Arrêt n°
du 26/10/2022
N° RG 22/00464
MLS/FJ
Formule exécutoire le :
à :
COUR D'APPEL DE REIMS
CHAMBRE SOCIALE
Arrêt du 26 octobre 2022
APPELANTE :
d'un jugement rendu le 14 décembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes de CHALONS EN CHAMPAGNE, section Industrie (n° F 21/00099)
SAS DJ BAT
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par la SCP DELGENES JUSTINE DELGENES, avocats au barreau des ARDENNES
INTIMÉ :
Monsieur [H] [X]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par la SCP ALMEIDA-ANTUNES, avocats au barreau de CHALONS EN CHAMPAGNE
DÉBATS :
En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 septembre 2022, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Christine ROBERT-WARNET, président de chambre, et Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller, chargés du rapport, qui en ont rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 26 octobre 2022.
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
Madame Christine ROBERT-WARNET, président
Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller
Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller
GREFFIER lors des débats :
Monsieur Francis JOLLY, greffier
ARRÊT :
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Christine ROBERT-WARNET, président, et Monsieur Francis JOLLY, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
Exposé des faits :
Monsieur [H] [X], employé depuis le 1er avril 2016 par contrat à durée indéterminée en qualité de chauffeur carreleur et rénovation par la S.A.S. DJ BAT, a été licencié pour inaptitude le 7 avril 2020.
Le 11 mars 2021, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Châlons-en-Champagne de demandes tendant à faire condamner l'employeur à lui payer les sommes suivantes :
. 10'000,00 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral lié au harcèlement moral dont il a fait l'objet,
. 9 533,30 euros bruts de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du licenciement abusif,
. 3 813,32 euros d'indemnité compensatrice de préavis,
. 2 000,00 euros de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du retard de versement des salaires pendant l'arrêt maladie,
. 2 000,00 euros sur le fondement l'article 700 du code de procédure civile.
L'employeur a conclu au débouté et à la condamnation du salarié à lui payer la somme de 1 000,00 euros en remboursement de ses frais irrépétibles.
Par jugement du 14 décembre 2021, le conseil de prud'hommes :
- a requalifié le licenciement pour inaptitude en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- a condamné l'employeur à payer au salarié les sommes suivantes :
. 3 813,32 euros bruts, avec émission d'un bulletin de salaire,
. 1 906,66 euros bruts au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. 1 200,00 euros sur le fondement l'article 700 du code de procédure civile,
- a débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts en réparation de préjudices nés du retard de versement des salaires,
- a condamné la société employeur aux entiers dépens.
Le 22 février 2022, la société employeur a régulièrement interjeté appel du jugement sauf en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts en réparation de préjudices nés du retard de versement des salaires.
Dans ses écritures du 1er juin 2022, la société appelante demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a requalifié le licenciement, et de confirmer le surplus. Elle demande à la cour de débouter le salarié de l'ensemble de ses demandes, et de le condamner, outre aux dépens, à lui payer la somme de 2 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir que les faits que le salarié qualifie de harcèlement moral ne sont pas prouvés et ont eu lieu pendant la suspension du contrat de travail de sorte qu'ils n'ont pu dégrader les conditions de travail du salarié. Elle conteste avoir procédé au licenciement du salarié dans la convocation à l'entretien préalable en faisant observer qu'elle avait pour obligation de procéder au licenciement et que la formule écrite au futur dans la lettre de convocation ne permet pas de croire à une décision avant l'entretien préalable. Elle conteste les préjudices, qui selon elle, ne sont pas établis, ni en leur principe, ni en leur montant. De plus, pour ce qui concerne les dommages-intérêts en réparation des retards de paiements des salaires elle soutient que les dommages-intérêts ne consistent que dans l'intérêt au taux légal à compter d'une mise en demeure, conformément aux dispositions de l'article 1231-6 alinéa 1 du Code civil.
Dans ses écritures le 25 mars 2022, le salarié intimé demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a requalifié le licenciement, en ce qu'il a condamné l'employeur à lui payer une somme de 3 813,32 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis.
Formant appel incident, il demande d'infirmer le surplus, de faire droit à ses demandes initiales, et de condamner l'appelant à lui payer la somme de 2 000,00 euros en remboursement de ses frais irrépétibles de première instance et 2 500,00 euros en remboursement de ses frais irrépétibles d'appel.
Au soutien de ses prétentions, il fait valoir qu'il a subi un harcèlement moral constitué par des humiliations et un dénigrement ; qu'à partir du moment où il a été victime d'un accident du travail le 25 octobre 2017, le dirigeant n'a cessé de le dénigrer, de le menacer et de l'insulter de sorte qu'il a été obligé de déposer plainte. Il affirme que la rupture est sans cause réelle et sérieuse dans la mesure où la décision était prise dès la convocation de l'entretien préalable ; que de plus l'employeur n'était pas contraint de procéder au licenciement puisqu'il avait l'obligation de reclassement.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 27 juin 2022.
Motifs de la décision :
Au préalable, il sera fait observer que l'employeur n'a demandé infirmation que de la partie du dispositif requalifiant la rupture du contrat de travail, et a expressément demandé confirmation du surplus.
Le salarié en revanche, a demandé confirmation du jugement sur la requalification et sur la condamnation de l'employeur à lui payer la somme de 3 813,32 euros bruts, et pour le surplus, a conclu à l'infirmation. Il en résulte que les deux parties ont demandé confirmation de la condamnation au paiement de la somme de 3 813,32 euros bruts.
1 - l'exécution du contrat de travail
- le paiement tardif des salaires
Le conseil de prud'hommes, par un motif insuffisant lié à l'absence de justificatifs du préjudice, a débouté le salarié de sa demande de dommages et intérêts en raison de retards de paiement des salaires.
Or, selon l'article 1231-6 du Code civil, les dommages et intérêts dus en raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure. Ces dommages-intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte. Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages-intérêts distincts de l'intérêt moratoire.
La demande est distincte des intérêts au taux légal, et consiste donc à des intérêts compensatoires qui ne peuvent être alloués à défaut de preuve de la mauvaise foi du créancier et de préjudices distincts de l'intérêt moratoire.
Or, le salarié argue d'un préjudice financier qui n'est pas distinct de l'intérêt moratoire et qui en l'occurrence n'est pas justifié.
Par adjonction de motifs, le jugement doit être confirmé.
- le harcèlement moral
C'est à tort que le conseil de prud'hommes a jugé insuffisantes les preuves du harcèlement moral. En effet, indépendamment du classement sans suite de la plainte déposée par le salarié, les faits que celui-ci allègue sont établis par l'attestation de Monsieur [V], collègue de travail et par Monsieur [J], cousin du salarié, qui attestent que l'employeur a insulté le salarié le traitant de 'cassos' et de « branleur » et a, à plusieurs reprises, klaxonné lorsqu'il passait devant le domicile du salarié.
Il n'importe que les faits ont eu lieu pendant une période de suspension du contrat de travail dans la mesure où les insultes et les manifestations malveillantes répétées de l'employeur ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Au vu de ces éléments, il incombe alors à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement et que son comportement est justifié par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, ce qu'il ne fait pas.
Par conséquent, il faut faire droit sur le principe à la demande de dommages et intérêts du salarié, dans la limite de 2 000,00 euros, somme de nature à réparer entièrement le préjudice moral qui en est résulté sur la courte période considérée. Le jugement, qui n'a pas statué sur ce point dans son dispositif, sera complété.
2 - la rupture du contrat de travail
Par des motifs pertinents que la cour adopte, le conseil de prud'hommes a jugé que la décision de licenciement a été prise lors de la convocation à l'entretien préalable.
En effet, dans la lettre de convocation à l'entretien préalable, l'employeur à utilisé la formule suivante : 'nous allons procéder à votre licenciement pour inaptitude à votre poste de travail'. D'ailleurs, dans un courrier du 10 mars 2020 adressé à la médecine du travail, l'employeur a demandé l'accord du médecin du travail pour procéder au licenciement pour inaptitude du salarié, preuve que la décision était prise avant l'entretien préalable. À cet égard, l'employeur prétend dans ses écritures qu'il était obligé de licencier, confortant l'idée d'une décision antérieure à l'entretien préalable. Or, il est faux de prétendre que l'employeur était obligé de licencier, dès lors qu'il était astreint à une obligation de reclassement. Ainsi, les échanges en février et mars 2020 entre l'employeur, le salarié et la médecine du travail, montrent que l'employeur a tenté de proposer au salarié un aménagement de son poste puisqu'il lui était proposé l'aménagement des fonctions qu'il était amené à exercer. L'impossibilité de reclassement a été actée par la médecine du travail le 13 mars 2020. D'ailleurs, le salarié lui-même s'est montré sceptique sur les possibilités de reclassement dans un courrier du 1er mars 2020 dans lequel il demande à l'employeur de quelle manière il compte procéder pour adapter son poste de travail compte tenu de la nature même des travaux pénibles inhérents à l'activité.
Nonobstant l'effort de reclassement, l'employeur a pris la décision de licencier avant même d'avoir procédé à l'entretien préalable, de sorte que le licenciement doit être considéré comme sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement doit donc être confirmé sur ce point, ainsi que la condamnation au paiement de la somme de 3 813,32 euros correspondant à l'indemnité compensatrice de préavis dont confirmation est d'ailleurs demandée par les deux parties.
Pour ce qui concerne le montant des nécessaires dommages et intérêts résultant de la rupture du contrat de travail, c'est à tort que le conseil de prud'hommes s'est fondé sur l'article L 1235-3 du code du travail.
En effet, s'agissant d'une inaptitude consécutive à un accident du travail, il faut faire application de l'article L 1235-3-1 du code du travail de sorte que l'indemnité ne saurait être inférieure à six mois de salaire. Sur la base d'un salaire mensuel de 1 906,60 euros, les dommages et intérêts doivent être au minimum de 11'439,91 euros de sorte qu'il faut faire droit à la somme moindre de 9 533,30 euros, réclamée.
Succombant sens de l'article 696 du code de procédure civile, l'employeur supportera les dépens et les frais irrépétibles de première instance par confirmation du jugement. En appel, il sera donc débouter de ses demandes à ce titre, et condamné à payer au salarié la somme de 2 000,00 euros.
Par ces motifs :
La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme le jugement rendu le 14 décembre 2021 par le conseil de prud'hommes de Châlons-en-Champagne en ce qu'il a condamné l'employeur à payer au salarié la somme de 1 906,66 euros bruts au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Statuant à nouveau et dans cette limite,
Condamne la SAS DJ BAT à payer à Monsieur [H] [X] la somme de 9 533,30 euros (neuf mille cinq cent trente trois euros et trente centimes) à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Confirme le surplus,
y ajoutant,
Condamne la SAS DJ BAT à payer à Monsieur [H] [X] la somme 2 000,00 euros (deux mille euros) en réparation du préjudice moral né du harcèlement moral,
Dit que les condamnations sont prononcées sous réserve d'y déduire le cas échéant, les charges sociales et salariales,
Déboute la SAS DJ BAT de sa demande de remboursement de ses frais irrépétibles d'appel,
Condamne la SAS DJ BAT à payer à Monsieur [H] [X] la somme de 2 000,00 euros (deux mille euros) en remboursement de ses frais irrépétibles d'appel,
Condamne la SAS DJ BAT aux dépens de l'instance d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT