022.

Motifs de la décision :

Sur la demande de M. et Mme [K] en irrecevabilité de demandes nouvelles :

L'article 564 du code de procédure civile prévoit :

'A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.'

M. et Mme [K] concluent à l'irrecevabilité des prétentions de M. [O] et Mme [Z] tendant à faire reconnaître un manquement des bailleurs à l'obligation de délivrer un logement décent, à leur ordonner de remédier sous astreinte à l'ensemble des désordres relevés dans le compte-rendu d'expertise judiciaire et à réduire le montant du loyer ou de l'indemnité d'occupation pour tenir compte de l'indécence du logement.

La motivation du jugement mentionne la demande des locataires en dommages et intérêts pour indécence du logement en raison 'des problèmes d'humidité et de moisissures' et les en déboute en considérant que cette indécence n'est pas établie. M. [O] et Mme [Z] fondent toujours à hauteur d'appel leur demande en indemnisation des préjudices sur l'indécence de l'habitation. Aucune demande nouvelle n'est ainsi caractérisée.

En leurs écritures du 7 février 2022, M. [O] et Mme [Z] ont sollicité qu'il soit ordonné sous astreinte aux époux [K] de remédier à l'ensemble des désordres rendant le logement indécent. Cependant, ils ne maintiennent pas ce chef de demande en leurs dernières conclusions du 8 juillet 2022, dans la mesure où ils ont prévu de quitter les lieux litigieux le 16 août 2022.

La demande en irrecevabilité de prétentions nouvelles est par suite rejetée.

Sur les demandes en communication de pièces :

M. [O] et Mme [Z] veulent qu'il soit enjoint aux bailleurs de produire aux débats :

- les factures d'acquisition de la chaudière et du système de chauffage et plomberie de la maison de [Localité 5],

- le rapport technique du Cabinet [T], missionné par l'assureur de M. et Mme [K], et les diagnostics initiaux,

- l'ensemble des quittances de loyer.

M. et Mme [K] versent en pièce n°28 la facture intitulée 'création d'un chauffage central complet' établie par la SARL Sylvain Neff le 6 juin 2016 pour un montant de 7 350,65 euros ; ce document énumère les interventions du plombier-chauffagiste et précise les équipements qu'il a installés dans toute la maison. Il a ainsi été satisfait à la demande des appelants. Les bailleurs communiquent également les factures de création d'une ventilation mécanique contrôlée (réception des travaux le 20 août 2018 par Mme [Z]) et les courriers de la SARL Grilot qui n'a pu remplir la mission d'actualisation du diagnostic immobilier parce que les locataires ne répondaient jamais à ses appels ou messages (pièces n°6 à 10 et 29).

M. et Mme [K] produisent, en pièce n° 24, un récapitulatif des sommes versées par les locataires au titre des 'indemnités d'occupation' des mois de janvier 2019 à février 2022 et, en pièce n°26, les photocopies des chèques reçus des locataires et des enveloppes les transmettant (souvent en retard). Par ailleurs, M. [O] et Mme [Z] disposent désormais des quittances de loyer de janvier 2021 à février 2022 qu'ils versent en pièce n°53.

Le rapport technique du Cabinet [T], que les appelants veulent voir communiquer aux débats, est tout-à-fait distinct de l'expertise judiciaire ordonnée en référé le 11 février 2019. Celle-ci n'a abouti qu'à un simple compte-rendu de la réunion d'ouverture des travaux d'expertise du 7 juin 2019 par l'expert [V] [F] (pièce n°10 de M. [O] et Mme [Z]), parce que les locataires, demandeurs à l'expertise, n'ont pu régler les honoraires complémentaires de l'expert, lequel a déposé un rapport en l'état sans poursuivre ses opérations.

Le cabinet [T] a été missionné par l'assureur des époux [K] suite à l'inondation du 25 janvier 2018. M. [I] [T] a convoqué les parties à un rendez-vous du 6 décembre 2018 dans l'immeuble concerné. Aucun élément n'est fourni par les parties sur les suites de l'intervention de M. [T]. A l'évidence, M. et Mme [K] aurait versé les conclusions de ce technicien aux débats si elles leur avaient été favorables.

Dans la mesure où M. [O] et Mme [Z] ont désormais déménagé, il n'apparaît pas nécessaire d'ordonner la production des résultats de l'intervention de l'expert de l'assureur, ni celle des diagnostics initiaux relatifs au logement litigieux, d'autant qu'il n'est pas certain que les dits documents existent.

Par suite, toutes les demandes en communication de pièces de M. [O] et Mme [Z] sont rejetées.

Sur la validité du congé pour vente :

L'article 15 de la loi du 6 juillet 1989 dispose :

'I. - Lorsque le bailleur donne congé à son locataire, ce congé doit être justifié soit par sa décision de reprendre ou de vendre le logement, soit par un motif légitime et sérieux, notamment l'inexécution par le locataire de l'une des obligations lui incombant. A peine de nullité, le congé donné par le bailleur doit indiquer le motif allégué et, en cas de reprise, les nom et adresse du bénéficiaire de la reprise ainsi que la nature du lien existant entre le bailleur et le bénéficiaire de la reprise (...) Le délai de préavis applicable au congé est de six mois lorsqu'il émane du bailleur (...)

En cas de contestation, le juge peut, même d'office, vérifier la réalité du motif du congé et le respect des obligations prévues au présent article. Il peut notamment déclarer non valide le congé si la non-reconduction du bail n'apparaît pas justifiée par des éléments sérieux et légitimes. (...)

II. - Lorsqu'il est fondé sur la décision de vendre le logement, le congé doit, à peine de nullité, indiquer le prix et les conditions de la vente projetée. Le congé vaut offre de vente auprofit du locataire : l'offre est valable pendant les deux premiers mois du délai de préavis (...) A l'expiration du délai de préavis, le locataire qui n'a pas accepté l'offre de vente est déchu de plein droit de tout titre d'occupation sur le local.'

M. et Mme [K], en qualité d'usufruitiers, et Mme [P] [K] épouse [L], en qualité de nue-propriétaire, ont donné congé à M. [O] et Mme [Z] le 18 décembre 2018 par acte d'huissier de justice pour le 30 juin 2019 de la maison sise [Adresse 2], ce congé étant justifié par leur décision de vendre la propriété.

Ledit acte mentionne le motif du congé, le prix d'acquisition de la maison de 155 000 euros et les conditions de la vente projetée : prix payable au comptant le jour de la signature de l'acte authentique, non compris les frais et droits de l'acte de vente à la charge de l'acquéreur, les notaires chargés de la vente étant la SCP Jean-Baptiste Delavigne, Nicolas Bruneau et Frank Kosmac à [Localité 6]. L'acte reproduit les dispositions de l'article 15 II de la loi du 6 juillet 1989.

Le juge des contentieux de la protection a observé, à bon droit, qu'aucune disposition n'imposait à peine de nullité de mentionner la superficie exacte du bien, d'autant que celui-ci est clairement désigné et identifiable. En outre, il appartient au preneur de prouver le grief que lui cause l'irrégularité qu'il invoque. Or M. [O] et Mme [Z] connaissent parfaitement les lieux pour les occuper depuis le 1er juillet 2016 et ne souffrent à cet égard d'aucun défaut d'information, contrairement à ce qu'ils soutiennent.

M. [O] et Mme [Z] font également valoir que les bailleurs ont délivré congé aux fins de vente pour faire partir leurs locataires, après que ceux-ci les ont mis en demeure d'effectuer des travaux de mise en conformité d'un logement indécent.

Il appartient aux locataires de prouver que les bailleurs n'avaient aucune intention de leur vendre l'immeuble. M. et Mme [K] étaient âgés respectivement de 90 ans et 88 ans au 30 juin 2019. Ils justifient bénéficier alors de retraites mensuelles de 1 730 euros et 618 euros, outre 8 001 euros de revenus fonciers nets sur l'année, selon l'avis 2020 d'impôt sur les revenus de 2019. Ils déclarent souhaiter intégrer un EHPAD et justifient de ce que M. [K] est en attente de placement au sein de l'EHPAD du Centre hospitalier de [Localité 4], ce qui supposera le paiement d'un loyer mensuel de 1 710, 30 euros pour 30 jours de présence (pièce n°30). Ils produisent plusieurs brochures tarifaires d'établissements d'accueil troyens et établissent que leur coût mensuel pour les deux époux excède largement le montant de leurs retraites ; ils exposent se trouver contraints de céder leur maison pour disposer de la trésorerie nécessaire. Une telle motivation apparaît sérieuse et légitime. Il est compréhensible, au surplus, qu'un couple de l'âge de 90 ans préfère vendre un immeuble plutôt que de s'engager à gérer des travaux délicats et des relations devenues difficiles avec ses locataires.

Enfin M. [O] et Mme [Z] opposent que les bailleurs ont fixé volontairement un prix dissuasif, dans l'intention de les empêcher d'exercer leur droit de préemption, ce qui constitue une fraude affectant l'acte juridique et justifiant son annulation.

M. et Mme [K] produisent en pièces n°18 et 19 deux estimations de leur maison par des agences immobilières, datées du 28 juin 2021, la première à 150 000 euros sous réserve que l'état intérieur corresponde à l'état des lieux d'entrée, la seconde entre 170 000 euros et 175 000 euros compte tenu des prix de marché et des travaux d'amélioration à effectuer.

Il s'agit d'une maison de cinq pièces, avec une surface de 85 m² de plain pied, sur un sous-sol total avec garage et cave, le tout sur un jardin clos d'environ 520 m². Les éléments exposés conduisent à approuver le premier juge en ce qu'il a considéré que le prix proposé était conforme au marché immobilier.

En conséquence, le jugement est confirmé en ce qu'il déclare valide le congé pour vendre délivré le 18 décembre 2018.

Sur la demande en dommages et intérêts fondée sur l'indécence du logement :

L'article 1719 du code civil dispose : 'Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière :

1° de délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque des locaux loués à usage d'habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l'expulsion de l'occupant ;

2° d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée ;

3° d'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ;

4° d'assurer également la permanence et la qualité des plantations.'

Selon l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989, 'le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé et doté des éléments le rendant conforme à l'usage d'habitation.'

Selon l'article 2 du décret n°2002-120 du 30 janvier 2002, 'Le logement doit satisfaire aux conditions suivantes, au regard de la sécurité physique et de la santé des locataires :

1. Il assure le clos et le couvert. Le gros oeuvre (...) protège les locaux contre les eaux de ruissellement et les remontées d'eau (...)

2. Il est protégé contre les infiltrations d'air parasites. Les portes et fenêtres du logement ainsi que les murs et parois de ce logement donnant sur l'extérieur ou des locaux non chauffés présentent une étanchéité à l'air suffisante (...)

6. Le logement permet une aération suffisante. Les dispositifs d'ouverture et les éventuels dispositifs de ventilation des logements sont en bon état et permettent un renouvellement de l'air et une évacuation de l'humidité adaptés aux besoins d'une occupation normale du logement et au fonctionnement des équipements (...).'

L'expert judiciaire n'est pas allé au bout de sa mission, puisqu'après une réunion d'expertise du 7 juin 2019, il n'a pas obtenu le paiement d'une consignation complémentaire et a déposé son rapport en l'état.

Cependant, selon le compte-rendu de la réunion du 7 juin 2019, en page 48, les constats effectués ont conduit l'expert [F] à donner l'avis technique suivant :

'Les désordres sont causés par :

- les eaux de pluie circulantes sous la dalle du sous-sol,

- les fissures dans le sous-bassement maçonné des murs périphériques,

- les ponts thermiques dûs à la non-isolation des murs, plafonds et planchers et à la différence de température entre le sous-sol et l'habitation,

- une importante sous-ventilation générale de l'habitation et du sous-sol,

- l'installation de fenêtres non équipées de ventilation suffisante,

- un chauffage plus performant sur le plan thermique que l'ancien, ce qui accentue les ponts thermiques,

- le non-entretien des grilles de ventilation hautes et basses donnant sur l'extérieur,

- la non-étanchéité de l'extérieur des murs adossés à la terre.

Pour des mesures évidentes de santé, l'expert a demandé expressément aux consorts [Z] [O] de ne plus habiter la chambre 'orange'.

En attendant les travaux correctifs, la totalité des locaux doivent être ventilés et nettoyés au maximum.'

Le courrier du service Santé-Environnement de l'ARS du 29 mars 2022 (pièce n°64) observe :

- la maison est en bon état, propre et bien entretenue par les occupants,

- toutefois, il faut remédier à deux défauts :

. des moisissures sont présentes dans deux chambres, résultant selon les occupants d'un défaut de chauffage par mauvais fonctionnement des radiateurs et de l'humidité des murs lors de fortes pluies par capillarité depuis le sous-sol. Les agents n'ont pu vérifier ces deux points en raison du temps sec et de l'arrêt du chauffage.

. les grilles de ventilation passive installées dans la salle de bain et la cuisine ne permettent pas un fonctionnement optimal des VMC mais empêchent l'aspiration de l'air des lieux de vie par court-circuit. Ce dysfonctionnement pourrait être la source d'humidité dans les pièces de vie et favoriser l'apparition des moisissures dans les chambres.

- le logement reste globalement correct (bon état général, fenêtres double vitrage récentes). L'indécence est légère et peut être résorbée rapidement, sous réserve, d'une part, du rebouchage des grilles de ventilation passive et, d'autre part, d'une recherche d'éventuelles autres sources d'humidité par le bailleur dans les chambres (pont thermique, équilibrage des radiateurs, étanchéité des murs du sous-sol...).

Il résulte des constats de l'expert judiciaire et des techniciens sanitaires de l'ARS que la maison en cause présentait un état d'indécence légère du fait du taux d'humidité excessif, dont les locataires ne pouvaient être responsables que dans une faible proportion pour non entretien des grilles de ventilation hautes et basses donnant sur l'extérieur dans la salle de bain et la cuisine (pièces dans lesquelles aucune moisissure n'est constatée).

L'état d'humidité du logement a causé un préjudice à M. [O] et Mme [Z], qui justifient de ce que cette dernière, asthmatique, a dû adapter son traitement médical, que sa chambre est devenue inutilisable, que plusieurs biens ont été détériorés par les moisissures, que les frais de chauffage ont été majorés. Dans le même temps, les locataires ne se sont pas précipités pour quitter les lieux, le retard des bailleurs dans la délivrance des quittances de loyer ne leur facilitant toutefois pas les démarches de relogement.

L'ensemble de ces éléments autorise à évaluer à 3 000 euros le préjudice souffert par M. [O] et Mme [Z] toutes causes confondues, à savoir préjudice de jouissance et préjudice matériel, du fait du manquement des bailleurs à la délivrance d'un logement décent. En effet, les ex-locataires ne caractérisent pas un préjudice moral autre que le préjudice de jouissance par eux subi. Le jugement combattu est réformé en ce sens.

Sur les autres demandes :

M. [O] et Mme [Z], d'une part, M. et Mme [K], d'autre part, succombent partiellement en leurs positions. Il convient dès lors de laisser à chaque partie la charge des dépens de première instance et d'appel par elle exposés, ce qui ne permet pas de faire application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile aux dépens d'appel. Le jugement entrepris est donc infirmé quant aux dépens.

Aucune considération d'équité ne commande dès lors d'accueillir les prétentions respectives fondées sur l'article 700 du code de procédure civile, qu'il s'agisse des frais irrépétibles exposés devant le juge des contentieux de la protection ou devant la cour. La décision querellée est à cet égard réformée.

Par ces motifs,

Déboute M. et Mme [K] de leurs demandes en irrecevabilité de prétentions adverses nouvelles,

Déboute M. [O] et Mme [Z] de leurs demandes en production de pièces,

Confirme le jugement du juge des contentieux de la protection de Troyes du 15 octobre 2021, en ce qu'il a prononcé la validation du congé délivré le 18 décembre 2018 à effet au 30 juin 2019, dit M. [O] et Mme [Z] occupants sans droit, ni titre, fixé à 750 euros par mois l'indemnité d'occupation mensuelle et condamné solidairement M. [O] et Mme [Z] à la payer aux époux [K] jusqu'à libération effective des lieux,

Infirme ledit jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau,

Dit que M. et Mme [K] ont manqué à l'obligation de délivrer un logement décent,

Condamne solidairement M. et Mme [K] à verser à M. [O] et Mme [Z] une somme de 3 000 euros en réparation du préjudice résultant de l'indécence du logement, à savoir préjudice de jouissance et préjudice matériel,

Déboute M. et Mme [K] de leur demande au titre des frais irrépétibles exposés en première instance,

Laisse à chaque partie la charge de ses dépens de première instance, lesquels comprennent les frais d'expertise judiciaire,

Y ajoutant,

Déboute les parties de leurs prétentions au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour,

Laisse à chaque partie la charge de ses dépens d'appel.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Reims
Formation : 1ère chambre section inst
Numéro d'arrêt : 21/02139
Date de la décision : 08/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-08;21.02139 ?
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