Arrêt n°
du 26/10/2022
N° RG 21/01775
CRW/FJ
Formule exécutoire le :
à :
COUR D'APPEL DE REIMS
CHAMBRE SOCIALE
Arrêt du 26 octobre 2022
APPELANTE :
d'un jugement rendu le 6 septembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes d'EPERNAY, section Industrie (n° F 20/00050)
SAS IMPRIMERIE BILLET
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par la SELARL SG AVOCATS CONSEIL, avocats au barreau de REIMS et par la SCP LYAND - FOSSEPREZ, avocats au barreau d'AUXERRE
INTIMÉ :
Monsieur [U] [D]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Anne-Dominique BRENER, avocat au barreau de CHALONS EN CHAMPAGNE
DÉBATS :
En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 septembre 2022, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Christine ROBERT-WARNET, président de chambre, et Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller, chargés du rapport, qui en ont rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 26 octobre 2022.
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
Madame Christine ROBERT-WARNET, président
Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller
Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller
GREFFIER lors des débats :
Monsieur Francis JOLLY, greffier
ARRÊT :
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Christine ROBERT-WARNET, président, et Monsieur Francis JOLLY, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
[U] [D] a été embauché par la SAS Imprimerie Billet selon contrat à durée déterminée à effet du 8 novembre 2010, en qualité d'aide conducteur rotative.
Par avenant du 1er juin 2011, ce contrat est devenu à durée indéterminée pour [U] [D] exercer la fonction de conducteur rotative, dont la dénomination est devenue «conducteur de machines complexe» à compter du 31 décembre 2019.
Après avoir fait l'objet d'un avertissement le 12 novembre 2019, [U] [D] a été convoqué, par acte d'huissier du 2 mars 2020 à un entretien préalable à son licenciement, pour cet acte lui notifier sa mise à pied conservatoire.
La SAS Imprimerie Billet a notifié à son salarié son licenciement au motif d'une faute grave, par lettre recommandée avec accusé de réception du 20 mars 2020.
Contestant le bien-fondé de l'avertissement et du licenciement dont il a fait l'objet, [U] [D], par requête enregistrée au greffe le 12 novembre 2020, a saisi le conseil de prud'hommes d'Épernay, prétendant, aux termes de ses dernières conclusions, à :
- la condamnation, sous exécution provisoire, de la SAS Imprimerie Billet au paiement des sommes de :
. 118,37 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied,
. 11,84 euros à titre de congés payés afférents,
. 9.289,71 euros à titre d'indemnité de préavis,
. 927,97 euros à titre de congés payés afférents,
. 7.418,86 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,
. 3.096,57 euros à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement,
. 27'.869,13 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,
. 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- à la remise, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document du certificat de travail et de l'attestation Pôle Emploi rectifiés, pour le conseil se dire compétent pour liquider l'astreinte.
Par jugement du 6 septembre 2021, le conseil de prud'hommes d'Épernay a :
- dit fondé l'avertissement du 12 novembre 2019,
- dit sans cause réelle et sérieuse le licenciement de [U] [D] et condamné la SAS Imprimerie Billet au paiement des sommes qu'il sollicitait, sauf à le débouter en sa demande en paiement fondée sur le non-respect de la procédure et à réduire le montant des dommages-intérêts alloués en indemnisation de son licenciement et de l'indemnité fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La SAS Imprimerie Billet a interjeté appel de cette décision.
Vu les conclusions transmises au greffe par RPVA le 14 juin 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour plus ample informé des moyens de la partie appelante, par lesquelles la SAS Imprimerie Billet prétend à l'infirmation du jugement qu'elle critique, entendant voir son salarié déclaré irrecevable en sa demande fondée sur la contestation du motif réel et sérieux du licenciement dont il a fait l'objet, comme forclos, à défaut pour ce salarié, bien qu'assisté lors de l'entretien préalable, d'avoir sollicité son employeur aux fins de clarification des raisons de la rupture, se privant ainsi de la possibilité d'en soulever ultérieurement l'absence de cause réelle et sérieuse.
En tout état de cause, elle conclut au caractère justifié de l'avertissement décerné à son salarié, au bien-fondé de la faute grave invoquée au soutien de son licenciement, pour conclure au débouté de celui-ci en l'ensemble de ses demandes, à titre subsidiaire.
À titre infiniment subsidiaire, elle soutient que [U] [D] ne peut prétendre au cumul d'une indemnité pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse et d'indemnité pour procédure irrégulière, à la limitation au plancher de l'indemnisation d'un licenciement qui serait dit sans cause réelle et sérieuse.
En tout état de cause, outre le débouté de [U] [D] en son appel incident, elle sollicite sa condamnation au paiement d'une indemnité de 5000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les conclusions transmises au greffe par RPVA le 15 mars 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour plus ample informé des moyens de la partie intimée par lesquelles [U] [D], continuant de contester le bien-fondé de l'avertissement et du licenciement prononcé à son encontre, sans qu'il puisse être fait grief de ne pas avoir sollicité d'autres explications sur les motifs de son licenciement, sollicite la confirmation du jugement pour les chefs de demandes qu'il avait formées, qui ont été accueillis, sauf quant au montant des dommages-intérêts alloués en indemnisation de son licenciement, au titre desquels il renouvelle sa demande en paiement de la somme de 27'869,13 euros.
En revanche, il sollicite également l'infirmation du jugement et renouvelle sa demande tendant à voir dire nul avertissement dont il a fait l'objet.
À titre subsidiaire, si la cour disait fondé sur une cause réelle et sérieuse le licenciement dont il a fait l'objet, il prétend à la condamnation de son employeur au paiement d'une indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement de 3096,57 euros.
En tout état de cause, il sollicite la condamnation de la société au paiement d'une indemnité de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Sur ce :
Sur l'avertissement du 12 novembre 2019
[U] [D] sollicite l'annulation de l'avertissement qui lui a été notifié le 12 novembre 2019, dont il conteste le bien-fondé.
Il appartient au juge, en application des dispositions de l'article L. 1333-1 du code du travail, d'apprécier la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction sur la base des éléments produits par l'employeur, qu'il a retenus pour décider de sa sanction. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
En l'espèce, [U] [D] a été sanctionné pour avoir mis trop souvent sa machine à l'arrêt, avoir passé beaucoup de temps en dehors de sa machine malgré des remarques de ses supérieurs et avoir fait preuve d'insubordination le 28 octobre 2019 en simulant une reprise de son poste demandée par sa responsable hiérarchique. L'employeur déplore une démotivation de son salarié, tandis que l'avertissement vise des faits caractéristiques de cette démotivation survenus à 3 reprises entre le 26 septembre et le 29 octobre 2019.
Les faits reprochés sont établis par un mail circonstancié du responsable ateliers et planning du 30 octobre 2019 ainsi que par le courriel adressé par l'employeur à ce même responsable, relatant l'entretien qu'il a eu avec le salarié le 31 octobre 2019, portant sur les faits reprochés.
L'avertissement est dans ces conditions justifié, en dépit de la contestation du salarié, ressortant du courrier qu'il a adressé à son employeur le 20 novembre 2019.
Par conséquent, le jugement sera confirmé de ce chef, par substitution de motifs.
Sur le licenciement
- la recevabilité
La SAS Imprimerie Billet prétend vainement à l'irrecevabilité de la demande de requalification du licenciement en licenciement sans cause réelle présentée par [U] [D] en se fondant sur les dispositions des articles R.1232-13 et R.1233-2-2 du code du travail. En effet, la contestation du licenciement ne porte pas sur un défaut de motivation mais sur la réalité des griefs invoqués à l'appui de celui-ci.
- le bien-fondé du licenciement
La faute grave, dont la charge de la preuve incombe à l'employeur, telle qu'énoncée dans la lettre de licenciement dont les termes fixent le cadre du litige soumis à l'appréciation des juges du fond se définit comme un fait ou un ensemble de faits, imputables au salarié, caractérisant de sa part un manquement tel aux obligations découlant de la relation de travail que son maintien dans l'entreprise, pendant la durée du préavis, s'avère impossible.
En cas de réitération de faits reprochables, l'employeur peut invoquer à l'appui d'un licenciement pour faute grave des faits antérieurs déjà sanctionnés, sous réserve que ladite sanction date de moins de trois ans ainsi que des faits dont il a eu connaissance plus de deux mois avant la procédure disciplinaire, sauf si les faits fautifs participent d'un comportement continu qui s'est poursuivi jusque dans la période non couverte par la prescription.
En l'espèce, la lettre de licenciement notifiée à [U] [D] énonce les faits suivants :
- le jeudi 20 février 2020 : départ prématuré et non justifié du poste de travail sans accord de la responsable hiérarchique expliquant à cette dernière ne pas se sentir bien et lui déclarer d'un ton provocateur : 'Vous pouvez dire que je suis malade ou que je suis parti en grève, c'est comme vous voulez!'
- le 21 février 2020 : absence non justifiée
- le 24 février 2020 : dépôt d'un formulaire de demande de congés payés portant la mention manuscrite 'lu et non approuvé' à dessein, dans le but de piéger son supérieur hiérarchique ;
- le 28 février 2020 : utilisation de son smartphone personnel lors de la production et insubordination puisqu'il a indiqué rechercher des offres d'emploi à son responsable technique, après une remarque de sa part, et lui a répondu 'je vous dirai bien quelque chose, mais je ne voudrais pas un autre courrier, je ne dirai rien...'
L'employeur invoque dans la lettre de licenciement une réitération des actes d'insubordination et de dénigrement de la part de [U] [D] et énonce ainsi un fait daté du 17 avril 2018, les agissements retenus à l'appui de l'avertissement du 12 novembre 2019 et un courrier de [U] [D] daté du 20 novembre 2019.
Concernant les faits retenus à l'appui du licenciement, la responsable hiérarchique de [U] [D] atteste du comportement de celui-ci le 20 février 2020 et précise ne pas avoir été avisée de son absence le 21 février 2020.
[U] [D], pour sa part, produit un arrêt de travail pour la journée du 21 février 2020 et son bulletin de paie de février 2020 porte mention d'une journée d'absence pour 'maladie ou AT'.
Dans ces conditions, les faits du 21 février 2021 doivent être écartés. Le grief est donc partiellement établi.
S'agissant des faits du 24 février 2020, le responsable ateliers et planning atteste : ' la demande de congés payés faisait état d'informations inexactes et trompeuses'.
La demande de congés payés est produite aux débats. Elle contient un encadré dans lequel est indiqué 'dans le cas d'un fractionnement des quatre semaines des congés payés principaux à l'initiative du salarié, celui-ci déclare renoncer expressément aux éventuels jours de congés payés pour fractionnement prévus par l'article L3141-19 du code du travail' avec demande de la signature du salarié précédée de la mention manuscrite 'lu et approuvé'.
C'est à ce niveau que [U] [D] a porté la mention 'lu et non approuvé'. Cette mention est insuffisante à caractériser une volonté de piéger [son] supérieur hiérarchique' relevant de la « tromperie et du faux ', révélant sa « volonté de nuire » telles qu'imputées à faute à [U] [D] aux termes de la lettre de licenciement.
Le grief doit être écarté.
Aucun élément n'est versé aux débats pour établir les faits du 28 février 2020.
S'agissant des faits invoqués à l'appui de la réitération des faits, la lettre du 20 novembre 2019 est un courrier de contestation faisant suite à la notification de son avertissement et les faits du 17 avril 2018 démontrent une attitude désinvolte de [U] [D]. En revanche, ces agissements ne caractérisent nullement des actes de dénigrement ou d'insubordination.
En outre, l'employeur qui dénonce, dans la lettre de licenciement, un comportement devenu insupportable pour certains collègues et supérieurs, ne produit aucun élément en ce sens dans les débats alors que [U] [D] verse une pétition, signée de près de 40 salariés s'indignant de la mesure de mise à pied conservatoire, indiquant 'c'est un collègue de travail agréable, courtois, dynamique et respectueux apprécié de tous ses collègues. Il est très assidu à son travail.'
Il résulte de ce qui précède que seuls les faits du 20 février 2020 peuvent être reprochés depuis la notification de l'avertissement.
Ce seul et unique fait est insuffisant pour motiver un licenciement qui apparaît sans cause réelle et sérieuse.
La décision déférée sera donc confirmée en ce qu'elle a dit sans cause réelle et sérieuse le licenciement de [U] [D] et condamné la SAS Imprimerie Billet à lui payer le salaire retenu durant la mise à pied conservatoire, les congés payés afférents, l'indemnité compensatrice de préavis, les congés payés afférents et l'indemnité de licenciement, pour les sommes qu'elle a retenues et non contestées.
Compte tenu de l'âge du salarié au jour de son licenciement, de son ancienneté dans l'entreprise, du barème de l'article L.1235-3 du code du travail, de sa situation au regard de l'emploi postérieurement au licenciement, de son salaire de base, la SAS Imprimerie Billet sera condamnée à lui payer la somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement sera infirmé sur le quantum.
Il y a lieu d'ordonner la remise, par la SAS Imprimerie Billet à [U] [D] de l'attestation Pôle emploi et du certificat de travail rectifiés conformément aux termes de la présente décision sans qu'il y ait lieu d'assortir cette mesure d'une quelconque astreinte.
Il y a lieu de préciser que toute condamnation est prononcée sous déduction des éventuelles cotisations sociales salariales applicables.
Les conditions s'avèrent réunies pour condamner l'employeur, en application de l'article L.1235-4 du code du travail, à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées au salarié, du jour de son licenciement jusqu'au jour de la décision judiciaire, dans la limite de six mois d'indemnités.
Compte tenu des termes de la présente décision, il n'y a pas lieu de statuer sur la demande, subsidiaire à hauteur d'appel, relative à l'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement, qui ne peut se cumuler avec le bénéfice des dommages-intérêts alloués en indemnisation d'un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse, quand bien même l'irrégularité de la procédure de licenciement serait établie.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Compte tenu des termes de la présente décision, confirmant en son principe le jugement déféré, la SAS Imprimerie Billet sera déboutée en sa demande en paiement d'une indemnité fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
En revanche, sur le même fondement, elle sera condamnée à payer à [U] [D] une indemnité de 1.000 euros, s'ajoutant à celle ordonnée par les premiers juges, dont la décision sera confirmée.
Par ces motifs :
La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Epernay le 6 septembre 2021 sauf sur le quantum alloué au titre des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a assorti la remise des documents d'une astreinte,
L'infirme de ces chefs
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne la SAS Imprimerie Billet à payer à [U] [D] la somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Dit n'y avoir lieu à astreinte,
Précise que toutes les condamnations sont prononcées sous réserve de déduire les cotisations salariales ou sociales éventuellement applicables,
Ordonne le remboursement par la SAS Imprimerie Billet des indemnités de chômage versées au salarié, du jour de son licenciement jusqu'au jour de la décision judiciaire, dans la limite de six mois d'indemnités,
Condamne la SAS Imprimerie Billet à payer à [U] [D] une indemnité de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,
Déboute la SAS Imprimerie Billet de sa demande en paiement d'une indemnité fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SAS Imprimerie Billet aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT