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25/10/2022 | FRANCE | N°21/01576

France | France, Cour d'appel de Reims, 1ere chambre sect.civile, 25 octobre 2022, 21/01576


ARRET N°

du 25 octobre 2022



N° RG 21/01576 - N° Portalis DBVQ-V-B7F-FBME





SA GMV FRANCE





c/



S.A.S. CHAMPAGNE JANISSON

S.A. SMA SA

SAS FELLER INDUSTRIE LORRAINE

S.A.S.U. BUREAU VERITAS EXPLOITATION



















Formule exécutoire le :

à :



la SCP DELVINCOURT - CAULIER-RICHARD - CASTELLO AVOCATS ASSOCIES



la SELARL FOSSIER NOURDIN



la SCP BADRE HYONNE SENS-SALIS DENIS ROGER DA

ILLENCOURT



la SELAS DEVARENNE ASSOCIES GRAND EST

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE-1° SECTION

ARRET DU 25 OCTOBRE 2022



APPELANTE :

d'un jugement rendu le 13 juillet 2021 par le Tribunal de Commerce de REIMS



SA GMV FRANCE

...

ARRET N°

du 25 octobre 2022

N° RG 21/01576 - N° Portalis DBVQ-V-B7F-FBME

SA GMV FRANCE

c/

S.A.S. CHAMPAGNE JANISSON

S.A. SMA SA

SAS FELLER INDUSTRIE LORRAINE

S.A.S.U. BUREAU VERITAS EXPLOITATION

Formule exécutoire le :

à :

la SCP DELVINCOURT - CAULIER-RICHARD - CASTELLO AVOCATS ASSOCIES

la SELARL FOSSIER NOURDIN

la SCP BADRE HYONNE SENS-SALIS DENIS ROGER DAILLENCOURT

la SELAS DEVARENNE ASSOCIES GRAND EST

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE-1° SECTION

ARRET DU 25 OCTOBRE 2022

APPELANTE :

d'un jugement rendu le 13 juillet 2021 par le Tribunal de Commerce de REIMS

SA GMV FRANCE

[Adresse 1]

[Adresse 11]

[Localité 7]

Représentée par Me Olivier DELVINCOURT de la SCP DELVINCOURT - CAULIER-RICHARD - CASTELLO AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS, avocat postulant et Me Isabelle GANDONNIERE, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant

INTIMEES :

S.A.S. CHAMPAGNE JANISSON La Société CHAMPAGNE MANUEL JANISSON, Société par Actions Simplifiée, au capital de 100.000 euros, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés sous le numéro 380 138 867, ayant son siège [Adresse 3], agissant poursuite et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Chéryl FOSSIER-VOGT de la SELARL FOSSIER NOURDIN, avocat au barreau de REIMS

S.A. SMA SA

[Adresse 12]

[Adresse 12]

[Localité 8]

Représentée par Me Colette HYONNE de la SCP BADRE HYONNE SENS-SALIS DENIS ROGER DAILLENCOURT, avocat au barreau de REIMS

SAS FELLER INDUSTRIE LORRAINE

[Adresse 4]

[Localité 6]

Non comparante ni représentée bien que régulièrement assignée

S.A.S.U. BUREAU VERITAS EXPLOITATION

[Adresse 9]

[Localité 10]

Représentée par Me Albane DELACHAMBRE FERRER de la SELAS DEVARENNE ASSOCIES GRAND EST, avocat au barreau de REIMS, avocat postulant et Me Louis-Michel FAIVRE de la SELARL FAIVRE, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant,

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre

Monsieur Cédric LECLER, conseiller

Mme Sandrine PILON, conseillère

GREFFIER :

Monsieur Nicolas MUFFAT-GENDET, greffier lors des débats et Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffière lors du prononcé

DEBATS :

A l'audience publique du 13 septembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 25 octobre 2022,

ARRET :

Par défaut, prononcé par mise à disposition au greffe le 25 octobre 2022 et signé par Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre, et Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffière, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

Suivant marché du 1er mars 2011, la société Champagne Janisson, à présent dénommée Champagne Manuel Janisson, a conclu avec la société Feller un marché portant sur la fourniture et l'installation d'un ascenseur de charges pour un prix global et forfaitaire hors taxes de 118 190 euros afin d'équiper le nouveau bâtiment vinicole qu'elle faisait construire.

La société Feller Industries Lorraine a elle-même acquis l'ascenseur de charges auprès de la société GMV selon bon de commande du 23 mars 2011, au prix hors taxes de 85 154 euros.

La société Bureau Veritas Exploitation a procédé au contrôle final de l'installation.

La société GMV France a fait assigner la société Feller Industries Lorraine devant le tribunal de commerce de Nancy afin d'obtenir paiement du solde de la facture du monte-charge et cette dernière avait alors demandé le paiement de dommages intérêts à raison de dysfonctionnement de l'installation.

Le tribunal de commerce, par jugement du 13 juillet 2015 a uniquement condamné la société Feller au titre du solde de facture.

Par arrêt du 29 mai 2019, la cour d'appel de Nancy a confirmé ce jugement en toutes ses dispositions et débouté la société Feller Industries Lorraine de sa demande de dommages intérêts.

Se plaignant de la persistance de dysfonctionnements du monte-charge en dépit de l'intervention de techniciens des sociétés Feller et GMV, la société Champagne Janisson a obtenu du juge des référés du tribunal de commerce de Reims, la désignation d'un expert, M. [H] [V], par ordonnance du 7 septembre 2016.

La société Champagne Janisson a fait assigner les sociétés Feller Industries Lorraine et GMV France, ainsi que la SMABTP en qualité d'assureur de la société Feller, devant le tribunal de commerce de Reims, par actes d'huissier des 3, 4 et 7 août 2017.

Elle demandait l'indemnisation de ses préjudices sur le fondement des articles 1792 et suivants du code civil principalement et, subsidiairement, sur le fondement de l'ancien article 1147 du même code contre la société Feller Industries Lorraine et sur celui de l'ancien article 1382 contre la société GMV France.

La société Champagne Janisson entendait obtenir, outre la réparation de son préjudice matériel résultant de la désorganisation de son activité et de son préjudice moral, à titre principal, le remplacement du monte-charge et subsidiairement, l'indemnisation du coût des reprises nécessaires au bon fonctionnement de ce matériel.

Le 26 avril 2019, la société Feller Industries Lorraine a fait assigner la SAS Bureau Veritas Exploitation afin d'être garantie par celle-ci des condamnations qui seraient prononcées à son encontre.

La société Champagne Janisson a alors recherché la responsabilité de la SAS Bureau Veritas en sus de celles des sociétés Feller et GMV France, dont elle a demandé la condamnation in solidum.

La SA SMA étant intervenue volontairement en qualité d'assureur de la société Feller et la SMABTP ayant demandé sa mise hors de cause, la société Champagne Janisson a demandé que la SA SMA soit condamnée à garantir la société Feller des condamnations prononcées à son encontre.

La société Feller a conclu qu'elle ne pouvait être tenue au-delà de sa quote-part des frais de certification de l'installation et du trouble d'exploitation qualifié par l'expert.

La société GMV France a conclu qu'elle était fabricant exclu de la responsabilité décennale et, à défaut, qu'elle était exonérée de la responsabilité décennale et a donc sollicité le rejet des demandes faites contre elle.

Elle a sollicité, reconventionnellement, la condamnation de la société Champagne Janisson à lui payer des dommages intérêts et la condamnation solidaire des sociétés SMA, SMABTP et Bureau Veritas Exploitation à payer solidairement toutes les éventuelles condamnations.

La société SMA s'est opposée à la condamnation de son assuré, la société Feller sur le fondement des articles 1792 et suivants, dont elle affirmait que les conditions d'application n'étaient pas réunies. Elle a dénié sa garantie dans l'hypothèse subsidiaire où la responsabilité de la société Feller serait retenue sur le fondement du droit commun.

Elle a soutenu qu'en tout état de cause, si sa garantie devait être consacrée, il n'y aurait pas lieu à condamnation in solidum dans la mesure où les différents désordres et leur imputabilité sont clairement définis par un rapport d'expertise.

Dans l'hypothèse où une condamnation in solidum serait néanmoins prononcée, elle a demandé la garantie des sociétés GMV et Bureau Veritas au-delà de la quote-part admise par la société Feller.

La société SMA s'est en outre opposée à la prise en charge d'un remplacement pur et simple du matériel et à la demande de la société Champagne Janisson en paiement au titre d'un préjudice moral et de son préjudice matériel lié à une désorganisation de son activité, qu'elle a, subsidiairement, évalué à une somme inférieure à celle demandée. Elle a également demandé un partage entre les défendeurs de la charge des sommes dues au titre des préjudices immatériels.

Elle s'est prévalue des franchises prévues dans sa police d'assurance.

La société Bureau Veritas Exploitation s'est opposée à l'ensemble des demandes présentées contre elles et, subsidiairement, a demandé le rejet de la demande de condamnation in solidum. Plus subsidiairement, elle a demandé le cantonnement de la part qui pourrait être mise à sa charge à l'évaluation expertale.

Par jugement du 13 juillet 2021, le tribunal de commerce de Reims a :

- mis hors de cause la SMABTP,

- condamné in solidum les sociétés Feller Industries Lorraine, GMV France et Bureau Veritas Exploitation à payer à la société Champagne Manuel Janisson la somme de 99 000 euros hors taxes correspondant au coût des reprises ponctuelles à effectuer sur le monte-charge, outre 5 000 euros au titre de ses préjudices matériel et moral et 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SA SMA à garantir la société Feller Industries Lorraine des condamnations prononcées à l'encontre de celle-ci, déduction faite de franchises éventuelles prévues au contrat,

- rejeté toutes autres demandes,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné in solidum les sociétés Feller Industrie Lorraine et GMV France aux dépens.

Le tribunal a fait application des articles 1792, 1792-2 et 1792-4 du code civil pour retenir la responsabilité décennale de la société Feller, en retenant que le monte-charge constituait un élément essentiel du bâtiment technique construit par la société Janisson pour l'élaboration de son champagne et que sa défaillance était de nature à perturber gravement le cycle d'exploitation voire à l'interrompre, portant ainsi atteinte à la destination de ce bâtiment et pouvant le rendre impropre à sa destination.

Il a écarté l'application de l'article 1792-4 à l'égard de la société GMV France au motif que la société Feller avait modifié l'installation, sans lui en référer, mais il a fait application de l'article 1240 en considérant que la société GMV France était à l'origine de malfaçons relevées par l'expert, notamment en ce qui concerne le positionnement des taquets et le système de détection en gaine ou le défaut de soudure d'un des taquets.

Le tribunal a également retenu la responsabilité délictuelle de la société Bureau Veritas Exploitation au motif qu'elle avait délivré une certification permettant la mise en 'uvre d'un appareil non conforme au dossier technique établi par la société GMV compte tenu des modifications apportées par la société Feller.

Il a prononcé la condamnation in solidum des sociétés Feller, GMV France et Bureau Veritas Exploitation au motif que leurs manquements cumulés avaient abouti à des dysfonctionnements majeurs du monte-charge.

Il a constaté que la société Champagne Janisson avait fait réparer le monte-charge, en l'absence d'opposition des autres parties et qu'elle ne se plaignait plus de dysfonctionnement et a donc retenu la solution réparatrice, selon le chiffrage de l'expert, plutôt qu'un remplacement complet du monte-charge.

La SA GMV France a interjeté appel contre ce jugement par déclaration d'appel du 29 juillet 2021 visant expressément l'ensemble des chefs de décision, à l'exception de ceux relatifs à la déclaration de responsabilité des sociétés Feller et Bureau Veritas, à la mise hors de cause de la SMABTP et à la garantie due par la SA SMA à la société Feller.

Par conclusions notifiées le 4 août 2022, la SA MHCS, devenue associée unique de la SAS Champagne Manuel Janisson, est intervenue volontairement à l'instance, aux côtés de celle-ci.

Par conclusions notifiées le 29 août 2022, la SA GMV France demande à la cour d'appel de :

- confirmer l'exclusion de sa responsabilité sur le fondement des articles 1792-2 et 1792-4 du code civil,

- réformer et annuler partiellement la décision du tribunal de commerce en ce qu'elle a retenu sa responsabilité délictuelle et alloué à la société Champagne Janisson les sommes de 99'000 euros au titre des reprises ponctuelles à effectuer et 5 000 euros au titre des préjudices matériel et moral et 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- 'fixer l'absence de faute de sa part, de préjudice de la société Champagne Janisson, MHCS et de lien de causalité',

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les sociétés Champagne Janisson, Feller Veritas et SMA de leurs autres demandes,

- rejeter et débouter les appels incidents des sociétés Champagne Janisson, Feller Veritas, MHCS et SMA,

- 'fixer et constater le parfait fonctionnement de l'ascenseur monte-charge depuis le changement d'une taquet en octobre 2016',

- 'fixer la part de responsabilité consécutive à l'usage inadapté de l'ascenseur par la société Janisson et la société MHCS jusqu'en 2016 ayant détérioré l'ascenseur',

- rejeter et débouter les demandes indemnitaires matérielles, financières, morales non fondées et non justifiées de la société Janisson et de la société MHCS,

- rejeter et débouter toutes les demandes présentées contre elle par les sociétés Janisson, MHCS, Feller, Bureau Veritas et SMA BTP,

à titre reconventionnel,

- condamner solidairement la société Champagne Janisson MHCS à lui payer la somme de 15'000 euros à titre de dommages intérêts,

- condamner les sociétés Janisson, MHCS, Feller, Veritas solidairement à payer 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour procédure abusive,

- condamner solidairement les mêmes aux entiers dépens, incluant les frais d'expertises judiciaires,

- condamner les sociétés SMA, Veritas à payer solidairement toutes les éventuelles condamnations.

La société GMV reproche en premier lieu au tribunal de commerce de ne pas avoir tenu compte de l'arrêt de la cour d'appel de Nancy du 29 mai 2019 et estime que cette décision interdit aux sociétés Feller et Champagne Janisson, 'liées contractuellement', de présenter des demandes à son encontre compte tenu de l'autorité de la chose jugée.

Elle conteste l'application de l'article 1792 du code civil au motif qu'elle n'est pas liée par un contrat de louage d'ouvrage à la société Champagne Janisson et l'application de l'article 1792-4 parce que l'ouvrage a été modifié en violation des règles du fabricant et qu'elle n'est pas le fabricant du monte-charge, qui est la société GMV Suède, tiers à la présente instance, dont elle distribue les produits.

Elle conteste également que le champ de la garantie décennale puisse lui être étendu sur le fondement de la jurisprudence de la cour de cassation (Cass, Civ3è, 28 février 2018, n°17-15.962) au motif qu'elle n'a pas activement participé à la construction, ni n'en a assumé la maîtrise d''uvre.

Elle conteste encore l'application de la garantie décennale au motif que l'ouvrage n'est pas, selon elle, impropre à sa destination et que sa solidité n'est pas compromise. Elle affirme que l'ascenseur fonctionne normalement depuis octobre 2016.

La société GMV France conteste sa responsabilité délictuelle, ainsi que l'existence d'un préjudice pour la société Janisson, en affirmant que les dysfonctionnements en cause ne lui sont pas imputables, mais le sont à une installation non conforme, à la modification apportée par la société Feller et à un usage non conforme de la société Janisson.

Par conclusions transmises le 5 septembre 2022, la SAS Champagne Manuel Janisson et la SA MHCS demandent à la cour d'appel de :

- donner acte à la société MHCS de son intervention volontaire,

- déclarer la société Champagne Manuel Janisson recevable et bien fondée en son appel incident,

- infirmer le jugement en ce qu'il :

- l'a déclarée recevable et bien fondée en son action de manière partielle,

- a dit et jugé que la responsabilité de la société GMV France est engagée sur le seul fondement de l'article 1382 devenu l'article 1240 du code civil,

- a dit et jugé que la responsabilité de la société Bureau Veritas Exploitation est engagée sur le seul fondement de l'article 1382 devenu l'article 1240 du code civil,

- rejeté toutes autres de demandes, fins et conclusions de la société Champagne Manuel Janisson,

- a limité le quantum des condamnations prononcées,

- confirmer le jugement pour le surplus,

statuant à nouveau,

à titre principal,

- dire et juger que les responsabilités des sociétés Feller, GMV France et Bureau Veritas Exploitation sont engagées sur le fondement des articles 1792, 1792-5 et 1792-4-2 du code civil,

à titre subsidiaire,

- dire et juger que la responsabilité de la société Feller est engagée sur le fondement de l'article 1147, devenu l'article 1231-1 du code civil,

- dire et juger que la responsabilité de la société GMV France est engagée sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240 du code civil,

- dire et juger que la responsabilité de la société Bureau Veritas Exploitation est engagée sur le fondement de l'article1382, devenu 1240 du code civil,

sur la réparation des préjudices,

à titre principal,

- dire et juger y avoir lieu à réparation de l'intégralité des préjudices subis par la société Champagne Manuel Janisson et subsidiairement par sa holding,

- homologuer le rapport d'expertise en ce qu'il a conclu à la nécessité de remplacer intégralement le monte-charge,

en conséquence,

si la cour fait droit à la demande principale tendant à la prise en charge de la totalité du remplacement du monte-charge,

à titre principal,

- condamner in solidum les sociétés Feller Industries Lorraine, GMV France et Bureau Veritas Exploitation à payer à la société Champagne Manuel Janisson le remplacement intégral du monte-charge outre les préjudices accessoires pour un montant de 250 219,71 euros selon détails ci-dessous :

- 214 511,43 euros : coût du remplacement HT du monte-charge,

- 25 708,28 euros : préjudice matériel lié à la désorganisation de l'activité,

- 10 000 euros : préjudice moral,

à titre subsidiaire,

- condamner in solidum les sociétés Feller Industries Lorraine, GMV France et Bureau Veritas Exploitation à payer :

- à la société Champagne Manuel Janisson :

- 25 708,28 euros : préjudice matériel lié à la désorganisation de l'activité,

- 10 000 euros : préjudice moral,

- à la société MHCS, subrogée dans les droits de sa filiale :

- 214 511,43 euros : coût du remplacement HT du monte-charge,

subsidiairement, si la cour devait écarter le principe de réparation intégrale du préjudice et opter pour la réparation partielle du monte-charge,

- à titre principal, condamner in solidum les sociétés Feller Industries Lorraine, GMV France et Bureau Veritas Exploitation à payer à la société Champagne Manuel Janisson 'le remplacement intégral du monte-charge' outre les préjudices accessoires pour un montant de 203 728,28 euros selon détails ci-dessous :

- 144 020 euros : coût minimal des reprises partielles HT

- 25 708,28 euros : préjudice matériel lié à la désorganisation de l'activité,

- 10 000 euros : préjudice moral,

- à titre subsidiaire, condamner in solidum les sociétés Feller Industries Lorraine, GMV France et Bureau Veritas Exploitation à payer :

- à la société Champagne Manuel Janisson :

25 708,28 euros : préjudice matériel lié à la désorganisation de l'activité,

10 000 euros : préjudice moral,

- à la société MHCS, subrogée dans les droits de sa filiale :

- 144 020 euros : coût minimal des reprises partielles HT,

en tout état de cause,

- débouter les sociétés Feller Industries Lorraine, GMV France, SMA et Bureau Veritas Exploitation de l'ensemble de leurs demandes,

- condamner in solidum Feller Industries Lorraine, GMV France et Bureau Veritas Exploitation à payer à la société Champagne Manuel Janisson une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, comprenant les frais d'expertise à hauteur de 35 916 euros TTC et , dans le cas où la demanderesse serait contrainte de procéder au recouvrement forcé, l'intégralité du coût des frais et émoluments d'huissier rendus nécessaires pour y procéder, en ce compris les droits proportionnels mis à la charge du créancier,

- condamner la SA SMA à garantir intégralement son assurée, la société Feller Industries Lorraine, des condamnations prononcées à son encontre,

- ordonner l'exécution provisoire.

Les sociétés Janisson et MHCS invoquent le rapport d'expertise de M. [V] pour justifier de l'existence de trois types de désordre et de leur imputabilité aux sociétés Feller et GMV France.

Elles considèrent en premier lieu que les conditions de la garantie décennale sont réunies, tant à l'égard de la société Feller, que de la société GMV France et de la société BureauVeritas Exploitation, en ce que :

- les travaux ont fait l'objet d'un procès-verbal de réception sans réserves,

- l'ascenseur peut être considéré comme un élément d'équipement de l'ouvrage que constitue le bâtiment vinicole, qu'il rend impropre à sa destination en empêchant toute manipulation et commercialisation du stock de champagne se trouvant au niveau R-2, étant précisé qu'il s'agit d'un élément d'équipement essentiel (article 1792-2 du code civil),

- il résulte de la jurisprudence que lorsque les désordres de l'élément d'équipement provoquent une impropriété à destination de l'ouvrage dans son ensemble, la garantie décennale s'applique sans qu'il soit nécessaire de démontrer le caractère dissociable ou non de l'élément d'équipement et que le caractère même intermittent de l'impropriété à destination entraîne de plein droit le jeu de la garantie décennale,

- elle conteste que cet élément entre dans le champ d'application de l'article 1792-7 du code civil que la société SMA invoque en ce qu'il serait un équipement à vocation exclusivement professionnelle :

- parce que le monte charge peut être regardé lui-même comme un ouvrage au sens de l'article 1792 du code civil dès lors qu'il constitue un élément central du bâtiment, autour duquel celui-ci a été conçu et parce que les dysfonctionnements en cause entachent la sécurité même de ce monte charge

- parce que le domaine d'application de l'article 1792-7 est très restreint et ne vise que les éléments ayant pour fonction unique de permettre l'exercice d'une activité professionnelle dans l'ouvrage, tandis que l'ascenseur permet l'accès aux étages de l'ouvrage à tout un chacun et qu'elle n'est pas qu'une simple installation industrielle ad hoc qui n'aurait que vocation à assurer un process de production ou de fabrication,

- elle recherche la garantie décennale due par la société Feller en qualité de constructeur de l'ouvrage et celle de la société GMV France en qualité de fabricant sur le fondement de l'article 1792-4 en soutenant qu'un contrat de marché a bien été passé entre le maître d'ouvrage et le constructeur, que si la société Feller a adapté les vérins, il s'agit de simples ajustements que l'entrepreneur est admis à opérer et que les vices affectant le bien fabriqué existaient avant l'installation ; elle recherche la garantie de la société Bureau Veritas en qualité de contrôleur technique, intervenu comme sous-traitant de la société Feller au sens de l'article 1792-4-2, en soutenant que si elle n'avait pas émis d'attestation de contrôle final, l'appareil n'aurait pas pu être mis en service ; elle invoque également l'article 1792-1 en affirmant qu'un contrôleur technique est un constructeur au sens de ce texte.

Les sociétés Janisson et MHCS demandent la condamnation solidaire de ces trois sociétés en expliquant que si l'expert a procédé à une ventilation des responsabilités en fonction des fautes imputées, ce sont les fautes combinées de celles-ci qui ont entraîné la réalisation de l'entier dommage.

La SMA SA a transmis des conclusions le 29 août 2022 pour demander à la cour d'appel d'infirmer le jugement en ses dispositions la visant et,statuant à nouveau de:

- débouter la société Champagne Janisson de sa demande tendant à voir consacrer la responsabilité décennale de la société Feller Industries Lorraine et, par voie de conséquence, la garantie de son assureur,

- subsidiairement, la débouter de ses demandes visant la responsabilité de la société Feller Industries Lorraine et les garanties souscrites souscrites auprès de la SMA SA au titre de la garantie de bon fonctionnement, faute par elle d'avoir agi à l'encontre de l'entrepreneur dans un délai de 2 ans suivant la réception des travaux,

à titre plus subsidiaire,

- débouter la société Champagne Janisson de ses demandes dirigées à son encontre dans l'hypothèse où la responsabilité de la société Feller Industries Lorraine serait consacrée sur le fondement des dispositions de droit commun, dès lors qu'elle est recevable et fondée à opposer à toute demande formée à son encontre les dispositions de l'article 1.2.4 des conditions générales de sa police,

en tout état de cause, dans l'hypothèse où une quelconque responsabilité de la société Feller Industries Lorraine serait retenue et que ses garanties seraient susceptibles d'être mobilisées,

- dire n'y avoir lieu à prononcer une condamnation in solidum, les différents désordres et leur imputabilité étant clairement distingués aux termes du rapport d'expertise de M. [V],

- fixer la part de responsabilité incombant à la société Feller Industries Lorraine à 22,76% des dommages,

à titre infiniment subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour prononcerait une condamnation in solidum au profit du maître d'ouvrage,

- condamner in solidum les sociétés GMV France et Bureau Veritas Exploitation à la relever et garantir es qualités d'assureur de la société Feller Industries Lorraine de l'ensemble des condamnations en principal, frais et accessoires mis à sa charge au-delà de la part de 22,73% admise par cette dernière,

- débouter la société GMV de son appel en garantie formé à son encontre en ce qu'il n'est explicité ni en droit, ni en fait,

- débouter la société Champagne Janisson de sa demande en paiement d'une somme de 228'541,59 euros HT au titre de son préjudice matériel, dans la mesure où elle n'a exposé aucune dépense au titre des travaux de reprise de l'installation,

- débouter la société MHCS de sa demande en paiement de la même somme au titre de son préjudice matériel, aucun impératif technique n'imposant un remplacement pur et simple de l'installation,

- fixer le préjudice matériel subi par la société MHCS à la somme de 75 500 euros HT telle que chiffrée par l'expert judiciaire et rejeter toute demande plus ample ou contraire,

- débouter la société Champagne Janisson du préjudice de trouble de jouissance et d'utilisation d'un montant de 25 708,28 euros, ce poste n'étant justifié ni dans son principe, ni dans son montant,

- débouter la société Champagne Janisson de sa demande en paiement d'une somme de 10 000 euros en réparation d'un prétendu préjudice moral,

à titre plus subsidiaire,

- confirmer le jugement en ce qu'il a fixé ces différents postes à la somme forfaitaire de 5 000 euros,

- juger en tout état de cause que les sommes allouées à la société Champagne Janisson au titre de ses préjudices immatériels devront être réparties entre la société Feller Industries Lorraine, son assureur, la société GMV et la société Bureau Veritas Exploitation dans les mêmes proportions que précédemment indiquées, la part de la société Feller Industries Exploitation devant être limitée à 22,73 euros du tout,

- juger qu'elle est recevable et bien fondée à opposer à toute demande à son encontre les franchises prévues aux termes des conditions particulières de sa police d'assurance, soit :

- dommages à l'ouvrage après réception : 10% des dommages avec un minimum de 915 euros et un maximum de 9 150 euros, franchise qui devra être doublée dans la mesure où le sinistre est survenu en première année,

- dommages extérieurs à l'ouvrage : franchise de 549 euros,

- rejeter toute demande plus ample ou contraire dirigée à son encontre,

- juger que toute éventuelle condamnation mise à la charge des parties défenderesses au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les dépens, devront être mis à la charge définitive de la société Feller Industries Lorraine et son assureur dans une proportion limitée à 22,73%.

La SAM SA exclut l'application des articles 1792 et suivants du code civil en soutenant que :

- l'ascenseur de charge ne constitue pas un ouvrage en lui-même dans la mesure où son installation d'un monte-charge n'a pas conduit à la réalisation d'un ouvrage requérant la mise en 'uvre de techniques du bâtiment,

- le litige vise un élément d'équipement permettant l'exercice d'une activité professionnelle dans l'ouvrage,

- s'agissant d'un élément d'équipement dissociable ne rendant pas l'ouvrage impropre à sa destination, la responsabilité de la société Feller ne peut être recherchée qu'au titre de la garantie de bon fonctionnement relevant de l'article 1792-4-1 (plutôt 1792-3 du code civil '), hors la société Janisson a engagé sa procédure contre la société Feller plus de deux années après la réception.

Elle exclut en outre que la responsabilité de son assurée puisse être retenue sur le fondement du droit commun au-delà des désordres atteignant les vérins, que celle-ci a déjà repris, de sorte qu'elle ne plus être tenue qu'au titre du problème lié à la certification, compte tenu de la nouvelle norme en la matière.

Elle entend en outre opposer une exclusion de garantie au motif que les désordres en cause sont apparus dans l'année suivant la réception des travaux.

Par conclusions notifiées le 1er septembre 2022, la SAS Bureau Veritas Exploitation demande à la cour d'appel de :

- dire et juger toute demande de condamnation, à titre principal ou en garantie mal fondée,

- en conséquence, réformer le jugement et faire droit à son appel incident,

- rejeter purement et simplement toute demande à son encontre et la mettre hors de cause,

subsidiairement, sur le quantum,

- rejeter la demande formée par la société Champagne manuel Janisson tendant à la condamnation de la société Bureau Veritas Exploitation à payer le coût de remplacement du monte-charges, comme nouvelle cause d'appel,

- subsidiairement, confirmer la décision du tribunal qui a considéré cette réclamation non justifiée et la rejeter purement et simplement,

- déclarer irrecevable l'intégralité des réclamations de la société Champagne Manuel Janisson au titre du coût des reprises matérielles du monte-charges,

- déclarer irrecevable l'intervention volontaire de la société MHCS,

- subsidiairement, la déclarer mal fondée et rejeter purement et simplement l'intégralité de ses réclamations,

- rejeter purement et simplement la réclamation de la société Champagne Manuel Janisson au titre du coût de remplacement du monte-charges et subsidiairement du coût des reprises,

- rejeter la demande de reprise ponctuelle à hauteur de la somme de 144 020 euros HT comme non justifiée,

- fixer le coût de la reprise du monte-charges à la somme de 75 000 euros telle qu'évaluée par l'expert judiciaire et rejeter la réclamation de la société Champagne Manuel Janisson pour le surplus,

- rejeter la réclamation portant sur la désorganisation de l'activité de l'entreprise, au titre des indemnités de retard et à titre de préjudice moral et d'atteinte à l'image,

- en toute hypothèse et au regard de la participation de la société Champagne Manuel Janisson à la réalisation de son préjudice, laisser à sa charge une part de l'ensemble des coûts tant matériel qu'immatériel,

- subsidiairement, rejeter la demande de condamnation in solidum,

- plus subsidiairement, cantonner la part éventuellement mise à sa charge à l'évaluation expertale, soit la somme de 500 euros HT,

- condamner tout succombant à lui verser une somme de 6 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner in solidum aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SELAS Devarenne associés Grand Est, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La société Bureau Veritas Exploitation conteste que la garantie décennale puisse lui être appliquée en soutenant que le contrat qu'elle a conclu avec la société Feller Industries Lorraine ne lui confère pas la qualité de contrôleur technique, de sorte qu'elle ne peut être assimilée à un constructeur. Elle conteste également être intervenue comme sous-traitant de la société Feller Industries Lorraine et ajoute que son co-contractant n'est pas le maître d'ouvrage.

Elle affirme qu'elle avait une mission de service, en exécution d'un contrat-cadre passé avec la société Feller Industries Lorraine, qui lui imposait uniquement de s'assurer que l'ascenseur répondait aux exigences essentielles de sécurité définies dans la directive 95/16/CE et en s'appuyant sur le dossier technique du fabricant.

Elle conteste, de même, sa responsabilité quasi-délictuelle au motif que les conditions n'en sont pas réunies en ce que :

- il n'est pas établi qu'elle aurait commis une faute dès lors qu'il n'est pas établi que la modification opérée par la société Feller serait antérieure à sa propre intervention et qu'elle conteste les conclusions de l'expert quant à la finalité de l'attestation de conformité,

- le manquement qui pourrait éventuellement lui être reproché n'a eu aucune incidence sur la nécessité de reprendre le monte-charges litigieux et la nécessité d'une nouvelle certification ne découle que de la mise en service d'un appareil nouvellement repris.

La société Bureau Veritas Exploitation s'oppose à sa condamnation in solidum avec les sociétés Feller et GMV au motif que son manquement éventuel dans la certification et les reproches faits par l'expert à ces dernières sont d'une nature différente.

Pour conclure à l'irrecevabilité de l'intervention volontaire de la société MHCS, la société Bureau Veritas Exploitation affirme que celle-ci n'est pas subrogée dans les droits de la société Janisson. Elle estime en outre que la société MHCS ne justifie pas d'un intérêt à intervenir volontairement à hauteur d'appel comme l'article 554 du code de procédure civile l'impose parce qu'elle exerce un droit propre distinct qui n'a pas été soumis à la juridiction de première instance.

La société Feller Industries Lorraine n'a pas constitué avocat. La déclaration d'appel lui a été signifiée le 29 septembre 2021 dans les conditions de l'article 659 du code de procédure civile. Le présent arrêt sera donc rendu par défaut, ainsi que l'article 473 du même code le prévoit.

MOTIFS

Sur l'autorité de la chose jugée par la cour d'appel de Nancy

Selon l'article 1355 du code civil, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.

Devant la cour d'appel de Nancy, la société Feller sollicitait la condamnation de la société GMV France à lui verser des indemnités en invoquant la responsabilité de cette dernière dans les désordres affectant l'installation de la société Janisson et les désagréments subis. La cour d'appel l'a déboutée au motif que la société Feller ne précisait pas à quoi correspondait la somme réclamée et ne s'expliquait pas sur la nature du préjudice qu'elle aurait subi du fait des manquements qu'elle impute à la société GMV.

Dans la présente affaire, la société Feller n'a pas constitué avocat et ne formule aucune demande contre la société GMV France. Et le jugement n'a prononcé aucune condamnation de la société GMV France au profit de la société Feller, sur laquelle la cour d'appel devrait à nouveau statuer à raison d'un appel incident.

En conséquence, la fin de non-recevoir que la société GMV France oppose à la société Feller est sans objet.

La société GMV France n'est pas fondée à opposer une telle fin de non-recevoir à la société Janisson, qui n'était pas partie à l'instance qui a donné lieu à l'arrêt précité de la cour d'appel de Nancy et la circonstance que cette société est liée contractuellement à la société Feller ne saurait lui conférer cette qualité et avoir pour effet de lui étendre l'autorité de la chose jugée par cette juridiction.

La société GMV France ne peut donc pas non plus opposer à la société Janisson l'autorité de chose jugée de l'arrêt rendu le 29 mai 2019 par la cour d'appel de Nancy.

Les désordres et leur origine

La société Janisson invoque trois types de désordre, identifiés par l'expert, M. [V], qui touchent le système de détection en gaine, le système des taquets et les vérins.

- Le système des taquets

L'expert invoque un manque de stabilité de la cabine lors des phases de chargement et déchargement et explique que ce manque de stabilité résulte du positionnement des taquets au niveau des guides cabines, au centre de la cabine, et non à ses extrémités, cela ayant pour effet de créer un effet de basculement de ladite cabine lors des phases de chargement/déchargement. Or, dès que la porte palière et la porte cabine ne sont plus solidaires, un système de rappel par ressorts, prévu par la réglementation, referme automatiquement la porte palière, de manière aléatoire et intempestive.

L'expert estime que les désordres liés au problème de basculement de la cabine du fait du mauvais positionnement des taquets, relèvent d'un défaut de conception de la part de GMV.

Cette dernière conteste tout défaut de conception, arguant de ce que plus de 2 000 taquets sont en fonctionnement dans le monde et qu'il n'a jamais été révélé les désordres constatés chez Janisson. Elle affirme qu'il s'agit d'un défaut de montage du taquet par la société Feller, qu'elle considère donc comme seule responsable et qu'in fine, les ascenseurs sont conçus pour fonctionner sans taquet.

Elle ne justifie cependant pas d'une telle affirmation alors qu'il résulte de l'expertise que les taquets ont pour fonction de permettre la stabilité de la cabine lors des phases de chargement et de déchargement et que le fonctionnement sans taquet est moins sécuritaire (p.256 du rapport).

M. [V] indique en outre que les taquets sont d'origine sur le monte-charge litigieux et il ne ressort pas de l'expertise que ce serait la société Feller qui aurait, de son propre chef, positionné les taquets au centre de la cabine plutôt qu'à ses extrémités, étant précisé que les pièces produites par la société GMV pour justifier d'une mauvaise installation de ces pièces par cette société ne sont pas traduites en Français.

L'ascenseur de charges étant en panne lors de la réunion d'expertise du 13 octobre 2016, M. [V] en a attribué la cause à un taquet antérieur droit qui ne rentrait pas parce qu'il était endommagé, une soudure, mal réalisée, s'étant rompue.

L'expert considère qu'il s'agit d'un défaut de fabrication imputable au fournisseur de GMV France et GMV Suède, la société Italienne CELM SRL. Il ne retient donc pas la responsabilité de la société GMV France.

- Le système de détection en gaine

S'agissant du système de détection en gaine, il indique que sa conception doit permettre de garantir une précision de positionnement lors des phases d'arrêt, de déploiement des taquets et d'isonivelage. Il a relevé que le positionnement actuel était réalisé avec des capteurs de proximité inductifs, qui fonctionnent sans lien entre le capteur et l'objet à détecter, par l'intermédiaire d'un champ magnétique ou électromagnétique et précise que la fiabilité de ces capteurs dépend de son réglage et de son environnement. Or, il lui est apparu que la simple déformation de la cabine et de son arcade, lorsque cette dernière n'est pas uniformément chargée, suffisait à modifier les zones de détection et à générer un défaut.

- Les vérins

Il résulte de l'historique de l'affaire présentée dans le rapport d'expertise que la société Feller a constaté en juin 2012 que leur longueur n'était pas bonne.

Un temps envisagée par la société Feller, la commande de nouveaux vérins a été annulée, cette dernière ayant expliqué à la société GMV qu'elle pensait avoir trouvé une solution intermédiaire, laquelle a consisté en la pose d'une rallonge.

L'expert estime que le remplacement des vérins est indispensable pour supprimer cette rallonge afin d'obtenir une certification CE conforme à la réglementation en vigueur et au dossier technique.

Cependant, il indique dans ses réponses aux dires des parties, que la société Feller n'a pas fourni les éléments techniques précis permettant d'apprécier les caractéristiques techniques des pièces rajoutées sur les vérins et il ne précise pas en quoi il peut néanmoins être considéré que ces pièces rendent l'ascenseur installé non conforme, au sens du décret n°2000-810 du 24 août 2000, à l'ascenseur modèle, alors qu'il n'est pas même justifié du niveau de précision de la documentation technique fournie à l'organisme de contrôle et donc de la présence même d'éléments techniques sur la configuration des vérins.

En outre, l'expert indique que ces pièces ne génèrent pas de pannes et il n'est pas démontré qu'elles mettraient en péril la sécurité de l'installation.

Il n'est donc pas suffisamment établi que les pièces ajoutées aux vérins, soit la pose d'une rallonge, par la société Feller seraient la cause de désordres.

Les responsabilités

- La société Feller

Le rapport d'expertise ne suffit pas à établir que la modification apportée par la société Feller aux vérins de l'ascenseur est source de désordres.

Les demandes présentées contre la société Feller doivent donc être rejetées et le jugement sera infirmé en ce qu'il condamne cette société à paiement et en ce qu'il dit que la SMA SA devra la garantir.

- La société GMV France

La société Janisson recherche la responsabilité de la société GMV France en qualité de fabricant, sur le fondement de l'article 1792-4 du code civil.

Ce texte dispose que le fabricant d'un ouvrage, d'une partie d'ouvrage ou d'un élément d'équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l'avance, est solidairement responsable des obligations mises par les articles 1792, 1792-2 et 1792-3 à la charge du locateur d'ouvrage qui a mis en 'uvre, sans modification et conformément aux règles édictées par le fabricant, l'ouvrage, la partie d'ouvrage ou élément d'équipement considéré.

Sont assimilés à des fabricants pour l'application de cet article :

Celui qui a importé un ouvrage, une partie d'ouvrage ou un élément d'équipement fabriqué à l'étranger ;

Celui qui l'a présenté comme son 'uvre en faisant figurer sur lui son nom, sa marque ou tout autre signe distinctif.

La société GMV France se défend d'être le fabricant de l'ascenseur de charge en cause, en affirmant que le fabricant est la société GMV Suède, dont elle distribuerait les produits.

Mais ce faisant, elle importerait un élément d'équipement fabriqué à l'étranger et resterait donc susceptible de relever des dispositions de l'article 1792-4.

Toutefois, le bon de commande de l'ascenseur adressé à la société GMV France par la société Feller, fait apparaître que l'appareil a été livré en kit, de sorte qu'il s'agit d'un appareil de série et non d'un élément conçu et produit pour satisfaire à des exigences précises et déterminées à l'avance.

Les conditions d'application de l'article 1792-4 du code civil ne sont donc pas réunies à l'égard de la société GMV France.

La société Janisson invoque, subsidiairement, la responsabilité délictuelle de la société GMV France en sa qualité de fournisseur.

L'article 1240 du code civil prévoit que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

La livraison d'un appareil présentant les défauts de conception précités, constitue une faute de nature à engager la responsabilité délictuelle de son fournisseur et un éventuel défaut de maintenance du matériel ou un usage sans précaution ne sont pas de nature, même s'ils devaient être établis, à exonérer la société GMV de sa responsabilité dès lors qu'il n'est pas démontré que de tels manquements soient en lien de causalité avec les désordres dont il s'agit (manque de stabilité de la cabine et défaut de précision de positionnement lors des phases d'arrêt, de déploiement des taquets et d'isonivelage).

- La société Bureau Veritas Exploitation

Il a été précédemment établi qu'il n'était pas suffisamment démontré que les pièces ajoutées aux vérins par la société Feller, sur lesquelles il n'est apporté aucune précision technique, seraient la cause d'une non conformité au modèle approuvé au regard d'une documentation technique dont il n'est fait aucune mention quant à son contenu et son degré de précision.

Dès lors, il n'est pas démontré que la société Bureau Veritas Exploitation a commis une faute en délivrant l'attestation de contrôle final.

Les demandes présentées contre elle, doivent donc être rejetées et le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur le coût de la réparation et l'obligation au paiement de la dette

- La réparation des désordres

Il est établi que la société MHCS a financé le remplacement complet de l'ascenseur au profit de la société Janisson.

Une créance est ainsi née au profit de la société MHCS, contre la société Janisson, en l'absence de preuve par les autres parties de ce que ce paiement aurait été convenu entre la société mère et sa filiale sans aucune contrepartie à la charge de cette dernière.

La société Janisson subit donc toujours un préjudice compte tenu de la dette qui pèse sur elle et reste recevable à en obtenir réparation, dans la mesure imputable aux désordres précédemment identifiés et dont la société GMV France a été déclarée responsable.

La société Janisson demande principalement le coût du remplacement complet de l'ascenseur et, subsidiairement, le montant de simples reprises.

Elle argue du nombre d'interventions pour réparations ponctuelles effectuées en 4 années (78) pour conclure au caractère vain de simples réparations de l'équipement. Ces interventions n'ayant pas eu pour objet la réalisation des travaux de réparation préconisés par l'expert, la seule considération de leur nombre ne permet pas, en l'absence d'autre élément technique, de démontrer leur insuffisance et donc la nécessité de procéder à un remplacement complet de l'installation.

M. [V] a évalué le montant desdites reprises à 99 500 euros hors taxes et conclut que le coût de cette solution étant élevé au regard du prix initial de l'appareil (85 154 euros HT), il est préférable de procéder au remplacement du monte-charge, dont il évalue le coût à 185 000 euros HT

Le principe de réparation intégrale du préjudice, dont il résulte que la victime doit être indemnisée sans qu'il en résulte ni appauvrissement, ni enrichissement pour elle, doit cependant faire exclure cette proposition pour ne retenir que la solution consistant dans la stricte réparation des causes des désordres précédemment identifiées, liés au système des taquets et à celui de détection en gaine.

M. [V] a évalué le coût de ces travaux à la somme de 55 500 euros hors taxes :

- système de détection en gaine : 10 000 euros HT,

- système de taquets : 40 000 euros HT,

- norme A3 : 5 000 euros HT,

- certification (rendue nécessaire par la modification des systèmes précités) : 500 euros HT.

La société GMV France estime ne pas devoir supporter la charge de la conformité de l'ascenseur à la norme A3 en affirmant qu'elle a livré l'appareil avant l'entrée en vigueur de cette norme au 1er janvier 2012, mais que l'équipement a été 'relivré' postérieurement, en février 2012 en raison de retards immobiliers du maître d''uvre.

Elle ne justifie pas de ces assertions, à l'exception d'une livraison le 28 février 2012, soit postérieurement à l'entrée en vigueur de la nouvelle norme. Il n'est donc pas justifié de l'exempter de ce poste de préjudice.

L'expert ajoute qu'en cas d'incompatibilité de l'armoire de commande avec les modifications proposées, il conviendra de procéder à son remplacement, pour un coût évalué à 24 000 euros HT.

Défini en ces termes, ce poste de préjudice n'est qu'hypothétique et ne saurait donc ouvrir droit à réparation au profit de la société Janisson.

La société Janisson produit un devis s'élevant à la somme de 144 020 euros, qui prévoit :

- le remplacement de l'armoire de commande électrique, dont il a été précédemment établi qu'il constituait un préjudice incertain,

- le déplacement des guides cabines et des vérins, à propos duquel l'expert indique qu'il n'est pas d'accord avec la position de la société auteur du devis quant à leur mauvais positionnement,

- la facturation de 708 heures de main d''uvre, qui paraît exagérée à l'expert.

Ce devis, qui ne comporte aucune ventilation du coût du matériel et de la main d''uvre et ne permet donc pas de retrancher le coût des postes correspondant aux prestations qui ne peuvent être retenues ne permet donc pas d'évaluer le coût des travaux nécessaires.

Il convient en conséquence de retenir l'évaluation faite par l'expert. La société GMV France sera donc condamnée à payer à la société Janisson la somme de 55 500 euros HT et le jugement sera infirmé de ce chef.

- Les autres préjudices

La société Janisson invoque des troubles de jouissance, de désorganisation et d'exploitation.

Pour caractériser son préjudice de désorganisation, elle invoque les 78 interventions qui ont eu lieu sur l'ascenseur et s'en remet à l'évaluation que l'expert en a faite, sur la base de deux employés et trois personnels d'encadrement mobilisés pendant deux heures à chacune des interventions.

Il ressort néanmoins du rapport d'expertise que la totalité de ces 78 interventions n'ont pas pour objet des désordres que le technicien impute à la société GMV France.

En outre, il n'est donné aucun justificatif de la nécessité d'employer cinq salariés pendant deux heures chacun afin de réorganiser l'activité de la société à chaque intervention sur l'ascenseur ni même de ce que les interventions imputables à la société GMV France ont engendré une désorganisation au sein de la société.

La société Janisson justifie des indemnités de retard qu'elle dit avoir dû assumer auprès de ses commanditaires en produisant deux factures établies par la société Metro les 17 juillet et 23 septembre 2014 au titre d'indemnités de retard.

En l'absence d'autre élément, ces seules pièces ne suffisent pas à démontrer que les retards en cause sont liés aux dysfonctionnements de l'ascenseur ou aux interventions imputables à la société GMV France.

Quant au préjudice moral que celle-ci invoque en raison d'une détérioration de son image de marque et une perte de confiance, elle les attribue à la destruction de stocks et par voie de conséquence, une impossibilité d'honorer ses engagements, dont elle ne justifie en rien.

En conséquence, la société Janisson doit être déboutée de ses demandes en paiement de dommages intérêts au titre d'un préjudice matériel lié à la désorganisation de son activité et d'un préjudice moral. Le jugement sera donc infirmé de ce chef.

Les autres demandes

La société GMV France n'explicite pas sa demande en paiement de dommages intérêts et ne démontre aucune faute imputable aux sociétés Janisson et MHCS dont elle demande la condamnation. Elle sera donc déboutée et le jugement sera confirmé de ce chef.

Compte tenu de ce qui précède, le jugement sera infirmé en ce qu'il met les dépens à la charge de la société Feller in solidum avec la société GMV France, seule cette dernière étant condamnée et devant supporter ces frais.

Le jugement sera également infirmé en ce qu'il condamne la société Feller sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société GMV France, partie condamnée à hauteur d'appel, est tenue aux dépens de cette instance.

Sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile doit donc être rejetée.

Il est équitable d'allouer les sommes suivantes aux parties citées pour leur frais irrépétibles, à la charge de la société GMV France, seule partie tenue aux dépens d'appel :

- société Janisson : 3 000 euros,

- société Bureau Veritas Exploitation : 2 000 euros,

La SELAS Devarenne associés Grand Est sera autorisée à recouvrer les dépens dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et par arrêt rendu par défaut,

Confirme le jugement rendu le 13 juillet 2021 par le tribunal de commerce de Reims en ce qu'il dit que la responsabilité de la SA GMV France est engagée sur le fondement de l'article 1382 devenu l'article 1240 du code civil ;

L'infirme en toutes ses autres dispositions contestées ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déboute la société GMV France de sa fin de non-recevoir prise de l'autorité de la chose jugée par la cour d'appel de Nancy le 29 mai 2019 ;

Condamne la SA GMV France à payer à la SAS Champagne Manuel Janisson la somme de 55 500 euros HT correspondant au coût des travaux de reprise ;

Rejette l'ensemble des demandes présentées contre la société Feller Industries Lorraine ;

Rejette l'ensemble des demandes présentées contre la SAS Bureau Veritas Exploitation ;

Rejette l'ensemble des demandes présentées contre la société SMA SA ;

Condamne la SA GMV France à payer à la SAS Champagne Manuel Janisson la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;

Condamne la SA GMV France à payer à la SAS Bureau Veritas Exploitation la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;

Déboute la SAS Champagne Manuel Janisson du surplus de ses demandes indemnitaires ;

Condamne la SA GMV France aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de la SELAS Devarenne associés Grand Est.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Reims
Formation : 1ere chambre sect.civile
Numéro d'arrêt : 21/01576
Date de la décision : 25/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-25;21.01576 ?
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